Comme annoncé la semaine dernière, dans ce deuxième article consacré à la faune nilotique, je vais évoquer deux des quatre derniers types de figurines proposées au bas de cette immense vitrine qui occupe le centre de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes : les grenouilles et les canards.
Si parmi les animaux des rives du Nil, des marais et des lacs, le crocodile et l’hippopotame, comme je le démontrerai dans mon article de la semaine prochaine, eurent une terriblement grande influence sur la vie quotidienne des Egyptiens, il n’en va pas de même des grenouilles ou des canards.
Il faut toutefois savoir que, dès l'époque prédynastique, des figurines d'animaux, à ce moment-là en argile ou en silex, furent déposées dans les tombes. Et que, l'usage ayant pris de l'ampleur, les égyptologues en retrouvèrent, datant de la Ière dynastie, en faïence déjà, offertes en guise d'ex-voto dans les premiers sanctuaires égyptiens : crocodiles et hippopotames, afin d'apaiser leur puissance divine; grenouilles, dans l'optique d'une quête de fertilité.
A propos de batraciens, précisément, il faut d'emblée que je vous fasse remarquer, ami lecteur, que si leurs représentations ne permettent pas toujours de distinguer effectivement les différences entre les espèces, je puis néanmoins affirmer que la grenouille, elle, possédait une valeur sémantique bien précise : parce qu’elle était issue des eaux - donc éventuellement des eaux primordiales, dans la mythologie égyptienne -, elle fut dès l’époque archaïque liée à l’apparition de la vie.
Symbole de forces vivifiantes, dispensatrice de vie, elle fut assimilée à la déesse accoucheuse Heket, parèdre de Khnoum, le dieu potier qui modèle l’enfant divin sur son tour : c’est donc cette déesse-grenouille qui donne souffle de vie en tendant le signe de vie ("ankh") en direction du visage du petit être que Khnoum crée.
Cette connotation perdurera bien au-delà de l’Egypte pharaonique puisque l’on a exhumé des exemplaires chrétiens de lampes décorées de grenouilles portant le texte, en grec, : "Je suis la résurrection".
Quelques figurines de grenouilles, essentiellement du Nouvel Empire, sont exposées ici. Celle qui porte le numéro d’inventaire E 17 364 est en bois; la grenouille-sceau AF 8 550 et celle, toutefois sans numéro, à ses côtés sont en faïence siliceuse; elles datent de la XIXème ou de la XXème dynastie.
AF 11 513 et AF 11 514 sont également en faïence siliceuse.
En revanche, E 22 720, don de la famille Curtis, est en cornaline alors que AF 8 557, dernier échantillon du Nouvel Empire, en stéatite glaçurée.
De Basse Epoque, deux exemplaires terminent ce petit bestiaire de batraciens : E 2 245, en verre et AF 2 549, retrouvé à Tanis, dans le delta oriental, en basalte.
Parmi les palmipèdes, le canard, aux nombreuses variétés dans les régions palustres du pays, et l'oie sont indéniablement les animaux les plus représentés dans les scènes peintes des hypogées égyptiens ou dans les palais royaux (à Amarna, dans celui d'Akhenaton, notamment).
Si le canard pilet fut, de loin, le plus abondant, il existait également des canards sauvages, synonymes de désordre, symboles néfastes puisqu'ils avaient la réputation de manger les récoltes.
La vitrine qui nous occupe ici nous propose deux boîtes en bois de caroubier du Nouvel Empire, en forme de canard : ce sont E 219 et N 1 740.
Plus petite, la première ne mesure que 8, 3 cm de longueur et 2, 5 cm de large, tandis que la seconde est longue de 16, 5 cm et large de 6, 5 cm. Pour toutes les deux, ce sont les ailes qui font office de couvercle : il s’ouvre par le milieu sur le corps évidé du volatile, et en pivotant.
Si la première avait été façonnée uniquement dans du bois clair, la seconde, en revanche, est agrémentée d’un peu d’ébène pour le tour de l’oeil et d’incrustations en ivoire pour l’intérieur.
Plus élaboré aussi, ce deuxième exemplaire propose un petit décor en dents de scie à la fois sur le bord des ailes, et sur celui de la boîte proprement dite.
Ces deux coffrets en forme de canard constituaient vraisemblablement des objets de toilette.
Pour terminer, permettez-moi de vous rappeler, ami lecteur, que c'est un canard qui a été choisi pour entrer dans la composition ... non pas d’une recette que je serais bien en peine de vous dévoiler, mais d’un des cinq noms de la titulature royale : celui de "Fils de Rê".
(Derchain : 1978, 65-6; Meeks/Favard-Meeks : 1993, 242; Vandier d'Abbadie : 1972, 45)