Un grand principe de violence commandait à nos moeurs ...
SAINT-JOHN PERSE
Anabase, VIII
dans Oeuvres complètes,
Paris, Gallimard, La Pléiade,
p. 108 de mon édition de 1972
Mardi dernier, souvenez-vous amis lecteurs, vous aviez fait connaissance avec un serviteur aulique, Sinouhé, en découvrant les titres et fonctions qui avaient été siens à la Cour. En guise de prémices à son récit autobiographique, nous fournissant par là une précieuse indication chronologique, partant, historique, il nous révèle le moment où il le fait débuter : à la mort du fondateur de la XIIème dynastie, Amenemhat Ier- Sehetepibrê (que nous savons avoir vécu dans la première moitié du 20ème siècle avant notre ère), décès survenu dans sa trentième année de règne, le septième jour du troisième mois de l'Inondation.
Ce qui correspond, transposé dans notre calendrier - grégorien - actuel, à un 3 novembre, probablement, selon la majorité des égyptologues dans les années 1960 avant notre ère.
Nous l'avions laissé alors qu'en quelques traits il décrivait les manifestations du deuil qui affligeait la Résidence, Itji-Taouy, capitale que le roi, désireux de quitter Thèbes, avait lui-même tardivement fondée en Moyenne-Egypte, à proximité de Licht.
Or donc, sa Majesté avait envoyé une armée vers le pays des Téméhou (1) .
Son fils aîné, le dieu parfait Sésostris, en avait pris la tête : il y avait été mandé pour combattre les pays étrangers et infliger une correction à ceux qui étaient parmi les Tchéhénou (2).
C'est après avoir emporté du pays des Tchéhénou des prisonniers entravés et du bétail de toute sorte en grande quantité qu'il s'en revenait. Les compagnons du Palais dépêchèrent (des messagers) du côté de l'Occident afin que le fils du roi connaisse les événements advenus à la Résidence : ces émissaires le trouvèrent sur le chemin, l'atteignant le soir finissant. Qu'il tardât ne s'est pas produit : le Faucon (3) s'envola avec sa suite sans faire en sorte que son armée le sût.
Or, on avait également dépêché (des émissaires) vers les enfants royaux qui l'accompagnaient dans cette armée : on fit appel à l'un d'eux tandis que je me trouvai là. J'entendis sa voix alors qu'il se confiait : j'étais à proximité de celui qui parlait loin.
Mon coeur se troubla, les bras m'en tombèrent, tous les membres de mon corps tremblant davantage. Je m'éloignai d'un bond jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu de cachette.
Et de me placer entre deux buissons afin d'être séparé de celui qui marcherait sur le chemin.
Je me mis en route vers le Sud sans avoir l'intention d'approcher cette Résidence (4) car je m'attendais à ce qu'advienne un conflit.
Et je ne pensais pas vivre après lui (5).
Notes
(1) Le pays des Téméhou : à l'ouest de l'Egypte, au-delà du Ouadi Natroun ; il s'agit de l'actuelle Libye.
(2) Les Tchéhénou : opposants égyptiens exilés en terres libyennes aux fins vraisemblablement d'y comploter contre Amenemhat Ier.
(3) Le Faucon : Sinouhé nous fait ici comprendre que Sésostris Ier, héritier du trône, assimilé à Horus sous son aspect de falconidé, apprenant une nuit de son retour d'expédition libyenne le décès de son père Amenemhat Ier, quitte immédiatement son armée sans prévenir quiconque afin de rentrer au palais royal.
(4) La Résidence : la capitale.
(5) après lui : certaines versions du texte sur papyri proposent : Et je ne pensais pas vivre après cet événement, c'est-à-dire après un conflit, une guerre civile ; d'autres, comme ici mais aussi celle inscrite sur un ostracon conservé au Musée du Caire leur préfèrent après lui, laissant ainsi sous-entendre qu'il pourrait s'agir d'Amenemhat Ier en personne.
A suivre ...
(Je ne rappellerai jamais assez tout ce que cette mienne traduction doit à l'enseignement, aux conseils avisés et aux corrections pointues du Professeur Michel Malaise qui, voici près d'un quart de siècle, guida mes premiers pas dans l'apprentissage de la langue et de l'écriture égyptiennes.)