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5 mars 2013 2 05 /03 /mars /2013 00:00

 

    Offrandes à Osiris et à la corporation divine qui est dans la double Campagne des Félicités, pour qu'ils donnent les offrandes funéraires de pain-bière-viande-volailles-tissus et toutes bonnes choses chaque jour (...) afin de recevoir les pains, gâteaux, galettes, lait, vin et aliments. 

 

 


 

 

dans Paul  BARGUET

 

Le Livre des Morts des anciens Égyptiens 

Extrait du Chapitre 110


Paris, Éditions du Cerf, 1967

p. 143

 

 

 

  Table d'offrandes de Tepemânkh (gros plan de E 25-copie-1

 

 

 

   

      Le concept de l'offrande en Égypte antique, et plus spécifiquement celui de l'offrande alimentaire aux défunts, fut, dès les premiers temps de la création de l'écriture hiéroglyphique, matérialisé par le hiéroglyphe

 


Hiero-R4.jpg

 

référencé R 4 dans la liste de Gardiner, se lisant hétep, figurant en réalité deux signes distincts : une natte de roseaux ou de joncs, - semblable à celle qui pouvait recouvrir le sol des maisons -, et sur laquelle était déposé un pain.

 

     Il ne résulte évidemment pas du hasard que pour recevoir les offrandes de bouche dans les mastabas des premières dynasties, la table elle-même, soit comprit cette figuration au sein des éléments gravés sur sa partie supérieure - souvenez-vous de celle d'Akhethetep que je vous ai à nouveau présentée la semaine dernière au centre de laquelle vous distinguiez cette natte et ce pain -, soit reçut la forme générale du hiéroglyphe en question.

 

     Exceptionnellement ce matin, je ne vous suggérerai pas de monter à l'étage supérieur, dans la salle 23 pour y admirer, dans la Galerie d'étude n° 1, le superbe petit monument (AF 10226) d'un certain Nakht, datant du Moyen Empire.

 

 

Table-d-offrandes-de-Nakht.jpg

 

 

      Si vous désirez vraiment constater que, vus du haut, la natte est figurée par la partie rectangulaire et le pain déposé dessus par le rectangle incisé qui s'en détache à l'avant-plan, symbolisant l'ensemble des aliments offerts, il vous faudra effectuer un petit voyage vers le Nord-Pas de Calais : en effet, cette pièce fait partie des quelque deux cents qui, d'ici, ont pris le chemin du tout nouvel espace muséal implanté sur l'ancien carreau de fosse des puits 9 et 9 bis des mines de Lens et vous attendent dans la grande Galerie du Temps

 

     C'est ce pain stylisé - cette brioche, comme l'appellent parfois certains égyptologues ; ces tranches de pain, comme préfèrent dire d'autres ; ou leur profil comme personnellement j'aime à le penser -, répété quatorze fois côte à côte, que vous retrouvez, amis visiteurs, sur la scène du repas funéraire de Tepemânkh gravée ici devant vous sur le bloc de calcaire E 25408 exposé au centre de la vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre parisien. 

 

 

 

Table d'offrandes de Tepemânkh (gros plan de E 25408 - Cli

 

 

     Mais peu me chaut en réalité la dénomination que chacun d'entre nous souhaite attribuer à ces formes verticales, l'essentiel étant le message que les artistes eux-mêmes ont voulu véhiculer en les représentant. 

 

     Examinons-les attentivement, voulez-vous, dans leur environnement.


     Leur taille, d'abord, car comme tout le reste, elle fit partie des critères stylistiques de détermination établis par l'égyptologue belge Nadine Cherpion - vous vous souvenez ? : j'ai tout récemment évoqué ses recherches -, aux fins de dater les mastabas qu'elle a étudiés, en ce compris celui de "notre" Tepemânkh.

 

     Si, dans les premiers temps, leur hauteur équivalait au nombre de centimètres séparant le genou du défunt de son coude, elle atteint ici, non pas son épaule, comme ce le sera plus tard, mais approximativement son aisselle.

 

     Leur disposition, ensuite, car elle connut au fil des ans plusieurs variantes : ici, vous notez l'alignement régulier de ces pains en deux séries de sept pièces, chaque groupe tourné face à l'autre. Il faut savoir que vous en trouverez ailleurs sur semblables scènes qui se présentent - pour autant que vous soyez évidemment attentifs à ce détail-là aussi ! -, soit tous face au personnage assis à la table, soit tous dos à lui, soit groupés deux par deux, soit en deux séries comme ici, mais dont la première fait face au défunt, alors que l'autre lui tourne le dos, etc., etc.

 

     Accompagnez-moi un instant à l'étage supérieur pour me permettre de corroborer mon dernier propos : nous y rencontrerons bien, cette fois en salle 16, la fausse-porte de Chéchi (E 27133), exposée dans la vitrine 1.

 

 

stele-fausse-porte-de-Chechi---Louvre-E-27133---Cliche-C.jpg

 

     En scrutant attentivement la scène du repas funéraire du petit tableau central, vous remarquerez aisément que les deux séries de quatre figurations sont placées dos à dos, celle de gauche faisant face au défunt.

 

     Enfin, avec le temps, et parce que le motif s'y prête, les artistes donneront à ces profils de pains stylisés la forme de roseaux dressés - c'est le cas précisément sur la stèle de Chéchi ci-avant. Il faut par là comprendre que l'image rend un signe d'écriture. En effet, soit le hiéroglyphe seul M 17 de la liste de Gardiner, 

 

hiero_M17.jpg

 

 

figurant un de ces roseaux si abondants au sein des marais égyptiens, gravé un certain nombre de fois sur la table d'offrandes ; soit le M 20 de cette même liste

 

hiero_M20.jpg

 

qui constitue l'idéogramme des ces plantes palustres, signifient simplement qu'aux yeux des Égyptiens, ces lieux mythiques, idéalisations du monde agricole réel, que sont les Champs des Roseaux, les Champs d'Ialou, les Campagnes de Félicités, selon certaines parmi d'autres acceptions que leur donnent les égyptologues, symbolisaient la source même de toute nourriture destinée aux morts.

 

     C'est évidemment la raison pour laquelle, vous l'aurez deviné, qu'après celui de mardi dernier, j'ai choisi ce matin en guise d'exergue, ce nouvel extrait du chapitre 110 du Livre pour sortir au jour.

 

 

     Est-il vraiment nécessaire d'à nouveau "enfoncer le clou" ?

Vous savez tous, fidèles à nos rendez-vous hebdomadaires, combien je tiens à prouver que contrairement à des poncifs véhiculés ça et là, l'art égyptien ne pêche nullement par monotonie. Il suffit non pas de regarder, mais de voir. Vraiment. Avec acuité.

 

     Une nouvelle fois devant ces autels portant offrandes, si récurrents de parois de mastabas en parois de mastabas, vous auriez pu croire que les artistes avaient immanquablement reproduit les mêmes scènes. Il n'en fut rien ! Et les détails qui, peu ou prou, distinguent les tables et leur environnement, ne peuvent que vous conforter dans l'opinion que je tente ici de faire admettre : malgré un nombre de consignes idéologiques quant aux finalités de leur art funéraire, les artistes égyptiens disposèrent d'un certain éventail de possibilités, d'une certaine marge d'autonomie créatrice.

 

     Heureusement, d'ailleurs, car ce sont précisément ces petites variantes qui, patiemment relevées, permettent aux égyptologues de dater avec le plus de précision possible les monuments exhumés des âges anciens.

 

 

 

 

(Cherpion : 1989, 42-54 ; Ziegler : 1990, 258-61)

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commentaires

C
Bonsoir Richard,<br /> <br /> Je me demande comment certains peuvent associer l'art égyptien avec l'idée de monotonie...<br /> <br /> Entre le roseau et le pain (ou la brioche) s'élabore, me semble-t-il, un subtil chemin entre nourritures terrestres, nourritures célestes et pouvoir magique de l'écriture qui donne vie aux choses<br /> inanimées.<br /> <br /> Vous nous faites voguer sur un océan de curiosité et la nef des mots est pleine de surprises. Lorsque je vois ce roseau je songe à une petite plume. Est-ce une fantaisie de ma part ou est-ce que je<br /> suis influencée par l'un des noms du roseau (Acorus calamus)?<br /> <br /> Je suis toujours impressionnée par cette variété de pains, variété que nous retrouvons aujourd'hui dans certaines bonnes boulangeries alors que dans d'autres lieux c'est la standardisation du pain<br /> qui prévaut.<br /> <br /> Je vous souhaite une excellente soirée. Bien amicalement<br /> <br /> Cendrine
Répondre
R
<br /> <br />      Bonjour Cendrine.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      N'est point neuve cette idée de monotonie que veulent voir certains historiens à propos de l'art égyptien. Dans une lettre au duc de Blacas que j'avais en son temps donné à lire,<br /> Jean-François Champollion stigmatisait déjà, entre autres, un certain Winckelmann (1717-1768) qui professa l'indiscutable suprématie de l'art grec sur celui de n'importe laquelle des<br /> civilisations antiques.<br /> <br /> <br /> Si vous en avez le temps, lisez ce document et vous serez édifiée !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Il n'est malheureusement pas rare qu'à notre époque encore, et faute probablement de se pencher attentivement sur son évolution, et d'en<br /> examiner les détails pourtant bien présents, d'aucuns estiment l'art égyptien monotone, répétitif de murs de temples en murs temples ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      C'est une conception, je l'indique haut et fort, que j'essaie, au sein de mon blog, de combattre par des exemples précis ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Me fait énormément plaisir votre deuxième paragraphe ci-dessus - duquel vous devez retirer le "me semble-t-il" : en effet, en<br /> évoquant ce "pouvoir magique de l'écriture qui donne vie aux choses inanimées", vous avez parfaitement compris le sens profond de l'art égyptien.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      En outre, et sans entrer dans de fastidieuses explications qui sortiraient du cadre de nos rendez-vous hebdomadaires - déjà pourtant jugés<br /> difficiles à suivre par certains lecteurs ! - , il faudrait que vous lisiez l'ouvrage de Nadine Cherpion auquel je fais abondamment référence : exemples iconographiques à l'appui, elle démontre<br /> que la représentation de ces pains stylisés a évolué pendant tout l'Ancien Empire pour arriver à la forme des roseaux ...<br /> <br /> <br /> Ainsi dénombre-t-elle cinq étapes dans la transformation du motif initial en roseaux !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Faut-il encore - attitude que je voudrais tant, après mes années d'enseignement, continuer à inculquer, à mes lecteurs cette fois -, que<br /> l'on prenne le temps de détailler ce que l'on a trop l'habitude de regarder de loin, et "en passant" ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Cette notion de l'acuité du regard, elle traverse toute l'oeuvre d'un des plus brillants historiens de l'Art du XXème siècle - je ne doute<br /> pas que vous l'ayez lu - passionné de peinture et, malheureusement trop tôt disparu pour avoir eu le temps d'éventuellement porter son attention sur l'art égyptien : il s'agit bien sûr de Daniel<br /> Arasse, qui a notamment écrit un ouvrage (Folio Essais n° 417) au titre éminemment suggestif : On n'y voit rien, dans lequel, il démontre magistralement en se penchant sur Velazquez,<br /> Titien, Bruegel ou Tintoret, que nous ne voyons rien des évidences du visible que présentent pourtant les toiles de ces grands artistes.<br /> <br /> <br /> Passionnant à lire !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      C'est à cette théorie de l'acuité du regard que, mutatis mutandis, je voudrais initier ceux qui viennent ici me lire<br /> ...     <br /> <br /> <br /> <br />
C
Moi non plus je ne peux pas laisser de commentaire pertinent. Je peux juste lire, apprendre une petite bribe de ce savoir et être surprise par ces "détails" si importants que je n'aurais pas<br /> remarqués seule.<br /> Je projette d'aller un jour de printemps à Lens et je ne manquerai pas de me souvenir de tout ceci...
Répondre
R
<br /> <br />      La semaine dernière, vous m'écriviez avoir une petite idée de ce qui se touvait sur la table d'offrandes de Tepemânkh ..., tout en doutant<br /> néanmoins.<br /> <br /> <br />      Qu'en est-il exactement ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Si mes articulations me le permettent, j'aimerais me rendre à Lens pendant la première semaine d'avril.<br /> <br /> <br /> Mais je crains qu'il me faudra remettre ce projet à plus tard dans l'année ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
P
Je ne suis pas assez experte pour commenter intelligemment mais très intéressée par les articles, cher Monsieur.<br /> bien amicalement
Répondre
R
<br /> <br />      Que peut bien signifier "être expert" ? Moi-même ne suis qu'un amateur ... qui essaie de se perfectionner en lisant toujours plus ; mais<br /> néanmoins un amateur !<br /> <br /> <br /> Et cela me convient car, étymologiquement, dans "amateur", il y a déjà "Amour".<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Laisser un commentaire peut aussi s'envisager, chère Madame, dans le sens de poser une ou des questions aux fins d'être éclairée sur un ou<br /> des points obscurs ...<br /> <br /> <br /> Mais nulle obligation, bien évidemment : me fait déjà plaisir le fait que je suscite votre intérêt pour l'égyptologie.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> A bientôt,<br /> <br /> <br /> Richard<br /> <br /> <br /> <br />
A
Curieuse stylisation de grands pains dressés comme les poteaux, en fait des roseaux, d’une barrière ? Comme si le pharaon devrait franchir un obstacle pour passer dans l’autre monde…
Répondre
R
<br /> <br />      Que les défunts de l'Égypte antique doivent franchir des obstacles pour accéder au royaume des morts et devenir, chacun, un nouvel Osiris ne<br /> fait aucun doute, Alain : une littérature funéraire l'atteste à l'envi, avec notamment le célèbre "Livre des Portes", dont la première occurrence nous est fournie au Nouvel<br /> Empire, dans la tombe du pharaon Horemheb !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Nonobstant, dans le cas précis des tables d'offrandes comme celle de Tepemânkh, et même si l'aspect rectiligne peut y faire songer, il ne<br /> s'agit nullement d'une barrière mais de "roseaux en formation", comme les définit l'égyptologue belge Nadine Cherpion, qu'il nous faut considérer comme un symbole : et l'idéogramme du<br /> marais qu'ils figurent, - dessin présenté dans mon intervention - constitue la preuve irréfutable, à tout le moins pour les égyptologues, qu'ils fallaient voir en eux une représentation du<br /> Champ des Roseaux, source de toute nourriture.  <br /> <br /> <br /> <br />
J
plus je lis vos articles et plus je pense que ces personnes étaient dotées d'une grande intelligence et en particulier d'une grande logique<br /> A bientôt<br /> JA
Répondre
R
<br /> <br />      Nous dirons, Jocelyne, qu'ils avaient leur logique.<br /> <br /> <br /> Et ainsi essayer de la comprendre - à tout le moins de l'approcher ! -, nous permet de "revivre" un peu dans le passé d'une des plus brillantes civilisations<br /> antiques.<br /> <br /> <br /> <br />
F
Étonnante, la variété de pains et de leurs représentations qui parsèment les scènes pariétales des tombes...<br /> Et grand merci d'avoir rappelé la très intéressante étude de Nadine Cherpion concernant les critères de datation selon la figuration de ces pains.<br /> Passionnant, tout ça !<br /> "Celui qui manque trop du pain quotidien n'a plus aucun goût au pain éternel." écrivait Ch. Péguy, ici Tepemankh a largement de quoi goûter l'éternité...<br /> <br /> Amicalement !<br /> François
Répondre
R
<br /> <br />      Étonnante, François, et bienvenue : rappelle-toi tous ces pains différents que nous avons rencontrés dans le menu de<br /> Tepemânkh  : une quinzaine, je crois !<br /> <br /> <br /> Son avenir dans l'Au-delà semble effectivement assuré : son Ka n'a plus qu'à franchir la stèle fausse-porte et venir se servir à sa meilleure convenance ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />      Tu as fort bien compris, depuis notre rendez-vous du 19 février, que les critères de datation figurent au coeur des interventions<br /> consacrées à ce bloc gravé de la vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre ; qu'ils en constituent même le fil d'Ariane.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />      Sache déjà que, dans quelques semaines, ils nous réserveront une surprise finale inattendue ...<br /> <br /> <br /> <br />
C
J'ai trouvé magnifique ce symbole du roseau-pain. Nourriture à la fois terrestre et céleste, en somme.
Répondre
R
<br /> <br />      Il est un fait, Carole, que la pensée égyptienne antique n'eut de cesse de tisser des liens très forts entre le terrestre et le céleste,<br /> entre l'ici-bas et l'au-delà ...<br /> <br /> <br /> <br />

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