Neferet-Hotep - Je suis venu en toi pour prendre mes nourritures et avoir à ma disposition mes plats de viande, et pour que me soit donné le gibier d'eau de Chou et de ceux qui suivent mon Ka.
dans Paul BARGUET
Le Livre des Morts des anciens Égyptiens
Extrait du Chapitre 110
Paris, Éditions du Cerf, 1967
p. 147
Mardi dernier, amis visiteurs, toujours sous l'angle précédemment annoncé de la recherche de critères stylistiques permettant de dater un monument, nous nous sommes penchés sur la plateau aux bords légèrement relevés de la table d'offrandes de Tepemânkh, gravée en relief sur le bloc de calcaire E 25408,
exposé ici devant nous dans la vitrine 5 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Ou, pour être plus précis encore : sur ce que qui était disposé dessus.
Poursuivant aujourd'hui l'étude de ce mobilier funéraire antique, j'aimerais rapidement en envisager le pied, et surtout son environnement immédiat.
En réalité, j'aurai peu à dire sur ce pied cylindrique, sinon que sa partie supérieure est évasée de manière à supporter le plateau de pierre et que sa base se révèle plus évasée encore, dans la mesure où elle était destinée à maintenir l'ensemble en équilibre sur le sol.
Deux possibilités s'offrirent aux fabricants antiques : ou, comme ici, le plateau était simplement posé sur un support vertical et tenait probablement par un système de tenon/mortaise que les figurations gravées ou peintes ne précisent évidemment pas ; ou il disposait lui-même d'un petit pied, relativement court qui s'emboîtait tout logiquement dans la partie supérieure évidée de ce support.
Peu à dire sur ce haut pied de table, viens-je de préciser ; mais beaucoup plus sur son environnement.
J'ai déjà suffisamment évoqué ce qui se trouvait à la droite de cette table - les quatre fils faisant offrande à leur père - pour que j'estime ne point y revenir. Sauf peut-être pour épingler le fait que sur d'autres reliefs apparemment semblables, cet emplacement sous le guéridon peut être occupé, suivant les règnes et les dynasties de cette fin d'Ancien Empire, par l'un ou l'autre vase rituel, l'une ou l'autre aiguière, l'un ou l'autre bassin à libations, etc., qui n'avaient de raison d'être que celle d'offrir la faculté aux défunts, avant leur repas, - à l'instar de leur vie quotidienne ici-bas, ne l'oublions jamais ! - de se purifier, de procéder à quelques-uns de ces rites de lustration si prisés à l'époque.
Sur la droite, au lieu de personnages offrant, vous admirerez peut-être dans l'un quelconque mastaba que vous visiterez ou sur des reliefs exposés dans des musées, un amoncellement de vivres concrétisant un grand nombre d'aliments mentionnés dans le "menu".
Ainsi, après notre rendez-vous de ce matin, vous suffira-t-il de vous rendre au premier étage ci-dessus, en salle 22, pour y voir, en la Galerie d'étude n° 2, la stèle fausse-porte (C 164) d'un directeur du trésor de la VIème dynastie, un certain Izi.
Dans le tableau central où s'invite la scène du repas funéraire, vous distinguerez, flèche ci-dessous,
sur de petits meubles bas, les offrandes alimentaires s'entassant les unes sur les autres ...
Mais revenons à Tepemânkh pour envisager, à la gauche du pied du guéridon, gravée devant ses jambes,
résumant les ingrédients essentiels, pour la seconde fois sur ce monument, une formule d'offrandes extrêmement concise : Mille pains, mille cruches de bière, mille pièces de boeuf, mille volailles.
La première fois, peut-être vous rappellerez-vous,
nous l'avions rencontrée immédiatement en dessous des cases du "menu", avec déjà ce signe hiéroglyphique M 12 de la liste de Gardiner
figurant notre nombre 1000. Quantité qu'il ne faut évidemment pas prendre au pied de la lettre !
Si je viens précisément de la qualifier de concise, cette formule devenue classique parce qu'ad libitum reprise depuis les temps premiers sur stèles, statues, meubles et objets de vaisselle funéraire, parois de chambres sépulcrales et autres linteaux d'entrée de mastabas, c'est bien évidemment parce qu'à eux seuls, les quatre produits alimentaires cités ici font office de synecdoque : une partie exprimant le tout !
Et quel est ce tout ?
C'est ce que je me propose de vous faire découvrir, amis visiteurs, lors de nos prochaines rencontres des 19 et 26 mars, en compagnie d'un invité inattendu, déjà croisé puisque grâce à un égyptologue tchèque, nous avions visité une partie de sa tombe en Abousir.
Mais chut ! Là-dessus, je ne vous en révèle pas plus aujourd'hui. Sauf que la surprise sera de taille !
En revanche, et avant de prendre congé de vous ce matin, permettez-moi de profiter de la présence de ces hiéroglyphes sur le bloc de Tepemânkh pour attirer votre attention sur un point que je présume relativement peu connu au sujet des études dans l'Égypte antique.
Dans nos universités contemporaines, quand d'aventure lui prend l'envie plus qu'intéressante mais aussi plus qu'exigeante de s'initier à la langue - et aux écritures - égyptiennes, tout impétrant doit d'abord se frotter à l'apprentissage des hiéroglyphes. Cela dure quelques années ; puis par la suite seulement, il pourra, il devra, s'il veut se perfectionner dans l'épigraphie, aborder les différentes cursives - le hiératique, évidemment contemporain des premiers signes d'écriture hiéroglyphique et le démotique, apparu seulement vers le milieu du VIIème siècle avant l'ère commune.
(Quelques menues précisions sur ces tachygraphies dans un ancien article consacré à la Pierre de Rosette.)
Inversement, en Égypte ancienne, dans la pratique, - à tout le moins pour l'infime pourcentage de la population qui s'adonna aux lettres (1%, selon certaines évaluations qui relèvent plus de la spéculation que de statistiques véritables) -, c'est d'abord avec le hiératique que les élèves scribes, dans leur grande majorité, se familiarisèrent de manière à pouvoir officier dans des postes essentiellement administratif et juridique.
Et bien plus réduit encore fut le nombre de ceux qui, dépassant ce stade premier, entendirent se spécialiser dans l'étude des hiéroglyphes. Pour ce faire, ils fréquentèrent ce que l'on traduit en français par maisons de vie, c'est-à-dire des institutions scolaires de très haut niveau qui débouchaient sur la connaissance des sciences sacerdotales. L'élite, parmi l'élite des lettrés qui les avaient fréquentées, portait des titres tels que Scribes des écrits divins ou Prêtres ritualistes. Ce sont eux, et eux seuls, qui étaient à même de fournir les textes qu'ensuite peintres ou graveurs reproduiraient sur les monuments, - parfois avec moult fautes d'orthographe et de frappe ... du burin !!
(Cherpion : 1989, 42-54 ; Vernus : 1990, 35-56 ; Ziegler : 1990, 82-5 et 258-61)