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2 décembre 2014 2 02 /12 /décembre /2014 00:00

      Construire un temple consiste à enfermer une parcelle du divin sur la terre des vivants ; il s'agit ensuite d'entretenir cette force qui assure la prospérité du pays. D'autre part, ce précieux réceptacle, préservé des assauts du mal par un arsenal magique, garantit l'intégrité de l'Égypte entière, car la divinité installée dans cet inexpugnable univers en réduction est douée d'ubiquité.

(...)

     Dans la maison du dieu, le roi est le médiateur entre les hommes et celui-ci. C'est lui seul qui édifie les constructions sacrées et qui les fait vivre par des offrandes quotidiennes.

 

 

 

Sylvie  CAUVILLE

L'offrande aux dieux dans le temple égyptien

 

Louvain, Peeters, 2011

p. 5.

 

 

 

     Après nous être longuement arrêtés la semaine dernière, vous et moi amis visiteurs, devant deux statues de Sésostris III, souverain de la XIIème dynastie égyptienne remarquablement mis à l'honneur, ici, au Palais des Beaux-Arts de Lille ; après avoir admiré ses "portraits" qui, contrairement à ce qui est avancé depuis tant d'années, ne sont en rien réalistes, en rien représentatifs de ses états psychologiques mais dénotent plutôt sa volonté de médiatiser une idéologie précise quant à la nature du pouvoir royal - la littérature de l'époque l'a me semble-t-il bien prouvé ! -, en donnant de lui l'image d'un "père" vigilant à l'endroit de son peuple, poursuivons aujourd'hui, voulez-vous, nos découvertes des fondations du temple lagide à Médamoud par l'égyptologue français Fernand Bisson de la Roque en nous attardant sur un troisième monument, exhumé quant à lui en mars 1927 et, qu'en partage de fouilles, obtint du Gouvernement égyptien le Musée du Louvre, en 1930, où il porte désormais le numéro d'inventaire E 13983.

 

     Aux fins d'admirer cette Arlésienne des terres nilotiques que j'ai ici à plusieurs reprises évoquée, il est à présent grand temps de nous diriger vers le mur du fond de cette portion de salle, vers cet autre des chefs-d'oeuvre que recèle l'exposition : un long bloc de pierre calcaire que les égyptologues sont désormais convenus d'appeler LE  linteau de Médamoud,  

 

 

 Sesostris-III---Linteau-Louvre-E-13983----c--Ch.-Decamps.jpg

 (© Louvre - Ch. Décamps)

 

 

et qui, à l'instar des statues du souverain, va lui aussi faire mentir bien des analyses antérieures, à commencer par la plus énigmatique d'entre elle à mes yeux puisqu'elle provient du site internet officiel du Musée du Louvre, supposée rédigée par un égyptologue - enfin, j'aimerais le croire ! - et qui, indépendamment du fait qu'elle met encore et toujours en avant la notion de "réalisme" dans le chef de l'artiste - mais à ce sujet, j'ai suffisamment glosé ces derniers mardis -, avance que :

 

      " Le roi porte une tête de faucon couronnée de deux plumes droites ornées du double uraeus. "

 

    Une rapide et néanmoins consciencieuse observation de l'oeuvre vous permettra comme à moi de constater que le roi n'arbore à aucun moment semblable coiffe ... réservée en réalité au dieu Montou, sur lequel il me sera donné de revenir la semaine prochaine. En outre, un précieux coup d'oeil sur les hiéroglyphes encadrant les figures corroborera sans conteste notre première vérification visuelle.

     Sur eux, je me prononcerai dans quelques instants ...

 

     Pour l'heure, consentant un certain ordre, abordons quelques données techniques.

 

     Ce n'est malheureusement pas l'impression que donne la photo ci-avant, - de sorte que j'invite instamment tous ceux qui n'ont pas encore eu l'heur de l'admirer au Louvre de se rendre à Lille jusqu'au 25 janvier, date après laquelle, je présume, il rentrera dans ses murs des bords de Seine -, mais ce dessus de la "porte du magasin de l'offrande divine", comme il est encore erronément indiqué dans le catalogue de l'exposition, mesure 2, 26 mètres de longueur, 1, 07 de hauteur et 13, 5 centimètres d'épaisseur.

 

     Erronément

 

     Oui, selon moi. Ou plus précisément selon des mensurations relevées in situ par Clément Robichon, l'architecte de la mission - donc au tournant des années trente, déjà ! -, précision rapportée dans un article rédigé par le Conservateur du Département égyptien du Louvre, Charles Boreux, en 1932 (article référencé dans la bibliographie infrapaginale) qui indique que ce monument ne peut s'adapter à la dite porte ; et donc en surmontait une autre.

 

     Cette distinction, amis visiteurs, est-elle à vos yeux prépondérante ? Peut-être pas. Sauf qu'à partir du moment où preuves mathématiques il existe que le linteau du Louvre et la porte du magasin des offrandes divines du temple du Moyen Empire ne peuvent être compatibles, je ne comprends pas bien la raison pour laquelle, depuis plus de 80 ans, les égyptologues n'ont pas encore rétabli la vérité historique et revu leur appellation.

     Peut-être n'est-ce pas pour eux prépondérant ...  

 

     Permettez-moi maintenant, avant de prendre vraiment connaissance de la scène que nous avons devant nous, d'attirer plus spécifiquement votre attention sur la technique qu'utilisa le lapicide.

     

     Il vous faut savoir que depuis l'Ancien Empire, essentiellement deux procédés coexistèrent en Égypte dans l'art de la gravure : le bas-relief et le relief en creux.

     Tous les deux pouvaient indifféremment se retrouver sur un petit monument ou sur l’immense surface d’un mur de temple. Mais ce ne fut pas avec la même indifférence qu'ils furent plébiscités par les artistes : en règle générale, la gravure en relief servait au décor intérieur des bâtiments, tandis que celle en creux au décor extérieur.

 

     Une raison, toute simple à l’évidence, motivait le graveur quant au choix du procédé à utiliser, une raison inhérente à l’environnement auquel l’oeuvre était destinée : une gravure en creux, exposée en plein air, donc aux rayons du soleil, à l’intense luminosité du jour favorisant les jeux d’ombre et de lumière, ressortait nettement mieux qu’un léger relief. D’autant plus que ce creux pouvait entamer la pierre jusqu’à 2, 5 cm de profondeur.

      Tout au contraire, le bas-relief, à l’intérieur d’un bâtiment, où l’éclairage est relativement réduit, apparaissait beaucoup mieux que le creux.

 

     Ces considérations, ressortissant en fait au domaine de la physique, amenèrent tout naturellement les artistes à élever le procédé en convention. C’est ainsi que le relief en creux employé dans un décor se trouvant à l’intérieur d’un temple signifie que l’on doit considérer la scène comme se déroulant au dehors. Inversement, l’emploi, dans le même décor, de la technique du bas-relief impose que l’on comprenne que la scène se passe à l’intérieur. Et il n’est absolument pas rare que sur la même oeuvre, on retrouve entremêlés les deux types de gravure.

     Ce qui lui confère une lecture d’autant plus pointue.

 

     Quant à "notre" linteau, son relief dans le creux s'impose puisque, surmontant une porte monumentale qui permettait l'accès aux ruelles desservant vraisemblablement le quartier des magasins, il "prenait" loisiblement le soleil ...

 

 

     Analysons la scène figurée ... en lisant d'abord la description qu'en donna l'égyptologue français Etienne Drioton (1889-1961) qui, en tant qu'épigraphiste relevant de la mission de l'I.F.A.O., participa aux fouilles de Médamoud :

 

     " (C'est) une magnifique dalle de calcaire fin, de 1,25 m de hauteur sur 2, 25 m de largeur et 40 centimètres d'épaisseur."

 

     Bizarre, n'est-il pas, quand on compare avec les mensurations fournies par le catalogue de l'exposition ?

 

     E. Drioton poursuit :

 

     "La composition de sa décoration est rigoureusement symétrique. Comme il devait surmonter une porte située dans l'axe du temple, du côté où elle débouchait vers le sanctuaire, le roi, qui est censé entrer par cette porte, est figuré deux fois au centre, adossé à l'axe ;  Montou, vers qui il se dirige, lui fait face aux deux extrémités du tableau, personnage hiéracocéphale portant double uraeus au front et la tête surmontée par le disque solaire accolé à deux grandes rémiges. Sésostris III lui présente à droite un gâteau allongé, à gauche un pain conique. 

 

 

     Approchons-nous maintenant de la vitrine et examinons le monument : avant toute chose, convenez que ce qui ressort et offre à l'ensemble sa superbe harmonie, c'est sa parfaite symétrie.

 

 

Sesostris-III---Linteau-Louvre-E-13983----c--Ch.-Decamps.jpg

(© Louvre - Ch. Décamps)

 

 

     La scène est délimitée, dans sa partie supérieure, par le signe hiéroglyphique du ciel et, dans sa partie inférieure, par la ligne de sol.

 

     De part et d'autre d'un axe constitué de deux colonnes de textes, marquant le centre même de la composition, un personnage coiffé d'une perruque et vêtu d'un pagne tend quelque chose, manifestement en guise d'offrande. Qui est-il ?

 

 

     Pour répondre à cette question, reportons-nous à chacun des cartouches gravés au-dessus de sa tête : vous y lirez aisément son prénom, car je vous l'ai appris il y a peu : Khakaourê.


 

Sesostris-III---Linteau-Louvre-E-13983---Indications-au-de.jpg

 

 

 

      Vous remarquerez d'emblée, par rapport aux cartouches, que d'un côté comme de l'autre, figure la même formulation, au demeurant classique : Le dieu parfait, Maître du Double-Pays (les 5 signes disposés avant le cartouche) et doué de vie (les deux venant après), mais inversée. Cela s'explique - et sur cette consigne aussi j'ai souvent insisté lors de nos rendez-vous au Louvre -, par le fait qu'ils se lisent en allant dans la direction du visage royal : donc, de droite vers la gauche, pour ce qui concerne la portion droite du linteau ; et bien évidemment, de gauche vers la droite, dans la portion gauche. 

 

     Et tant qu'à "enseigner" des rudiments de la langue hiéroglyphique égyptienne du Moyen Empire, permettez-moi un instant encore de revenir sur la disposition des signes à l'intérieur des cartouches pour indiquer que si vous suiviez scrupuleusement la "leçon" que je viens de vous prodiguer, vous devriez lire, dans l'ordre des signes : "Rê - Kha - Kaou", puisque le disque solaire Rê est bien le premier des cinq qui composent l'appellation royale.

 

     Vous êtes là en fait en présence d'une exception à la règle que je viens d'évoquer et qui consiste, par pure politesse protocolaire, par pure révérence vis-à-vis d'une déité, d'obligatoirement noter son nom avant tout autre signe ; inversion graphique que les égyptologues nomment "antéposition honorifique".    

 

 

     Chapeautant la scène en son milieu, en dessous de la représentation du ciel, vous trouverez le disque solaire aux ailes éployées en guise de protection du souverain : Celui de Béhédet, indiquent de part et d'autre les quatre hiéroglyphes à la pointe de l'aile. Il s'agit de la dénomination de l'Horus d'Edfou.

 

 

    Nous avons donc vu qu'adossé à un axe vertical constitué de deux colonnes de textes, marquant le centre même de la composition, Sésostris III tend quelque chose à quelqu'un, manifestement en guise d'offrande.


     Pour comprendre de quoi exactement il s'agit, tournons-nous vers les textes précédant le souverain qui nous permettront d'appréhender l'oblation effectuée :    

 

 

Sésostris III - Milieu Linteau Louvre E 13983 - (© Ch. D

 

 

 

à gauche :  Consacrer un pain blanc ;


et à droite : Offrir le "shât" (pâtisserie)

 

 

     Les mentions optatives concernant le roi - chaque fois une colonne - sont, quant à elles, inscrites dans son dos et forment, je l'ai indiqué, le mitan du tableau.

 

 

     À gauche, nous lisons :  Que l'environnent toute protection et toute vie. Qu'il soit doué de vie, de stabilité et de pouvoir, comme Rê, à jamais.

 

     Et à droite : Qu'il soit en tête des kaou de tous les vivants, à jamais.

 

 

 

     Voilà pour ce qui, dans un premier temps, concerne le geste royal.

 

     Alors que tout à l'heure, j'épinglai la symétrie parfaite qui émane de ce chef-d'oeuvre, j'aimerais, avant de nous quitter, amis visiteurs, que vous vous approchiez davantage de la vitrine et que vous y observiez attentivement le visage du roi. N'y a-t-il rien, qui vous étonne ?, qui vous interpelle ?

 

 

 

De-tail-Visage-Sesostris-III.jpg

(© Thomas LEVIVIER - "La Croix du Nord")


 

     Pardon ? Je n'ai pas bien entendu ...

  

     Oui, c'est l'évidence même, Mademoiselle : il est flagrant qu'à gauche, le roi présente un faciès lisse, volontairement juvénile alors qu'à droite, il semble bien plus âgé. 

 

     Voici donc qu'à l'instar de la ronde-bosse que nous avons analysée mardi dernier, apparaît sur ce linteau la même volonté de médiatisation idéologique : Sésostris III tout à la fois souverain à la force physique indiscutable, comme souvent seule la jeunesse l'autorise ; et souverain sage, vigilant, à l'écoute de son peuple, comme souvent seule la vieillesse le permet.

 

     A moins qu'un artiste ait exécuté deux "portraits réalistes" du souverain : jeune, à gauche, puis quand le roi a vieilli, 20 ou 30 ans plus tard, que le même artiste ou plus vraisemblablement un confrère plus jeune retouche le relief en donnant au roi le visage ridé de droite. 

     (C'était la théorie avancée par Charles Boreux !)

 

     Non ! Restons sérieux ! Voilà une preuve supplémentaire, si tant est qu'il en fallût une, amis visiteurs, que ce pseudo-réalisme que voulurent voir certains égyptologues dans l'art du "portrait" au Moyen Empire, était bel et bien une grossière erreur. En revanche, preuve supplémentaire d'un message de propagande politique, d'une stratégie de persuasion iconographique : nul doute à mes yeux !  

 

   

     Quoi qu'il en soit : à qui Sésostris III fait-il donc offrande ?

 

     C'est ce que je me propose de vous expliquer le 2 décembre prochain pour autant que ne se soit pas affaibli l'intérêt que vous portez à cette oeuvre de grande beauté et, surtout, que ne vous rebute pas trop mes quelques incursions dans la langue hiéroglyphique égyptienne.

 

     A mardi ? 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

BOREUX  Charles

A propos d'un linteau représentant Sésostris III trouvé à Médamoud (Haute-Égypte), dans Monuments Piot,  Tome 32, Paris, Librairie Ernest Leroux, 1932, pp. 1-20.

 

 

DRIOTON  Etienne

Envois récents d'Égypte, dans Bulletin des Musées de France, 2ème année, n° 12, Décembre 1930, pp. 262 sqq.

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25 novembre 2014 2 25 /11 /novembre /2014 00:00

 

     On sent que le roi, énergique et lointain, éprouve, après un long exercice du pouvoir, devant l'ingratitude des hommes, plus de mépris dédaigneux que de découragement, mais on devine aussi une certaine lassitude.

(...)

   On se demande comment un sculpteur a pu, dans une pierre aussi dure que le granit, donner à la chair une souplesse aussi vivante et aussi vraie.

     Médamoud, sanctuaire créé par Sésostris III, nous a donc livré, de ce roi, une admirable série de portraits réalistes, et réalistes, non pas seulement parce qu'ils indiquent nettement l'évolution d'un visage, de la jeunesse à l'extrême vieillesse, mais aussi, et surtout, parce qu'ils expriment, avec une vérité extraordinaire, la vie intérieure du modèle. 

 

 

 

Jacques VANDIER

Manuel d'archéologie égyptienne

III : Les grandes époquesLa Statuaire

 

Paris, A. et J. Picard & Cie,

pp. 185-6 de mon édition de 1958

 

 

 

     Nous conversions mardi dernier, souvenez-vous amis visiteurs, au sujet des visages royaux et de l'art statuaire souhaité par Sésostris III, de manière à mettre en perspective les concepts de réalisme et d'idéalisation que la réflexion occidentale, - pour ne pas écrire cartésienne -, toujours oppose alors qu'à l'inverse, l'Égyptien de l'Antiquité, pour diverses raisons - dont la finalité funéraire n'est pas étrangère -, n'eut de cesse d'associer réalité et idéalité, portrait et image idéale.

 

     Dans cette perspective, j'avais pensé intéressant de vous faire comprendre combien étaient erronées les conceptions que les égyptologues développèrent quand ils exhumèrent les premières figurations de ce souverain et de son successeur immédiat.

 

     Pendant toute cette semaine, pour assouvir un plaisir personnel, mais aussi en quête d'une exergue qui corroborerait mon propos, j'ai beaucoup lu et, notamment, ce que j'aime peut-être par-dessus tout, les écrits, les rapports de fouilles, les notes de ces savants des premiers temps de l'égyptologie.

     Certes, leurs approximations, leurs tâtonnements, leurs avis péremptoires aussi, inhérents à une science qui n'était que naissante peuvent prêter à sourire maintenant que notre approche de la civilisation égyptienne et de son art a considérablement évolué. Nous ne portons plus nécessairement le même regard sur les oeuvres jadis ainsi commentées mais il n'en demeure pas moins que je trouve personnellement succulente la lecture de ces comptes-rendus tout empreints d'interprétations subjectives pour le moins "audacieuses".

 

     Telle celle de l'égyptologue français Jacques Vandier que j'ai choisie pour vous accueillir ce matin.            

 

 

     Soucieux de rendre hommage à l'oeuvre de réunification de l'Égypte qu'entreprit Montouhotep II, son lointain prédécesseur sur le trône, nous l'avons constaté avec les trois statues londoniennes provenant du temple de ce roi à Deir el-Bahari, dont l'une, BM EA 686 nous accueillit d'emblée, au pied de l'escalier menant au second sous-sol où, depuis le 4 novembre dernier, nous visitons de conserve, vous et moi, l'exposition que lui dédie le Palais des Beaux-Arts de Lille jusqu'au 25 janvier 2015, Sésostris III, ce cinquième souverain de la XIIème dynastie (Moyen Empire), fit, dans la région thébaine, bâtir trois sanctuaires dédiés au dieu Montou, une des divinités cardinales de l'endroit, au culte de nature solaire depuis déjà les Textes des Pyramides, incarné dans un faucon, avant de devenir, au Nouvel Empire, le dieu belliqueux dont vous avez certainement entendu parler, alors identifié en tant que "dieu de la guerre", fonction que lui attribua le clergé de Karnak quand il décida qu'Amon deviendrait "roi des dieux" dans le nome de Thèbes.

 

     Vous aurez aussi évidemment noté que "Montou" fut choisi pour entrer dans la composition du nom de trône de certains des premiers rois du Moyen Empire, Montouhotep signifiant : "Montou est satisfait".

 

     Si deux des sanctuaires voués à Montou, ceux de Ermant et de Tôd, ont déjà été reconstruits à l'époque des fondateurs de la dynastie, Amenemhat Ier et Sésostris Ier - ce dernier étant, souvenez-vous, le souverain du Conte de Sinouhé -, de sorte que Sésostris III n'estime apparemment pas devoir leur consacrer une attention n'excédant pas quelques petits travaux de réfection, au niveau du troisième, tout au contraire, à Médamoud, situé quelque cinq kilomètres à peine au nord-est de Karnak, il fonde un temple de grande envergure - l'enceinte rectangulaire d'une épaisseur de 5,50 mètres mesure  98 x 61 mètres -, précédé d'une avant-cour d'une trentaine de mètres, et accompagné de magasins et d'habitations accessibles par des ruelles.

 

     C'est à l'archéologue et égyptologue français Fernand Bisson de la Roque (1885-1958) que nous devons, à partir de 1925 et jusqu'en 1933, au nom de l'I.F.A.O. (Institut français d'archéologie orientale) et du Musée du Louvre, les fouilles - consignées au sein de différents rapports -, de ce temple du Moyen Empire alors complètement détruit, mais dont maints monuments avaient été fort heureusement conservés dans les fondations du temple d'époques ptolémaïque et romaine ; fouilles menées ensuite pour les mêmes commanditaires, par Clément Robichon et Alexandre Varille jusqu'en 1938.

 

     Ci-dessous, une vue des vestiges au niveau du portique ptolémaïque : immense merci à Lilian Postel, - un des intervenants du samedi après-midi, lors de la Journée d'étude à Lille, en octobre dernier -, Maître de conférences en égyptologie à l'Université Lumière-Lyon 2 à qui, depuis 2003, échoit la tâche de poursuivre les recherches sur le site et qui a eu l'immense gentillesse de m'offrir quelques-uns de ses clichés personnels pour illustrer mes propos.  

 

01. Portique ptolémaïque

 

     Près de cent cinquante pierres pourvues d'un décor de la XIIème dynastie, ainsi que des statues de Sésostris III, - en nombreux fragments malheureusement -, furent dès 1925 mises au jour par Bisson de la Roque.

 

     L'accès au sanctuaire proprement dit, au-delà de l'avant-cour, nécessitait de franchir une porte monumentale dont le linteau, amis visiteurs, ne vous est plus inconnu puisque, dernièrement, je vous en avais montré un dessin en rapport avec la fête-sed du roi, emprunté au forum espagnol Egiptomaniacos ; dessin réalisé à partir du monument que vous avez peut-être vu au Musée du Caire (JE 56497).

 

     L'accès aux ruelles desservant les magasins s'ouvrait, quant à lui, à l'est en franchissant une porte en calcaire dont le linteau (E 13983), de grande beauté, appartient désormais au Musée du Louvre, à la suite du partage des fouilles. Et pour notre plus grand plaisir, il a quitté la vitrine 13 dans laquelle, à Paris, il fait l'admiration de tous, salle 23 de l'Aile Sully, au premier étage du Département des Antiquités égyptiennes, entre deux des fenêtres donnant sur la Cour Carrée, pour venir s'exposer devant nous, au Palais des Beaux-Arts.

 

     Au Louvre, comme ici, à Lille, sur un socle placé à gauche du linteau, une statue assise (E 12960

 

Sesostris III - Louvre E 12960

 

 

et sur un autre présentoir, plus à droite, un buste (E 12961),

 

Sesostris-III---Louvre-E-12961.jpg

 

 

provenant du même don égyptien précèdent le somptueux bas-relief  : ce sont deux monuments que j'ai très - trop ? - rapidement cités la semaine dernière, et sur lesquels je souhaiterais maintenant plus spécifiquement attirer votre attention en comparant leur analyse en vigueur au milieu du XXème siècle à celle des historiens de l'art actuels ; et cela, avant d'enfin consacrer notre rencontre de mardi prochain au fameux linteau.

 

     Délectation personnelle d'un littéraire, m'opposerez-vous. Certes. Et pourquoi pas ?

 

     L'Histoire, l'Histoire de l'art, c'est cela aussi : prendre conscience, en étudiant nos maîtres, d'une bienvenue évolution de la pensée débouchant sur une nécessaire remise en question ... sans toutefois - et là, je pare d'emblée à d'éventuels arguments qui me seraient opposés -, tomber dans un inacceptable et indéfendable révisionnisme : il est indéniable que ces premiers égyptologues défricheurs d'un savoir en devenir nous ont tout appris. À nous maintenant, forts des avancées de la science qu'ils ont permises, de parfois affiner certaines des affirmations anciennes. 

 

 

     Les deux statues de Sésostris III que nous venons de rencontrer dans la première section de l'exposition lilloise furent réalisées dans un matériau fort semblable à mon avis de néophyte en la matière puisque Guillemette Andreu, Directrice honoraire du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, dans l'ouvrage de 1997 référencé en note infrapaginale, indique le gabbro dioritique pour la première (E 12960) et le gabbro porphyrique pour la seconde (E 12961), alors que dans le catalogue de la présente exposition, elle note respectivement diorite porphyrique pour l'une et gabbro porphyrique pour l'autre.

 

     Quoi qu'il en soit, ce duo de toute beauté offert à la France en 1927, fut exhumé du site de Médamoud par Fernand Bisson de la Roque qui, dans la relation de ses travaux de 1925, écrit :

 

     " ... morceaux de plus d'une douzaine de statues de Sésostris III ont été trouvés soit sous le niveau du dallage du temple ptolémaïque, soit au-dessus de ce dallage. Certaines de ces statues ornaient le temple ptolémaïque et semblent avoir été brisées par les coptes qui les ont utilisées dans les fondations des murs de leurs installations."

 

     La première oeuvre, (E 12960), irrémédiablement brisée au niveau des mollets, et partiellement mutilée au visage 

 

 

Sésostris III - Louvre E 12960 - © C. Décamps

(© C. Décamps)

 

 

donne à voir un souverain aux traits juvéniles, assis sur un siège cubique muni d'un pilier dorsal : cet appui, ainsi que les flancs du trône sont parfaitement anépigraphes, alors que des hiéroglyphes gravés en colonnes de part et d'autre de ce qu'il subsiste des jambes royales précisent, à gauche : L'Horus Neter-Kheperou, le fils de Rê, Sésostris ... et, à droite : L'Horus Neter-Kheperou, le roi de Haute et Basse-Égypte, Khakaou-Rê

 

     Le roi, coiffé du némès, est simplement vêtu d'un pagne plissé (shendjyt, comme le momme la littérature égyptologique) sur lequel il pose les mains et dont la boucle de ceinture décline l'identité : Khakaourê. Comme seul ornement personnel, il porte sur la poitrine un collier fait de perles tubulaires au bout duquel pend une amulette bilobée que perce une sorte d'épine : l'objet laisse encore de nos jours la communauté égyptologique entièrement perplexe quant à sa signification.

 

     Concernant cette statue, Vandier, au tome III de son manuel écrivit :

 

     "... c'est manifestement la jeunesse que l'artiste a voulu exprimer : le visage est plus rond, les méplats, plus réguliers, les poches sous les yeux, moins creusées ; la bouche est sérieuse, mais non pas amère, et le regard est moins douloureux. Le corps est modelé avec soin, sans exagération."

 

     Vous aurez évidemment compris qu'il établit sa description en comparaison avec un autre visage du souverain : il s'agit en fait du buste (E 12961) placé à  la droite, ici à l'exposition, comme au Louvre d'ailleurs.

 

 

Sésostris III - Louvre E 12961

 

 

     Il semblerait que le roi, lui aussi assis à l'origine - c'est à tout le moins ce que suggère le début de son avant-bras gauche, plié -, présente, malgré les importantes déprédations au niveau de la face, des traits bien plus vieillis que l'effigie précédente.

 

     C'est ce qu'expliqua Jacques Vandier :

 

     " Le visage est maigre et ravagé, la bouche encore plus arquée et plus tombante exprime plus que du dédain, presque du dégoût ; les plis du menton s'affaissent, la tête s'incline légèrement en avant, les poches, sous les yeux, se creusent, le corps est plus étriqué, tous les stigmates de la vieillesse sont marqués avec soin.

 

 

     Voilà donc, amis visiteurs, concernant ces deux oeuvres majeures, ce que vous auriez pu découvrir dans la littérature égyptologique du milieu du XXème siècle, ce que vous auriez probablement pu entendre ces années-là, si vous aviez suivi les commentaires d'un guide du Louvre.

 

     Mais pourquoi diable n'est-il jamais établi de comparaison entre un visage parfois défini comme âgé et un corps lui-même, je le rappelle au passage, toujours modelé à l'instar de celui d'un jeune homme à la musculature puissante et plus qu'avantageuse ?

 

     De nos jours, un demi-siècle plus tard, que reste-t-il de ces théories ? Pas grand chose en vérité, sinon leur obsolescence dans la mesure où des historiens de l'art tels Roland Tefnin et, à sa suite, Dimitri Laboury ont définitivement démontré avec brio que ces physionomies différentes attribuées par un même artiste au même moment de l'élaboration d'une série de statues du même souverain ne pouvaient ressortir qu'à un autre domaine que celui du "portrait" psychologique réaliste.

 

     C'est assurément vers la notion d'idéologie du pouvoir qu'il nous faut dorénavant nous tourner pour comprendre la statuaire de Sésostris III : le roi aux grandes oreilles, le roi "vieilli", devenu "las", aux yeux cernés, aux rides avérées ... mais au corps d'athlète constitue en fait l'image sémiotique qu'il souhaita donner de lui, désireux d'être compris par tous comme vaillant, prêt et capable d'intervenir en cas de danger, un monarque vigilant, à la sollicitude toujours en éveil, à l'écoute bienveillante pour son peuple.

 

     Un monarque qui entendit que fussent reconnues, dans leur essence même, ses qualités de monarque.

     

     Vraies ou fausses ? Cela relève d'un autre débat ...

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

ANDREU Guillemette/RUTSCHOWSCAYA Marie-Hélène/ZIEGLER Christiane

L'Égypte ancienne au Louvre, Paris, Éditions France Loisirs, 1997, pp. 92-5. 

 

 

BISSON DE LA ROQUE  Fernand 

Rapport sur les fouilles de Médamoud, 1925, Le Caire, FIFAO 3, 1926, p. 32.

 

ID.

Les fouilles de l'Institut français à Médamoud de 1925 à 1938, dans RdE 5, Le Caire, I.F.A.O., 1946, pp. 25-44. 

 

 

DELANGE  Élisabeth

Catalogue des statues égyptiennes du Moyen Empire, Paris, Édition de la Réunion des musées nationaux, 1987, pp. 24-8. 

 

 

LABOURY  Dimitri

Le portrait royal sous Sésostris III et Amenemhat III. Un défi pour les historiens de l'art égyptien, dans Egypte, Afrique & Orient 30, Avignon, Centre vauclusien d'égyptologie, 2003, pp. 55-64.

 

ID.

Réflexions sur le portrait royal et son fonctionnement dans l'Égypte pharaonique, dans KTEMA, Civilisations de l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, Volume 34, Recherches sur le portrait dans les civilisations de l'Antiquité. Représentation individuelle et individualisation de la représentationUniversité de Strasbourg, 2009, pp. 175-96. 

 

 

TEFNIN  Roland

Les yeux et les oreilles du Roi, dans BROZE M. et TALON Ph., L'Atelier de l'orfèvreMélanges offerts à Philippe Derchain, Louvain, Peeters, 1992, pp. 147-56.

 

 

VANDIER JacquesManuel d'archéologie égyptienne. III : Les grandes époques La Statuaire, Paris, Éditions A. et J. Picard & Cie,  1958, pp. 185-6.

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18 novembre 2014 2 18 /11 /novembre /2014 00:00

 

     Cet irrésistible appel à reconnaître intuitivement, sans raisonnement, passionnément, dans l'être-là de la statue, un être qui doit avoir vécu et ne pouvait que lui être conforme, ressemble bien, à une sorte de vertige, qu'on pourrait appeler "vertige du réalisme".   

 

 

 

Roland  TEFNIN

Les yeux et les oreilles du Roi

 

pp. 147-56

 

 

 

     Après avoir découvert une première figuration de Sésostris III (BM EA 686) au bas de l'escalier menant à l'exposition qui lui est consacrée au Palais des Beaux-Arts de Lille dans lequel nous déambulons, vous et moi, amis visiteurs, depuis le 4 novembre dernier, et nous être posé l'une ou l'autre question quant à la statuaire royale égyptienne de cette partie de la XIIème dynastie, nous nous sommes avancés vers l'oeil électronique qui déclencha l'ouverture de la porte coulissante sur notre droite : enfin, nous pénétrions dans l'espace muséal proprement dit et, d'emblée, étions accueillis par le prestigieux hôte de ces lieux, dont la magnifique tête en quartzite, actuellement la propriété du Nelson-Atkins Museum of Art (Inventaire n° 62-11), de Kansas City, s'affiche, tronquée plus souvent qu'entière, tant sur les murs des couloirs du métro parisien, que dans les rues de Lille, habillée de jour comme de nuit,

 

Affiche-Sesostris-III--17-octobre-2014--091.jpg            Affiche-Sesostris-III--17-octobre-2014--177.jpg

 

 

Catalogue Sésostris III (15-11-2014)

 

 

ou sur la première de couverture du catalogue de l'exposition, ainsi que du Plan/Guide de visite ...

 

 

     Dans les archives de ce musée du Missouri qui doit vous être "familier" puisqu'en mars 2011 nous y avions admiré, rappelez-vous, une statue en bois de Metchetchi, nulle mention qui se prévaudrait de l'origine de la tête exceptionnelle de Sésostris III. Unique indication : elle fut achetée par le W. Rockhill Nelson Trust en 1962. Ce qui, vous en conviendrez, se révèle archéologiquement bien maigre.


     Nonobstant, dans la notice qu'il lui consacre à la page 43 du catalogue officiel que j'évoquai à l'instant, Simon Connor, Docteur en égyptologie de l'Université libre de Bruxelles, se basant sur ses dimensions (45 centimètres de hauteur, 34,3 de largeur et 43,2 de profondeur) avance qu'avec d'autres fragments disséminés dans d'autres musées, il se pourrait qu'elle appartienne à l'une des statues assises du souverain mises au jour à Tell Nabasha et Tell el-Moqdam (Delta oriental), actuellement dans les collections du British Museum.  

 

     Mais là ne réside pas l'essentiel sur lequel il m'agréerait, ce matin, de vous entretenir : tout acquis aux théories des Professeur Roland Tefnin, de l'Université libre de Bruxelles, auquel j'ai emprunté l'incipit de ce mardi et Dimitri Laboury, de l'Université de Liège, le second ayant été le brillant étudiant du premier, je voudrais, dans un premier temps, vous rendre attentifs à quelques particularités de la physionomie de Sésostris III au départ de ce visage qui nous accueille aujourd'hui, puis, dans un second, en en examinant d'autres dans la première section de l'exposition.

 

     Il ne fait pour moi aucun doute que votre regard, au-delà du nez brisé qui défigure très souvent les statues égyptiennes, s'est posé avec interrogation sur deux traits caractéristiques de ce visage : l'ampleur démesurée des oreilles du souverain et le traitement de ses yeux.

 

     Si, de tels pavillons, Edmond Rostand avait affublé son Cyrano, je gage que ce n'eût pas été à propos de son nez qu'il se fût gaussé dans cette éblouissante tirade qui le rendit célèbre.

 

     Pouvez-vous concevoir un seul instant, amis visiteurs, que des oreilles aussi épaisses, aussi largement déployées aient été l'apanage d'un humain normalement constitué ? Qu'elles aient en outre été une tare qui perdura de maison royale en maison royale au point d'ainsi marquer pendant des siècles - en fait, jusqu'à la XVIIème dynastie ! -, du sceau d'un stigmate ressortissant au domaine de la tératologie humaine - à l'instar, souvenez-vous, de certaines plantes du Jardin botanique de Thoutmosis III relevant de la tératologie végétale -, les portraits des souverains qui se sont succédé sur le trône d'Égypte ?

 

     Pis : pouvez-vous un seul instant imaginer que les artistes pharaoniques furent, quelque trois cents cinquante ans durant, incapables de rendre dans la pierre l'exacte dimension, l'exact profil d'une oreille ?

 

     Dès lors, si aucune anomalie congénitale il n'y eut ; si pas davantage incompétence dans le chef des artistes il n'y eut, comment analyser ce "détail" du visage de ce roi ?

 

     Autre caractéristique de son faciès qui doit aussi manifestement vous interpeller : la manière dont l'artiste a traité ses yeux. Globuleux, saillants, encadrés par une paupière lourde, anormalement épaisse, et soulignés par quelques cernes, ils sont en outre surmontés par des rides qui barrent le front, entre le némès et l'arcade sourcilière bien marquée. 

 

     Dès lors, si aucune anomalie congénitale il n'y eut ; si pas davantage incompétence dans le chef des artistes il n'y eut, comment analyser ces "détails" de la physionomie de Sésostris III ?


     D'abord en réfutant catégoriquement les analyses des premiers exégètes de la statuaire de la XIIème dynastie - mais leurs "explications" ont-elles vraiment et définitivement disparu en ce début de XXIème siècle ? -, qui voulurent y voir des preuves absolument incontestables, des preuves on ne peut plus réalistes de la lassitude, de l'épuisement d'un monarque âgé, fatigué par un règne éreintant.

 

     Ah, ce réalisme que les premiers égyptologues prêtèrent aux figurations de Sésostris III ! Est-il si évident, ce réalisme, quand on a l'opportunité d'examiner des oeuvres plus complètes ?

 

     Pour aller à leur rencontre, pénétrons, voulez-vous, plus avant dans la première section de l'exposition

 

Vue-d-ensemble---premiere-partie-expo.jpg

 

et dirigeons-nous vers le mur du fond, sur notre droite.

 

     Toutes deux ont été prêtées par le Musée du Louvre parisien. 

 

     L'une, (E 12961)

 

      Sesostris-III---Louvre-E-12961.jpg

 

 

avant de venir ici à Lille, s'y trouvait exposée au premier étage de l'aile Sully, en cette salle 23 dévolue au Moyen Empire, sur un socle à droite de la vitrine 13 dans laquelle on admire un célèbre linteau (à Lille également, et sur lequel je reviendrai vraisemblablement bientôt ...) ; et l'autre, (E 12960), sur le socle de gauche.

 

 

Sesostris-III---Louvre-E-12960---c-C.-Decamps.jpg

(© Louvre - C. Décamps)

 

 

     Toutes deux ont été réalisées dans le même matériau - de la diorite porphyrique, parfois aussi nommée gabbro - et proviennent du même temple de Médamoud, en Haute-Égypte, voué par Sésostris III au dieu Montou.  

             

     Doit certainement ici aussi vous sauter aux yeux, amis visiteurs, - tout comme avec les statues du Bristish Museum que nous avons découvertes mardi dernier, grâce à un cliché de mon amie liégeoise Christiana (encore merci à toi), dont celle de gauche (BM EA 686) nous attendait devant le mur jaune, au pied de l'escalier menant à ce second sous-sol -,


 

Sésotris III (les 3 du British - Christiana)

 

 

le torse du souverain, à chaque fois voulu idéalement jeune - épaules larges, pectoraux de rêve, ventre plat, taille fine -, fait probablement pâlir d'envie bien des adeptes des actuelles salles de musculation.  

 

     Peut-on encore de nos jours, et sans provoquer l'hilarité générale, alléguer la notion de réalisme pour caractériser la statuaire de Sésostris III - et plus tard, de son successeur, Amenemhat III -,  quand on prend conscience de cette flagrante incompatibilité qui existe entre son visage aux oreilles anormalement démesurées, aux yeux prétendument fatigués par le pouvoir, aux rides censées souligner la vieillesse et ... sa parfaite musculature juvénile ?

 

     Posons maintenant - c'est inévitable -, la question tout autrement : et si ces oreilles, et si ces yeux, et si ce visage, et si ce torse étaient à considérer, non comme de simples attributs physiques, mais plutôt comme de vrais concepts ?

 

     Pour les oreilles, par exemple, la notion évidente de l'écoute, de l'attention portée aux propos de l'autre, de la vigilance envers autrui serait incontestablement convoqué. Alors, et sans hésitation aucune, pourrais-je faire mienne cette interprétation de Roland Tefnin qui voyait en elles : "l'image sémiotique du roi qui écoute et comprend, du roi bienveillant et communicateur."

 

     Et relèverait d'un même processus sémiologique le fait d'attribuer au roi, au niveau des yeux, des rides, des cernes, des traits d'un visage que l'on a défini par le passé comme exagérément las, alors qu'ils soulignaient plus spécifiquement des concepts tels que la sollicitude, la vigilance et son intérêt pour son peuple.


    Un peu de fatigue, certes, mais nullement négative puisque, parallèlement, nous l'admirons dans tout l'éclat de sa jeunesse physique ; comprenez : mise en évidence de sa vaillance, de sa capacité d'éventuellement se battre pour le bien-être du Double Pays.

 

     Grâce à ces portraits en ronde-bosse - ou en bas-relief, comme nous le verrons bientôt -, vous êtes donc là en présence, amis visiteurs, de signifiants physiques délibérés, parfaitement étudiés par les artistes, soutenus qu'ils étaient par le pouvoir, aux fins de mettre en exergue les éléments cardinaux d'une expression médiatique semblable à celle, - il vous faut en être conscients -, que vous lirez à l'envi dans la littérature de l'époque qui, grâce à la médiation de contes, d'instructions et d'hymnes royaux met en évidence les indiscutables aptitudes de gouvernant de Sésostris III.  

 

     En d'autres termes, ces compétences royales que traduit l'oeuvre sculptée, compréhensibles par le plus grand nombre auquel l'image "parlait", et qu'évoque l'oeuvre littéraire, comprise seulement par une certaine élite intellectuelle, tendent vers une seule et même finalité : faire admettre aux Égyptiens le message, éminemment politique, éminemment idéologique aussi, d'un roi hors du commun, d'un roi idéal qui n'est à la tête du pays et de ses habitants que pour permettre à la Maât de prendre jour après jour le pas sur Isefetque pour permettre au Bien de triompher du Mal

 

     Bien avant que notre Occident s'imagine qu'au commencement était le verbe, les Égyptiens avaient déjà compris que, pour atteindre la majorité de la population, il fallait s'organiser pour qu'au commencement fût l'image.

 

     Propagande politique ? Manipulation idéologique avant la lettre ?

     Cela pourrait en effet se concevoir ...et constituer un autre débat ...

 

     Pour l'heure, - et en pastichant quelque peu le titre d'un article de l'égyptologue allemand Dietrich Wildung, spécialiste de cette époque -, je me contenterai de conclure en avançant que la statuaire de Sésostris III, magnifiquement mise en valeur dans cette exposition que nous découvrons de conserve, semaine après semaine au Palais des Beaux-Arts de Lille, peut être envisagée comme un remarquable écrit ... sans écriture.

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

LABOURY  Dimitri

Le portrait royal sous Sésostris III et Amenemhat III. Un défi pour les historiens de l'art égyptien, dans Egypte, Afrique & Orient 30, Avignon, Centre vauclusien d'égyptologie, 2003, pp. 55-64.

 

ID.

Réflexions sur le portrait royal et son fonctionnement dans l'Égypte pharaonique, dans KTEMA, Civilisations de l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, Volume 34, Recherches sur le portrait dans les civilisations de l'Antiquité. Représentation individuelle et individualisation de la représentation, Université de Strasbourg, 2009, pp. 175-96. 

 

 

 

TEFNIN  Roland

Les yeux et les oreilles du Roi, dans BROZE M. et TALON Ph., L'Atelier de l'orfèvreMélanges offerts à Philippe Derchain, Louvain, Peeters, 1992, pp. 147-56.

 

 

 

WILDUNG  Dietrich
Ecrire sans écriture. Réflexions sur l'image dans l'art égyptien, dans TEFNIN Roland (s/d) La peinture égyptienne ancienne. Un monde de signes à préserver, Monumenta Aegyptiaca 7, (Imago 1), Bruxelles, F.E.R.E., 1997, 11-6. 

 

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11 novembre 2014 2 11 /11 /novembre /2014 00:00

 

      Seule une momie de pharaon, lorsqu'elle a été préservée, donne peut-être une information de première main sur la vie privée du sujet : quel était réellement son aspect, de quelles maladies a-t-il souffert, de quoi est-il mort ?

     Dans le cas précis des rois du Moyen Empire égyptien, cette information-là n'est même pas disponible, aucun corps n'ayant été retrouvé dans les chambres funéraires des pharaons de la XIIème dynastie.

     Que reste-t-il, alors, d'une éventuelle biographie de Sésostris III ?

 

 

 

Pierre  TALLET

Sésostris III et la fin de la XIIème dynastie

 

Paris, Pygmalion, 2005

p. 8

 


 

     La semaine dernière, souvenez-vous amis visiteurs, je vous ai conviés à délaisser un temps notre "terrain de jeu" habituel, la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre et à emprunter, qui sa voiture, qui le Thalys en provenance de Paris ou de Bruxelles aux fins de tous nous retrouver dans la plus flamande des villes françaises,

 

Frontons-a-redans.jpg

 

 

dans cette si belle "Capitale des Flandres", comme la tradition aime à définir la métropole lilloise ; puis, plus spécifiquement encore en son prestigieux Palais des Beaux-Arts,

 

 

Palais-des-Beaux-Arts.jpg

 

le plus grand musée de France, après le Louvre, évidemment.

 

     Les conditions atmosphériques s'y prêtant admirablement, j'avais pour ma part, observateur admiratif de ces pignons flamands à pas de moineaux, préféré m'y rendre au pas de course, en voiture décapotée ...


 

--Mon---capot-.jpg

 

 

     En prémices à l'"événement" pour lequel nous avons tous consenti ce déplacement vers le Nord, nous découvrîmes le samedi matin, dans l'atrium,

 

 

 Atrium-blanc.jpg

 

une autre exposition - Voyage au bout de la vie - proposant la réflexion personnelle de deux artistes contemporains, Antony Gormley et Wolfgang Laib, quant à la croyance égyptienne en une éternité post mortem.

 

     Nous étions ensuite descendus vers le deuxième sous-sol pour nous arrêter au bas des marches, devant l'entrée de l'espace muséal proprement dit faisant la part plus que belle à un souverain égyptien et à son époque, la XIIème dynastie (Moyen Empire), intitulé Sésostris III, pharaon de légende ; titre qui, ceci précisé au passage, reprend la première partie de celui d'un article fondateur que Michel Malaise (Université de Liège) publia en 1966 dans la Chronique d'Égypte ; ce dernier ajoutant pour sa part : ... et d'histoire

 

 

 Mur jaune, niche Sésostris British Museum

 

 

     L'aire dédiée à cette toute première manifestation égyptologique lilloise fut par les Commissaires, Mesdames Guillemette Andreu-Lanoë, Conservatrice générale et Directrice honoraire du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre à Paris et Fleur Morfoisse, Conservatrice des Antiquités et des Arts décoratifs du Palais des Beaux-Arts de Lille, subdivisée en quatre sections distinctes, géométriquement d'inégale importance, certes, mais toutes d'un très grand intérêt.

 

 

Sesostris-III---Plan-exposition--OsirisNet-.jpg

 

(©  OsirisNet - Merci Thierry)

 

 

     Si la deuxième partie de l'itinéraire qui sera nôtre dans les semaines à venir - Un Empire toujours plus vaste, (en rouge sur le plan ci-dessus) -, mettra l'accent sur l'aspect guerrier de la personnalité du souverain, ainsi que sur les fouilles entreprises voici un demi-siècle par l'Université de Lille III sur les terres de la Nubie soudanaise qu'il avait jadis conquises ; si la troisième - Le monde des dieux, le monde des morts, (en bleu sur le même plan) -, évoquera les croyances religieuses et les rites funéraires, et nous offrira en outre l'opportunité d'accéder à l'intérieur de la chapelle du nomarque Djehoutyhotep, à Deir el-Bersheh, monument reconstitué en 3D ; et si la quatrième et dernière - La légende de Sésostris, (en vert) -, insistera sur la vénération posthume dont il fut gratifié, c'est évidemment la toute première section - Le pharaon, sa cour et ses sujets, (en jaune) -, qui monopolisera d'abord notre attention.

 

     Vous vous doutez bien, j'espère, que je n'aurai ici, au sein de mon modeste blog, nulle prétention à l'exhaustivité : j'escompte en effet plébisciter des pièces qui me paraissent représentatives ou qui constituent des "coups de coeur" particuliers, aux fins de créer chez vous un inextinguible besoin : celui de vous rendre toutes affaires cessantes à Lille.  

 

     De sorte qu'à l'heure actuelle, je suis dans l'incapicité totale d'estimer le laps de temps pendant lequel, de mardi en mardi, je vous retiendrai en son Palais des Beaux-Arts pour admirer de conserve les "trésors" que cette remarquable exposition recèle, - je me suis laissé dire qu'il s'agissait de la première au monde entièrement consacrée à ce souverain, le cinquième d'une XIIème dynastie qui en compta huit.

 

 

      Le Professeur Malaise, Sésostris ... Les plus assidus parmi vous se souviendront peut-être de ces deux noms associés pour avoir lu ici, sur mon blog, la traduction que j'avais proposée à l'été 2012 du célèbre Roman de Sinouhéréalisée sous la férule du Maître lors de mes études à l'U.Lg.

     Mais là, il s'agissait de Sésostris Ier

 

     Alors que les enseignants des écoles secondaires nous ont à l'envi essentiellement familiarisés avec les incontournables Thoutânkhamon et Ramsès II, que savons-nous du Sésostris "lillois", mis à part qu'il fut le troisième et dernier du nom ?

 

      De quelles sources disposons-nous en vue d'esquisser la personnalité de ce souverain ?

     

     Convoquons d'abord à la barre, voulez-vous, les auteurs classiques tels Aristote, Erathostène, Strabon, Diodore de Sicile, Pline l'ancien, Hérodote bien sûr, le premier d'entre eux, pour ne citer parmi tant d'autres que ceux auxquels j'ai déjà moult fois fait allusion, qui l'évoquent peu ou prou, mêlant sans discernement des événements que l'on sait maintenant avoir été propres à Amenemhat Ier ou à Sésostris Ier, ses prédécesseurs immédiats à la même XIIème dynastie, voire à Séthi Ier ou à Ramsès II, lointains successeurs de la XIXème dynastie, pour brosser la geste du souverain en lui prêtant qui le nom de Sésonchôsis, qui celui de Sésoôsis, ou Séthosis, ou encore Sostris ... 

 

     S'autorisant de la tradition grecque, la communauté égyptologique contemporaine retient Sésostris.

 

     Pour les anciens Égyptiens, il naquit Senousret, comprenez : "L'homme de la Puissante", c'était son nom de "Fils de Rê", entouré d'un cartouche, son "praenomen", diront plus tard les Romains, la cinquième et dernière appellation de sa titulature. Puis, en guise de nom de trône, de nom de roi de Haute et Basse-Égypte donc, constituant la quatrième appellation de sa titulature officielle - elle aussi inscrite dans un cartouche -, il choisit personnellement Khakaourê, c'est-à-dire : les Ka(ou) de Rê apparaissent  :


 

Cartouches-de-Sesostris-III.jpg

 

 

     Tout se complique aux yeux des égyptologues quand il s'agit de considérer sa famille. L'absence et l'imprécision des documents exhumés sont telles qu'une extrême prudence s'impose. Ainsi Pierre Tallet estime-t-il, quand il aborde ce sujet, devoir assortir ses propos d'adverbes ou de locutions adverbiales portant haut l'incertitude (probablement, peut-être, sans doute) ou encore de formules introductives peu péremptoires (il est vraisemblable que, il est possible que), sans oublier l'emploi du mode conditionnel dans la conjugaison de ses verbes.  

 

     Foin de circonlocutions, mais néanmoins gantés, fournissons ici quelques données : succédant à Sésostris II, "notre" Sésostris III serait le fils de Khenemet-nefer-hedjet, entendez : "Celle qui s'unit à la couronne blanche"une des épouses de ce prédécesseur.

     Toutefois, cela ne signifie nullement que Sésostris II soit bien son père.

 

     Ce qui "ravit" les généalogistes et entraîne en leur chef d'interminables discussions, c'est que la propre compagne de Sésostris III portait elle aussi le nom de Khenemet-nefer-hedjet.

Parfois, dans les documents d'époque, l'homonymie entre les deux reines, mère et belle-fille, entraîna la nécessité d'ajouter un adjectif évaluant approximativement son "âge" : ouret, l'ancienne et khered, la jeune ; ce qui devint en Égypte par la suite habitude récurrente dans semblables circonstances.  

 

     Je ne pense pas que s'en souvinrent les hommes du Moyen Âge qui, quand ils souhaitèrent établir une distinction entre les différents Jean, Jacques, Pierre ou Paul qui de plus en plus peuplaient les villages, les affublèrent eux aussi de surnoms qui les caractérisaient, comme vieux, jeune, grand, petit, beau, etc. De sorte qu'au moment de l'Ordonnance de Villers-Cotterêts signée par François Ier en 1539 pour imposer la langue française dans les écrits administratifs, notamment dans les registres d'Etat-Civil qui remplacèrent les anciens registres paroissiaux tenus par les ecclésiastiques, cela donna naissance à ce que l'on appelle désormais nos noms de famille.

    

     Lejeune, pour ne prendre qu'un exemple parmi les plus importants , - à tout le moins les plus fréquents, voire les plus banals -, doit comme beaucoup d'autres son origine à cette coutume onomastique inhérente vraisemblablement plus à l'accroissement de la population médiévale qu'à la réminiscence des appellations égyptiennes.

 

     Mais revenons à Sésostris III pour ajouter que la reine Khenemet-nefer-hedjet (la jeune) qui, si l'on en croit la statuaire, semble être la principale de ses épouses officielles, n'est pas nécessairement la mère de son fils et successeur Amenemhat III dans la mesure où aucune source ne nomme celle qui réellement le mit au monde.

 

     Jusque là, vous me suivez tous ?   

 

 

     Avant de franchir la porte vitrée, là-bas, sur notre droite,

 

 

 Entrée exposition Sésostris III

 

portons notre regard sur la toute première oeuvre, la statue présentée sur le socle qui se détache de ce "petit pan de mur jaune", face à nous. 

 

 

     Détenue par  le British Museum (BM EA 686), provenant de la colonnade supérieure du temple funéraire de Montouhotep II, à Deir el-Bahari, elle fut taillée dans du granodiorite.

 

Sesostris-III--British-Museum.jpg

(© British Museum)

 

 

     D'une hauteur de 142 centimètres, d'une largeur de 56 et d'une profondeur de 53, elle nous familiarise avec une première figuration de Sésostris III debout, relativement mutilé au niveau des membres : jambes et bras ont disparu, ne susistant que les mains ouvertes posées à plat sur son pagne à devanteau triangulaire, dans l'attitude révérencieuse qui s'imposait face à une divinité mais qui, eu égard à son emplacement d'origine, matérialise plus certainement le respect dû à ce Montouhotep II qui réunifia l'Égypte à la XIème dynastie, après les troubles de la Première Période Intermédiaire qui suivirent la chute de l'Ancien Empire.


     Ce monument faisait d'ailleurs partie d'un ensemble de sept effigies identitaires semblables que le roi avait souhaitées grandeur nature aux fins que son peuple les aperçût depuis la rive opposée du Nil, à Karnak, et qu'il comprît ainsi à travers elles la déférence, la reconnaissance qu'il vouait à celui qui l'avait devancé sur le trône de quelque 150 années.


 

     Trois d'entre elles vous attendent côte à côte si, d'aventure, vous vous rendiez à Londres, avec, les chapeautant, deux fragments de linteau présentant le dessus d'un des cartouches du souverain ....

 

 Sesotris-III--les-3-du-British---Christiana-.jpg

(Merci à toi, Christiana pour ce beau cadeau ...)

 

 

     Déprenez-vous, amis visiteurs, de cette idée - qu'eurent d'ailleurs les premiers égyptologues bien avant vous, je vous rassure ! -,  que vous êtes là en présence de photographies pétrifiées et en trois dimensions, pour reprendre l'excellente image de l'égyptologue belge Dimitri Laboury ; que vous êtes en présence de portraits volontairement réalistes d'un homme vieilli, logiquement fatigué par la vie ou d'un roi usé par la fonction ...

 

     D'abord, et même si les "écoles" égyptologiques ne parviennent pas encore à se mettre d'accord quant à son ascendance et à sa descendance, je viens tout à l'heure de quelque peu insister là-dessus, et guère plus sur la longueur de son règne, il paraît vraisemblable qu'il ne gouverna qu'une petite vingtaine d'années, 19 ans constituant le nombre actuellement retenu.

     Exit donc l'argument qui voudrait qu'il portât sur son visage les stigmates d'un pouvoir qui l'eût épuisé avant l'heure !

 

     Ensuite, je n'aurai, en cela précédé par le grand connaisseur de l'art égyptien qu'était feu l'égyptologue belge Roland Tefnin et par son épigone de talent qu'est mon ami Dimitri Laboury, qu'une question à vous poser pour définitivement mettre à mal cette conception surannée : pensez-vous vraiment que les artistes égyptiens de cette époque étaient à ce point incompétents qu'ils ne furent pas à même, alors qu'ils étaient aptes à vieillir les traits d'un visage dans la pierre, d'obtenir semblable résultat pour ce qui concerne le corps du roi ? Car, et vous l'aurez évidemment remarqué, cet homme aux traits tirés a miraculeusement conservé une carrure d'athlète musclé, aux pectoraux bien dessinés, à l'allure franchement sportive et juvénile !

     En défintitive, le rêve de tout homme atteignant la cinquantaine, et plus ...

 

     Mais qu'est-ce donc qui motiva cette dichotomie entre le rendu facial et celui  du corps ?

 

     C'est, grâce à quelques autres "portraits" que nous croiserons dans l'exposition, ce que je me propose de vous expliquer la semaine prochaine en convoquant cette fois non plus les auteurs antiques mais des égyptologues contemporains ... si tant est que vous ayez encore envie de me rejoindre ici, au deuxième sous-sol du Palais des Beaux-Arts de Lille.

 

     A mardi  ??

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

LABOURY  Dimitri

Le portrait royal sous Sésostris III et Amenemhat III, dans Egypte, Afrique & Orient 30, Avignon, Centre vauclusien d'égyptologie, 2003, pp. 55-64. 

 

 

MALAISE  Michel

Sésostris, pharaon de légende et d'histoire, dans CdE Tome XLI, n° 82, Bruxelles, F.E.R.E., Juillet 1966, pp. 244-72. 

 

 

TALLET  Pierre

Sésostris III et la fin de la XIIème dynastie, Paris, Pygmalion, 2005, pp. 11-21. 

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4 novembre 2014 2 04 /11 /novembre /2014 00:00

 

     Je suis intimement persuadé que l'art est intemporel, l'art est au-delà du temps et de l'espace. Cet art est universel, il est l'expression de toute l'humanité, de tous les temps. C'est un énorme défi à relever, mais c'est également une énorme responsabilité à endosser. Et comme il est beau de voir que l'on peut faire quelque chose de similaire à ce qui a été fait il y a 3500 ans.


 

Wolfgang  LAIB

 

repris de

Régis COTENTIN

Voyage au bout  de la vie

 

dans Catalogue de l'Exposition Sésostris III, Pharaon de légende,

Gand, Ed. Snoeck, 2014

p. 273.

 

 

 

     Pour cette rentrée après notre congé de Toussaint, la logique eût voulu que ce matin, amis visiteurs, je vous entretinsse de la dernière catégorie de fruits présents sur l'étagère de la vitrine 6, côté Seine, de la salle 5 du Département des Antiqutés égyptiennes du Musée du Louvre que nous détaillons de conserve depuis un long temps maintenant.

 

     Mais comme vous l'aurez assurément remarqué in situ, ce petit présentoir vitré semble avoir été quelque peu dépouillé de certains de ceux que j'avais évoqués avec vous.  

 

     Acte malveillant ?

     Rapide aller-retour dans les ateliers de rénovation des sous-sols ?      

     Que nenni ! 

 

     Ils ont tout simplement émigré vers d'autres cieux égyptophiles où j'ai éprouvé l'envie - ou l'irrésistible besoin - d'aller les saluer. En voisin. 

      Cela vous agréerait-il de m'accompagner pour une petite escapade dans le Nord-Pas-de-Calais, dans la "Capitale des Flandres" ?

À Lille très exactement ? 

 

     Inutile que les trompettes de la Renommée juchées sur le faîte de la Porte de Paris, à l'une des anciennes entrées fortifiées de la ville, entonnent le péan aux fins de célébrer notre arrivée ;

 

 

Porte-de-Paris.jpg

 

ou que des brassées de fleurs nous accueillent en gare de Lille-Europe.

 

Tulipes---Sortie-gare-Lille-Europe.jpg

 

 

     Ne dérangeons pas Martine Aubry pour si peu ! Madame le Maire préfère polémiquer par presse interposée avec le Président François plutôt que nous offrir des tulipes de bienvenue, fussent-elles de Japon au lieu de Hollande.

     Et acheminons-nous dans le plus strict anonymat vers la place de la République.

 

 

     Le Palais des Beaux-Arts de Lille ne représentait pour moi qu'un vague reflet du style dit "Belle Époque" qui caractérisa la fin du XIXème siècle


 

Arriere-du-Palais-des-Beaux-Arts---Batiment-administratif.jpg

 

 

jusqu'à ce jour récent où  il s'offrit tout entier à mes yeux, tel un Neptune anadyomène s'ébrouant des flots,

 

 

Palais-des-Beaux-Arts--Facade-.jpg

 

 

majestueux, d'une prestance qu'assoit l'heureux équilibre de colonnes et de frontons habillant d'esthétique les hautes fenêtres en plein cintre, parfaite harmonie architecturale que l'on croirait surgie de la somptueuse Renaissance italienne ... si l'on ne prenait garde à la présence de toits à la française.

 

     C'est en son sein que, depuis ce 9 octobre et jusqu'au 25 janvier 2015, se sont blottis, outre quelques monuments cardinaux, un certain nombre de modèles de fruits et légumes sur lesquels nous nous sommes abondamment penchés au Louvre.

 

 

 Fruits - Lille (© Alain Guilleux)

 

 

     Mais que sont-ils donc venus faire en cette vitrine ? Pourquoi ont-ils souhaité changer de palais, quitter celui, parisien, des anciens rois de France et s'installer dans celui des Beaux-Arts lillois ? Préjugeaient-ils de définitivement échapper à notre présence ? Envisageaient-ils d'ainsi se soustraire à nos regards scrutateurs ? Espéraient-ils recouvrer un peu de cette quiétude dans laquelle ils somnolaient avant qu'ÉgyptoMusée vînt les importuner avec ses questionnements térébrants ?


     Pour l'heure, - et si j'en juge par ce que j'ai pu observer deux jours consécutifs -, ils seront, à l'avant-plan de cette petite vitrine, vraisemblablement moins ignorés à Lille qu'à Paris dans la mesure où ils ne sont pas oubliés dans un immense complexe de trente salles se succédant sur deux étages, mais figurent au sein d'une exposition dédiée à un seul souverain de ce que, après l'égyptologue allemand, Professeur-Docteur Dietrich Wildung, il est convenu d'appeler L'âge d'or de l'Égypte, le Moyen Empire et plus spécifiquement la XIIème dynastie, ce Sésostris III à propos duquel tout Lillois converse en public  

 

 

093.jpg

 

et dont fait brillamment état toute la ville, de jour comme de nuit.

 

 178.jpg

 

 

     Il est exactement 10 heures, ce samedi 11 octobre : les portes du prestigieux musée s'ouvrent enfin ...

 

     Maintenant que nous avons reçu notre petit badge identificatoire, pénétrons de conserve, voulez-vous, dans le hall d'entrée qu'éclairent notamment deux imposants lustres en verre coloré - 6 mètres de diamètre -, oeuvre de l'artiste italien Gaetano Pesce,  

 

 

Hall-du-Palais-des-Beaux-Arts.jpg

 

 

et, tout de go, dirigeons-nous vers l'atrium, là-bas, sur notre gauche, pour découvrir dans ce lumineux espace, prémice à l'exposition égyptologique proprement dite, au sein d'oeuvres de deux artistes contemporains, le rapport qui est leur à la croyance des antiques habitants des rives du Nil en une vie post mortem : l'Anglais Antony Gormley et ses sculptures anthropomorphes creuses, et pourtant remplies d'air, en plomb, fibre de verre et plâtre, répondant avec bonheur à celles de l'Allemand Wolfgang Laib, - dont j'ai retenu une réflexion pour constituer l'exergue de ce jour.

 

     Ainsi, dès l'entrée, apercevons-nous, fulgurante métaphore du voyage de l'ici-bas à l'ailleurs éternel, ce corps d'homme couché, momifié, (Gromley, Rise) que, vers sa seconde vie matérialisée sur l'autre rive du fleuve par l'architecture pyramidale des premiers temps, (Laib, Ziggurat), escalier ici en cire d'abeilles invitant le défunt à s'élever vers la lumière,  - les abeilles étant, dans l'Égypte antique, l'artiste nous le rappelle au passage, symboles de résurrection, d'immortalité -, pourrait emporter l'une des 88 barques solaires en cuivre doré (Laib, Passageway, Inside-Downside) posées sur des vaguelettes de riz.   


Atrium.jpg

 

 

     Observant ce paysage nilotique du haut de son cou démesurément long, un autre personnage, (Gormley, Tree), humain analogiquement obélisque s'élevant fièrement vers l'empyrée, porte ainsi à plus de quatre mètres de hauteur son regard sur l'au-delà de notre simple horizon.

 

 

Atrium--2-.jpg

 

 

     Face à lui, de l'autre côté de l'atrium, une troisième oeuvre de Gromley (Home and the World II) nous permet de croiser un être en marche vers son destin, arborant sa longue maison de mémoire, symbole des nombreux souvenirs d'une vie entière, en parfait équilibre comme le sont, dans la scène de la psychostasie du Tribunal osirien, les plateaux de la balance pour les défunts qui ont avancé dans la vérité, l'ordre et la justice.

 

 

Atrium--3-.jpg

 

 

     "Dans le souvenir de l'Art égyptien, les oeuvres de Wolfgang Laib et d'Antony Gormley renvoient à la question de la représentation d'une transcendance qui dépasse les théories religieuses. Elles traduisent une intuition spirituelle par l'expérience des sens. Elles soutiennent qu'une Présence est ancrée dans notre relation à l'oeuvre d'art, et qu'elle est fondée sur l'hypothèse non de Dieu ou d'autres divinités particulières mais d'une transsubstantiation de l'énigme de la Création."  

 

     (Régis COTENTIN, Voyage au bout  de la vie, dans Catalogue de l'Exposition Sésostris III, Pharaon de légendeGand, Ed. Snoeck, 2014, p. 270) 

 

      ***

 

     Empruntons à présent un autre escalier, bien réel celui-là, qui nous conduira au coeur même de la raison pour laquelle nous avons tous entrepris cette escapade vers Lille, au deuxième sous-sol de son Palais des Beaux-Arts.

 

 

Entree-exposition-Sesostris-III.jpg

 

 

     Si la visite de cette prestigieuse exposition en ma compagnie vous tente, amis visiteurs, je vous propose de nous avancer de conserve vers la porte coulissante vitrée, là, sur notre droite, le 11 novembre prochain ...  

 

     A mardi ? 

 

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20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 23:00

     Les documents égyptiens ne prétendent pas rendre compte du déroulement linéaire des rituels mais opèrent, au sein de la complexité des gestes, des choix et des prétéritions selon des présupposés dont le sens nous échappe le plus souvent.   

 


 

Marie-Ange BONHÊME et Annie FORGEAU

 Pharaon - Les secrets du pouvoir

 

Paris, Armand Colin, 1988, p 291

 


 

     Sur le dessin du relief d'Apriès que je vous ai donné à voir la semaine dernière, amis visiteurs, vous aurez remarqué, à l'extrême droite, la présence d'un héron installé sur un perchoir : DjebaoutyCelui de Bouto, annoncent les hiéroglyphes qui le surmontent.

 

     Sur un linteau du temple de Montou érigé par Sésostris III, à Médamoud, exposé au Musée du Caire, et dont une photo en noir et blanc a été publiée sur le forum espagnol Egiptomaniacos,

 

 

Linteau-Sesostris-III---Heb-sed.jpg 

 

le même échassier trônant dans le coin supérieur droit situe inévitablement la scène en ce même lieu, c'est-à-dire la ville de Bouto, à l'ouest du Delta du Nil, connue, rappelez-vous, pour avoir été le centre d'inhumation des premiers rois de Basse-Égypte et, surtout (?), pour avoir entretenu une imposante palmeraie.

 

     Associés à la régénération des défunts, les palmiers-dattiers, si j'en crois une passionnante étude de l'égyptologue français Frédéric Servajeanparticiperaient également d'une autre symbolique : celle de la revigoration du pouvoir royal, dont le rituel le plus important reste intimement lié avec ce que les Égyptiens nommaient le Heb-Sed et que les égyptologues ont traduit par Fête-Sed ; cérémonie précisément évoquée sur le relief de Medamoud ci-dessus. 

 

     Fête jubilaire de grande importance, - ainsi, vraisemblablement, sa toute première représentation figure sur la célèbre tête de massue, dite du roi Narmer (Ière dynastie), exposée à l'Ashmolean Museum d'Oxford (Grande-Bretagne) -, 

   

 

 Narmer-Macehead.jpg

© Ce site.      

 

 

elle perdura dans l'Égypte pharaonique depuis l'aube des temps historiques jusqu'à pratiquement la fin de la civilisation autochtone.

 

     Pour une visualisation plus appropriée de la gravure, examinons, voulez-vous, le dessin proposé par ce site

 

 

 Narmer---Macehead--Dessin-.jpg

 

 

    Considérez, quasiment au centre du tableau, un souverain couronné de la coiffe de Basse-Égypte et dont le nom, Narmer, est inscrit dans le serekh, au-dessus à gauche du dais sous lequel il est assis. Le manteau qu'il porte, court, blanc, couvrant le corps jusqu'aux genoux, constitue le vêtement traditionnel requis pour la plus grande partie du rituel.

 

     Cette mise en scène si souvent représentée sur les parois des monuments royaux, - qu'elle fût fictive ou réelle -, n'avait d'autre signification que d'assurer le triomphe du monarque sur la décrépitude due à l'âge et, in fine, sur sa propre mort ; elle se devait de lui rendre, aux yeux des dieux mais aussi des hommes, ses capacités de gouvernant après l'extinction d'un cycle de règne. Ou, différemment exprimé, permettre sa "renaissance".

 

 

     Sur la célèbre Pierre de Rosette apparaît un des cinq noms de la titulature de Ptolémée V : "Maître des fêtes-sed comme Ptah-Tatenen, possesseur d'une durée trentenaire".

 

     Cette mention de trente années de règne que vous croisez fréquemment dans la littérature égyptologique constitue en fait une formulation stéréotypée dans la mesure où les conditions de vie des Égyptiens de l'Antiquité, - quels qu’ils fussent d’ailleurs -, ne permettaient guère d'atteindre semblable longévité.

 

     Quant à ceux qui bénéficièrent d'une certaine durée de vie, ils en célébrèrent plusieurs : je pense aux 38 années de pouvoir d'Amenhotep III et à ses 3 fêtes jubilaires ; je pense aussi à Ramsès II qui, doté d'une exceptionnelle santé, s'en offrit 14, probablement parce que les années s'accumulant, la majesté de son règne ne pouvait se perpétuer qu'en organisant des rituels de plus en plus rapprochés les uns par rapport aux autres.

 

     Au prix des festivités, fallait-il être "grand seigneur" ! Car si je me réfère aux données fournies sur la tête de massue de Narmer que j'évoquai tout à l'heure, 1 422 000 chèvres et 400 000 bovidés auraient été abattus pour la circonstance ; et 120 000  hommes auraient été requis pour la préparation de ces fêtes.

     Quant à Niouserrê, roi de la Vème dynastie, un texte gravé dans son temple évalue à 100 600 les repas qu'il fit distribuer au cours de son jubilé ... fictif.

 

     Évergétisme de bon aloi que pratiqueront bien plus tard les notables grecs ...  

 

     Vous aurez en outre évidemment compris, amis visiteurs, qu'il ne vous faut pas accréditer, qu'il ne vous faut pas prendre toutes ces informations au pied de la lettre ... ou plutôt du chiffre ! L'exagération doit être mesurée à l'aune de l'idéologie : elle est en réalité l'expression des moyens substantiels mis en oeuvre par le pouvoir royal aux fins de dignement célébrer avec le peuple la régénération du souverain ... pour autant que fête-sed il y eut concrètement !

 

     Ceci posé, pourquoi, serez-vous en droit de me demander, cette association dans mon chef entre fête-sed et palmiers ?  

 

     Simplement parce que les deux sont impliqués dans la revigoration du pouvoir royal : les cérémonies de la fête-sed visent à réactualiser la puissance sacrée du monarque et le terme pour désigner les nervures des palmes des dattiers, - leur rachis -, s'écrivait rnp (prononcez : rénep), sans oublier, rappelez-vous, qu'à partir de ce radical dérivèrent des substantifs ayant peu ou prou une connotation relative à la jeunesse, au renouveau. Ce renouveau, ce regain de vitalité, c'est précisément ce dont espéraient jouir à jamais les souverains d'Égypte, grâce à la célébration, réelle ou fictive, des cérémonies de la fête-sed

 

     Nonobstant, une autre interrogation sourd directement de mes propos du jour. Vous aurez peut-être remarqué qu'il n'y a eu aucune présence de palmiers dans l'iconographie que je vous ai proposée, alors que sur le dessin du relief d'Apriès de mardi dernier, où comme sur celui de Sésostris III ci-avant allusion était faite à la ville de Bouto,

 

 

Relief d'Apriès

 

 

ces arborescences étaient bien figurées.

     

     Dès lors, la question s'impose d'elle-même : pour quelle raison est-ce seulement à partir de la XXVIème dynastie qu'apparaissent sur les reliefs de monuments royaux des palmiers de Bouto associés à la symbolique de la fête-sed ?

 

     Frédéric Servajean, que je citai tout à l'heure, met en parallèle l'association palmiers/fêtes-sed et les aléas récurrents des monarques de Basse-Égypte qui, au terme de la Troisième Période Intermédiaire (T.P.I.), décanillent et vont se réfugier dans le biotope palustre du Delta aux fins de puiser, en ce milieu végétal et animal où abonde la vie, les forces bienvenues pour reconquérir, pour régénérer leur pouvoir un temps aux mains des peuples Koushites.

 

     Reconquête, régénération, revigoration, renouveau, rajeunissement : ne sont-ce pas là les maîtres mots qu'autorisent tout à la fois les palmiers-dattiers qui se renouvellent  grâce à la présence de quelques pieds mâles pollinisant artificiellement un certain nombre de pieds femelles du même environnement, et la fête-sed qui permet le renouvellement, la revitalisation de la personne royale ?

 

     C.Q.F.D., non ?        

 

 


     Au terme de cette intervention que j'avais préparée avant de prendre, le 11 octobre dernier, le Thalys pour Lille en vue d'assister, le lendemain, à une journée d'étude dédiée à Sésostris III,

 

 

Exposition-Sesostris-III---Lille.jpg

 

 

pharaon de la XIIème dynastie qui trône actuellement au centre d'une remarquable exposition que j'ai parcourue avec notamment quelques-uns de mes amis membres du Forum d'égyptologie auquel je fais souvent ici allusion, et cela, en intéressantes prémices aux interventions que nous présentèrent l'après-midi quatre égyptologues patentés, je voudrais, alors que je ne serai point rentré au pays au moment où vous lirez ces propos, dans la mesure où j'aurai profité de cette escapade lilloise pour passer une journée entière au Louvre-Lens,raisons pour lesquelles certains de vos commentaires n'auront pas encore reçu de réponse de ma part -, vous souhaiter, amis visiteurs, puisque dans quelques jours débute le congé de Toussaint, une belle fête d'Halloween - qui n'est pas jubilaire celle-là, mais bien jubilatoire, à tout le moins pour nos petits-enfants -, et une excellente semaine de vacances.


     Permettez-moi d'ores et déjà de vous convier à venir me retrouver ici, en salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, le mardi 4 novembre prochain.  

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

BAUM Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne. La liste de la tombe thébaine d'Inéni (n° 81)Louvain, Peeters, 1998.

 

 

 

BONHÊME Marie-Ange/FORGEAU Annie

 Pharaon - Les secrets du pouvoirParis, Armand Colin, 1988, pp. 302-3.

 

 

 

 

SERVAJEAN Frédéric

Enquête sur la palmeraie de Bouto (II). La légende de Psammétique, dans ERUV II, Orientalia Monspeliensia XI, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2001, pp. 3-16. 

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13 octobre 2014 1 13 /10 /octobre /2014 23:00

 

     L'arbre, au sommet de la hiérarchie botanique, évoque l'immensité céleste, ses feuilles les étoiles et les constellations, et sa ramure le corps d'un être animé. Il est susceptible de recéler de nombreuses images symboliques et poétiques. Tendant sa ramure vers l'empyrée, il demeure l'expression d'une déité figée que l'on considère avec respect, sans doute parce que son existence dépasse la durée de la vie humaine.

 

 

 

 

Sydney H. AUFRERE

Du marais primordial de l'Égypte des origines au jardin médicinal.

Traditions magico-religieuses et survivances médiévales

 

dans ERUV I,

Orientalia Monspeliensia X,

Université Paul-Valéry, Montpellier III, 1999,

p. 15

 

 

 

 

      Cette consubstantialité d'un végétal quel qu'il soit avec une divinité à laquelle l'exergue de l'égyptologue français Sydney H. Aufrère fait ce matin allusion, je vous l'ai déjà fait remarquer, amis visiteurs, depuis qu'ici, devant la vitrine 6, côté Seine, de cette salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre nous évoquons soit un légume, soit un fruit exposés sur l'étagère de gauche.


 Étagère ''Fruits et légumes'' Vitrine 6 (Côté Seine) (

 

 

     Acteurs à part entière de la vie religieuse, l'arbre, l'arbuste ou une arborescence telle que le palmier-dattier se devaient, je l'ai également souligné, d'être associés au monde funéraire : ainsi, parce que les Égyptiens concédaient à la palme une notion de durée, les fouilleurs ont moult fois retrouvé l'une d'elles posée sur un sarcophage ; ou à même la poitrine d'une momie ; voire glissée parmi les offrandes ...


     J'ajouterai en outre, sans toutefois entrer dans une digression sémantique de longue haleine, que son rachis, - comprenez : sa nervure médiane -, s'écrivait rnp (prononcez : rénep) et qu'à partir de ce radical dérivèrent des substantifs ayant peu ou prou une connotation relative à la jeunesse, au renouveau. Je ne prendrai comme seul exemple que le terme "rnpt" (année) que vous avez déjà rencontré gravé dans la formule "nefer rénepet" (bonne année) ornant les faces lenticulaires de ce qu'il est convenu d'appeler les gourdes de Nouvel An que s'offraient fréquemment les Égyptiens lors de l'arrivée de la crue bienfaitrice, un peu après la mi-juillet.

 

          Si, comme je vous l'ai déjà expliqué, nombre de tombes de fonctionnaires royaux, à partir du Nouvel Empire, développèrent au sein de leur programme iconographique le thème du jardin dans lequel les palmiers ombraient souvent un bassin, d'autres, notamment sur des stèles de la Troisième Période Intermédiaire, lui offrirent l'opportunité de symboliser la nécropole thébaine.

 

     Il fut également considéré comme l'arbre sacré de plusieurs cités du pays dont une, Bouto, située à l'ouest du Delta, capitale du sixième nome de Basse-Égypte, constituée de deux quartiers qui se font face, - Pê et Dep -, est connue dès la plus haute antiquité pour avoir été la place d'inhumation choisie par les plus anciens rois du pays. 

 

     Pour quelle raison, m'objecterez-vous peut-être, évoquer, hic et nunc, ce haut lieu de culte primitif ?


     Dans la mémoire collective, cette localité fut en réalité synonyme de palmeraie. En effet, les représentations peintes ou gravées mises au jour montrent, suivant les époques, soit une rangée de palmiers-dattiers, soit seulement trois - ce chiffre constituant la notation du pluriel dans l'écriture égyptienne, je le rappelle au passage ! -, en alternance avec des chapelles, le tout proche d'un canal sinueux : ainsi, sur une tablette en ivoire du roi Djer, de la Ière dynastie, à la fin du IVème millénaire, retrouvée en Abydos et détenue par le Musée de Berlin ; mais aussi, à la XXVIème dynastie, quelque 2500 ans plus tard, au milieu du Ier siècle avant notre ère, ce relief sur un des pylônes du palais d'Apriès, à Memphis, levé par l'égyptologue anglais W.M. Flinders Petrie (1863-1942) et publié à la planche VI de The Palace of Apries (Memphis II), ouvrage librement téléchargeable sur le Net.

     Raison pour laquelle je me suis autorisé à en prendre pour vous ce cliché.

 

 

Relief-d-Apries.jpg

 

 

     Sur la droite, vous distinguez deux rangées de trois palmiers d'égale hauteur, plantés de part et d'autre du canal sinueux et encadrant chacun une chapelle typique de Basse-Égypte, censée abriter le Ka des défunts, leur force vitale. Et à l'extrême droite, trônant sur un perchoir, un héron, Djebaouty, Celui de Bouto, précisent les quelques hiéroglyphes qui le surmontent, plaçant la scène dans un contexte géographique bien défini.   

 

     Peu me chaut en définitive qu'elle représente, selon les uns un pèlerinage à Bouto, selon les autres des funérailles itinérantes susceptibles de s'y dérouler. Il convient aux égyptologues de trancher ce noeud gordien !

     Peu me chaut également que l'historien grec Hérodote, au Vème siècle avant notre ère, associe cette palmeraie à un culte dédié à Apollon. Il  convient aux prêtres de se prononcer entre le dieu grec et l'Horus égyptien  !

     Ce qui, en revanche, me semble bien plus important, amis visiteurs, c'est que vous compreniez l'intrication des différents symboles que la palmeraie de cette prestigieuse ville sainte véhicula.

 

     Dès l'Ancien Empire, les Textes des Pyramides indiquaient déjà que les palmiers-dattiers subvenaient à l'alimentation des défunts. De ce corpus funéraire sourd également le crédit acquis par le voyage du mort vers l'Est, aidé qu'il était dans son ascension céleste par les "âmes de Pé", les "Dames de Pé".

     Plus tard, essentiellement au Moyen Empire, les Textes des Sarcophages ajouteront une dimension cosmique nouvelle : c'est dans les dattiers qu'apparaîtrait l'oeil de Rê-Atoum, c'est des dattiers qu'il serait issu !

     Enfin, dans les Livres pour sortir au jour du Nouvel Empire, si nous avons vu la semaine dernière grâce à la vignette 58 de celui d'Ani qu'ils s'abreuvaient, son épouse et lui, à un point d'eau au pied d'un palmier, il vous faut savoir que le texte se poursuivait en indiquant que la symbolique de l'arbre permettait de considérer que le couple bénéficierait également de pain, de bière, de lait et de viande.

     

     Ce concept de renouveau, de nouvel an que j'évoquais tout à l'heure grâce aux gourdes remplies de la nouvelle eau du Nil, englobe en réalité tous les cycles, celui de la crue bien évidemment, mais aussi celui de la création, celui du soleil et celui de la régénération des trépassés.

 

     Il ne fut donc pas anormal que, grâce à sa palmeraie, Bouto figurât le tertre primordial, d'où naîtrait la civilisation, d'où renaîtraient les rois morts, - et plus tard, tout défunt quel qu'il soit -, et où tous trouveraient de quoi survivre pour l'éternité puisque, - comme je vous l'ai déjà précédemment signalé en insistant sur la symbolique inhérente aux dattiers -, leur présence offrait l'assurance de bénéficier d'eau, de nourriture et d'air rafraichissant ...

 

     Et il ne fut pas plus anormal que le texte du Papyrus Jumilhac magistralement étudié par l'égyptologue français Jacques Vandier mentionnât, à propos du palmier-dattier, qu'il fut une hypostase d'Isis.

 

     Rappelez-vous, dans une intervention intitulée Les choses secrètes d'Abydos, je vous avais narré quelques détails du récit mythique d'Isis et Osiris et notamment comment, après sa recomposition effectuée par son épouse, le corps du dieu dépecé par son frère Seth avait "repris vie" au point de procréer, permettant ainsi à Isis de mettre au monde, dans des marais proches de Bouto, le petit Horus : c'est en effet sous l'aspect d'une oiselle battant des ailes au-dessus du phallus d'Osiris qu'elle avait pu lui rendre le souffle vital lui permettant d'être fécondée.

 

Abydos - Fécondation d'Isis (Photo Tifet)

(Temple de Séthi Ier, en Abydos - © Tifet, que je remercie à nouveau de m'avoir offert ce cliché en décembre 2011, déjà.)

 

 

     Concevez, amis visiteurs, que cette faculté que les croyances religieuses accordèrent à ce couple divin, elles le dispensèrent également au palmier, en tant qu'hypostase de la déesse. 

     De sorte que, mutatis mutandis, c'est grâce aux dattes, considérées, ainsi que je vous l'ai expliqué le 30 septembre dernier, comme étant les lymphes du dieu sacrifié par son frère, que s'effectuera la résurrection des morts, appelés à devenir chacun un nouvel Osiris.      

 

     Et voilà comment, au sein de la symbolique funéraire, les palmiers de Bouto, puis les palmiers-dattiers en général, furent associés à la régénération post-mortem de tout Égyptien qui était censé avoir effectué un voyage, - un pèlerinage, affirment certains égyptologues -, vers cette ville où aux temps les plus anciens, les premiers rois du pays se firent inhumer.

 

     En offrant des dattes au dieu, en lui rendant ses humeurs, Isis, - puis plus tard les souverains dans certaines scènes d'oblation gravées sur les parois des temples -, lui rendaient son intégrité physique : ainsi reconstitué, le dieu pouvait-il permettre la décrue ; partant, la réapparition chaque année de la végétation ; partant, la régénérescence souhaitée par tout défunt.

  

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE 

 

BAUM Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne. La liste de la tombe thébaine d'Inéni (n° 81), Louvain, Peeters, 1998, p. 102. 

 


SERVAJEAN Frédéric

Enquête sur la palmeraie de Bouto (I). Les lymphes d'Osiris et la résurrection végétale, dans ERUV I, Orientalia Monspeliensia X, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 1999, pp. 227-47. 

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6 octobre 2014 1 06 /10 /octobre /2014 23:00

 

           On a beau dire ce qu'on voit, ce qu'on voit ne loge jamais dans ce qu'on dit, et on a beau faire voir, par des images, des métaphores, des comparaisons ce qu'on est en train de dire, le lieu où elles resplendissent n'est pas celui que déploient les yeux, mais celui que définissent les successions de la syntaxe.

 

 

Michel  FOUCAULT

Les mots et les choses

 

Paris, Gallimard,

 p. 25 de mon édition de 1966.

 

 

 

 

 

 

     La place prépondérante qu'occupe le monde végétal dans la vie des Égyptiens n'est, à mon sens, plus à démontrer, dans la réalité des faits quotidiens au même titre que dans la symbolique religieuse et funéraire.

     Aussi n'est-il nullement immodeste de ma part de penser que tous ces rendez-vous que je vous ai fixés, amis visiteurs, depuis de nombreux mois maintenant, aux fins de détailler les pièces exposées dans la vitrine 6, côté Seine, ici en salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, vous l'auront abondamment prouvé ; et vous le prouveront encore.

 

     Sauf à penser que la citation du philosophe français Michel Foucault que j'ai retenue pour vous ce matin freinerait mes envies d'expliquer, voire rendrait inopportuns mes propos, il me siérait d'évoquer avec vous une des composantes essentielles de l'art architectural de la vieille Égypte. 

 

     Ceux parmi vous qui s'y sont déjà rendus, ou que des visites de musées ne rebutent pas, auront évidemment constaté combien les motifs végétaux s'arrogent une part plus que belle dans le programme iconographique des chapelles et des temples, et peut-être plus spécifiquement encore pour ce qui concerne les chapiteaux des colonnes qui, à l'image des plantes elles-mêmes, s'élèvent majestueusement vers le ciel, couronnées qu'elles sont de détails floraux qui ne se résument pas qu'à de simples ornements.

 

      J'ouvre ici une petite parenthèse pour préciser qu'il n'est nullement dans mes intentions de prodiguer un cours complet d'architecture qui répertorierait tous les styles de supports verticaux connus à l'époque mais qu'en fonction de la thématique qui sous-tend nos rencontres actuelles, je n'envisagerai que ceux d'entre eux qui ont transposé dans la pierre l'un ou l'autre élément floral de l'environnement naturel.

 

     Une attention peut-être plus soutenue vous aura aussi permis de constater que ces colonnes, créées dès les temps premiers de la civilisation, ont évolué tout au long des siècles qu'elles ont traversés, jusqu'à ce que les Grecs, puis les Romains à leur suite, y apportent des détails nouveaux, quand ce n'était pas une conception tout à fait originale : je pense par exemple au chapiteau qu'il est convenu, dans le vocabulaire scientifique, d'appeler "composite", dénomination évocatrice définissant un type bien précis, à l'éventail diversifié, faisant droit à maints détails entremêlés : ombelles, folioles, palmettes, sépales, tiges, boutons de fleurs ... ;

 

 

Chapiteaux-composites---Temple-d-Horus--a-Edfou--c-Daniel.JPG

 

chapiteau qui apparut à la XXVIIème dynastie, soit à la fin de l'Égypte autonome puisque débutait alors la première domination des Perses sur le pays, se développa typologiquement et stylistiquement pendant toute la période ptolémaïque, avant de définitivement s'étioler et disparaître du côté d'Alexandrie, au IIème siècle de notre ère.

 

     Vous aurez probablement reconnu ci-dessus ceux qui chapeautent trois des colonnes du temple d'Horus, à Edfou. (© Daniel Csorfoly)

 

     Mais avant cette typologie particulière qui ne dura que quelque 650 ans, que créèrent les artistes des rives du Nil pour supporter leurs couvrements, y associant l'un ou l'autre végétal ?

 

     Si vous vous rendez au temple de millions d'années de Séthi Ier, pharaon de la XIXème dynastie, à Cheik abd el-Gournah (Thèbes-ouest),

 

 

Portique-du-temple-de-millions-d-annees-de-Sethi-Ier--Ala.jpg

 

 

vous ne vous priverez pas d'admirer ce qui subsiste de son portique d'entrée et des colonnes surmontées d'un chapiteau papyriforme, c'est-à-dire figurant un bouquet de papyrus. Si les plantes sont ici sculptées refermées sur elles-mêmes, elles peuvent parfois être ouvertes.

     C'est ce que vous découvrirez si, un peu plus loin, vous pénétrez dans la salle hypostyle du Ramesseum, temple de millions d'années de Ramsès II, fils et successeur de Séthi Ier   

 

 

Chapiteau-campaniforme--Salle-hypostyle-Ramesseum---Alain-.JPG

 

 

où vous attendent de superbes chapiteaux campaniformes (ou ombelliformes) : non seulement l'artiste leur a donné l'aspect d'une ombelle de papyrus grandement éployée mais en outre ils présentent, sur le pourtour de cette sorte de cloche inversée, - la campane -, ces mêmes végétaux peints encadrant les cartouches qui précisent l'identité du souverain bâtisseur. 

 

 

     Vous n'êtes pas sans ignorer, amis visiteurs, que le papyrus constituait l'emblème héraldique de la Basse-Égypte, cette portion du Double Pays essentiellement caractérisée par le Delta dans les marais duquel, précisément, en abondance croissaient ses fourrés.

 

     Cette végétation luxuriante, vous le comprendrez aisément, ne constitua pas qu'un simple élément esthétique de l'art antique : c'est parce qu'elle était porteuse d'une forte symbolique que la plante y figura, des grands sanctuaires aux hypogées de simples particuliers : souvenez-vous de cette portion de peinture murale ramenée par le Nantais Frédéric Cailliaud devant la beauté de laquelle nous nous étions un temps extasiés le 23 mars 2010vitrine 2 de cette même salle.


 E 13 101

(© R.M.N - H. Lewandowski)

 

     Dans la mythologie liée à la création du monde, les marécages métaphorisaient l'image sublimée des origines, le Noun, cette eau préexistante grosse de toutes les formes de vie futures. À partir de cette masse liquide primordiale et inorganisée purent sourdre tous les éléments de la création, en ce compris le démiurge.

     La civilisation pouvait naître !

 

     Si le papyrus symbolisa donc la Basse-Égypte, c'est à la fleur de lotus que revint l'honneur de représenter la Haute-Égypte, le sud du pays.

 

     Dans cette perspective, les artistes ne se privèrent évidemment pas de la mémoriser dans la pierre sous forme de bouquet : naquit ainsi une autre typologie de chapiteau que les égyptologues tout naturellement nommèrent lotiforme. Et là aussi, les colonnes arborèrent en leur sommet les unes des corolles fermées, les autres, bellement épanouies, comme ici, à Edfou toujours, avec ce magnifique exemplaire qui a lui aussi partiellement conservé sa polychromie.   

    

Chapiteau-lotiforme---Temple-d-Horus--a-Edfou.jpg
(© Wikipedia)
 
 
     Si au sein de la thématique qui est nôtre depuis quelques mois, j'ai pour vous tenu à rappeler trois des plus grands types de chapiteaux à motifs végétaux que les immenses artistes égyptiens ont façonnés, c'est évidemment parce que j'avais l'intention, en rapport direct avec les plus récents de nos rendez-vous, d'évoquer le palmier-dattier.
 
     Lui aussi, dès l'Ancien Empire déjà, il eut l'heur d'être magnifié : ainsi, en Abousir, dans le complexe funéraire de Sahouré, pharaon de la Vème dynastie, ces deux colonnes auxquelles, par anastylose, les égyptologues ont rendu un magnifique prestige.       
 
   
 
01.JPG
 
 
     Lui aussi participa, - fallut-il qu'il fût précieux à leurs yeux !  -, à l'iconographie des végétaux destinés à caractériser le double Pays. Ainsi, au temple d'Edfou, encore et toujours, vous rencontrerez, gravée sur la face externe du mur d'enceinte, une scène dans laquelle le souverain Ptolémée offre sur un plateau à Horus la Basse et la Haute-Égypte qui, vous venez de le constater, sont donc métaphoriquement illustrées, la première, par un fourré de papyrus et la seconde, par un de lotus : or là, le lapicide a "revisité" le choix des végétaux dans la mesure où il a remplacé le bouquet de lotus attendu par une théorie de palmiers de deux hauteurs distinctes d'où pend, de part et d'autre de chacun des stipes, une abondante grappe de dattes.
 
     Bel exemple de papyrus et de palmiers-dattiers symboliquement associés dans la pierre pour figurer, l'union de la Vallée et du Delta, l'union des Deux Terres ...
 
     Je dois malheureusement bien vous avouer que je ne suis pas à même  de vous dévoiler cette scène, amis visiteurs, bien que j'aie remué ciel et terre, entendez : le Forum d'égyptologie que je fréquente et les personnes qui me suivent sur Facebook où j'ai inscrit mon blog depuis le 26 septembre dernier. Nul n'en dispose dans ses archives.
     Nonobstant, avec une immense gentillesse, deux lectrices qui ont programmé un séjour en Égypte dans le courant de ce mois ou du suivant m'assurent qu'elles mettront tout en oeuvre pour photographier puis m'offrir ce tableau particulier. D'ores et déjà, grand merci à elles !
 
     Aurez-vous comme moi la patience d'attendre quelques semaines avant de découvrir cette scène d'offrande d'Edfou ? Je l'espère ! Quoi qu'il en soit, dès réception, je vous avertirai que je l'ai introduite dans le corpus iconographique d'aujourd'hui.   
 
 
     J'ai, vous l'aurez parfaitement compris, tenu ce matin à évoquer la symbolique qu'attribuaient les Égyptiens à leurs dattiers. Mais une infime partie, seulement ; et, soyez-en conscients, la plus simplissime.
 
     En revanche, si vous êtes prêts à gravir à mon amble le chemin ardu des croyances phyto-religieuses égyptiennes sur lequel j'escompte vous emmener mardi 14 octobre prochain, 
 
 
Chemin-vers-tombe-de-Rekhmire---c-CatSay.JPG
(© CatSay)
 
j'aborderai avec vous le concept de régénération des défunts pénétrant dans les champs osiriens, et par la suite, celui de revigoration d'un pouvoir royal défaillant.
 
     À mardi ?
 
 
     (Mes remerciements les plus appuyés à Madame Catherine Sayous, ainsi qu'à mes amis du Forum, Alain Guillleux et Franck Monnier, - dont je me réjouis, dans deux semaines, de faire la connaissance à la Journée d'étude dédiée à Sésostris III, en marge de la prestigieuse exposition qui s'ouvre au Palais des Beaux-Arts de Lille -, pour m'avoir tous trois permis d'étayer les propos de la présente intervention avec leurs photos personnelles.) 
 
     
ADDENDA  (Avril 2015)
 
 
     Extraordinaire cadeau offert à ÉgyptoMusée par Madame Sara Marielle Villermet, une de mes lectrices sur Facebook, et un guide de ses connaissances, Mosallam Gad : je viens de recevoir plusieurs clichés de la scène tant souhaitée de l'offrande à laquelle, ci-avant, je faisais allusion.
 
     Les voici, pour vous, amis visiteurs.
 
     Immense merci à Sara et à Mosallam.
 
 
SALLE 5 - VITRINE 6, CÔTÉ SEINE : 21. DE LA SYMBOLIQUE DU PALMIER-DATTIER AU SEIN DE L'ARCHITECTURE ÉGYPTIENNE .....
SALLE 5 - VITRINE 6, CÔTÉ SEINE : 21. DE LA SYMBOLIQUE DU PALMIER-DATTIER AU SEIN DE L'ARCHITECTURE ÉGYPTIENNE .....

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, p. 242. 

 

CAUVILLE  Sylvie  

L'offrande aux dieux dans le temple égyptien, Louvain-Paris-Walpole, MA, Peeters, 2011, p. 102.

 

HANEBORG-LÜHR  Maureen  

Les chapiteaux composites. Etude typologique, stylistique et statistique, dans OBSOMER Claude et OOSTHOEK Ann-Laure, (Éd.), Amosiadès. Mélanges offerts au Professeur Claude Vandersleyen par ses anciens étudiants, Louvain-la-Neuve, 1992, pp. 125-52.

 

MONNIER  Franck  

Vocabulaire d'architecture égyptienne, Bruxelles, Editions Safran, 2013, pp. 97-108.

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29 septembre 2014 1 29 /09 /septembre /2014 23:00

     "Ô ces taureaux d'Atoum, rendez Téti vigoureux, consolidez Téti plus que la couronne qui est sur lui, plus que le flot qui est au-dessus de son genou, plus que les dattes qui sont dans sa poigne !"

 

 


 

Textes des Pyramides

§ 701, a-c

 

dans Claude  CARRIER

Textes des Pyramides de l'Égypte ancienne

Tome I : Textes des pyramides d'Ounas et de Téti


Paris, Cybele, 2009,

pp. 348-51

 

 

 

     J'espère très sincèrement, amis visiteurs, que l'immixtion, - bien agréable au demeurant -, de ce fruit du palmier sur mon blog, la semaine dernière, - intervention qui fera date, assurément !, à l'instar de celle du brasseur, le 3 décembre 2014, souvenez-vous -, n'aura pas trop perturbé vos habitudes de lecture.

Mieux : qu'elle vous aura ravis.

 

     Personnellement, elle me rappela, avec bonheur, l'excellence de certaines jeunes stagiaires en Histoire que j'eus l'heur de recevoir à mes cours, voici quelques années, - quelques lustres, à vrai dire ! -, auxquelles j'imposais une seule contrainte se résumant en une courte injonction : "Étonnez-moi !"

     Que ceux parmi vous qui pourraient mal interpréter mes propos s'attendent à ce que je leur jette la première bière, - du brasseur qu'à l'instant j'évoquai -, car je soulignais simplement par là, les autres l'auront certainement compris, la méthode d'approche de leur enseignement ... et non les faits historiques qu'elles avaient à développer, dont chaque détail ne devait, c'est bien le moindre, être entaché d'aucune inexactitude.


     Quoi qu'il en soit, il est reposant, parfois, de laisser ainsi s'exprimer d'autres intervenants, fût-ce, mardi dernier, dans un esprit de récrimination, et d'ainsi profiter de l'opportunité offerte de savourer ces belles journées lumineuses dont nous gratifia le mitan du mois de septembre, nettement plus clément que celui d'août, et pendant lesquelles il me fut plaisir de préparer au soleil recouvré des entretiens à venir, ici, en salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

 

     Et notamment celui-ci aux fins d'évoquer la symbolique dont les dattes, à l'instar de celles (E 9316 et E 9317), exposées devant vous, sur l'étagère de la vitrine 6, côté Seine, sont empreintes.


 

      E-9316---Modele-de-datte-en-bois.jpgE-9317---Modele-de-datte-en-bois.jpg

 

      (Clichés Louvre - © Ch. Décamps)

 

 

     En effet, parce que ces pièces de quelque 5,30 centimètres de long et 2,20 de large sont en réalité des modèles réalisés en bois peint et mis au jour dans des tombes de Gournah, il est évident qu'elles firent partie du trousseau souhaité par l'un ou l'autre fonctionnaire de cour pour sa maison d'éternité, - j'indique au passage que, dès la IIème dynastie, déjà, elles figuraient dans leur liste d'offrandes -, et que, dès lors, elles sont porteuses de diverses connotations, tant religieuses que funéraires, ainsi que nous l'apprennent et les Textes des Pyramides de l'Ancien Empire et les Textes des Sarcophages, du Moyen Empire ; les deux corpus notant qu'avec elles, le palmier-dattier pourvoyait, entre autres, à l'alimentation des défunts, indépendamment du fait, - et cela, je vous l'ai déjà signalé -, qu'un troisième ensemble de textes, le Livre pour sortit au jour, - qu'erronément l'on nomme encore trop souvent Livre des Morts -, propose, accompagnant les chapitres 57 à 62 destinés à procurer de l'air et de l'eau aux trépassés, des vignettes qui font état de ces autres ressources que permet la présence de cet arbre providentiel.

 

     Ainsi celle du chapitre 58 du Papyrus d'Ani détenu par le British Museum (BM  EA  10470), à l'extrême gauche du cliché ci-dessous, provenant de la remarquable étude qu'a publiée l'égyptologue belge René Preys sur le site Egyptologica 

 

 

Papyrus-d-Ani--R.-Preys----BM-10470---Planche-XVI-copie-1.jpg

 

 

qui nous donne à voir Ani et son épouse se désaltérant à même un point d'eau bordé notamment d'un palmier-dattier, illustrant ainsi parfaitement la formule qui insiste sur sa brise qui peut être respirée par les défunts et sur l'eau dont ils disposent à volonté dans la nécropole.

 

     L'air, l'eau et les dattes : éléments indispensables non seulement pour les vivants, nous l'avons vu, mais également pour les morts, qu'ils soient des particuliers, comme Ani, - raison pour laquelle, au Nouvel Empire, figure souvent dans les tombes privées thébaines et memphites, une représentation de cueillette de ces fruits destinés à être servis lors du traditionnel repas funéraire -, ou des souverains, comme Téti, le premier de la Vème dynastie : c'est dans ce sens qu'il vous faut comprendre le passage gravé sur la paroi est de l'antichambre de sa pyramide que j'ai choisi ce matin en guise d'exergue.

    

     Aux derniers siècles du Ier millénaire avant notre ère, à différents endroits de temples ptolémaïques, fut gravée une scène de conception totalement nouvelle, tant par le sujet traité que par les textes qui l'accompagnent : des rois "égyptianisés", - le Grec Ptolémée VIII Évergète II, à Edfou ; les empereurs romains Néron, à Denderah, Auguste et Tibère, à Philae -, font l'oblation au dieu Osiris, qui compte parfois à ses côtés son épouse Isis et son fils Horus, d'un petit récipient naophore, - comprenez : en forme de naos -, coiffé d'un pyramidion, et qui, si je m'en réfère aux annotations environnantes, contient des dattes concassées. 


 

EDFOU---Offrande-de-dattes---Martine.jpg

 

 

    Le titre donné à ces scènes ne laisse subsister aucune équivoque quant à leur fonctionnalité puisque vous y lirez soit : "Offrir le récipient de dattes", soit "Apporter le récipient de dattes".

 

     Aucun doute non plus dans les propos qui suivent, attribués à l'offrant.

 

     Ptolémée, par exemple, dit : " ... Je t'apporte des dattes pour augmenter ta douceur, je les place assurément devant toi, toi le dieu qui illumine ceux qui sont dans le Noun et qui abreuve les deux terres des humeurs de son corps."

 

     Tibère, prononce lui aussi une invocation à l'acception fort semblable : " Tant que le roi de Haute et Basse-Égypte l'Autocrator, sur son trône en tant que souverain excellent aimé des dieux, est en train d'offrir le récipient de dattes à son maître, d'apaiser son coeur avec ses humeurs, il est comme le fils d'Isis qui rajeunit son père dans les temples de Haute et Basse-Égypte."

 

 

     Vous aurez évidemment compris, amis visiteurs, à la seule lecture de ces deux discours, la métaphore qui assimilait les fruits du palmier-dattier ainsi présentés à Osiris à ses propres humeurs ou, parfois, à celles de Geb, un des dieux primordiaux de l'Ennéade héliopolitaine. 


     Ce qui signifie que dans le petit naos pyramidal, l'amalgame de dattes, - prosaïquement, une sorte de pâte de fruits -, constituait en fait un onguent à la vertu cicatrisante bien connue de la pharmacopée égyptienne puisqu'il était censé guérir de quelconques blessures en soudant à nouveau les chairs entre elles.

  

     L'auteur latin Pline l'Ancien, dans son Histoire naturelle, n'exprimait rien d'autre quand il affirmait que "les dattes effacent les meurtrissures, referment les plaies" ...

 

     Pour ce qui concerne Osiris, il appert que le baume présenté par le roi était destiné à réunir les parties de son corps dépecées et disséminées dans le Nil, souvenez-vous, par son frère Seth, puis quasiment toutes retrouvées et assemblées par sa soeur épouse Isis.

 

     C'est ce que nous apprennent les hiéroglyphes gravés qui accompagnent la scène à Denderah :

 

     " ... accepte les émanations secrètes sorties de tes chairs - c'est un présent de ta soeur Isis pour rassembler ton corps à son heure -, elles viennent à toi, elles rendent excellente ta momie, elles circulent en te protégeant !

 

 

     Pour tutoyer le plus aimablement possible l'exhaustivité, je me dois d'ajouter, alors que les épigraphistes ont insisté sur le caractère osirien intrinsèque de l'offrande de dattes, ainsi que le définit l'égyptologue français Christophe Tiers dans un article référencé en note infrapaginale, qu'il existe aussi l'un ou l'autre tableau au sein de ces mêmes sanctuaires, où manifestement le rite fut détourné au profit d'un autre dieu, s'appropriant de la sorte une offrande initialement destinée à Osiris, aux fins d'acquérir un aspect de sa personnalité, que ce soit - on n'en sait trop la raison, Ptah momiforme -, ou, si vous examinez attentivement la portion ci-dessus du registre d'Edfou, Horus, fils d'Osiris, auquel il se substitue sous prétexte qu'il est le dieu tutélaire du sanctuaire.

 

     Mais pour quelle(s) raison(s), me demanderez-vous, les souverains d'origine grecque et romaine que j'ai tout à l'heure nommés effectuent-ils cette offrande spécifique ?

 

     Comme nous l'a appris l'anthropologue Marcel Mauss dans son Essai sur le don, et comme l'a remarquablement développé l'égyptologue française Sylvie Cauville dans son étude publiée et 2011 et référencée ci-dessous, le souverain attendait d'Osiris un contre-don.

     Et dans ce cas d'espèce, vous allez concevoir qu'ils sont au nombre de deux !  

 

     A Denderah, par exemple, le texte qui commente la scène est on ne peut plus précis quant au premier contre-don divin, qui s'adressse à la personne royale :

 

     "Je rajeunis ton corps chaque jour, tu redeviens jeune chaque année." 

 

     Et à Edfou, vous lirez l'énonciation du second, qui concerne quant à lui, l'approvisionnement des édifices religieux et, indirectement, les Égyptiens eux-mêmes :

 

     "Je fertilise les branches de tous les arbres et j'approvisionne les sanctuaires.

 

     Ce qui nous permet de comprendre la raison pour laquelle les dattes offertes sont assimilées aux lymphes d'Osiris. En effet, les textes égyptiens nous disent que ces émanations du cadavre du dieu constituent l'origine de la crue du Nil. En d'autres termes, la crue n'est possible que s'il y a attentat à la personne d'Osiris : le dépeçage de son corps par Seth entraîne ainsi l'écoulement des lymphes, donc de la crue.

 

      Je précise également - et cet aspect chronologique n'est pas à dédaigner -, que les Égyptiens avaient évidemment observé que les dattes arrivaient à maturation entre juillet et septembre : c'est-à-dire quand la crue déboulant dans la Vallée du Nil depuis le sud va recouvrir toutes les terres cultivables et, qu'en outre, inévitablement les réserves de l'année précédente sont épuisées. Elles vont donc constituer un apport alimentaire non négligeable !    

     De sorte que la reconstitution du corps du dieu par Isis, sa résurrection, entraîne automatiquemet la décrue, c'est-à-dire, le futur retour de la végétation ou, exprimé autrement : les lymphes auront servi à fertiliser la terre par l'intermédiaire de la crue. 


     Et, dans le cas qui nous occupe ce matin, les lymphes, métaphores de la crue du fleuve nourricier, permettent entre autres la croissance des palmiers-dattiers, ainsi que de leurs fruits.

 

         C'est un cycle sans fin : offrir des dattes à Osiris, c'est lui rendre ses lymphes perdues, partant, lui rendre son intégrité corporelle. 

 

     Ce rite de présenter un récipient de dattes à Osiris avait donc pour première finalité d'assurer la fécondité de la nature alimentant hommes et animaux ; puis, et ce sera la seconde, de permettre au roi qui procède à l'oblation de conserver une éternelle vigueur, une éternelle jeunesse, - à l'instar de la fête-sed, j'y reviendrai tout prochainementPartant, à ragaillardir tous les défunts, quels qu'ils soient, puisque vous n'ignorez plus maintenant si vous me suivez depuis un temps certain que chacun d'eux escomptait devenir, après sa vie ici-bas, un nouvel Osiris dans l'Au-delà. 

 

       Ce franc glissement, à propos des dattes, de leur matérialité à leur symbolique que, pour vous amis visiteurs, j'opérai ces deux derniers mardis, il me siérait, dès notre prochain rendez-vous d'à nouveau l'envisager en l'appliquant cette fois au palmier-dattier afin que vous preniez conscience de toutes les connotations que les Égyptiens de l'Antiquité lui attribuèrent tant avec le monde de la royauté, qu'avec ceux ressortissant aux funérailles et aux croyances religieuses.

 

     Je vous invite donc à me retrouver ici même, devant la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes, le mardi 7 octobre prochain.

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, p. 102

 

 

CAUVILLE Sylvie

Une offrande spécifique d'Osiris : le récipient de dattes, dans RdE 33, Louvain, Peeters, 1981, 47-64.

L'offrande aux dieux dans le temple égyptien, Louvain, Peeters, 2011, pp. 107-8.

 

 

 

SERVAJEAN  Frédéric

Enquête sur la palmeraie de Bouto (I) : Les lymphes d'Osiris et la résurrection végétale, dans ERUV I,

Orientalia Monspeliensia X, Université Paul-Valéry, Montpellier III, 1999, pp. 239-40.

 

 

 

THIERS  Christophe

Notes sur les inscriptions du temple ptolémaïque et romain de Tôd , § 4 : Un rite détourné, l'offrande du récipient de dattes (Tôd, n° 312), dans Egyptology at the dawn of the twenty-first century : Proceedings of the eighth international congress of egyptologists, Cairo, 2000, Volume 1 : Archaeology, The American University in Cairo Press, 2003, pp. 514-21. 

 

 

 

 

     (Un merci tout particulier au Professeur René Preys, de l'Université catholique de Louvain, pour m'avoir très aimablement autorisé à disposer ici de la planche XVI de son étude du Papyrus d'Ani et à Martine Détrie-Perrier, Présidente de l'Association Papyrus de Lille, pour le cliché gravé dans le temple d'Edfou qu'elle m'a offert.)

 

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22 septembre 2014 1 22 /09 /septembre /2014 23:00

Ton amour est uni (...

Comme l'étoffe fine au corps des dieux,

Comme l'encens à la narine, (...)

Il est comme la mandragore dans la main de l'homme,

Comme la datte qu'on mêle à la bière.

(...)


 

Les poèmes du vase de deir el-Médinah

(Premier ensemble)

 

dans Pascal VERNUS

Chants d'amour de l'Égypte antique


Paris, Imprimerie nationale Éditions,

1993

pp. 87-8.

 

 

 

     Je sais !

   C'est assurément grossièreté de ma part que d'ainsi avoir l'outrecuidance de prendre la parole à la place d'ÉgyptoMusée ! Que d'avoir la prétention d'interrompre son cycle d'interventions !

 

     Mais il faudrait quand même qu'il se rende compte, ce Richard Lejeune dont l'on me traduit les propos depuis un certain temps, que sans les palmiers qui nous accueillent et auxquels il songeait à derechef dédier de nouveaux articles, certes, nous ne serions rien, nous leurs fruits, mais qu'il pourrait quand même ne pas tant tergiverser, ne pas tant tarder à nous présenter. 

      N'êtes-vous pas d'accord avec moi, Etienne ? 

     

          C'est avec cette amertume du ressentiment d'être oubliée, qu'aujourd'hui, d'autorité, j'ai décidé de lui voler et la parole et une certaine aura que semblent lui accorder quelques dames dont il serait devenu le "chéri".

 

     N'êtes-vous pas d'accord avec moi, Fan ?


 

     La poésie, à toutes les époques, sur tous les continents, trouva dans la Nature ses sources d'inspiration les plus belles. La Mésopotamie et l'Égypte, les premières, y puisèrent des images que les anthologies générales ignorent le plus souvent, mais que les spécialisées mettent heureusement à l'honneur.

 

     Le concepteur de ce blog lui a judicieusement dédié une de ses rubriques, "Littérature égyptienne", qu'il vous suffira de redécouvrir en cliquant sur cette dénomination, ici, dans la colonne de droite, dans laquelle il proposa, voici quelques années déjà, de superbes poèmes d'amour égyptiens. 

 

     Ce matin, c'est par un très court extrait de l'un d'eux que j'ai souhaité attirer votre attention. Dépourvu de titre "officiel", - il fut rédigé par un anonyme sur la panse d'un vase retrouvé très mutilé à Deir el-Medineh -, il se présente sous la forme d'un dialogue entre deux jeunes gens amoureux et se veut en quelque sorte une définition de ce que pour eux représente l'Amour, en choisissant des exemples de comparaison tels que l'on comprenne qu'il confine à ce qu'il y avait en ces temps-là de plus délicat à leurs yeux : la fine étoffe, l'encens, les dattes pour agrémenter la bière ...


     (Je précise immédiatement que j'interviens aujourd'hui sur ce blog en mon nom personnel mais aussi au nom de toutes mes soeurs.)  

 

     Notre géniteur, qu'il nomme volontiers Phoenix Dactylifera, - ne serait-il pas un peu prétentieux, voire un peu snob ce Richard Lejeune avec cette propension qu'il a de servir quelques termes latins dans nombre de ses entretiens avec vous ? -, le palmier-dattier donc, est, comme il vous l'a expliqué la semaine dernière, une espèce emblématique, pérenne, d'une importance économique sans égale, abondamment présent dans le biotope de l'Égypte antique.

 

     Aussi, point n'est anodin que des vestiges de beaucoup d'entre nous aient été exhumés en contexte archéologique et que, tout logiquement, certains figurent en bonne place dans vos musées, comme ici en salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, notamment sur l'étagère de la vitrine 6, côté Seine.

 

 

Étagère - Partie gauche   


     Nul parmi vous n'aura, je présume, l'intention de me contredire si, tout de go, - ne voilà-t-il pas que je m'exprime comme Richard Lejeune, maintenant ?! -, et sans prendre la peine de faire étalage de chiffres statistiques que, probablement, lui seul a retenus de tous ces ouvrages qu'il consulte -, j'avance qu'en tant que dattes, d'un point de vue nutritionnel, nous représentions - et pour beaucoup, nous représentons toujours -, un apport non négligeable, en glucides par exemple, au sein de l'alimentation des Égyptiens.

 

      Cet aspect éminemment nourricier qui nous caractérise est matérialisé par la présence, dans le socle vitré 9, là-bas, près de l'entrée donnant sur la salle suivante, d'une coupe transparente portant le numéro 15,      

 

 

Coupe 15 - Dattes et noyaux de dattes (N 1418)

 

 

dans laquelle, en plus d'un noyau, ont été déposées douze consoeurs, (N 1418), mesurant entre 1,9 et 3,8 cm de long.

 

     Drupes oblongues, moelleuses,

 

 

09. Fruits Palmier-dattier

 

 

- tellement appréciées que notre nom antique, bnr, (prononcez : béner) devint synonyme de "doux" dans la langue des riverains du Nil -, chaque année, par grappes de quelques kilos, nous croissions, maternellement protégées par les palmes,

 

 

10. Fruits Palmier-dattier

 

 

et devenions mûres à la fin du mois de juillet. 

 

     Consommées soit fraîches, soit  séchées, soit encore réduites en pâte, nous étions choisies aussi bien pour entrer dans la composition de pains que dans celle d'une bière puisque, grâce à notre pulpe - ainsi qu'ÉgyptoMusée l'avait déjà précédemment expliqué -, nous la sucrions, nous la rendions plus douce, comme peut être doux l'amour métaphorisé dans le court extrait du poème apparaissant sur un vase de Deir el-Medineh que je vous ai lu ce matin.

  

     Si l'on nous laissait fermenter, nous donnions même une eau de vie !


     N'oubliez toutefois pas qu'il exista également un vin de dattes qui pouvait se consommer "normalement", mais, et j'aime à insister sur ce point, qui participait aussi à des prescriptions curatives que les papyri médicaux détaillent à l'envi.

     J'ajouterai, si vous me le permettez, que fraîches, séchées ou écrasées en poudre, nous apportions l'une ou l'autre médication aux Égyptiens malades ou blessés ; ce qui, convenez-en, n'était déjà pas négligeable !

 

     Ainsi, en décembre 2013souvenez-vous, le concepteur de ce blog vous avait appris, grâce au Papyrus Ebers, que, requises pour éliminer les sécrétions provoquant la toux, nous étions partie prenante d'une "recette" de galettes au miel :

 

Poudre de dattes.

     (Cela) sera mis dans de l'eau et préparé sous une forme de pâte liquide qui sera battue. Tu auras placé deux poêles sur le feu pour qu'elles chauffent et cette pâte liquide y sera placée et mise sous forme de galette. Une fois qu'elle sera cuite à point, tu devras la préparer sous la forme d'une pâte solide avec du miel et de la graisse de taureau.

 

     Précédemmentil avait également indiqué que des abcès internes, notamment dans l'utérus, étaient susceptibles d'être soignés grâce à du lait d'ânesse dans lequel, fraîches, nous étions pilées avec des feuilles d'acacia : Ce sera laissé la nuit exposé à la rosée et versé dans son vagin, précisait le texte du même Papyrus Ebers, au  § 819. 

     

     Et ici même, en janvier 2009, il vous avait présenté, salle 4, vitrine 6, un papyrus administratif de la XVIIIème dynastie, (E 3226), appartenant au scribe Maï,

 

 

I.-3.jpg

 

 

qui comptabilisait notamment des transactions de dattes et de céréales opérées pendant une période de six ou sept ans durant  le règne de Thoutmosis III (milieu du XVème siècle avant notre ère), par deux équipes d’employés de l’Administration du Grenier central qui, dans différentes villes du pays, collectaient des céréales dans les institutions d’Etat ainsi que dans les domaines de temples ou de particuliers : estimées en "sac", unité de mesure équivalant à environ 76 litres, nous étions en fait considérées en tant que monnaie d’échange pour l'acquisition d'autres parmi nous qui constituaient alors un complément en nature accroissant d'autant les salaires versés au personnel administratif :

 

"Rappel des dattes données aux brasseurs : 40 sacs.

An 28, le 4 ème jour du premier mois de la saison de l’inondation : reçu dattes de Pamouha : 285 sacs 3/4.
An 28, le 10 ème jour du quatrième mois de l’inondation, après le compte : 28 sacs ...

Le 14 ème jour du deuxième mois des semailles : dattes 50 sacs 1/4."

 

 

     Je vous fais grâce de la suite de l'énumération nous concernant ...

 

     Richard Lejeune ne le sait peut-être pas, mais de mon temps, j'ai ouï dire que le géographe Strabon, un des trois très grands auteurs grecs antiques qui sont venus chez nous, en Égypte, - Hérodote et Diodore de Sicile, étant évidemment les deux autres ! -, avait osé une assertion fort surprenante - il l'a même écrite au Livre XVII de sa Géographie :


     Dans toute l'Égypte, les palmiers sont d'une espèce médiocre et, dans la région du Delta et d'Alexandrie, ils donnent des fruits qui ne sont pas mangeables. Mais le palmier qui pousse dans la Thébaïde est meilleur que tous les autres. (...) La datte thébaïque est plus dure mais plus agréable au goût.

 

     Ah bon  ?!

     Pas bien disposé vis-à-vis de certaines de mes consoeurs, ce Strabon !

     Ce qu'il n'indique pas, c'est que s'il nous arriva de décevoir les humains, le bétail en revanche avec nous se régala, ce qui à mon sens n'était pas moins honorable ! Nourrir les animaux souvent divinisés par les Égyptiens : il y a de quoi être fières, non ?

 

     Et précisément, j'aurais aimé poursuivre notre rencontre en vous entretenant, mardi prochain, de la symbolique qui fut nôtre au sein des croyances phyto-religieuses, en vous parlant des défunts et des dieux qui, eux aussi, grandement nous appréciaient.


     Mais point trop n'en faut. Déjà heureuse que vous m'ayez écoutée ce matin, je vais subrepticement m'éloigner sur la pointe du noyau pour permettre à votre "Ouvreur de chemins" préféré de reprendre la parole, certaine que je suis qu'il vous en apprendra bien plus sur le monde de l'Au-delà que ma modeste position de fruit du palmier-dattier nourrissant les vivants n'eût pu le faire.

 

     Il fallait quand même que je termine par un plus-que-parfait du subjonctif, non seulement pour m'attirer ses bonnes grâces mais aussi, et surtout, pour que vous, ses "amis visiteurs" comme il aime vous nommer, après m'avoir fait confiance aujourd'hui, vous ne vous sentiez pas trop dépaysés ...

     Je pense n'avoir pas été trop "chi ...."  N'êtes-vous pas d'accord avec moi, Dugt ?      

 

 

 

     A mardi 30 septembre ... 

 

 

       Je ne puis définitivement vous quitter sans évoquer une spécialité belge, liégeoise en fait, provenant de la commune d'Aubel, sur le plateau de Herve pour être plus précis encore, à quelques kilomètres à peine du village où vit Richard : le "vrai sirop de Liège", à notamment déguster en couche bien épaisse sur une tartine ou en accompagnement d'un plateau de fromages, dont l'incontournable Herve ...

 

     Avec deux fruits récoltés dans la région même, des pommes et des poires, - mais pas de "scoubidous bidous", comme le prétendit Sacha Distel -, nous entrons, nous les dattes, dans la composition de cet excellent sirop.

 

     Pour les amateurs parmi vous, quelques explications sur le site de la siroperie Meurens.  

 


 

 

 

BIBLIOGRAPHIE 

 

 

BARDINET  Thierry

Les papyrus médicaux de l'Egypte pharaonique, Paris, Fayard, 1995, pp. 298 ; 332-3.

 

 

BEAUVERIE Marie-Antoinette

Description illustrée des végétaux antiques du Musée égyptien du Louvre, B.I.F.A.O. 35, Le Caire, I.F.A.O., 1935, pp. 123-4.

 

 

CAUVILLE Sylvie

Une offrande spécifique d'Osiris : le récipient de dattes, dans RdE 33, Louvain, Peeters, 1981, 47-64.

 

 

PETERS-DESTÉRACT  Madeleine

Pain, bière et toutes bonnes choses ... L'alimentation dans l'Égypte ancienne, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 43.

 

 

STRABON

Le voyage en Égypte. Un regard romain, préface de Jean YOYOTTE, traduction de Pascal CHARVET, commentaires de J. YOYOTTE et P. CHARVET, Paris, Nil éditions, 1997, § 51, p. 185.

 

 

WALLERT Ingrid

Die Palmen im Alten Ägypten. Eine Untersuchung ihrer praktischen, symbolischen und religiösen Bedeutung, Berlin, Verlag Bruno Hessling, 1962, pp. 22 sqq. 

 

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