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17 octobre 2017 2 17 /10 /octobre /2017 00:00

 

 

     La Crypte du Sphinx à notre horizon ?

 

     Encore ?, s'exclameront vraisemblablement ceux parmi vous, amis visiteurs qui, voici quelques semaines maintenant, n'eurent les yeux de Chimène que pour le colosse hybride trônant en son  centre.

 

Louvre - Crypte du Spinx et escalier menant au Département des Antiquités égyptiennes (© René Lefébure - httpwww.blog-crm.frexposes-etudiantsle-commerce-virtuel)

Louvre - Crypte du Spinx et escalier menant au Département des Antiquités égyptiennes (© René Lefébure - httpwww.blog-crm.frexposes-etudiantsle-commerce-virtuel)

 

     Après ces parenthèses historico-archéologiques nous expliquant, l'une les prémices de la création du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, une autre, l'origine de ses collections et une dernière attirant notre attention sur l'élaboration des cartels portant les numéros de la plupart des pièces exposées, indiqués au sein des inventaires qui se sont succédé avec le temps, n'étions-nous pas en droit d'enfin gravir l'imposant escalier de gauche nous permettant au plus vite d'accéder aux autres "trésors" égyptiens que nous avons hâte de découvrir ? 

 

     Certes, oui, répondrais-je à ceux qui exprimeraient véhémentement leur déception, voire leur irritation. Mais ce serait sans prendre en compte mon bon plaisir d'appliquer une consigne que vous ne devriez plus ignorer, tant je vous rebats les oreilles depuis bientôt dix ans : apprenons à regarder et pas simplement à voir, en condescendant un œil vite lancé vers un ailleurs.

 

     Examinez attentivement, voulez-vous, le cliché très particulier que je vous propose pour  entamer notre présente rencontre : n'y a-t-il pas là quelque chose qui vous aurait précédemment échappé ? Quelque chose devant lequel, obnubilé par l'indiscutable majesté du Sphinx, vous êtes passés sans même accorder la moindre once de sollicitude.

 

     "Bon sang, mais c'est bien sûr !"

 

     Tout à l'entrée, les dernières marches gravies, contre les murs latéraux, avant le Sphinx, donc, 

 

DEUX BAS-RELIEFS -  1. APPROCHE  ARCHÉOLOGIQUE

 

à gauche comme à droite, posés sur un socle chacun derrière une solide protection de verre, deux bas-reliefs de plus ou moins 150 cm de long et 110 de haut, en calcaire originellement polychrome, seraient en droit de solliciter votre intérêt.

 

     Cette paire de monuments faisant tous deux état d'une scène dans laquelle Ramsès II offre de l'encens au dieu Harmachis, "Horus de l'Horizon", en fait une des formes du dieu solaire sous l'aspect d'un sphinx, entra au Louvre au sein de l'achat des quelque 4 000 antiques dont, rappelez-vous, le consul général britannique au Caire, Henry Salt, cherchait à se dessaisir ; pièces amplement admirées à Livourne par Champollion et qu'en définitive, en partie grâce à lui, le roi Charles X avait consenti d'acquérir en 1826.

     

      D'où cette crypte qui leur fut un jour dévolue par un Conservateur qui eut la bonne l'idée de rassembler ce qui se ressemblait.

 

 

     Mais avant que de conserve, la semaine prochaine, nous nous en approchions pour les examiner aux fins d'en décrypter le sens, j'aimerais simplement aujourd'hui vous narrer l'histoire de leur découverte.

 

     Reportons-nous exactement deux siècles en arrière. Nous sommes en 1817 : au service du consul Henry Salt que vous venez de croiser, nous trouvons l'ex-capitaine Giovanni Battista Caviglia (1770-1845), Génois passionné d'archéologie, qui fouille sur le plateau de Gizeh, notamment au niveau du Sphinx, toujours partiellement ensablé à cette époque, ainsi que l'a immortalisé un dessin de Dominique-Vivant Denon qui, je le rappelle incidemment, accompagna Bonaparte en Égypte.

 

Sphinx ensablé - Dessin de Denon (© https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sphinx_de_Gizeh_par_Dominique_Vivant_Denon.jpg)

Sphinx ensablé - Dessin de Denon (© https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sphinx_de_Gizeh_par_Dominique_Vivant_Denon.jpg)



     En effet, et depuis la fin de l'Antiquité, son corps, comme le reste du site d'ailleurs, avait été, au fil des siècles, de plus en plus enseveli sous les sables avec lesquels s'ébrouaient les vents du désert.

 

     La fin de l'Antiquité ?

 

     En fait, très exactement depuis que furent éradiqués les cultes locaux jugés païens par l'empereur romain Théodose qui, au IVème siècle de notre ère, imposa le christianisme à l'ensemble de son empire, dont l'Égypte, depuis la mort de Cléopâtre VII, faisait partie intégrante.

     Bien évidemment, le côté positif de cette particularité climatique fut que le monument taillé dans le roc demeura intact jusqu'à ce que les archéologues du XIXème siècle mirent sur pied les premières campagnes de fouilles et ce, contrairement aux pyramides elles-mêmes qui, dans une certaine mesure, - je devrais plutôt dire "démesure", - servirent de carrières pour la construction, dès le VIIème siècle, de bon nombre des premières habitations cairotes.     


     Pour en terminer avec "Abu'l Hol", "Le Père la Terreur", - ainsi que le nomment les Arabes -, permettez-moi d'encore préciser un point important de manière à mettre un terme à diverses légendes ou allégations, - de celles que rapportent certains guides fort peu scrupuleux de respecter la vérité historique - : non, le nez cassé du sphinx ne fut pas le résultat d'un acte haineux perpétré par les Mamelouks qui gouvernaient le pays au XIVème siècle ; pas plus que celui de coups de canon qu'auraient tirés sur l'énigmatique tête les soldats de Bonaparte quatre siècles plus tard ; et encore moins celui de son escalade par ce cher Obélix qui souhaitait ainsi bénéficier de la vue "panoramix" sur le plateau de Gizeh !

 

     L'étude complète du monument publiée en 1991, dans sa thèse de doctorat, par l'égyptologue nord-américain Mark Lehner prouve en réalité que le visage présente des traces très nettes de destruction par outils à une époque qui se situerait entre les IIIème et Xème siècles de notre ère : toutefois, leur origine demeure nébuleuse. 
 


    Après ce petit excursus, retrouvons Caviglia entreprenant de dégager l'imposant monument en creusant une première tranchée, profonde d'une vingtaine de mètres, qui l'amena jusqu'à l'épaule nord. Puis, de là, il descendit jusqu'au rocher matérialisant le sol sur lequel il repose : pour la première fois depuis des millénaires, une partie du corps proprement dit était ainsi remise au jour.

     Le Gênois poursuivit ses investigations, déblaya les pattes antérieures qui dissimulaient entre elles un petit sanctuaire à ciel ouvert dont le mur du fond était constitué d'un imposant bloc de granite rose de 3, 61 mètres de hauteur, - demeuré in situ -, et que les égyptologues nomment "Stèle du Songe" parce qu'y est gravé un texte dans lequel Thoutmosis IV, alors qu'il n'était encore que prince d'un rang relativement éloigné dans l'ordre de succession au trône, évoquait un rêve qu'il aurait fait un jour qu'il se serait reposé à cet endroit, après une chasse dans le désert, - texte évidemment de circonstance destiné à légitimer son accession à la puissance suprême - : le dieu Horemakhet, (Harmachis, selon les Grecs), lui aurait ainsi promis la gouvernance du pays s'il parvenait à l'extirper de sa gangue de sable.

     

© Chanel Wheeler (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Great_Sphinx_with_Stelae.jpg)

© Chanel Wheeler (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Great_Sphinx_with_Stelae.jpg)



     Plus intéressant pour mes futurs propos : contre les pattes de l'animal lithique, Caviglia remarqua, posés chacun sur un muret de manière à former les côtés latéraux du petit sanctuaire, les deux bas-reliefs désormais exposés ici à l'entrée de la crypte du Louvre ... et auxquels il me siérait d'accorder une attention toute spéciale mardi 24 octobre prochain, juste avant de vous offrir de bienvenues vacances scolaires belges, dites de Toussaint.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 


FIECHTER  Jean-Jacques, La moisson des dieux. Constitution des grandes collections égyptiennes (1815-1830), Paris, Julliard, 1994, passim. 

 

 

ZIVIE-COCHE  Christiane, Sphinx ! le Père la Terreur, Paris, Editions Noêsis, 1997, passim. 

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10 octobre 2017 2 10 /10 /octobre /2017 00:00
 LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 3.    E  -  N  -  AF  ... et quelques autres

 

 

     Parfaitement conscient, amis visiteurs, que le rendez-vous que je vous propose aujourd'hui ne passionnera probablement pas la majorité d'entre vous, j'ai néanmoins jugé qu'il pourrait intéresser l'un ou l'autre, ne fût-ce que pour donner l'impression, dans un salon, s'il en subsiste encore de semblables à celui de Madame Verdurin, quai de Conti, de briller des mêmes feux que ceux de la cour Napoléon ci-dessus,  quand d'aventure la conversation, un tantinet pointue, porterait sur le Louvre, juste en face, le Pont des Arts franchi ; ou, pour les plus jeunes d'entre vous, quand vous souhaiteriez déconcerter une petite amie qui s'imaginerait que Neymar et le Paris Saint-Germain constituent le sujet de votre future thèse de doctorat ...

 

 

 LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 3.    E  -  N  -  AF  ... et quelques autres

 

     Mon propos, vous l'aurez compris d'emblée en prenant connaissance et du titre et du document ci-dessus, concernera les numéros d'inventaires indiqués sur les cartels accompagnant presque toujours les objets exposés au Département des Antiquités égyptiennes.

     

     Nul besoin, je présume, de lourdement insister sur le fait que la lettre E à l'entame d'un très grand nombre d'entre eux maintenant ne peut que renvoyer au nom "Égypte" ; ce qui est également le cas dans nos Musées royaux d'Art et d'Histoire, au Cinquantenaire, à Bruxelles, tout en précisant qu'il ne s'agit nullement d'une constante universelle.

 

     Au Louvre, plusieurs types de numérotation furent mis sur pied au fil du temps qui,  ainsi que vous l'a prouvé mon cliché, se trouvent encore actuellement en vigueur ... jusqu'à ce que, peut-être, un jour futur, un recollement décidera d'officiellement appliquer une nomenclature généralisée à l'ensemble des objets d'origine égyptienne avec ce E en guise de lettre cardinale. Ceci posé, cela constituerait vraisemblablement un fastidieux travail que seul allégerait l'appoint de cette informatique qui nous réserve très probablement d'insoupçonnées et infinies possibilités dans les décennies futures.

 

     Mais avant de nous projeter au sein de cet avenir aussi hypothétique que prometteur, accordons, voulez-vous, un regard sur l'évolution chronologique de ces inventaires, car il y en eut plusieurs, le pluriel n'étant évidemment ici pas fortuit ! 

   

     Le tout premier d'entre eux fut élaboré et appliqué de l'accession au pouvoir de l'Empereur Napoléon III, en décembre 1852, et jusqu'en février 1857 : il comprit 5 451 numéros précédés d'un N, pour "Napoléon", évidemment, et non pour "Numéro" comme quelques fois je l'ai entendu péremptoirement asséner par l'un ou l'autre visiteur autour de moi. 

     Nonobstant, et participant du même recensement, vous ne manquerez pas d'aussi rencontrer les lettres I ou Inv. (pour "Inventaire", bien sûr) : le balbutiement, - ou les raisons d'administrativement déjà compliquer le travail des futurs chercheurs -, était né !  

 

     Car, en outre, et vraisemblablement pour apporter une précision supplémentaire, à la même époque, il fut décidé de classer les artefacts égyptiens par catégories, auxquelles une lettre distincte fut attribuée, ainsi : la lettre A désigna les statues ; B, les bas-reliefs ; C, les stèles et D les sarcophages, tables d'offrandes et autres objets divers.

 

    Mais au fil des années, devant la forte augmentation des pièces présentes au Musée, ce système fut aboli.

 

     De sorte qu'à partir de mars 1857, comme je l'ai ci-avant mentionné, l'inventaire avec un E en guise de lettre de référence fut mis sur pied : actuellement toujours d'application, il répertorie les objets de E 1 à E x milliers, suivant leur ordre d'arrivée dans les collections du Louvre. Ainsi, le papyrus E 32 847 constitue-t-il le numéro le plus élevé que j'aie repéré au cours de mes lectures ... mais peut-être n'ai-je pas eu connaissance des toutes dernières entrées. 

 

     Ceci posé, en fonction de grands et beaux apports nouveaux, alors même que se développait l'inventaire E, d'autres tentatives de classement particulier firent leur apparition. Ainsi quand l'égyptologue français Auguste Mariette, après ses fouilles dans le Sérapéum de Memphis, en rapporta de précieux monuments au Louvre, apparurent des étiquettes collées à même les pièces exposées portant les lettres A.M. (pour "Auguste Mariette", évidemment), I.M. (pour "Inventaire Mariette") ou S (pour "Sérapéum").

 

     Toutefois, après quelques années de manipulations d'objets à l'intérieur des vitrines  ou des réserves en sous-sol, la détérioration de ces étiquettes devint patente ; quand ce ne fut pas leur totale disparition, notamment quand il s'est agi, en août 1939, quelques jours avant qu'éclate la Deuxième Guerre mondiale, de sauver et transporter maints "trésors" dans différents châteaux de France, à Chambord dans un premier temps, d'où ils furent répartis et dirigés par la suite vers d'autres lieux sûrs des environs : ainsi, de nombreuses caisses d'antiquités égyptiennes accompagnées de huit gardiens arrivèrent-elles le 6 septembre à Courtalain, en Eure-et-Loir, à une heure et demie de Paris, pour être entreposées dans le grand salon du château. 

 

     

     Aux objets parfois dépourvus d'étiquettes fut donnée par la suite une cote fictive, AF, ce qui signifiait, sans plus de précision, qu'ils appartenaient à l'Ancien Fonds du Musée.

 

     Enfin, dépossédés de leur identité initiale, certains furent-ils simplement signalés par un SN, ce qui, vous l'aurez deviné, signifie tout bêtement : sans numéro !! 


     Concevez, amis visiteurs, que ces deux dernières appellations, "non contrôlées", AF et SN étaient vouées à n'être que provisoires, donc à disparaître au fur et à mesure que le véritable numéro d'inventaire serait retrouvé dans les registres archivés. Mais fallait-il encore qu'on le cherchât ! De sorte que, comme souvent, constatation s'impose d'admettre que le provisoire aurait tendance à devenir définitif ... 

 

 

     Pour clore notre présent rendez-vous peut-être un peu didactique, voire rébarbatif aux yeux de certains, je ferai appel aux connaissances des plus avisés parmi mes visiteurs : en effet, dans la mesure où il m'est arrivé de rencontrer l'une ou l'autre référence commençant par Al peinte sur certaines pièces des galeries d'étude du circuit chronologique, au premier étage de ce Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, j'aimerais en connaître la signification et l'origine.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

KRIÉGER  Paule, Note concernant les numéros d'inventaire des objets conservés au département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, RdE 12, Paris, Klincksieck, 1960, pp. 92-7.

 

LEVENT  FrédéricQuand le château de Courtalain hébergeait des œuvres du Louvre en 1939-1945, article et cliché publiés dans L'Écho républicain du 4 mars 2016, consultable ici.

 

NICHOLAS  Lynn H, Le pillage de l'Europe. Les œuvres d'art volées par les nazis, Paris, Seuil, 1995, p. 110. 

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3 octobre 2017 2 03 /10 /octobre /2017 00:00

 

 

     Livourne, 27 avril 1826

     Monsieur le Duc,

 

     L'inventaire de la collection égyptienne touche bientôt à sa fin et je me convainc toujours de plus en plus combien il était désirable que cette belle suite de monuments échût à la France, et vint peupler les salles égyptiennes par trop désertes du Musée Royal de Paris. Je jouis d'avance du bel effet que produira, dans une de ces salles, l'énorme sarcophage royal du pharaon Ramsès-Meïamoun. (...) Cette pièce est la plus colossale de toutes celles de ce genre qui existent en Europe, et même en Égypte, dans les tombeaux des Rois découverts jusques ici. Lorsqu'elle sera nettoyée convenablement, on pourra apprécier la beauté de ce bloc de granit rose, et l'effet de l'émail vert qui colorie les centaines de figures en pied et les innombrables hiéroglyphes qui surchargent l'intérieur et l'extérieur de ce monument vraiment royal. (...)    

 

 

 

J.-F.  CHAMPOLLION LE  JEUNE

 

dans Hermine HARTLEBEN

Lettres de Champollion le Jeune

Tome premier : Lettres écrites d'Italie

 

dans Bibliothèque égyptologique,

Tome trentième,

Paris, Leroux, 1909,

pp. 318-9.

 

(Librement téléchargeable sur Gallica)

 

 

Statue de Champollion, de Bartholdi. Cour du Collège de France, à Paris - © NonOmnisMoriar - (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-francois_champollion_bartholdi_statue.jpg)

Statue de Champollion, de Bartholdi. Cour du Collège de France, à Paris - © NonOmnisMoriar - (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jean-francois_champollion_bartholdi_statue.jpg)

 

 

     Après m'avoir lu la semaine dernière, vous aurez de toute évidence compris, amis visiteurs, que si, grâce à la pugnacité et l'amour de l'art dans le chef de Dominique-Vivant Denon, le "Musée Napoléon", devenu "Musée royal" sous Louis XVIII, est définitivement devenu un espace muséal, la création d'un véritable Département des Antiquités égyptiennes en son sein et contrairement à une idée habituellement véhiculée, et dont l'inanité n'est plus à démontrer, ne constitue en rien le fruit de la Campagne d'Égypte mais est en réalité l'oeuvre du Figeacois Jean-François Champollion (1790-1832), le génial déchiffreur des hiéroglyphes, - "inventeur" est-il convenu de dire en archéologie à propos de quelqu'un qui découvre quelque chose -, qui, le 15 mai 1826, sur une ordonnance du roi Charles X, se vit nommer Conservateur de la toute nouvelle division des monuments égyptiens de ce qui se nommera un temps "Musée Charles-X", avant de définitivement porter l'appellation "Musée du Louvre"  ...

     Riche de quelque 78 000 objets dont 6 500 exposés, son département des Antiquités égyptiennes conserve l'une des plus importantes collections du monde puisque, si je m'efforce, pour une fois, d'accréditer Wikimachin, n'ayant pas d'autres statistiques récentes vérifiées à ma disposition, l'actuel Musée du Caire, créé par le Français Auguste Mariette en 1871 abriterait 160 000 pièces ; le British Museum de Londres, 100 000 ; le Neues Museum de Berlin, 80 000 ; le Museum of Fine Arts de Boston 45 000 ; le Museo egizio de Turin, 33 000 ; l'Institut oriental de Chicago 30 000 ; le Metropolitan Museum of Art de New York 26 000 ... et nos Musées Royaux d’Art et d’Histoire, au Cinquantenaire à Bruxelles, approximativement 12 000, dont 900 environ sont actuellement visibles, avant que soit finalisé le futur redéploiement des collections, selon un courriel reçu ce 2 octobre de M. Luc Delvaux, Conservateur du Département "Égypte dynastique et gréco-romaine", que je remercie ici très chaleureusement.

 

     Fermons cette longue parenthèse chiffrée et revenons, voulez-vous à Champollion. Il vous faut en effet savoir que deux ans avant sa nomination au Louvre, il avait planché sur l'organisation qui, en définitive, lui échappa, du musée égyptologique de Turin et de sa superbe collection réunie par Bernardino Drovetti, consul français, d'origine italienne ; collection acquise par Charles-Félix, le roi de Piémont-Sardaigne, parce que, au grand dam du Figeacois, elle avait préalablement été refusée par Louis XVIII qui venait, il est vrai, de débourser une somme considérable pour offrir au Cabinet des Médailles le "Zodiaque de Denderah, maintenant au Louvre, en salle 12 bis.     

 

     (Cette première vente de Drovetti fut suivie d'une deuxième, enfin acquise par la France, - je l'évoquerai dans quelques instants -, puis d'une troisième qu'obtint le Musée de Berlin.) 

     Quand à un peu plus de 35 ans, - il lui en reste seulement six à vivre ! -, Jean-François Champollion le Jeune entre au Musée royal du Louvre, celui-ci compte un très petit nombre de pièces égyptiennes, dont font notamment partie les statues de plus de 2 m en diorite de la déesse Sekhmet à tête de lionne, rapportées par le comte de Forbin, lors de ses deux voyages en Égypte, maintenant sises dans le premier tiers de l'immense salle 12, se faisant face de part et d'autre de l'entrée, et portant les numéros d'inventaire A 2 jusqu'à A 11. 

LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 2. ORIGINE DES COLLECTIONS

 

 

     En mars 1825, la vente des 2 149 objets égyptiens du Chevalier Edme-Antoine Durand (1768-1835) permit de constituer une première collection pour le Louvre ; et cela, avant que le roi, en février 1826, donne son aval pour acquérir les quelque 4 000 œuvres dont Henry Salt (1780-1827), consul général britannique au Caire, cherchait à se dessaisir, - une première collection de Salt ayant été acquise par le British Museum en 1818, et que Champollion, qui l'avait admirée à Livourne, décrivait avec passion au Duc de Blacas d'Aulps, - ainsi que je vous l'ai donné à lire ce matin en guise d'exergue -, Pair de France et Premier Gentilhomme de la Chambre du Roi Charles X ... qui venait enfin de l'acquérir.  

     Parmi elles, entrent donc au Louvre, en 1826, le grand sphinx de Tanis, celui-là même que je vous ai dernièrement montré salle 11 (A 21)

LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 2. ORIGINE DES COLLECTIONS

 

les blocs fragmentaires du mur des "Annales" de Thoutmosis III, salle 12 (C 51),

 


 

 

 

la cuve en granite rose de Ramsès III, salle 13 (D 1),

LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 2. ORIGINE DES COLLECTIONS

 

mais également la magnifique petite stèle de calcaire (18 cm) de Ramsès II enfant (N 522, salle 27, vitrine 7). 

Stèle N 522 - © Louvre - G. Poncet

Stèle N 522 - © Louvre - G. Poncet

 


     Au fil des années, les enrichissements seront nombreux. C'est d'abord, grâce à l'habileté de Drovetti, le don, à la France, par Méhémet-Ali (1769-1849), vice-roi d'Égypte de 1805 à 1848, d'une trentaine de bijoux, dont la célèbre bague aux chevaux de Ramsès II (N 728, vitrine 7 de la salle 27).

     Ce fut ensuite, en 1827, l'achat de la deuxième collection du même Drovetti, plus de 500 pièces avec, notamment, des chefs-d'œuvre d'orfèvrerie comme la coupe en or du général Djéhouty (N 713, salle 24, vitrine 5).

     De son voyage en Égypte en 1828-1830, Champollion rapportera seulement une petite centaine de pièces, mais d'une qualité exceptionnelle, comme le superbe relief polychrome de Séthi Ier recevant un collier des mains d'Hathor, (malheureusement ?) découpé dans la tombe du pharaon, à Thèbes (B 7, salle 27, vitrine 1)

LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 2. ORIGINE DES COLLECTIONS

 

et la très belle statuette en bronze incrusté d'or de la divine adoratrice d'Amon, Karomama (N 500), (salle 29, vitrine 1) qu'il acheta pour le Louvre.

Statuette de Karomama, divine adoratrice d'Amon (N 500) - (© Louvre - G. Poncet)

Statuette de Karomama, divine adoratrice d'Amon (N 500) - (© Louvre - G. Poncet)

 

     Les quatre salles initiales du Musée Charles-X deviennent dès lors trop exiguës pour exposer une collection qui ne cesse de s’accroître. 
Au décès de Champollion en 1832, le département comptait plus de 9 000 pièces ! 


     La deuxième moitié du XIXème siècle apportera également son lot de trésors, avec les 2 678 objets du Grenoblois Antoine Barthélemi Clot, médecin de Méhémet-Ali, plus connu sous le nom de Clot bey (1793-1868), puis ceux du Français Achille Fould (1800-1867), du marchand arménien Giovanni Anastasi (1780-1857) et du comte polonais Eustach Tyszkiewicz (1804-1873).

     Apparaîtra également, à cette époque, un nouveau mode d'enrichissement des collections : le partage des fouilles effectuées en Égypte. C'est ainsi que près de 6 000 objets arriveront au Musée, suite aux travaux entrepris par Auguste Mariette au Sérapéum de Memphis. Et parmi eux, le célèbre scribe accroupi, un des joyaux du Louvre (E 3023, salle 22, vitrine 10). 

LE DÉPARTEMENT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DU MUSÉE DU LOUVRE : 2. ORIGINE DES COLLECTIONS



     Mais cette source se tarira après la découverte de la tombe de Toutankhamon, par Howard Carter, en 1922 dans la mesure où, comme beaucoup d'États, et à juste titre, l'Égypte ne consentira plus qu'exceptionnellement au partage. Toutefois, on lui devra encore, en 1972, le buste d'Aménophis IV-Akhénaton (E 27 112, salle 25) offert par son gouvernement à la France, en remerciement pour sa contribution au sauvetage des temples de Nubie, et, en 1983, le partage des fouilles du Musée du Louvre à Tod, en Haute-Égypte. 

     Enfin, il faut mentionner des dons tels que, parmi d'autres, la palette au taureau (E 11 255, salle 20, vitrine 2) offerte en 1886 par Tigrane Pacha, collectionneur et homme d'État égyptien, d'origine arménienne et le petit groupe de calcaire peint (E 15 593, salle 25, vitrine 2) représentant Akhénaton et Nefertiti, légué avec 1 500 autres pièces par Louise, Atherton et Ingeborg Curtis, en 1938. 

     Ajoutons aussi des achats réalisés, notamment, par la Société des Amis du Louvre. Sans oublier les transferts comme celui, en 1922, du fonds égyptien de la Bibliothèque nationale permettant, entre autres, l'entrée au Musée du Zodiaque de Denderah (D 38, salle 12 bis) et de la Chapelle des Ancêtres, présentant l'une des cinq grandes listes chronologiques de noms royaux actuellement connues (E 13481 bis, salle 12 bis); et, en 1946, de l'ensemble égyptologique du Musée Guimet. 



     Dans le but de faire face à ce considérable enrichissement de ses collections, le Louvre se verra contraint, dès le début du XXème siècle, de remanier le département égyptien, et cela, à plusieurs reprises. Le "pharaonico-mitterrandesque" projet "Grand Louvre" constitue le dernier et heureux avatar en date : après avoir vu se déplacer le Ministère des Finances vers Bercy et ainsi définitivement récupéré l’aile Richelieu, il ne restait plus aux différents conservateurs qu’à redéployer le département égyptien pour lui attribuer, non seulement un espace grandement augmenté, mais aussi une philosophie nouvelle. Désormais, les salles du rez-de-chaussée sont consacrées à des thèmes différents, tandis que le premier étage, plus spécifiquement axé sur l’histoire de l’art, est conçu dans une optique de pure chronologie. 

     Ce sont donc dès à présent toutes les époques de l'histoire de l'Égypte antique que, grâce à ses collections, le Musée du Louvre peut vous proposer, amis d'ÉgyptoMusée, ainsi qu'aux autres millions de visiteurs qui le parcourent aussi chaque année ...



 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

DETREZ  Louise, Edme Antoine Durand (1768-1835) : un bâtisseur de collections, dans Cahiers de l'École du Louvre, n° 4, Paris, 2014, pp. 45-55.

 

ROSENBERG Pierre, Dictionnaire amoureux du Louvre, Paris, Plon, 2007.

 

 

ZIEGLER  Christiane, Introduction, dans ANDREU G./RUTSCHOWSCAYA M.-H./ZIEGLER Ch., L'Égypte ancienne au Louvre, Paris, Hachette Littératures, 1997, pp. 13-33. 

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26 septembre 2017 2 26 /09 /septembre /2017 00:00

 

 

     "Tu seras sans doute bien surprise, ma chère amie, en apprenant que je pars pour je ne sais où. Mes liaisons avec le général Bonaparte m'ont fait engager dans l'expédition qu'il va faire. J'y serai attaché à l'État-Major. Mon absence ne durera que ce que durera la sienne"

 

 

Dominique-Vivant DENON

Lettre à Bettine (Avril 1798)

 

dans Jean MARCHIONI

Vivant Denon ou l'Âme du Louvre

Essai biographique

Arles, Actes Sud, 2017

p. 113.

 

 

Monument funéraire de Dominique-Vivant Denon au cimetière du Père Lachaise, à Paris -© Pyb (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/45/P%C3%A8re-Lachaise_-_Vivant_Denon_02.jpg)

Monument funéraire de Dominique-Vivant Denon au cimetière du Père Lachaise, à Paris -© Pyb (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/45/P%C3%A8re-Lachaise_-_Vivant_Denon_02.jpg)

 

     Évoquant pour vous la semaine dernière, amis visiteurs, le Sphinx que nous découvrions dans la crypte de l'entresol, salle 1 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris, je vous indiquai, de manière quelque peu sibylline il est vrai,  qu'il "fit partie d'une paire remarquée en 1825 dans les ruines du grand temple de Tanis, à l'est du Delta du Nil, lors de fouilles stipendiées par le Consul général britannique en poste au Caire, Henry Salt. Acquis par la France en 1826 grâce à l'entregent de Champollion."

 

     Cette petite histoire au sein de la grande Histoire, il me siérait de vous la conter lors de nos rencontres de ce matin et de la semaine prochaine.

 

 

     Reportons-nous en 1798, voulez-vous. Dans un désir évident d'éloigner un fougueux jeune général originaire de cette Corse devenue française trois mois après sa naissance, le Directoire, Conseil de cinq membres qui, de 1795 à 1799, détient le pouvoir exécutif de la France révolutionnaire, accepte la proposition de Bonaparte d'aller combattre les Anglais en Égypte. L'occupation du pays s'impose comme le seul moyen d'attaquer l'Angleterre en son point névralgique : ses relations économiques avec les Indes dont elle contrôle 85 à 90 % du commerce extérieur. L'idée de Bonaparte était donc de chasser les Anglais de leurs possessions d'Orient en détruisant, notamment, leurs comptoirs sur la mer Rouge.

      Le 13 messidor an VI de la République française "une et indivisible", comprenez le 1er juillet 1798, ce sont, selon les sources (!?!), de 34 à 40 000 hommes de l' "Armée d'Orient" et de 10 à 18 000 marins, Bonaparte à leur tête, qui accostent à Alexandrie : débute ainsi l'occupation de l'Égypte, qui se poursuivra jusqu'au 2 septembre 1801.

 

     Le plus insigne dans cette aventure, - à mes yeux à tout le moins -, réside dans l'idée de génie du petit général : s'adjoindre quelque cent soixante savants, ingénieurs et artistes, pour la plupart fraîchement sortis de l'École Polytechnique récemment créée. Leur tâche consistait à décrire, dessiner, prendre des mesures, partant, à colliger le plus d'informations disponibles, tant antiques que contemporaines, sur le pays qu’ils sillonneraient et les monuments qu'ils croiseraient.

                                            
     Parmi tous ces jeunes, un Bourguignon quinquagénaire, - ils furent rares -, graveur et dessinateur hors pair : Dominique-Vivant Denon, qu'animait un goût infus pour les arts.

     Diplomate, jadis gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi Louis XV, puis secrétaire d'ambassade à Saint-Petersbourg et à Naples sous Louis XVI, le baron Denon avait traversé et survécu à la Terreur, avant d'accompagner l'impétueux général sur la terre des pharaons.

     Militairement, cette "Campagne d'Égypte" fut le désastre que l'on connaît ; politiquement, on assistera même à la désertion de Bonaparte qui, en 1799, abandonne son armée au général Kléber et rentre à Paris pour renverser le Directoire et se faire proclamer Premier Consul.
                                                                                                                              

     Mais culturellement parlant, l'expédition eut des conséquences capitales grâce aux relevés et à la description des monuments égyptiens réalisés par les savants qui, à défaut de pièces archéologiques d'importance, - comme la célèbre Pierre de Rosette, pourtant trouvée à Rachid, dans l'ouest du Delta, par Bouchard, un des soldats de l'armée française, mais confisquée, au titre de butin de guerre par les Anglais, en définitive victorieux -, ramenèrent dans leurs cartons des milliers de notes et de dessins qui donneront naissance à cet extraordinaire joyau de l'édition du XIXème siècle qu'est la volumineuse "Description de l'Égypte".

Meuble contenant les nombreux volumes et le millier de planches de la "Description de l'Égypte", exposé au Palais du Luxembourg, à Paris - © Tangopaso (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/74/Meuble_%C3%A9gyptien_du_palais_du_Luxembourg.jpg)

Meuble contenant les nombreux volumes et le millier de planches de la "Description de l'Égypte", exposé au Palais du Luxembourg, à Paris - © Tangopaso (https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/74/Meuble_%C3%A9gyptien_du_palais_du_Luxembourg.jpg)

 

     Bien des monuments détruits, des couleurs estompées, voire effacées, bien des objets volés ne vivent dans la mémoire de l'humanité que par ce colossal ouvrage, entreprise encyclopédique qui fut à la fois le départ d'une science nouvelle, promise à un grand avenir, l'égyptologie et celui d'un engouement pour tout ce qui se rapportait de près ou de loin au "Pays des Deux-Terres", l'égyptomanie.


     Rentré en France avec Bonaparte en octobre 1799, Dominique-Vivant Denon est nommé, deux ans plus tard, le 9 novembre 1801, - date anniversaire du coup d’État du 18-Brumaire -, Directeur du Museum central des Arts, par celui qui est désormais devenu Premier Consul. Dans la foulée, l'année suivante, un décret consulaire le promeut Directeur Général des Musées, damant ainsi le pion à deux peintres de l'époque inégalement considérés qui se voyaient déjà "en haut de l'affiche" : Jacques-Louis David, celui-là même qui, cinq ans plus tard, immortalisera sur une toile célèbre le couronnement de Joséphine par son époux autoproclamé Empereur, et 
ce "Garde des tableaux" de l'Ancien Régime, Jean-Baptiste-Pierre Le Brun, qu'en vérité seul le talent de son épouse, la portraitiste Élisabeth Vigée-Le Brun, lui fit croire un temps que cette prestigieuse nomination lui écherrait de droit.  

 

     En 1803, à une époque où son ouvrage "Voyage dans la Basse et la Haute Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte" atteint de substantiels records de vente, - une vingtaine d'éditions se sont succédé très vite après la première -, et le propulse au sommet de la gloire, Denon rebaptise "Musée Napoléon" , - bien avant le sacre officiel, donc ! -, cet espace muséal qui, dix ans plus tôt, avait été organisé dans l'ancien palais des rois de France fort décrépit et qui, aujourd'hui, est internationalement connu sous l'appellation de Musée du Louvre.

     La grandeur universelle de "son" Musée, fut un des objectifs essentiels de Denon. Aux fins de l'obtenir, dans un premier temps, il juge opportun d'améliorer l'état déplorable du palais où résidaient en nombre considérable, depuis l'époque du roi Henri IV, des artistes reconnus ou non, dans des conditions d'hygiène qui, par manque d'enlèvement des ordures et surtout de toilettes réelles, faisaient grandement défaut ; mais aussi celui des abords, comme la Cour Carrée accueillant de baraquements fréquentés par musardes et musards, vide-goussets et autres ménesses ...

 

     Ensuite, il met un point d'honneur à accroître d'avantage les collections, quelles qu'elles soient et de matérialiser ses idées pour en améliorer la présentation ; enfin de les "protéger" contre ceux, de la haute Administration de l'État le plus souvent, désireux d'importer l'un ou l'autre chef d'oeuvre dans l'un quelconque prestigieux bâtiment du pouvoir : "Je suis conservateur de ces objets et non le dispensateur", répondit-il vertement un jour à un solliciteur. 

     Vous comprendrez aisément, amis visiteurs, que cette respectable attitude lui attira aussi bon nombre d'inimitiés ...

 

     Parmi tous les projets d'aménagements et transformations internes dans différents endroits du palais devenu musée qu'il entendait faire réaliser, certains d'entre eux par les célèbres architectes de la Cour, Charles Percier et Pierre Fontaine, nul parmi vous amis visiteurs, ne s'étonnera que j'épingle plus spécifiquement une salle dédiée à l'art égyptien : elle contint différentes antiquités ramenées d'Égypte, à l'époque conservées dans un dépôt à Toulon, notamment des colonnes de granit rose que l'on peut encore aujourd'hui admirer dans l'immense salle 12 ...

 

     À l'acmé de l'Empire, en 1811, l'on peut considérer que l'aménagement du "Musée Napoléon" tel que le souhaitait Dominique-Vivant Denon, son Directeur, avait été mené à bien et, aspect non négligeable de ses volontés : l'entrée en était gratuite ... et le restera jusqu'en 1922 !!

 

     Mais pour Denon, bientôt, le vent tourne. Si, après les nombreuses conquêtes napoléoniennes menées sur tout le territoire de cette Europe devenue une mosaïque de "départements français" gérés par différents membres de la famille Bonaparte, Denon s'est "servi" dans maints musées et lieux de culte et, au seul profit de "son" Musée Napoléon des bords de Seine, a soustrait de très nombreuses œuvres appartenant aux collections publiques des États que l'appétit démesuré de l'empereur conquérait, ce fut dans le but, honorable estima-il tout logiquement, de durablement les protéger des affres des guerres ou des vindictes rancunières des populations brimées.

     Les guerres napoléoniennes ont rapporté des trésors : une immense synthèse de l'Art européen s'expose alors à Paris. Que voudrait de plus ce haut dignitaire du régime impérial ? Mais, pardi, demeurer à la tête du "plus beau Musée du monde" ... pour l'éternité ...

 

     Le vent tourne, ai-je avancé voici quelques instants : l'empire vacille. Napoléon Ier s'essouffle de guerre en guerre face aux armées des Européens coalisés toujours plus pugnaces à vouloir sa chute : de 1812 à 1815, les campagnes de Russie, d'Allemagne, de France et enfin la bataille décisive, dans notre plaine de Waterloo, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bruxelles, le 18 juin 1815, auront définitivement raison des visées expansionnistes du conquérant français.

 

     Cette chute de l'empire va sonner le glas pour d'imposantes quantités d'œuvres d'art ayant appartenu à la Prusse, à l'Autriche, à l'Italie, aux États-Pontificaux, à l'Espagne ..., réquisitionnées au titre de "contributions de guerre" au cours des conflits victorieux à la fois de la Révolution et du Consulat, mais aussi de l'Empire et qui faisaient la gloire du "Musée Napoléon" : à son corps défendant, Dominique-Vivant Denon sera sommé de les restituer à leur patrie d'origine.

     C'est pour lui, à près de septante ans, un nouveau combat à mener : lui, le fondateur, dans cet illustre palais des rois de France, d'un "Musée universel", il le mènera ; lui, le père de la muséologie moderne, - n'avait-il pas, pédagogue dans l'âme, exposé les tableaux confisqués aux puissances ennemies dans un ordre chronologique, permettant ainsi au public amateur de suivre un véritable cours d'histoire de l'art ? -, il le mènera ; lui, le premier égyptologue, - n'avait-il pas rédigé, au retour de son séjour égyptien aux côtés des savants de Bonaparte, ce "Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte", paru 7 ans avant la monumentale "Description de l'Égypte", précisément fruit de ces savants ? -, il le mènera ; lui, le Directeur Général des Musées, devenu baron d'Empire, mais peu épaulé par Louis XVIII, le nouveau souverain en place, il le mènera, un temps avec une conviction inouïe. Mais, suite notamment à l'envoi sur Paris, par Blücher, d'une compagnie de grenadiers accompagnés de canons, il le perdra en partie car finalement contraint de rétrocéder plus de 2 000 tableaux et dessins, plus de 600 sculptures et plus de 2 000 objets d'art, en ce compris les célèbres chevaux de Saint-Marc de Venise que Napoléon avait fait placer sur l'Arc de Triomphe du Carrousel, il "sauvera" quelques chefs-d'œuvre dont "Les Noces de Cana", de Véronèse , sous le fallacieux prétexte qu'eu égard à ses dimensions considérables et à sa grande fragilité, la toile se révèle intransportable ! Négociation diplomatique presque incroyable : en échange, l'empereur d'Autriche consent à recevoir une toile de Charles Le Brun, d'une valeur nettement moindre !   

   

     Amer, déçu, meurtri, en octobre 1815, Denon présente sa démission à Louis XVIII.

 

     Son oeuvre, fort heureusement subsistera, que Champollion, dès 1826 et d'autres Conservateurs après lui perpétueront ...

     Mais cela constitue une autre histoire ... qu'il me serait agréable de vous narrer la semaine prochaine ...

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

DAWSON  Warren R./ UPHILL  Eric P., Who was who in Egyptology, 2ème édition, Londres, Egypt Exploration Society, 1970, p. 83.

 

 

MARCHIONI  Jean,  Vivant Denon ou l'Âme du Louvre, Essai biographique, Arles, Actes sud, 2017, pp. 159 sqq.

 

 

LAURENS  Henry, L'expédition d'Égypte 1798-1801, Paris, Armand Colin, 1983. 

 

 

SOLLERS  Philippe, Le cavalier du Louvre, Paris, Plon, 1995.

 

 

VERCOUTTER Jean, Le rêve oriental de Bonaparte, dans Mémoires d'Égypte, Hommage de l'Europe à Champollion, Catalogue de l'exposition, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1990, pp. 22-41.

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19 septembre 2017 2 19 /09 /septembre /2017 00:00

 

 

"Midi. L'air brûle et sous la terrible lumière

Le vieux fleuve alangui roule des flots de plomb ;

Du zénith aveuglant le jour tombe d'aplomb,

Et l'implacable Phré couvre l'Égypte entière.

 

Les grands sphinx qui jamais n'ont baissé la paupière, 

Allongés sur leur flanc que baigne un sable blond, 

Poursuivent d'un regard mystérieux et long

L'élan démesuré des aiguilles de pierre."

 

(...) 

 

 

José-Maria de HEREDIA

La vision de Khèm

 

dans Les Trophées, & poésies complètes

Paris, Points P. 4240, p. 129

 

(Librement téléchargeable sur Gallica,

dans l'édition d'Alphonse Lemerre,

Paris, 1893, p. 119) 

 

 

 

 

 

     Espérant que vous n'aurez pas trop tourné comme lion en cage, amis visiteurs,

 

LE SPHINX  A 23

 

depuis que j'ai promis d'attirer votre attention sur le Sphinx A 23 qui "trône" sous la voûte de la crypte portant désormais son nom, à l'entre-sol, exactement à l'intersection des escaliers conduisant, l'un aux antiquités égyptiennes, l'autre, aux grecques, étrusques et romaines ; crypte qui constitue également, je le souligne au passage, la première des trente salles qui, au Musée du Louvre, à Paris, composent le remarquable Département des Antiquités égyptiennes -,  je me propose ce matin, - enfin !, murmureront peut-être certains -, de vous le faire plus amplement découvrir, non pas spécifiquement sous cet éclairage si particulier qui lui fut offert à l'automne 2015 par l'artiste plasticien français Claude Levêque, 

 

LE SPHINX  A 23

 

mais plutôt sous un "éclairage" historico-archéologique.

 

 

     En troisième position, immédiatement après les deux sphinx d'Amenhotep III se faisant face au bord de la Néva, à Saint-Pétersbourg, gigantesques puisqu'ils dépassent 540 centimètres de long et 370 de hauteur,

© Alex "Florstein" Fedorov (https://en.wikipedia.org/wiki/Quay_with_Sphinxes#/media/File:Sphinx_at_Universitetskaya_Embankment_(img1).jpg)

© Alex "Florstein" Fedorov (https://en.wikipedia.org/wiki/Quay_with_Sphinxes#/media/File:Sphinx_at_Universitetskaya_Embankment_(img1).jpg)

 

le Sphinx A 23 du Louvre, avec ses "seulement" 479 cm de long, 154 de large et 206 de haut constitue l'un des plus imposants parmi ceux qui, au XIXème siècle, délaissèrent leur "sable blond" aux fins d'impressionner par leur majesté plurimillénaire quelques grandes villes au septentrion de la Méditerranée qu'ils venaient de gaillardement franchir ...

 

 

    "Notre" A 23 du Louvre fut taillé dans ce granit porphyroïde rose d'Assouan qu'à toutes les époques se réservèrent les souverains égyptiens, ainsi que leur entourage immédiat, dont le poids est estimé à une quinzaine de tonnes. Il fit partie d'une paire remarquée en 1825 dans les ruines du grand temple de Tanis, à l'est du Delta du Nil, lors de fouilles stipendiées par le Consul général britannique en poste au Caire, Henry Salt. Acquis par la France en 1826 grâce à l'entregent de Champollion, le monument, après avoir connu deux emplacements distincts au sein du Musée, n'a plus quitté la crypte dans laquelle nous allons aujourd'hui apprendre à mieux le connaître ...

 

     Au passage, il me sied d'indiquer que le second sphinx de ce binôme ne constitue nullement, comme souvent on le croit et l'écrit, celui que vous pourriez admirer si vous vous rendiez en salle 11, au rez-de-chaussée de ce même département

LE SPHINX  A 23

 

mais un autre qui, lui, n'a jamais quitté l'Égypte car au départ déjà en bien piètre état, il voyagea simplement de Tanis au Caire pour être relégué à l'arrière du Musée, dans le jardin de l'ouest. Actuellement, plus dégradés encore, ainsi que l'atteste le cliché ci-après datant de 2014 que je dois à l'extrême amabilité de mon ami Alain Guilleux, les fragments rassemblés qui en subsistent se trouvent exposés dans le jardin de l'est, côté place Tahrir.

 

Sphinx de Tanis  .© Alain GUILLEUX (alain.guilleux.free.fr/)

Sphinx de Tanis .© Alain GUILLEUX (alain.guilleux.free.fr/)

 

 

     Est-il besoin de vous rappeler que ce type d'être hybride était composé à la fois d'un corps de lion et d'une tête humaine ? Tête qui, je le souligne, pouvait tout aussi bien être royale, que divine ... ou féminine quand il y eut nécessité de figurer une reine ; le plus ancien exhumé, les plus nombreux dans cette catégorie étant certes ceux d'Hatchepsout.  

 

     L’Égypte, pays par excellence de l’hybridation, il faut savoir que des représentations de notamment la déesse Hathor au visage humain pourvu d’oreilles de vache, ou des dieux Thot à tête d’Ibis et Montou, de faucon, peuplent moult départements d’antiquités des musées archéologiques du monde entier.

 

     Si, comme vous l'aurez noté, ces divinités sont caractérisées par un corps humain doté d’une tête animale, les sphinx, pour leur part, font office d'exception puisqu'ils allient aspect corporel zoomorphe et faciès anthropomorphe. 

 

     Quoi qu'il en soit, l'hybridation relève d’une tentative des Égyptiens de se donner une image de l’essence divine : la forme humaine évoque l’individuation de l’être, tandis que sous la forme animale se conçoit l’espèce tout entière.

 

     Dans le cas des sphinx, donc, l’individu en tant que tel est présent, voire identifiable, par son visage puisque, ainsi que je viens de l'indiquer, il s'agit en général de celui d'un souverain, avec sa coiffe royale, le némès et sa barbe postiche. Ce visage surmonte un corps léonin, parangon s’il en est de la force, de la puissance, de la supériorité physique ; bref, du pouvoir suprême que le monarque incarnait sur terre. C’est donc par le truchement de l’animalité que Pharaon bénéficiait de l'opportunité de transcender sa condition humaine et de participer du divin ...

 

    

     Sur A 23 nous accueillant au mitan de cette crypte, des inscriptions hiéroglyphiques, in fine, des usurpations manifestes, ont été gravées à la fois sur le poitrail, les épaules et le socle :

 

Sphinx Louvre A 23 - (© http://svarog1965.users.photofile.ru/photo/svarog1965/200655894/xlarge/209772351.jpg)

Sphinx Louvre A 23 - (© http://svarog1965.users.photofile.ru/photo/svarog1965/200655894/xlarge/209772351.jpg)

 

elles mentionnent les différents rois qui se sont approprié le monument : Amenemhat II de la XIIème dynastie, Merenptah de la XIXème et Chéchonq Ier de la XXIIème.

 

     Si je me réfère à l'étude menée par l'égyptologue belge Nadine Cherpion sur laquelle j'ai, la semaine dernière, grandement attiré votre attention, - référence à nouveau citée dans ma présente bibliographie infrapaginale -, force est de constater que les martelages subis par les inscriptions originelles, alliés à une érosion patente, les ont rendues pratiquement inexploitables.

 

 

     Couché sur un socle dont la partie avant est donc fortement érodée, amputant ainsi sa patte antérieure gauche, l’animal a été sculpté dans la pose devenue traditionnelle et qui fera référence durant toute la civilisation égyptienne, période hellénistique comprise : pattes antérieures étendues à plat vers l’avant, pattes postérieures repliées et la queue s’enroulant soit sur la cuisse droite, comme ici, soit sur la gauche.

 

     Quant à la tête du souverain, elle présente également les caractéristiques les plus classiques désormais : le port du némès dont les deux pans retombent sur les côtés du poitrail et la tresse sur le dos de l’animal. Sur le devant plastronne l’uraeus royal, déesse à l'aspect d’un cobra femelle en fureur, prête à cracher son venin brûlant et dressant sa gorge dilatée : c'est la personnification de l’œil de Rê, protecteur de la personne royale.

     Quelques-unes des nombreuses caractéristiques stylistiques évoquées la semaine dernière aussi, comme le pli du némès et l'aspect concave de ses pans, la largeur, typique de l'Ancien Empire, de la face ventrale de l'uraeus, les deux plis de peau interrompus et presque parallèles sur chaque flanc de l'animal, l'absence de veine sous-cutanée antérieure, le rendu spécialement naturaliste et extrêmement sobre de la face externe de la patte antérieure, ainsi que du jarret, permettent à Madame Cherpion, - et ce, malgré les examens de maints prédécesseurs qui ne se sont jamais vraiment accordés entre eux, et dans la mesure où, pour les raisons que j'ai énoncées voici quelques instants, les inscriptions d'origine ne peuvent plus présenter aucune utilité -, de dater A 23 sans discussion possible du début de l'Ancien Empire et non plus, comme il a souvent été affirmé auparavant, du Moyen Empire.  


     Peut-être, dès lors, constituerait-il un portrait de Snéfrou, premier roi de la IVème dynastie, et père de Chéops, avance Nadine Cherpion dans la conclusion de son étude, réquisit qu'elle assortit prudemment de cette phrase :

 

     "... il serait dangereux d'aller plus loin et de transformer en certitude une simple suggestion. "

 

 

     Ce qui, vous en conviendrez, amis visiteurs, laisse finalement ouverte la porte à d'autres études, à d'autres "inspections" aussi peut-être, à d'autres éventuelles hypothèses d'attribution de cette première et imposante pièce balisant le chemin de notre découverte du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre de Paris ... 

 

 

**

 

 

     (Immense merci à toi, Alain, d'avoir accepté de m'offrir, pour illustrer le présent article,  un de tes clichés du sphinx des jardins du Musée du Caire.) 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

CHERPION Nadine, En reconsidérant le grand sphinx du Louvre A 23, dans RdE 42, Paris, Klincksieck, 1991, pp. 25-40.

 

 

DE PUTTER  Thierry, Fauves de roches. Matériaux minéraux des sphinx pharaoniques, dans  Sphinx, les gardiens de l'Égypte, Bruxelles, ING Belgique et Fonds Mercator, 2006, pp. 80-97.

 

 

MONTET  Pierre, Le sphinx A 23 du Louvre, dans Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, Tome 53, Paris, Presses Universitaires de France, 1963, pp. 1-8.

(Librement téléchargeable sur le site Persée).

 

 

SOUROUZIAN  Hourig, Les sphinx dans les allées processionnelles, dans  Sphinx, les gardiens de l'Égypte, Bruxelles, ING Belgique et Fonds Mercator, 2006, pp. 98-121.

 

 

ZIEGLER  Christiane, Sphinx royal, dans Les statues égyptiennes de l'Ancien Empire, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1997, Notice 20, pp. 71-7.

 

 

 

 

 

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12 septembre 2017 2 12 /09 /septembre /2017 00:00

 

 

      L’individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu’il ne nous est pas matériellement utile de l’apercevoir. Et là même où nous la remarquons (comme lorsque nous distinguons un homme d’un autre homme), ce n’est pas l’individualité même que notre œil saisit, c’est-à-dire une certaine harmonie tout à fait originale de formes et de couleurs, mais seulement un ou deux traits qui faciliteront la reconnaissance pratique. Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles.

 

 

Henri  BERGSON

Le rire. Essai sur la signification du comique

 

Paris, P.U.F., Collection Quadrige, 1991,

pp. 116-7

 

 

 

SPHINX - UNE APPROCHE ...

 

     Nous y sommes ! À l'instar de Jean de la Bruyère avançant le pied, "avec caractère", dirigeons-nous amis visiteurs, ainsi que je vous l'avais proposé la semaine dernière, enthousiasmés, vers la crypte sous la voûte de laquelle, majestueusement, LE Sphinx guette notre arrivée ; crypte, je le précise au passage, aménagée sous la Cour Carrée du Louvre aux fins de relier deux escaliers fondamentaux : à gauche, celui qui nous permettra de poursuivre à l'avenir la visite du Département des Antiquités égyptiennes et, à droite, celui offrant l'opportunité d'accéder au sein même des salles grecques. 

 

     Oserais-je soutenir l'hypothèse que d'avoir offert cet espace précis à l'imposant monument ne ressortit pas au hasard ? Car enfin, la mythologie du sphinx, figuration d'un lion androcéphale dont la terre originelle fut indubitablement l'Égypte, fit aussi partie intégrante de la civilisation grecque, certes avec d'autres attributions, avec une apparence bien distincte puisque l'égyptien est de sexe masculin quand le grec, - la sphinge, pour user du terme idoine -, est de sexe féminin ; et avec d'autres finalités dans la mesure où l'un, celui de Giza, œuvrant de manière positive se révèle être source de vie au travers de sa symbolique des trois phases de la course du soleil, tandis que l'autre, en étroite relation, souvenez-vous, avec le mythe grec œdipien et la fameuse énigme établie sur les trois phases de la vie de tout être humain, se révèle être source de mort.   

 

SPHINX - UNE APPROCHE ...

 

     Auprès de l'A 23, - j'évoque ici, vous vous en doutez, non point l'autoroute qui relie Lille et Valenciennes, mais bien évidemment le numéro d'inventaire attribué au monument, - j'y reviendrai la semaine prochaine -, nous ne pouvons qu'être admiratifs devant tant de détails anatomiques qui, quand on prend la peine non pas de simplement regarder mais plutôt de bien voir, nous prouvent, si besoin s'imposait encore, que les artistes égyptiens furent loin, très loin de conventionnellement se copier les uns les autres au fil des millénaires, partant, aux antipodes de la thèse des premiers historiens de l'Art antique qui, au dix-neuvième siècle, sans véritablement connaître celui de la civilisation des rives du Nil assénaient péremptoirement que l'art égyptien était monotone, banalement itératif ! Ces historiens avaient simplement regardé les monuments mais ne les avaient pas véritablement vus ! Ainsi est-il complètement erroné d'affirmer qu'un sphinx est identique à un autre sphinx : à bien des égards, sous bien des aspects, telle la statuaire des corps humains, celle de ces êtres hybrides présente un nombre considérable de variantes que seul appréhendera un œil qui veut véritablement les voir.

 

     Quand des touristes vous affirmeront, amis visiteurs, qu'un sphinx, quand on en a vu un, on les a vus tous, vous pourrez désormais répondre que leur antienne se révèle totalement obsolète car il n'y a pas plus incomparables, du point de vue des variantes stylistiques, qu'un sphinx et un autre sphinx. Ainsi, et sans prétendre à une quelconque exhaustivité, pourrez-vous attirer leur attention, dans un premier temps, sur le némès, vous savez, cette coiffe si caractéristique encadrant le visage des souverains égyptiens :

 

© CJ - (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Louvre_sphinx.jpg)

© CJ - (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Louvre_sphinx.jpg)

 

son pli, stylisé ou non, ses rayures, disposées de manière perpendiculaire au visage ou absentes, ses ailes de part et d'autre tombant droites sur la poitrine ou franchement concaves, mais aussi la figuration de ce symbolique cobra dressé sur la partie supérieure de la coiffure, - que les égyptologues nomment du nom latin "uræus" -, dont la largeur de la face ventrale présente de nettes différences.

 

     Dans un second temps, vous pourrez même leur faire remarquer d'intéressantes variations d'un point de vue purement anatomique, comme la queue, placée à droite ou à gauche et plus ou moins longue selon les artistes qui en ont rendu l'aspect, ainsi que la touffe de poils à son extrémité, plus ou moins touffue ; comme aussi l'aspect des pattes antérieures, si diversifiées qu'il serait fastidieux de vouloir en définir les variantes ; comme aussi les griffes de ces mêmes pattes que des sculpteurs ont voulues bien visibles et acérées quand d'autres ont jugé plus réaliste de ne pas les représenter puisqu'elles sont habituellement rétractées quand un lion est couché. ; comme enfin la figuration ou pas, de la veine sous-cutanée antérieure, des côtes ou des plis de peau, un sur les flancs chez certains, deux chez d'autres, ou encore l'aspect de l'épaule, celui de la cuisse, ou du jarret ... 

 

 

Sphinx A 23  (© Louvre - Chuzeville)

Sphinx A 23 (© Louvre - Chuzeville)

 

     Enfin, si vous m'avez suivi, vous pourrez aussi ajouter, que toutes ces différences anatomiques d'un sphinx à un autre, permirent - et ce fut là l'excellence de l'immense travail de recherche mené par l'égyptologue belge Nadine Cherpion dans les années '90, notamment pour déterminer l'origine du sphinx A 23 que nous découvrirons bientôt avec moult détails -, de déterminer l'origine exacte de semblables monuments découverts soit anépigraphes, soit, comme ici, gravés, martelés puis intaillés à nouveau, de différents noms de pharaons les ayant usurpés, établissant alors une confusion quant à celui des souverains, qui le premier, s'était fait représenter sous cette forme, de le replacer au sein d'un règne spécifique, partant, d'établir par la suite une histoire stylistique chronologique de la conception des sphinx dans l'antiquité égyptienne ...

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BAUM-vom FELDE  Petra, Œdipe, la sphinge et l'énigme, dans  Sphinx, les gardiens de l'Égypte, Bruxelles, ING Belgique et Fonds Mercator, 2006, pp. 161-77.

 

 

CHERPION Nadine, En reconsidérant le grand sphinx du Louvre A 23, dans RdE 42, Paris, Klincksieck, 1991, pp. 25-40.

 

 

CHERPION Nadine, Conseils pour photographier un sphinx, dans Amosiadès, Mélanges offerts au Professeur Claude Vandersleyen par ses anciens étudiants, Louvain-la Neuve, 1992, pp. 61-70.

 

 

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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 00:00
" MON" LOUVRE

 

 

     La Beauté ne peut être aimée d'une manière féconde si on l'aime seulement pour les plaisirs qu'elle donne. Et, de même que la recherche du bonheur pour lui-même n'atteint que l'ennui, et qu'il faut pour le trouver chercher autre chose que lui, de même le plaisir esthétique nous est donné par surcroît si nous aimons la Beauté pour elle-même, comme quelque chose de réel existant en dehors de nous et infiniment plus important que la joie qu'elle nous donne.

 

 

 

Marcel  PROUST

John Ruskin

 

dans Gazette des Beaux-Arts, 1er avril 1900

repris dans Écrits sur l'Art

Paris, GF Flammarion 1053, 1999

p. 110

 

 

 

 

     Si, à la rentrée de septembre 2014, après maintes et maintes tergiversations, je consentis enfin à ouvrir un compte FB, ce ne fut certes pas pour exposer ma vie privée ou celle de ma famille mais pour élargir plus grand encore le chemin vers mon blog d'égyptologie qui, depuis mars 2008 déjà, visait à offrir un plaisir esthétique : déambulant là où beaucoup déambulent, regardant ce que beaucoup regardent, je souhaitais donner à voir ou, plutôt, apprendre à voir, aux fins d'admirer des pièces, petites ou grandes, exposées au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris, et ainsi tenter d'en percevoir l'essence.

     Petites le plus souvent d'ailleurs, devant lesquelles tant de visiteurs passent en ne leur accordant qu'un regard distrait, - là est toute la distinction entre "regarder" et "voir" -, pressés qu'ils sont de se diriger vers les endroits les plus "spectaculaires", comme l'immense salle 12 dans les trois portions de laquelle se dressent des monuments de deux à trois mètres de hauteur, quand ils n'approchent pas les sept mètres, comme l'une ou l'autre colonne palmiforme ...

 

     Et c'est précisément ce "regard distrait", voire condescendant, habituellement accordé à certaines productions artistiques conçues à l'époque égyptienne que je souhaiterais combattre en proposant à nouveaux frais, dès la semaine prochaine sur mon blog et sur mes pages Facebook pour mes nombreux nouveaux lecteurs par rapport à 2008, d'anciennes contributions augmentées peut-être par la suite d'interventions neuves de manière à offrir toute notre attention à quelques œuvres qui, à mon sens, la méritent amplement.

 

    C'est donc avec un plaisir non dissimulé que je vous invite toutes et tous à derechef m'accompagner au Département des Antiquités égyptiennes, dans un premier temps, derrière ces fenêtres du rez-de-chaussée à l'angle de la façade sud-est de l'ancien Musée Charles-X institué après la révolution au sein du médiéval palais des rois de France ...   

 

" MON" LOUVRE

 

     Plusieurs opportunités s'offrent à nous, à l'instar des quelque sept millions et demi de touristes qui, en 2016, pénétrèrent dans l'antre parisien de la Culture. 

 

" MON" LOUVRE

 

 

     La plus fantasque, que je me permets de déconseiller d'emblée ... pour diverses raisons que je ne pense pas nécessaire de développer.

 

" MON" LOUVRE

 

 

     La plus lente, que je ne plébiscite pas vraiment, l'entrée "officielle" de la Cour Napoléon où, malgré l'heure matinale,

 

" MON" LOUVRE

 

beaucoup s'agglutinent à un bien bizarre serpent d'humains stoïques, alors que l'attente risque de s'éterniser.

 

     En réalité, je préfère vous emmener par l'accès nettement moins fréquenté à 9 H. du matin du 99 de la rue de Rivoli, emprunté comme à mon habitude depuis bon nombre d'années. Car, par la pyramide inversée, 

" MON" LOUVRE

 

nous accéderons immédiatement à l'allée des boutiques

 

" MON" LOUVRE

 

qui nous mènera précisément au Hall Napoléon, sans avancer au pas ni subir une quelconque intempérie ...

 

" MON" LOUVRE

 

 

     Là, abondamment éclairés d’une superbe lumière matinale par les 673 losanges et triangles de verre de la jadis tant décriée pyramide de Pei souhaitée par François Mitterrand, nous n'aurons plus qu'à monter, grâce à l’escalator, vers l’aile Sully, dans la mesure où, bénéficiant de ce précieux laissez-passer d’Enseignant belge, je vous aurai évité les files d’attente à l'une des caisses.

 

     

     Enfin, nous serons dans "notre" Musée.

 

     Personnellement, mon cœur s’emporte à chaque fois que je me dirige, - que je cours, presque ... -, vers ce département égyptien que, d’année en année, je redécouvre avec toujours autant de plaisir, d’intérêt, de passion ...

 

      Après avoir contourné les fondations de l'ancienne forteresse de garnison de Philippe Auguste,

 

 

" MON" LOUVRE

 

tout au bout de la passerelle en bois, nous distinguerons enfin, éminemment majestueux, imposant, - à l'automne 2015 très originalement mis en valeur par une installation de douce lumière presque sensuelle, oeuvre de l'artiste plasticien neversois Claude Levêque -, dans cette crypte protectrice jadis creusée à son intention et qu'il n'a jamais plus quittée depuis : LE Sphinx.

Colossal. 

 

" MON" LOUVRE

 


     J’aime naïvement me persuader qu’il nous attend ...
     Depuis le temps que nous ne nous étions plus vus ...

    

     Vous avouerais-je que, d'aventure, quand nous sommes complètement seuls lui et moi, je me prends à lui parler; un peu comme à un animal familier ?

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22 juin 2015 1 22 /06 /juin /2015 23:05
SALLE 5 - VITRINES 7 ET 8 : UNE PRÉSENTATION INTRODUCTIVE ...

   

     On ne le dit pas assez, et c'est bien dommage : les Égyptiens ont toujours apprécié le vin, comme ils ont toujours apprécié l'humour. Deux prédilections, au demeurant, pas toujours sans rapport, et qui rendent franchement sympathique la civilisation pharaonique, alors qu'elle ne pourrait être que grandiose. 

 

 

Pascal VERNUS

Dictionnaire amoureux de l'Égypte pharaonique

 

Paris, Plon, 2009,

p. 961

 

 

 

 

    L'étude approfondie de la double grande vitrine 6 peut-être déjà dissipée pour d'aucuns dans la brume des souvenirs ; le bloc-vitré 9 simplement donné à voir la semaine dernière, nous pouvons maintenant profiter, amis visiteurs, de ce pénultième rendez-vous précédant les vacances d'été d'ÉgyptoMusée, aux fins d'aborder les prémices de l'ultime thématique développée elle aussi dans cette salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre : deux vitrines, d'importance très inégale quant à l'espace et au contenu, sont en effet dédiées à la vigne en Égypte ancienne. 

 

     Ce sont, sur votre droite, la septième avec sa petite dizaine de pièces ; 

SALLE 5 - VITRINES 7 ET 8 : UNE PRÉSENTATION INTRODUCTIVE ...

puis, au fond, la huitième et ses amphores, espace offrant la particularité d'être à la fois visible de l'endroit où nous nous trouvons actuellement, mais aussi de la salle 8 

SALLE 5 - VITRINES 7 ET 8 : UNE PRÉSENTATION INTRODUCTIVE ...

 

dans laquelle nous déambulerons probablement un jour futur, salle dévolue au thème de la maison égyptienne antique, ainsi qu'à son mobilier.

 

    Mais avant de nous pencher sur ces deux meubles vitrés à la rentrée de septembre, et sans toutefois prétendre rédiger un traité d'ampélologie qui se voudrait exhaustif, j'aimerais aujourd'hui avancer quelques notions introductives dont certaines avaient en partie déjà été évoquées lors d'une précédente rencontre datant de mars 2009. 

 

     La vigne constitue une des plus anciennes cultures du pourtour méditerranéen en général, et de l’Égypte en particulier où, là, naquit un mythe indiquant que si les hommes ont pu continuer à exister, c’est parce que Rê fit un jour déguster plus que de raison à sa fille Hathor cette vigoureuse liqueur couleur de sang qui l’endormit, soustrayant ainsi l’humanité à sa vindicte destructrice ...

 


     Il est avéré qu’au IVème millénaire avant notre ère, entre Tigre et Euphrate, les Mésopotamiens furent un des premiers peuples à domestiquer et à cultiver la vigne, probablement après les habitants du Caucase qui, au VII ème millénaire eux, s’y seraient déjà intéressés.


     Quoi qu’il en soit, c’est bel et bien d’Égypte que proviennent les plus anciens témoignages d’une viticulture organisée, réfléchie et ce, dès l'époque thinite : espaliers et surtout treilles pour les plants ; bâtons fourchus en leur extrémité supérieure pour soutenir de longues tiges de bois horizontales portant les branches grimpant depuis les ceps.

 

    Dès cette époque aussi apparaissent des stèles rectangulaires figurant un personnage assis devant sa table d'offrandes : ainsi, après notre rendez-vous de ce matin, si cela vous intéresse, aurez-vous tout loisir de monter au premier étage pour découvrir, dans la vitrine 5 de la salle 21 du parcours chronologique, dévolue précisément aux premières dynasties, un de ces petits monuments de calcaire (E 27157), double pour sa part puisque aux noms de deux défuntes, Nytouâ et Nytneb, dont le vin, - (trois hiéroglyphes, sous mes flèches qui, de droite à gauche, se lisent irep) -, constitue la première offrande gravée pour ces dames, juste avant les onguents.

© C. Décamps

© C. Décamps

 

  

 

     Bien des mastabas memphites du début de l’Ancien Empire, ceux de Menna, de Mérérouka et de Ti, par exemple ; mais aussi, plus tard, au Nouvel Empire, dans la montagne thébaine, les hypogées de Nakht et d'Ouserhat, notamment, proposent de superbes scènes polychromes relatant de typiques activités, tels que les vendanges, le foulage du raisin que quelques hommes piétinaient au son de claquoirs, la torsion de sacs de toile dans lesquels avaient été rassemblés peaux, pépins et rafles en vue d'en exprimer le jus bénéfique, la fermentation et la décantation du vin dans des récipients d'argile non couverts ; enfin sa mise en amphores de terre cuite pour son transport, voire son stockage.

 

 

( Je vous convie à visiter l'une ou l'autre de ces tombes lors de votre prochain séjour en terre égyptienne ... ou, à défaut, sur l'excellent site de Thierry Benderitter :

http://www.osirisnet.net/centrale.htm ).

 

 

     Nombreuses furent les jarres vinaires thinites, généralement rendues moins poreuses par un enduit de résine appliqué à même la paroi intérieure, - comme certaines de celles de la vitrine 8, j'y reviendrai à l'automne prochain -,  mises au jour par les archéologues : elles étaient déjà estampillées soit en portant sur l’épaule des suscriptions rédigées à l'encre noire en écriture hiératique et indiquant, suivant les cas, le nom du vignoble, celui des parcelles d’où provenaient les raisins, le millésime, les noms du propriétaire et du maître de chai ; soit, explique le grand égyptologue français Jacques Vandier, en présentant l'empreinte d'un cylindre en bois ou en ivoire que l'on avait roulé sur l'argile encore fraîche du gros bouchon destiné à hermétiquement les fermer, et qui ainsi "imprimait" l'une ou l'autre des indications que je viens d'énoncer.

 

     Dépouillées, traduites, étudiées, toutes ces précisions nous permettent dorénavant de déterminer la localisation de certaines zones plus propices que d’autres à la viticulture : ainsi, les oasis occidentales de Kharga, de Dakhla, de Baharia et de Farafra, notamment ; mais aussi dans le Fayoum et, plus au nord, dans le Delta du Nil.

     Notez que, en quelque sorte privilégiées, ces deux dernières régions sont considérées comme le véritable berceau des vins égyptiens antiques de qualité.

     

 

     Je me dois toutefois de souligner que cette production, à tout le moins à l'Ancien Empire, resta l'apanage exclusif du souverain, de sa famille et des hauts dignitaires de cour, en vue d'une consommation personnelle, bien sûr, mais aussi, - et le détail, en Égypte, est évidemment d'importance -, pour les besoins de rituels funéraires, ainsi que cultuels en faveur des dieux à honorer.


     L’évolution sociale du pays, la démocratisation de nombreuses traditions au départ essentiellement régaliennes, mais également la croissance économique qui suivit les grandes conquêtes firent qu’au Nouvel Empire, et plus particulièrement à l'époque des Ramsès, la production de vin connut un essor tel que, non seulement tous ceux qui le souhaitaient, tous ceux en fait qui le préféraient à la bière, boisson "nationale" consommée par la majorité des hommes, toutes classes sociales confondues, purent s’en offrir.

     Mieux : que l'excédent fut envoyé dans différents autres pays du monde méditerranéen, ce qui manifeste incontestablement des  échanges commerciaux d'une envergure certaine.


     Certes, comme je l’ai déjà indiqué, la terre d’Egypte appartenait en principe tout entière au souverain ; certes les temples eux aussi, suite à de nombreuses donations, géraient de vastes étendues viticoles, mais les sources documentaires font également état de l'existence de vergers à vin privés, propriété de particuliers aisés, contentant en suffisance leurs besoins familiaux.

    Indépendamment de ces raisons pratiques et matérielles, il ne vous faut pas perdre de vue, amis visiteurs, qu'au sein des croyances osiriennes, dans lesquelles le vin est symbole du sang versé par le dieu, - comme il le sera bien plus tard, d'ailleurs, dans l'histoire christique -, la simple représentation de pampres au plus profond d'un tombeau 
constitue un gage certain de renaissance pour son propriétaire défunt.

 

     C'est dans ce sens qu'il vous faut comprendre une "décoration" viticole en damiers, avec grappes de raisins et feuilles de vigne dans quelques hypogées de la XVIIIème dynastie : ceux d'Amenemhat (TT 340) et de Panehesy (TT 16), à Deir el-Médineh, de Khonsou (TT 31), à Cheik Abd el-Gournah ; sans oublier évidemment le plus connu d'entre tous, celui de Sennefer (TT 96), également dans la Montagne thébaine. 

 

     Dans la foulée, je m'en voudrais ne pas mentionner un cas particulier, non encore exploré en profondeur à cause de la configuration extrêmement dangereuse des lieux, celui mis au jour lors de la campagne de fouilles de 1996-97 par l'équipe de l'égyptologue français Alain Zivie, dans la colline du Bubasteion, à Saqqarah. Cette tombe, ayant appartenu au scribe du cadastre Ptahmès, de la XVIIIème dynastie, (époque d'Amenhotep III), laisse elle aussi entrapercevoir une décoration viticole en damiers de premier choix ...  

 

 

 

     J'ai tout à l'heure employé le terme millésime qui, pour nous, connote une idée extrêmement précise. J’aurais plutôt dû indiquer : année de fabrication, car sachant que bien d’autres produits, comme l'huile, la bière, la graisse animale ou le mielportaient mention d’une date d’origine, il serait tout à fait illusoire et particulièrement anachronique de croire que les Égyptiens conservaient des amphores dans le seul principe d'une bonification au fil des ans.

 


     Grâce aux relations laissées de leurs voyages par des écrivains antiques comme le naturaliste romain Pline l’Ancien ou le géographe grec Strabon, on sait qu’existaient des cépages dénommés "Kaenkeme", d’un moelleux supérieur à celui du miel ; "Taniotique", blanc doux lui aussi onctueux ; "Shédeh", liquoreux très alcoolisé ; "Sébennythique", vin élaboré à partir de raisin et de résine de pin.

     Sans oublier le "Maréotique", blanc également doux originaire du lac Mariout, à l’ouest du Delta : la légende avance qu'il fut le préféré de Cléopâtre VII ...


     Indépendamment de tous ces vins blancs très prisés à la Cour, nous connaissons l’existence d’un rouge, apparemment assez puissant, vinifié à base de muscat noir.


     Pour le menu peuple, existait aussi un vin de dattes ou de palme et en circulaient d'autres, de qualité moindre, tel le "Paour", "piquette" que certains égyptologues considèrent d’ailleurs plus comme un vinaigre qu'utilisait lpharmacopée pour soigner diverses plaies que comme un vrai vin de consommation courante.


 

     Enfin, je terminerai ces propos introductifs en ajoutant que dans certaines formules d’offrandes se rencontre une nette distinction entre le vin "tout venant" palestinien et l’égyptien : 50 grappes de raisin ordinaire et mille grappes de raisin de l’Oasis.

 

     Ce qui donne à penser, amis visiteurs, que non contents d’en produire eux-mêmes pour leur besoins personnels ou pour la vente à l'étranger, les Égyptiens en importaient également.

 

 

    Grands consommateurs de vin les Égyptiens, laissait entendre Pascal Vernus dans l'exergue de ce matin ...

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

AUFRERE Sydney

Études de lexicologie et d'histoire naturelle, XVIII-XXVI, dans BIFAO 87, Le Caire, I.F.A.O., 1987, § XXIII (6) - "JP-WR ; P3-WR > Dém. PWR : "Vinaigre", pp. 36-9.

 

 

 

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, Louvain, 1988, OLA 31, pp. 259 sqq.

 

 

BARDINET  Thierry

Les papyrus médicaux de l'Égypte pharaonique, Paris, Fayard, p. 396. 

 

 


BRESCIANI  Edda

1996, Nourritures et boissons de l'Egypte ancienne, dans FLANDRIN J.-L/MONTANARI M (s/d), Histoire de l'alimentation, Paris, Fayard, 1996, pp. 61-72.

 

 

 

CAMINOS  Ricardo A.

Le paysan, dans DONADONI Sergio, L'Homme égyptien, Paris, Seuil, 1992, p. 29.

 

 

 

CHERPION  Nadine

Le "cône d'onguent", gage de survie, BIFAO 94, Le Caire, IFAO, 1994 : 79-107.

 

 

 

FAIVRE Colette

Le vin en Égypte antique, sur Blog "Passion égyptienne".

 

 

 

HEGAZY El-Sayed/MARTINEZ Philippe/ZIMMER Thierry
Une vigne divine sous le règne d'Aménophis II, Paris, Cahiers de Karnak IX, 1993, pp. 205-12.

 

 

 

HUGONOT Jean-Claude
Le jardin dans l'Egypte ancienne, Frankfurt am Main/Paris, Publications universitaires européennes, Série XXXVIII, Archéologie, vol. 27, 1989, p. 21.

 

 

 

POSENER Georges/SAUNERON Serge/YOYOTTE Jean
Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Hazan, 1959, pp. 140-1 ; 299-301.

 

 

 

REEVES Nicholas
À la découverte de Toutânkhamon, Paris, Editions Inter-Livres, 1995, pp. 202-3.

 

 

 

TALLET Pierre

Le shedeh : étude d'un procédé de vinification en Egypte ancienne, BIFAO 95, Le Caire, IFAO., 1995, pp. 459-92.

 

La cuisine des pharaons, Arles, Actes Sud, 2003, p. 105.

 

 

 

VANDIER  Jacques

Manuel d'archéologie égyptienne, Tome I. Les époques de formation, vol. 2. Les trois premières dynasties, Paris, Éditions Picard, 1988, p. 861-2. 

 

 

 

ZIVIE  Alain

Une "tombe des vignes" memphite, dans Thèbes aux 101 portes, Mélanges à la mémoire de Roland Tefnin, édités par Eugène Warmenbol & Valérie Angenot, Turhnout, Brepols, Association égyptologique Reine Élisabeth, 2010, pp. 185-9. 

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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 23:05

 

     Bizarrerie ! 

     Une de plus, avanceront certains qui, ayant encore en mémoire que la semaine dernière, nous terminions notre longue, minutieuse et intéressante, - à tout le moins, je l'espère pour vous, amis visiteurs ! -, exploration de l'immense et double vitrine 6, s'étonneront du titre donné à notre rendez-vous de ce mardi.

 

    Bizarrerie ? 

    En effet, si je devais m'en tenir à la logique mathématique, il eût aujourd'hui convenu que nous dirigions nos pas vers le septième meuble vitré de cette salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Or, je vous propose de me suivre vers le neuvième et dernier, celui qui se trouve juste avant la sortie vers la salle suivante.

 

 

 

 

SALLE 5 - VITRINE 9 : COMPLÉMENTS À ...

    

Bizarrerie dans mon chef ? 

    Que nenni ! Car ma logique à moi, ver de terre amoureux de l'étoile "Louvre" ; à moi, simple amateur qui s'offre parfois l'outrecuidance d'enfoncer, telles les abeilles des ruchers de l'Hymette leur dard, quelques perfides reproches dans le dos de ses "Maîtres" ; ma logique donc eût voulu que ce meuble cubique portât le numéro 7 pour les bonnes et tellement simples raisons qu'il procède du même thème que la vitrine 6 et qu'en outre, il en complète judicieusement certaines données.

 

    Bizarrerie dans le chef du Conservateur en charge de l'organisation de la salle ?

    Je le pense, oui, dans la mesure où, comme vous le découvrirez bientôt, les septième et huitième vitrines officielles participent d'une thématique nouvelle, alors que la neuvième ici devant vous reprend, pour en dévoiler des exemplaires naturels desséchés, une série de produits, des fruits essentiellement, dont certains furent évoqués quand nous détaillâmes de conserve une des étagères, côté Seine, de la vitrine en question.

 

Salle 5 - Bloc-vitrine 9

Salle 5 - Bloc-vitrine 9

 

     Bizarrerie pour bizarrerie, chacun, en toute logique, défendant son pré carré, je m'arroge aujourd'hui et le droit de vous faire découvrir, avant les septième et huitième, que nous n'envisagerons qu'à partir de la semaine prochaine, ce neuvième et ultime meuble vitré, ainsi que celui d'avoir le plaisir de réitérer mes remerciements les plus amicaux à Louvre-passion, ancien blogueur parisien qui, sur mienne requête, avait l'année dernière pris tous les clichés que je souhaitais.

 

      Même si certaines d'entre elles, vous vous en souviendrez peut-être, avaient déjà été insérées dans plusieurs de mes interventions quand nécessité s'en était présentée, je me contenterai aujourd'hui de vous offrir ces coupes en verre les unes après les autres aux fins que vous disposiez d'une vue générale des récipients alignés, et seulement assorties d'indications minimales car, bien évidemment, je ne vous obligerai pas à derechef écouter mes propos de 2014.  

Coupe 1 - Epi de blé poulard (E 11637)

Coupe 1 - Epi de blé poulard (E 11637)

Coupe 2 - Grains de blé poulard (E 2786)

Coupe 2 - Grains de blé poulard (E 2786)

Coupe 3 - Grains d'orge à six rangs (E 2787)

Coupe 3 - Grains d'orge à six rangs (E 2787)

Coupe 4 - Graines de légumineuses (E 14545)

Coupe 4 - Graines de légumineuses (E 14545)

Coupe 5 - Graines de ricin (AF 1861 - E 2792)

Coupe 5 - Graines de ricin (AF 1861 - E 2792)

Coupe 6 - Fruits du mimusops (N 1417)

Coupe 6 - Fruits du mimusops (N 1417)

Coupe 7 - Fruits du balanite (arbre-ished)

Coupe 7 - Fruits du balanite (arbre-ished)

Coupe 8 - Noyau de fruits du balanite (arbre-ished) ayant été grignotés par des rongeurs.

Coupe 8 - Noyau de fruits du balanite (arbre-ished) ayant été grignotés par des rongeurs.

Coupe 9 - Fruits divers (E 14574)

Coupe 9 - Fruits divers (E 14574)

Coupe 10 - Grenades (E 10747 et E 10748)

Coupe 10 - Grenades (E 10747 et E 10748)

Coupe 11 - Grenades (N 1474)

Coupe 11 - Grenades (N 1474)

Coupe 12 - Noix de palmier-argun (E 2789)

Coupe 12 - Noix de palmier-argun (E 2789)

Coupe 13 - Noix de palmier-doum

Coupe 13 - Noix de palmier-doum

Coupe 14 - Figues de sycomore (N 1416)

Coupe 14 - Figues de sycomore (N 1416)

Coupe 15 - Dattes et noyaux de dattes (N 1418)

Coupe 15 - Dattes et noyaux de dattes (N 1418)

Coupe 16 - Raisins (E 2791)

Coupe 16 - Raisins (E 2791)

Coupe 17 - Oignons (N 1410), dont l'un d'eux porte des traces de dorure.

Coupe 17 - Oignons (N 1410), dont l'un d'eux porte des traces de dorure.

Ombelles de papyrus (n° 18)

Ombelles de papyrus (n° 18)

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8 juin 2015 1 08 /06 /juin /2015 23:05

 

 

 "... on ne sait pas le nombre des oies. Elles sont là en incarnation des ennemis et grillent sur les autels."

 

 

 

Philippe DERCHAIN

 

De l'holocauste au barbecue - Les avatars d'un sacrifice 

 

Göttinger Miszellen 213

Göttingen, Georg-August Universität, 2007

pp. 19-22

 

 

 

     Voici venu le temps, amis visiteurs, quelque peu nostalgique, de porter aujourd'hui un dernier regard à cette très prolifique vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre qui tant nous apprit depuis le 12 novembre 2013, déjà.

 

     Celui aussi du regret d'accompagner mon dernier propos d'un petit monument

 

SALLE 5 - VITRINE 6, CÔTÉ SEINE : 32. DES OIES ET DES DIEUX ....

 

qui semble tellement laissé pour compte, tellement déconsidéré, même pas arrimé, simplement déposé contre la paroi médiane, insignifiant dans ce coin à l'extrême-gauche de l'armoire vitrée, - parce qu'il fallait bien le mettre quelque part, je présume -, en retrait par rapport au magnifique bas-relief des offrandes que nous avons admiré de conserve mardi dernier ; et "effacé" dans la mesure où aucun cartel n'en définit l'origine, n'en précise le numéro d'inventaire et où la grande notice explicative sur une feuille format A-4 glissée à ses pieds, que nous aurions pu espérer le concerner, las ! se rapporte en réalité à son prestigieux compagnon de vitrine ...

SALLE 5 - VITRINE 6, CÔTÉ SEINE : 32. DES OIES ET DES DIEUX ....

     Espérant quelque peu, comme Proust l'écrivait de la nature, faire "de la lumière avec de l'obscurité" et jouer "de la flûte avec le silence", je m'autorise deux mots néanmoins pour ne point le laisser ainsi nu, devant vous ...

 

    Approximativement d'une trentaine de centimètres de hauteur, il corrobore le fait qu'il fut comme son voisin immédiat arraché à deux registres superposés d'une paroi murale, voire à un troisième, en dessous. 

     Toutefois, ici, ce n'est plus une ligne de séparation en léger relief qui délimite les différentes parties, mais un large creux horizontal peint en noir, à tout le moins pour celui du dessus.

 

     Ce qui subsiste du niveau supérieur laisse entrevoir la présence de deux hommes de taille considérablement réduite, agenouillés, tournés vers la gauche faisant, d'après la position des mains du second d'entre eux, offrande à un défunt qui, comme souvent dans ce type de composition, se trouvait un peu plus loin devant eux. 

 

     Je viens de souligner qu'ils étaient tournés vers la gauche, soit vers le propriétaire de la tombe, assis en taille héroïque, contemplant ses biens, soit, dans certains autres cas, vers la stèle fausse-porte, au pied de laquelle avait été posée la table d'offrandes aux fins de recevoir les denrées dont le défunt aurait besoin pour se sustenter dans l'Au-delà ; "porte" que seul il serait censé franchir pour sortir au jour.

 

     Ces deux personnages, parce que le regard dans cette direction, prouvent que la scène dont ils ont été arrachés se situait sur la paroi de droite en entrant dans la chapelle funéraire, c'est-à-dire sur le mur nord.

 

 

     Plus "prolixe", le registre inférieur propose, dans sa portion droite, quelques aliments carnés dans lesquels vous reconnaîtrez la tête d'un bovin, le "traditionnel" khepech, patte antérieure droite de l'animal, et une volaille, le tout gravé en relief dans le creux.

 

     Quant à la moitié gauche, elle est entièrement habitée par un vase de dimensions bizarrement démesurées par rapport aux autres éléments, maintenu sur un support et qu'enlace une tige de fleur de lotus - symbole de renaissance par excellence -,  tel que parfois l'on en voit sous le plateau des tables à pied central devant laquelle sont assis les défunts, quand la place manque à l'artiste pour les représenter à côté.

     S'il en existe de différents types, tous ont pour finalité de permettre au propriétaire de la tombe de procéder aux ablutions et libations rituelles qui précèdent ses repas.

 

     Mais il se pourrait aussi, supposition parfaitement plausible, que ce soit un vase contenant une boisson quelconque, bière ou vin : il ferait alors partie intégrante des offrandes alimentaires post mortem

 

 

     A défaut de notice officielle, fort de ces précisions ou supputations de ma part, ce monument "oublié", ou plutôt le volatile qu'il donne à voir, me tiendra lieu ce matin de prétexte pour consacrer notre ultime rendez-vous à l'oie, animal d'importance tellement grande aux yeux des Égyptiens qu'il eut, à l'instar d'autres certes, d'étroits rapports avec les dieux.

     C'est donc sous l'éclairage particulier de la symbolique théologique de l'oie que je terminerai aujourd'hui, amis visiteurs, notre introspection des deux côtés de la haute vitrine 6.   

 

     Vous souvenez-vous des scènes d'holocauste relatées par feu l'égyptologue belge Philippe Derchain qu'affichent, avec quelques différences de phrasé mais avec le même esprit quant au sujet à développer, les sanctuaires ptolémaïques d'Edfou et de Dendera, tableaux auxquels j'avais fait allusion le 31 mars dernier alors que j'évoquais le morceau de viande grillée exposé sur l'étagère ici devant vous ? 

 

     Si, à l'époque, je vous avais fourni la traduction du texte hiéroglyphique qui, gravé sur les parois de l'escalier accédant au kiosque aménagé sur le toit du temple de Dendera, accompagnait une procession de porte-enseignes et de différents prêtres, menée par le roi et la reine censés présenter les divinités des lieux au soleil du Nouvel An, j'ai plutôt souhaité ce matin vous proposer en guise d'exergue celle du passage gravé dans le temple d'Edfou qui, comme vous ne l'ignorez certainement pas, est voué au dieu Horus.

 

    Pour l'heure, il m'intéresse de vous rappeler l'allusion manifeste notée dans les deux temples à des oies grillant sur des autels, parce qu'incarnations des ennemis de l'Égypte et, plus spécifiquement, comme le précise la glose que l'artiste a ajoutée, de la déesse Sekhmet, en vue d'en apaiser la vindicte ; vindicte dont j'avais expliqué tenants et aboutissants les 26 août et 2 septembre 2013.

 

     Peu ou prou en rapport avec la déesse Sekhmet, donc ; avec aussi, je l'ai tout récemment souligné, avec Geb et Nout, sa parèdre, mais encore, vous allez le constater, avec trois autres divinités du panthéon égyptien, et non des moindres puisque la première n'est autre qu'Amon, le dieu tutélaire thébain.

 

     Différents types de documents nous apprennent que depuis au moins le Moyen Empire, mais surtout à l'époque ramesside (Nouvel Empire), l'oie du Nil, - "alopochen aegyptiacus", préciserait le savant Brichot, ! -, l'oie "sémen", donc, fut considérée comme animal sacré d'Amon, au point que des statues furent mises au jour, parfois sarcophages, parfois creuses aussi, comme celle, (E 26020 - © Ch. Décamps), si élégante, en bronze et cartonnage, de Basse Époque

 

SALLE 5 - VITRINE 6, CÔTÉ SEINE : 32. DES OIES ET DES DIEUX ....

 

que vous n'aurez malheureusement pas l'opportunité d'admirer sur son socle de bois dans la vitrine 1 de la salle 19 tout à l'heure, après notre entretien, puisque, telles les Muses du célèbre tableau de Gustave Moreau qui quittent Apollon, leur père, pour aller éclairer le monde, elle et d'autres membres du bestiaire de ce département du Louvre parisien migrèrent vers l'exposition de Lens l'hiver dernier pour, ce printemps, s'envoler vers l'Espagne, à Madrid d'abord, à Barcelone ensuite, jusqu'en janvier 2016 ...

 

     Je pense aussi à d'autres statues d'oies offertes en ex-voto à Amon par des artisans du village de Deir el-Médineh dont le texte les accompagnant cantonnait le dieu dans le rôle de protecteur des malheureux

     Je pense également à ces cinq oies que Victor Loret exhuma, momifiées, en 1905, rituellement sacrifiées en vue de faire partie du dépôt de fondation du temple funéraire de Thoutmosis III.

     Je pense enfin à ces nombreuses stèles sur lesquelles elles  furent représentées, définies par cette appellation claire, - comme "d'origine contrôlée" : parfaite oie sémen d'Amon.

 

      Nonobstant l'importance de ces exemples datant tous du Nouvel Empire et des époques historiques qui suivirent, je voudrais attirer votre attention, amis visiteurs, sur certains passages des Textes des Pyramides (Ancien Empire, donc) qui, non seulement soulignent la divinisation de l'animal mais aussi l'associent au souverain défunt en le comparant à une oie  ou à un faucon qui s'envole vers le ciel.

     Ainsi, cet extrait (§ 463 a et b) :

 

     (Si) Oupouaout a fait s'envoler Ounas vers le ciel parmi ses frères les dieux, c'est qu'Ounas s'est servi de ses mains comme une oie sémen de ses ailes (et) qu'Ounas a battu de l'aile comme un milan.

 

     Sans oublier que dans les Textes des Sarcophages (Moyen Empire, donc), l'on peut lire que le défunt se transforme en oie !

    Ainsi cet autre extrait (Formule 23) :

 

    Transformation en oie sémen. J'ai volé en qualité de dieu grand. J'ai jargonné en qualité d'oie sémen.

 

    Et là, vous comprenez qu'oie et faucon sont unis ; entendez : Amon et Horus. Voilà donc un deuxième grand dieu du panthéon égyptien auquel l'oie peut être associée.

 

    Quant au troisième, il s'agit de Seth : les ennemis de l'Égypte, l'ennemi d'Osiris, c'est lui, le dieu mauvais par excellence, pour lequel l'on sacrifie l'oie en la grillant en holocauste sur des autels.

     Le même sacrifice faisait partie, je le rappelle au passage, de la cérémonie funéraire de l'Ouverture de la bouche mais aussi du rituel de fondation de temples : aux yeux de la population égyptienne, l'oie était immolée en tant que représentation symbolique de ce dieu qui avait dépecé son frère et auquel il était parfaitement admis d'infliger le même sort en guise de punition !  

 

    Pour terminer, j'ajouterai qu'elle ne fut évidemment pas la seule soupçonnée en tant qu'animal séthien, donc pas la seule à faire l'objet de sacrifices, puisque à Basse Époque plus spécifiquement, l'on  trouve à ses côtés crocodiles, tortues, hippopotames, ânes et ... cochons.

 

     Mais ceci est une autre histoire, déjà connue ...

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

CARRIER Claude, Textes des Pyramides de l'Égypte ancienne, Tome I, Textes des Pyramides d'Ounas et de Téti, Paris, Éditions Cybele, 2009, pp. 166-7.

 

 

 

DERCHAIN Philippe, De l'holocauste au barbecue - Les avatars d'un sacrifice, dans Göttinger Miszellen 213, Göttingen, Georg-August Universität, 2007, pp. 19-22.

 

 

PROUST  Marcel

Contre l'obscurité, dans Écrits sur l'art, Paris, Garnier Flammarion n° 1053, 1999, p. 98.

 

 

ID. , John Ruskin, dans Écrits sur l'art, Paris, Garnier Flammarion n° 1053, 1999, p. 105.

 

 

VANDIER  Jacques, L'oie d'Amon. À propos d'une récente acquisition du Musée du Louvre, dans Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, Tome 57, 1971, pp. 5-41. 

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