La Crypte du Sphinx à notre horizon ?
Encore ?, s'exclameront vraisemblablement ceux parmi vous, amis visiteurs qui, voici quelques semaines maintenant, n'eurent les yeux de Chimène que pour le colosse hybride trônant en son centre.
Louvre - Crypte du Spinx et escalier menant au Département des Antiquités égyptiennes (© René Lefébure - httpwww.blog-crm.frexposes-etudiantsle-commerce-virtuel)
Après ces parenthèses historico-archéologiques nous expliquant, l'une les prémices de la création du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, une autre, l'origine de ses collections et une dernière attirant notre attention sur l'élaboration des cartels portant les numéros de la plupart des pièces exposées, indiqués au sein des inventaires qui se sont succédé avec le temps, n'étions-nous pas en droit d'enfin gravir l'imposant escalier de gauche nous permettant au plus vite d'accéder aux autres "trésors" égyptiens que nous avons hâte de découvrir ?
Certes, oui, répondrais-je à ceux qui exprimeraient véhémentement leur déception, voire leur irritation. Mais ce serait sans prendre en compte mon bon plaisir d'appliquer une consigne que vous ne devriez plus ignorer, tant je vous rebats les oreilles depuis bientôt dix ans : apprenons à regarder et pas simplement à voir, en condescendant un œil vite lancé vers un ailleurs.
Examinez attentivement, voulez-vous, le cliché très particulier que je vous propose pour entamer notre présente rencontre : n'y a-t-il pas là quelque chose qui vous aurait précédemment échappé ? Quelque chose devant lequel, obnubilé par l'indiscutable majesté du Sphinx, vous êtes passés sans même accorder la moindre once de sollicitude.
"Bon sang, mais c'est bien sûr !"
Tout à l'entrée, les dernières marches gravies, contre les murs latéraux, avant le Sphinx, donc,
à gauche comme à droite, posés sur un socle chacun derrière une solide protection de verre, deux bas-reliefs de plus ou moins 150 cm de long et 110 de haut, en calcaire originellement polychrome, seraient en droit de solliciter votre intérêt.
Cette paire de monuments faisant tous deux état d'une scène dans laquelle Ramsès II offre de l'encens au dieu Harmachis, "Horus de l'Horizon", en fait une des formes du dieu solaire sous l'aspect d'un sphinx, entra au Louvre au sein de l'achat des quelque 4 000 antiques dont, rappelez-vous, le consul général britannique au Caire, Henry Salt, cherchait à se dessaisir ; pièces amplement admirées à Livourne par Champollion et qu'en définitive, en partie grâce à lui, le roi Charles X avait consenti d'acquérir en 1826.
D'où cette crypte qui leur fut un jour dévolue par un Conservateur qui eut la bonne l'idée de rassembler ce qui se ressemblait.
Mais avant que de conserve, la semaine prochaine, nous nous en approchions pour les examiner aux fins d'en décrypter le sens, j'aimerais simplement aujourd'hui vous narrer l'histoire de leur découverte.
Reportons-nous exactement deux siècles en arrière. Nous sommes en 1817 : au service du consul Henry Salt que vous venez de croiser, nous trouvons l'ex-capitaine Giovanni Battista Caviglia (1770-1845), Génois passionné d'archéologie, qui fouille sur le plateau de Gizeh, notamment au niveau du Sphinx, toujours partiellement ensablé à cette époque, ainsi que l'a immortalisé un dessin de Dominique-Vivant Denon qui, je le rappelle incidemment, accompagna Bonaparte en Égypte.
Sphinx ensablé - Dessin de Denon (© https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sphinx_de_Gizeh_par_Dominique_Vivant_Denon.jpg)
En effet, et depuis la fin de l'Antiquité, son corps, comme le reste du site d'ailleurs, avait été, au fil des siècles, de plus en plus enseveli sous les sables avec lesquels s'ébrouaient les vents du désert.
La fin de l'Antiquité ?
En fait, très exactement depuis que furent éradiqués les cultes locaux jugés païens par l'empereur romain Théodose qui, au IVème siècle de notre ère, imposa le christianisme à l'ensemble de son empire, dont l'Égypte, depuis la mort de Cléopâtre VII, faisait partie intégrante.
Bien évidemment, le côté positif de cette particularité climatique fut que le monument taillé dans le roc demeura intact jusqu'à ce que les archéologues du XIXème siècle mirent sur pied les premières campagnes de fouilles et ce, contrairement aux pyramides elles-mêmes qui, dans une certaine mesure, - je devrais plutôt dire "démesure", - servirent de carrières pour la construction, dès le VIIème siècle, de bon nombre des premières habitations cairotes.
Pour en terminer avec "Abu'l Hol", "Le Père la Terreur", - ainsi que le nomment les Arabes -, permettez-moi d'encore préciser un point important de manière à mettre un terme à diverses légendes ou allégations, - de celles que rapportent certains guides fort peu scrupuleux de respecter la vérité historique - : non, le nez cassé du sphinx ne fut pas le résultat d'un acte haineux perpétré par les Mamelouks qui gouvernaient le pays au XIVème siècle ; pas plus que celui de coups de canon qu'auraient tirés sur l'énigmatique tête les soldats de Bonaparte quatre siècles plus tard ; et encore moins celui de son escalade par ce cher Obélix qui souhaitait ainsi bénéficier de la vue "panoramix" sur le plateau de Gizeh !
L'étude complète du monument publiée en 1991, dans sa thèse de doctorat, par l'égyptologue nord-américain Mark Lehner prouve en réalité que le visage présente des traces très nettes de destruction par outils à une époque qui se situerait entre les IIIème et Xème siècles de notre ère : toutefois, leur origine demeure nébuleuse.
Après ce petit excursus, retrouvons Caviglia entreprenant de dégager l'imposant monument en creusant une première tranchée, profonde d'une vingtaine de mètres, qui l'amena jusqu'à l'épaule nord. Puis, de là, il descendit jusqu'au rocher matérialisant le sol sur lequel il repose : pour la première fois depuis des millénaires, une partie du corps proprement dit était ainsi remise au jour.
Le Gênois poursuivit ses investigations, déblaya les pattes antérieures qui dissimulaient entre elles un petit sanctuaire à ciel ouvert dont le mur du fond était constitué d'un imposant bloc de granite rose de 3, 61 mètres de hauteur, - demeuré in situ -, et que les égyptologues nomment "Stèle du Songe" parce qu'y est gravé un texte dans lequel Thoutmosis IV, alors qu'il n'était encore que prince d'un rang relativement éloigné dans l'ordre de succession au trône, évoquait un rêve qu'il aurait fait un jour qu'il se serait reposé à cet endroit, après une chasse dans le désert, - texte évidemment de circonstance destiné à légitimer son accession à la puissance suprême - : le dieu Horemakhet, (Harmachis, selon les Grecs), lui aurait ainsi promis la gouvernance du pays s'il parvenait à l'extirper de sa gangue de sable.
Plus intéressant pour mes futurs propos : contre les pattes de l'animal lithique, Caviglia remarqua, posés chacun sur un muret de manière à former les côtés latéraux du petit sanctuaire, les deux bas-reliefs désormais exposés ici à l'entrée de la crypte du Louvre ... et auxquels il me siérait d'accorder une attention toute spéciale mardi 24 octobre prochain, juste avant de vous offrir de bienvenues vacances scolaires belges, dites de Toussaint.
BIBLIOGRAPHIE
FIECHTER Jean-Jacques, La moisson des dieux. Constitution des grandes collections égyptiennes (1815-1830), Paris, Julliard, 1994, passim.
ZIVIE-COCHE Christiane, Sphinx ! le Père la Terreur, Paris, Editions Noêsis, 1997, passim.