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17 janvier 2009 6 17 /01 /janvier /2009 00:00

     A nouveau sur la panse d'un vase retrouvé à Deir el-Medineh, ce poème - fort fragmentaire, d'où les lacunes ici sous forme de "..."  - caractérisé par une anaphore.

Si seulement j'étais la Nubienne
Qui est sa suivante,
Alors on irait lui chercher
... des mandragores ...
Il serait dans sa main pour qu'elle hume;
Ce qui veut dire qu'elle me présenterait
La carnation de tout son corps.


Si seulement j'étais le foulon du linge
De l'Aimée, ne serait-ce qu'un mois ! 
Je prospérerais en ...
... qui auraient été en contact avec son corps.
Et, de plus, c'est moi qui laverais
Les huiles qui sont sur son foulard.
Je frotterais mon corps avec ses vêtements d'apparat
...
J'en serais réjoui, et mon corps rajeuni ...


Si seulement j'étais le petit anneau
Qui est le compagnon de son doigt,
Je contemplerais son amour chaque jour !
...
Je m'emparerais de son coeur.


Si seulement j'étais le matin
Afin de contempler comment elle passe son temps !
...
Son miroir est joyeux
Car c'est vers lui qu'elle porte le regard.


Si seulement je disposais de l'Aimée quotidiennement (...)
Elle serait à moi quotidiennement,
Comme verdoient les couronnes
Et les fleurs de toutes sortes qui poussent dans les prés.
... tout entière.


Si seulement elle venait à moi pour me voir
...
Je célébrerais des fêtes pour le dieu
Afin qu'il l'empêche de s'éloigner,
Et qu'il me donne la dame quotidiennement,
Sans qu'elle se sépare de moi.



(Traduction d'après Pascal VERNUS : 1993, 90-1)  

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20 décembre 2008 6 20 /12 /décembre /2008 00:00

 
     Avant de prendre congé de 2008, mais aussi de vous, ami lecteur; avant de vous souhaiter de très heureux réveillons, et d'excellentes vacances; avant de vous adresser à toutes et à tous mes voeux les plus amicaux pour une année 2009 la plus coruscante possible; et avant de vous donner rendez-vous le mardi 6 janvier prochain, je voudrais, en guise de présent de fin d'année, vous offrir, toujours poursuivant le cycle du Papyrus Chester Beatty I qui commence à vous être maintenant familier, un poème à placer une nouvelle fois dans la bouche de l'Aimée :

Si seulement tu te hâtais de venir auprès de la "soeur",

Comme le messager du roi qui se hâte,
Tandis que son maître a l'esprit occupé par l'attente de son message,
Et par le désir de l'entendre.
Toutes les écuries sont équipées pour lui,
Des chevaux sont à sa disposition au relais,
Le char se trouve attelé à sa place.
Pas question pour lui de flâner en chemin.
Sera-t-il parvenu à la maison de la "soeur"
Que son coeur deviendra joyeux.

Si seulement tu te hâtais de venir auprès de la "soeur"
Comme le cheval du roi,
Le meilleur de tous les destriers,
Le premier des écuries.
Il est l'objet d'une attention particulière dans sa nourriture.
Son maître reconnaît son pas.
S'il entend le son de la cravache, 
Il ne saurait se traîner.
Pas un des meilleurs parmi les contingents de guerriers,
Qui le maîtrise.
Qu'il est expert, le coeur de la "soeur", à se rendre compte
De ce que l'Aimé n'est pas éloigné de la "soeur".

Si seulement tu te hâtais de venir auprès de la "soeur"
Comme une gazelle bondissant sur le plateau désertique.
Ses pattes se meuvent, son corps s'épuise,
La crainte est entrée en son corps,
Un chasseur est à sa poursuite, un chien avec lui.
Ils n'ont pas découvert sa trace;
Comme un fourré elle considère un relais;
Comme un chemin elle utilise le fleuve.
A peine parviens-tu à son portique
Qu'on baise ta main à quatre reprises.
Tu devras te mettre à la poursuite de l'amour de la "soeur",
C'est la Dorée qui te l'a assignée.

(D'après la traduction de Pascal Vernus : 1993, 69-70


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13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 00:00


     Provenant du Papyrus Harris 500 dont je vous avais déjà proposé un extrait le 29 juin dernier, ces paroles à placer dans la bouche de l'Aimée :  


Mon coeur est en accord avec moi

Je veux faire te concernant ce qu'il désire

"Je suis dans tes bras" est l'aspiration

Qui met du fard sur mon oeil.

Te voir illumine mes yeux

Quand je me trouve à ton contact,

De par la contemplation de tes attraits.
Héros de mon coeur !
Qu'elle est belle mon heure !
Si seulement l'heure se trouvait être l'éternité
Quand je suis allongée avec toi !
Reprends-toi, mon coeur,
Dans la peine ou dans la joie,
Ne m'abandonne pas !


(D'après la traduction de Pascal Vernus : 1993, 81-2)

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6 décembre 2008 6 06 /12 /décembre /2008 00:00

 

     Et la suite, toujours par la voix de l'Aimée, du poème  que je vous ai proposé samedi dernierinscrit sur le Papyrus Chester Beatty I.

 

 

Comme je passais pour le voir près de sa maison,

J'ai trouvé sa porte ouverte,

Et l'Aimé debout à côté de sa mère,

tous ses frères et soeurs avec lui.

L'amour de lui saisissait le coeur

De tous ceux qui passaient sur le chemin,

(Lui), le jeune homme excellent, sans égal, l'Aimé à la personnalité d'exception.

Il a porté le regard vers moi quand je passais.

J'étais seule pour jubiler.

Que mon coeur était réjoui d'allégresse,

Aimé, quand je t'ai vu !

Ah si ma mère connaissait mon sentiment,

Elle se ferait à l'idée à l'instant !

La Dorée, ah donc, mets cela dans son coeur.  (*)

Alors, j'irai vers l'Aimé,

Et je l'embrasserai devant ses familiers.

Je ne me soucierai pas des gens,

Je me réjouirai de ce qu'ils comprennent

Que tu me connais.

Je veux célébrer une fête pour ma déesse.

Mon coeur a sauté jusqu'à se trouver hors position,

Pour faire que j'aperçoive l'Aimé cette nuit.

Que c'est bon, ce qui s'est passé ...

 

(D'après la traduction de Pascal Vernus : 1993, 67-8)

 

 

 

(*) La Dorée = désignation fréquente de Hathor, déesse de l'amour.

 

"Mets cela dans son coeur" signifie ici : "Fais comprendre à ma mère que je l'aime". 

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29 novembre 2008 6 29 /11 /novembre /2008 00:00

 

     Toujours du Papyrus Chester Beatty I dont, précédemment, ami lecteur, je vous ai déjà proposé quelques extraits, voici une stance révélant, cette fois, les sentiments de l'Aimée.

 

 

Il est prompt à se dérober, mon coeur,

Quand je pense à l'amour que j'ai pour toi.

Il ne me permet pas de marcher comme tout le monde.

Il a sauté hors de sa place.

Il ne me permet pas de prendre ma tunique.

Je ne revêts plus mon châle,

Je ne mets plus de fard à mes yeux.

Je ne me parfume même plus.

"Ne reste pas sans rien faire, et rends-toi à la demeure de l'Aimé",

Me dit-il chaque fois que je pense à lui.

Ne fais pas avec moi - mon coeur - l'insensé !

Tu fais le sot. Pourquoi ?

Reste calme. Car quand vient à toi l'Aimé,

De nombreuses personnes font de même !

Ne fais pas que les gens disent à mon sujet :

"Une femme égarée d'amour !"

Sois ferme chaque fois que je pense à lui.

Mon coeur, ne te dérobe pas !

 

 

(D'après la traduction de Pascal Vernus : 1993, 66)

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22 novembre 2008 6 22 /11 /novembre /2008 00:00

     Me permettez-vous, ami lecteur, de quelque peu abandonner Jean-François Champollion devant le temple d'Abou Simbel où nous l'avions quitté samedi dernier afin de reprendre aujourd'hui le fil conducteur de cette rubrique consacrée à la littérature égyptienne, à savoir la poésie amoureuse ? 

     Vous vous souvenez peut-être de ce poème que je vous avais donné à lire au tout début du mois de juillet ? Et que, pour notre plaisir à tous, je reprends ci-après :

Il y a sept jours hier que je n’ai pas vu l’Aimée.
La maladie s’est introduite en moi,
Au point que je me trouve dans un état où mon corps est lourd,
Et que je perds conscience de moi-même.
Si les médecins venaient à moi,
Leurs remèdes ne m’apaiseraient pas.
Les prêtres ritualistes, guère d’issue par leur entremise.
On ne peut identifier ma maladie.
Il n’y a que le fait de me dire " La voici !" qui me guérisse.
Il n’y a que son nom qui me soulage.
Il n’y a que les allées et venues de ses messages qui guérissent mon coeur.
Plus utile pour moi l’Aimée que quelque remède que ce soit.
Elle est plus efficace pour moi que le corpus médical.
Mon salut serait qu’elle entre du dehors.
Je la verrais, et alors je retrouverais la santé.
Ouvrirait-elle son oeil que mon corps se revigorerait.
Elle parlerait, et alors je reprendrais force.
Il me faudrait l’embrasser afin qu’elle écarte de moi le mal.
(Mais) cela fait sept jours qu’elle m’a laissé !
 

(Traduction Pascal Vernus : 1993, 68-9)


     Dans la même optique que ce mal d’amour que connaît le jeune homme en l’absence de sa belle, il arrive que lui aussi use de rouerie pour l’attirer à lui .
 
C’est ce que nous apprend ce très court poème, extrait du Papyrus Harris 500 :

 

 

Je me coucherai chez moi,
et je ferai semblant d’être malade.
Lors, mes voisins entreront pour me voir,
et l'Aimée viendra avec eux;
Elle rendra les médecins ridicules,
car elle connaît mon mal.


(Traduction Bernard Mathieu : 2001, 9)

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5 septembre 2008 5 05 /09 /septembre /2008 23:00

     Le temps ne fut pas véritablement favorable en ces deux mois d'été belge, et guère plus, m'a-t-il semblé, dans certaines régions de France ...  

     Aussi, ai-je songé à vous proposer aujourd'hui, ami lecteur, afin de quelque peu conjurer le triste sort climatique qui est trop souvent le nôtre et, peut-être, d'inciter septembre à nous être plus clément, de découvrir un monument de la littérature égyptienne : le célèbre "Hymne à Aton" que l’on attribue à la plume, au calame devrais-je plutôt écrire, du pharaon Aménophis IV/Akhenaton.

     Il existe en fait, pour être précis, deux invocations au dieu Aton : celle que les égyptologues nomment "Grand Hymne à Aton", dont nous ne possédons qu'une seule occurrence et celle appelée "Petit Hymne à Aton", poème nettement moins développé que le précédent mais qui, indubitablement, fut sa première version et en constitua même les prémices. Du petit hymne, nous dénombrons actuellement au moins cinq exemplaires, gravés à Amarna, dans les tombes de certains hauts fonctionnaires : Méryrê I, Toutou, Mahou, Apy et Any.  

     Découvert à la fin du XIXème siècle dans la même nécropole amarnienne, le "Grand Hymne" que je vous donne à lire ci-après fut gravé en 13 colonnes sur l’embrasure ouest de la porte du tombeau du pharaon Aÿ, un des successeurs d'Aménophis IV, peut-être même, selon certains égyptologues, son beau-père : c'est l'unique version que nous en ayons.

     La structure du texte laisse supposer une métrique bien établie : il était donc, pour le dire simplement, écrit en vers et très probablement, en tant que texte liturgique, destiné à être récité, voire peut-être même chanté, à tout le moins psalmodié lors des cérémonies du culte dans les temples de la nouvelle capitale Akhetaton (Horizon d’Aton), construite ex nihilo sur la rive droite du Nil, en Moyenne Egypte et dédiée au Disque solaire; capitale qui nous est plus familière sous le nom de Tell el-Amarna.

     Deux thèmes prédominent : le cycle quotidien du Soleil et la Révélation du dieu à son "fils" Akhenaton (Celui qui est favorable à Aton).
 
     Contrairement à ce que l'on peut parfois lire chez certains romanciers à succès, l'hymne n'était pas prononcé par le roi tout à la fois mystique et poète, mais par un courtisan zélé, Aÿ donc, qui excipe de son loyalisme politique en faisant graver dans sa tombe un texte à la gloire de la doctrine nouvelle instaurée par le souverain.

     Il s'adresse en fait à trois personnes : au dieu Rê-Horakhty, en premier lieu, dont Aton, l'"Astre vivant", constitue l'évidente manifestation; à Pharaon lui-même, ensuite; à  Nefertiti enfin, qui, selon le désir de son époux, fut toujours intimement associée à toutes les étapes du pouvoir pharaonique. Dès lors, volonté idéologique affirmée, la louange divine se trouve ici de fait consubstantielle à l'éloge en faveur de la famille royale.

     Et pour continuer à rétablir la vérité historique, très éloignée de la facilité des thèses romanesques, j'ajouterai que ce que prôna Aménophis IV, et que l'on appelle souvent monothéisme, n'est en rien une nouveauté en Egypte : d'autres pharaons avant lui s'étaient déjà essayés à cette sorte d'hénothéisme en tentant d'amoindrir le clergé d'Amon et en favorisant les croyances solaires de la ville d'Héliopolis : Hatchepsout, par exemple, confiera au dieu héliopolitain Atoum, dieu créateur, dieu primordial devenu une des formes du dieu soleil Rê, des prérogatives qui, jadis, étaient réservées au seul dieu Amon. C'est ainsi que dans son temple funéraire, à Deir el-Bahari, elle fera représenter la classique scène du couronnement avec Atoum et non Amon, comme il eut mieux convenu. Thoutmosis III, son successeur, appellera Atoum le "Maître des Deux-Terres" (= de l'Egypte), et non d'Héliopolis seule. Aménophis II, après lui, fera construire un temple près du sphinx de Guizeh dédié au dieu soleil Harmachis (Hor-em-akhet, Horus de l'Horizon. Revoir à ce sujet précis la fin de mon article du 30 mars dernier et les explications que j'avais données des signes hiéroglyphiques qui s'y rapportent). Thoutmosis IV, rappelez-vous, ami lecteur, j'y avais fait allusion dans ce même article à propos de la "Stèle du Songe" et de la promesse d'être couronné que le dieu, sous forme de sphinx, lui aurait faite s'il le désensablait, fera graver un scarabée de pierre avec le nom d'Aton dont le texte précisait qu'il protège le roi

     Enfin, sous le règne d'Aménophis III, le propre père d'Akhenaton, Aton deviendra un des noms du soleil, au même titre que Khepri, soleil du matin, Rê, soleil de midi et, Atoum soleil du jour déclinant. Il n'est d'ailleurs pas anodin, dans cette perspective, de noter que ce souverain donna le nom de "Splendeur d'Aton" tout à la fois à son palais, à son bateau royal ainsi qu'à une unité militaire.

     Dès lors, Akhenaton, son fils, n'aurait que radicalisé ce qui était en gestation depuis plus d'un siècle. Toutefois, ce qui se révèle comme totalement neuf avec lui, c'est sa détermination à politiser la religion : avec le système qu'il met en place, Akhenaton devient l'unique détenteur de la Connaissance; Aton, le Disque solaire, principale manifestation visible du divin, n'étant en rien un interlocuteur pour l'homme car, à la différence des précédents dieux, anthropomorphes et/ou zoomorphes, Aton lui n'est représenté que par l'image du soleil, aveuglante pour l'homme. 

     En outre, comme son nom, celui de son épouse et de leurs enfants, Akhenaton fit graver à même la pierre le nom divin à l'intérieur de cartouches.

     Enfin, si preuve il fallait encore de la politisation de la religion, je terminerais en faisant remarquer que les seules figures de culte subsistant sont les effigies des membres de la famille royale, Akhenaton et Nefertiti en tête !

     Dès lors, peut-on encore à ce stade légitimement évoquer une quelconque "révolution amarnienne", une prétendue révolution religieuse ?  Ne serait-il pas plus correct d'employer les termes de royale manipulation ?

     A vrai dire, manipulation et religion ont toujours été, dans l'Histoire, fort proches. Non ?

     Mais ceci est un autre débat. Qui nous éloignerait considérablement de mon propos du jour : vous faire découvrir un texte de toute beauté, qui a traversé les âges et dont certains, après l'Egypte, se sont fortement inspirés pour créer l'un ou l'autre psaume ...               

 


Adoration de Rê-Horakhty qui exulte dans l’horizon,
En son nom de Shou qui est dans le Disque, qu’il vive toujours et à jamais !
Le grand Disque vivant qui est en fête sed, seigneur de tout ce dont le disque fait le tour,
Seigneur du ciel et seigneur de la terre, seigneur de la Maison d’Aton au sein d’Akhetaton.

Par le roi de Haute et Basse-Egypte qui vit de maât,
Le seigneur du Double-Pays, Neferkheperourê-Ouaenrê,
Le fils de Rê qui vit de maât,
Le seigneur des couronnes, Akhenaton, à la longue existence.

Et par la grande épouse du roi,
Sa bien-aimée, la maîtresse du Double-Pays,
Neferneferouaton Nefertiti,
Qu’elle soit vivante et jeune toujours et à jamais !



I.

Il dit : Quand tu poins magnifique à l’horizon du ciel,
Disque vivant, premier à vivre,
Brillant à l’horizon d’Orient,
Toute terre est par toi emplie de ta beauté.


Tu es beau, tu es grand, tu es étincelant,
Loin au-dessus de toute terre;
Tes rayons ceignent les pays,
Jusqu’aux limites de ce que tu as créé.


Comme tu es le soleil, tu atteins leurs confins,
Les plaçant au pouvoir de ton fils bien-aimé,
Lointain dont les rayons sont pourtant sur la terre,
Et de chaque être humain caressent le visage.


II.

Nul ne peut se flatter de connaître ta course,
Quand tu te couches dans l’horizon d’Occident.
La terre se trouve alors plongée dans les ténèbres,
Et se trouve figée dans l’aspect de la mort.

Comme on gît dans les chambres, la tête recouverte,
L’oeil ne peut plus dès lors apercevoir l’autre oeil,
Et jusque sous les têtes, sans qu’ils en soient conscients,
Toutes les possessions des gens sont dérobées.

Les fauves un à un ont quitté leur tanière,
Les reptiles, chacun d’eux, s’appliquent à piquer;
Ténèbres ! Obscurité ! La terre est silencieuse,
Car celui qui les crée est en son horizon.


III.

Mais dès le point du jour, brillant à l’horizon,
Etincelant Disque du jour nouveau,
Tu chasses les ténèbres, dispenses tes rayons,
Et l’Egypte éclairée chaque jour est en fête

Maintenant éveillés, debout sur leurs deux pieds,
Les gens vers toi se sont dressés,
Et lors le corps lavé,
Saisissent des habits

Du geste de leurs bras ils saluent ton lever,
Et le pays entier s’emploie à ses travaux;
Chaque bête domestique se trouve à sa pâture,
Arbres et plantes s’épanouissent.


IV.

Les oiseaux hors du nid se retrouvent envolés,
Leurs ailes, se mouvant, louant ton apparence;
Les petits animaux gambadent sur leurs pattes,
Tous ceux qui volent vivent car tu brilles pour eux.

Les bateaux font leurs courses en aval en amont,
Les chemins sont ouverts par ton apparition;
Les poissons dans le fleuve bondissent vers ta face,
Et tes rayons atteignent aux tréfonds de la mer.

Voici que dans les femmes l’embryon est formé,
Voici que dans les hommes est créée la semence,
Et l’enfant animé dans le sein de sa mère,
Apaisé par ce qui lui fait cesser ses pleurs.


V.

Nourrice dans les ventres qui dispenses le souffle,
A seule fin de faire vivre tout ce qu’il veut créer :
Lorsque du ventre il sort afin de respirer,au jour de sa venue au monde,
Tu veux alors ouvrir complètement sa bouche.
Ainsi comme tu veux créer son nécessaire,
L’oison encore dans l’oeuf, pépiant dans la coquille,
Tu lui donnes le souffle
Afin de l’y faire vivre.

Tu as fixé pour lui une maturité,
Pour briser la coquille étant encore dans l’oeuf,
Qu’il sorte pour caqueter complètement formé,
Et aille sur ses pattes dès l’instant qu’il en sort.


VI.

Innombrables tes actes,
Mais cachés au regard !
Ô toi ce dieu unique, dont il n’y a pas d’autre,
Solitaire en esprit tu façonnes la terre.

Les humains, le bétail, les petits animaux,
Tout ce qui est sur terre et qui va sur des pattes,
Ce qui est en hauteur et vole de ses ailes,
La Syrie, la Nubie et la terre d’Egypte.

Tu assignes à chacun sa juste position, créant pour ses besoins ce qui est nécessaire :
Chacun se voit ainsi pourvu de nourriture, et d’un temps d’existence justement mesuré.
Leurs langues dans leurs bouches en langage diffèrent, et leur apparence de même;
Leur couleur de peau est distincte, car tu différencies les peuples étrangers.


VII.

Dans le sein des Enfers, tu provoques une crue, l’amenant à ta guise,
Pour faire vivre les gens, car tu les crées pour toi,
Leur maître universel, qui prends peine pour eux,
Seigneur de toute terre, et qui brilles pour eux, toi le Disque du jour à l’immense prestige.

Quant aux contrées lointaines, toutes tu les fais vivre,
Ayant fait qu’une crue pour eux des cieux descende,
Telle une mer battant les montagnes de vagues,
Pour inonder leurs champs au moment qu’elle y tombe.

Que tes desseins sont harmonieux, Ô Seigneur de l’éternité !
Une crue vient du ciel pour les peuples étrangers
Et les bêtes sauvages cheminant sur des pattes;
Une autre pour l’Egypte surgit hors des Enfers !


VIII.

Tes rayons quand tu brilles nourrissent les campagnes,
De manière qu’elles vivent et prospèrent pour toi.
Pour faire se développer toutes tes créatures, tu produis de surcroît les saisons :
L’hiver qu’elles soient au frais, l’été pour qu’elles te goûtent.

Tu as formé le ciel au loin pour y briller,
Afin de contempler ce que toi seul tu crées,
Eclatant en ta forme de Disque vivant,
Apparu rayonnant, loin et proche à la fois.

De toi seul, tu produis des myriades de formes,
Cités, villes et champs, le chemin et le fleuve.
Juste en face de lui chaque oeil te contemple,
Toi le Disque du jour au-dessus de la terre.


IX.

Pour que chaque oeil existe tu t’es mis en chemin,
Et jusqu’à ce que tu cesses tu formes leurs visages.
Dès qu’on a vu ton corps, Ô toi, ce dieu unique,
Il faut agir pour toi, qui demeures en mon coeur.

Nul autre ne te connaît excepté ce tien fils,
Neferkheperourê Ouaenrê,
Celui que tu instruis de tes intentions et de ta puissance :
Par toi seul naît la terre puisque tu crées les gens.

Te lèves-tu qu’ils vivent, te couches-tu qu’ils meurent.
Existence incarnée, c’est de toi que l’on vit,
Et jusqu’à ton coucher, les yeux demeurent fixés sur ta perfection :
Te couches-tu à l’ouest qu’on cesse toute tâche.


X.

Toi qui rends pour le roi les bras fermes en brillant;
Quiconque à pied se meut, comme tu fondas la terre,
Tu le portes pour ton fils,
Rejeton de ton corps :

Le roi de Haute et Basse-Egypte qui vit de maât,
Le seigneur du Double-Pays, Neferkheperourê-Ouaenrê,
Le fils de Rê qui vit de maât,
Le seigneur des couronnes, Akhenaton, à la longue existence.

Et pour la grande épouse du roi,
Sa bien-aimée, la maîtresse du double-Pays,
Neferneferouaton Nefertiti,
Qu’elle soit vivante et jeune toujours et à jamais !



(Grandet : 1995, 99-119; Mathieu : 1996, 12-6)

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29 août 2008 5 29 /08 /août /2008 23:00

  

     Le long texte que je vous propose aujourd’hui, ami lecteur, va définitivement clore cette très diversifiée et foisonnante partie consacrée à la découverte de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre; salle dédiée au Nil et qui, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, constitue véritablement une entrée en matière pour bien comprendre l’histoire de cette civilisation antique.

 

     Ce morceau d’anthologie - dont on a abondamment retrouvé trace - pas moins de quatre papyri dont le plus connu est celui du Musée de Turin (CGT 51 016), deux tablettes et soixante-neuf ostraca -, selon les propres termes de Bernard Mathieu qui a réalisé la traduction que je reprends ici, "s’affirme de toute évidence comme une composition littéraire soignée, avec ses quatorze stances bien équilibrées, sa construction logique (introduction, développement, conclusion) et ses nombreuses recherches stylistiques."

 

     En outre, il se révèle extrêmement instructif, techniquement parlant, dans la mesure où les scribes qui l’ont recopié, et c’est suffisamment rare pour être épinglé, l’ont assorti de rubriques et de points rouges.

 

     Je m’explique : le terme "rubrique" provenant du latin rubrica qui signifie terre rouge, ocre, désigna dès le Moyen Âge, les titres, inscrits en rouge, donnés aux livres de Droit.

 

     Les égyptologues, quant à eux, utilisent ce terme pour différencier le début d’une stance, écrite en rouge, de la suite des vers, écrits en noir. (Une stance étant un ensemble cohérent de plusieurs distiques, c’est-à-dire de plusieurs couples de deux vers.)

 

     Quant aux points rouges, on les retrouve à la fin de chaque vers, symbolisant à ce titre une volonté de marquer un arrêt dans le rythme, et probablement une chute de la voix au niveau de la mélodie.

 

     Pour la première fois, donc, apparaît cette sorte de ponctuation qui, la traduction des hiéroglyphes terminée, permet d’instaurer des séparations entre les vers et d’ainsi mieux comprendre le développement des idées véhiculées par le texte lui-même.

 

 

HYMNE A LA CRUE DU NIL

HYMNE A HÂPY

 

1.

Salut à toi, Hâpy, issu de la terre
venu pour faire vivre l’Egypte,
Dont la nature est cachée, ténèbre en plein jour,
pour qui chantent ses suivants;
Qui inonde les champs que Rê a créés
pour faire vivre tous les animaux,
Qui rassasie la montagne éloignée de l’eau
- ce qui tombe du ciel est sa rosée;
Aimé de Geb, dispensateur de Népri,
qui rend florissants les arts de Ptah !

2.

Maître des poissons, qui conduit au sud le gibier des marécages
- il n’est pas d’oiseau qui descende aux temps chauds;
Qui a fait l’orge et produit le blé,
approvisionnant les temples.
Tarde-t-il que le nez se bouche,
et que chacun est démuni;
Si l’on réduit les pains d’offrande des dieux, des millions d’hommes sont
perdus !


3.

Parcimonieux, le pays entier souffre,
grands et petits vagabondent;
Mais les hommes se rassemblent dès qu’il s’approche,
lorsque Khnoum l’a formé.
Se soulève-t-il que le pays est dans l’exultation,
et que chacun est en joie;
Chaque denture entreprend de rire,
et chaque dent est découverte !

 

4.
Qui apporte la nourriture, fertile en aliments,
et a créé tous ses bienfaits;
Maître de l’autorité, au doux parfum,
c’est la satisfaction lorsqu’il vient.
Qui produit l’herbe pour les troupeaux,
et donne des victimes à chaque dieu.
Il est dans la Douat, ciel et terre sur ses étais,
lui qui a pris possession des Deux Pays,
Qui a empli les magasins, élargi les enclos,
et donné des biens aux démunis.

 

5.

Qui fait pousser le bois et tout ce qu’on désire
- on ne peut en manquer;
Qui produit les bateaux de sa vigueur
- on ne peut en construire en pierre !
Qui prend possession des collines par son flot,
sans qu’on puisse l’apercevoir;
Qui oeuvre sans qu’on puisse le diriger,
qui nourrit en secret;
On ne connaît pas son lieu d’origine,
ni sa caverne, dans les écrits.

 

6.

Qui parcourt les hauteurs sans digue,
qui vagabonde sans guide,
C’est lui qu’accompagnent les groupes d’enfants,
on le salue comme un roi !
Dont la période est fixée, qui vient en son temps,
emplissant Haute et Basse-Egypte.
Chacun boit de son eau,
lui qui donne au-delà de sa beauté.

7.

Celui qui était dans le besoin accède à la réjouissance,
et chaque coeur se réjouit !
Qui a porté Sobek et enfanté le flot,
l’Ennéade qui est en lui est sacrée.
Qui arrose les champs, irrigue la campagne,
onguent pour le pays complet,
Qui enrichit l’un et appauvrit l’autre,
sans que personne lui en fasse procès;
Qui fait la satisfaction sans pouvoir être détourné,
à qui l’on n’impose pas de frontière.

 

8.

Qui éclaire ceux qui sortent dans leurs ténèbres
avec la graisse de ses troupeaux;
Tout ce qui est produit est sa vigueur,
il n’est pas de région qui vive sans lui.
Qui habille les gens du lin qu’il a créé,
qui agit pour Hedjhotep avec son oeuvre,
Qui agit pour Chesmou avec son huile,
tandis que Ptah façonne avec ses rejets.
[...]
et tous les ouvriers produisent grâce à lui.
Et tous les écrits en hiéroglyphes :
son affaire est le papyrus.

 

9.

Qui sourd du monde souterrain et sort du ciel lointain,
qui se révèle et sort du secret.
L’accablement est en lui de sorte que la population diminue,
lui qui la tue de sorte que l’année est funeste;
Les forts ressemblent à des femmes,
chacun a repoussé ses outils.
Il n’y a plus de fil pour les habits :
il n’y a plus de vêtement pour se vêtir ;
Les enfants des nobles ne peuvent se parer :
il n’y a plus de fard pour leur visage;
Les cheveux tombent par manque de lui :
personne ne peut s’oindre.

 

10.

Qui établit la justice dans le coeur des hommes
- ils disent des mensonges dans la pauvreté.
Qui se mêle avec le Grand Vert,
dont on ne dirige pas le cours.
On l’adore plus que tous les dieux,
lui qui fait descendre les oiseaux de leur pays.
Il n’est personne dont la main tisse de l’or,
personne qui s’enivre d’argent,
On ne peut manger de lapis-lazuli véritable :
l’orge est à la base de la prospérité. 
 

11.

C’est pour lui qu’on commence à chanter à la harpe,
pour lui qu’on chante en frappant des mains;
C’est lui qu’acclament les groupes d’enfants,
c’est pour lui qu’on épuise des délégations.
Qui vient chargé de richesses, orne le pays
et rafraîchit le teint des hommes.
Qui fait vivre le coeur des femelles enceintes,
et désire la multitude de tous les troupeaux.

12.

Se soulève-t-il devant les citadins affamés,
qu’ils se rassasient de ses produits :
Des plantes-hen à la bouche, des lotus à la narine,
chaque chose abonde sur terre !
Tous les légumes sont à la disposition des enfants,
eux qui avaient oublié ce qu’était que manger;
Le bien est répandu dans les rues,
et le pays entier gambade.

 

13.

Gonfle-toi, Hâpy, que l’on te fasse des offrandes,
que l’on sacrifie pour toi des boeufs,
Que l’on accomplisse pour toi une hécatombe,
que l’on gave pour toi des volailles,
Que l’on capture pour toi les lions du désert,
que l’on te rende tes bienfaits,
Que l’on fasse des offrandes à tous les dieux,
comme on l’aura fait pour Hâpy :
Encens, huile fine, boeufs à cornes longues, courtes,
volailles en holocauste,qu’a faits Hâpy issu de sa puissante caverne.
On ne connaît pas son nom dans la Douat,
et les dieux ne peuvent le révéler.

 

14.

Vous tous, les hommes, exaltez l’Ennéade,
craignez son autorité !
Agissez pour son fils, le Maître Universel,
celui qui fait verdir les Deux Rives !
Sois vert et tu viendras, sois vert et tu viendras,
Hâpy, sois vert et tu viendras !
Viens en Egypte, toi qui produis la paix,
qui fais verdir les Deux Rives !
Sois vert et tu viendras, sois vert et tu viendras,
Hâpy, sois vert et tu viendras !
Toi qui fais vivre hommes et troupeaux
de tes produits champêtres.
Sois vert et tu viendras, sois vert et tu viendras,
Hâpy, sois vert et tu viendras !

 

 

 

(Traduction  Bernard Mathieu : 1990, 137-41)


     Parmi les nombreuses occurrences de cet hymne auxquelles je faisais allusion en début d'article, il faut maintenant compter, depuis avril 2007, suite à la mise en vente publique d'un lot de 171 ostraca  ayant appartenu à la collection de l'égyptologue lyonnais Alexandre Varille (1909-1951), sur la présence d'un exemplaire au sein du Louvre (E 32 929). Toutefois j'ignore totalement si tout ou partie de cette manne acquise par le Musée et inventoriée E 32 887 à E 33 057 a été ou non ajoutée dans l'une quelconque vitrine.

     Je compte bien m'en enquérir lors d'une visite que j'espère prochaine, à
moins que l'un d'entre-vous, ami lecteur, détienne déjà le renseignement ...

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22 août 2008 5 22 /08 /août /2008 23:00

    

     A quelques exceptions près, afficher sa nudité, chez les Egyptiens, reste jusqu’au Nouvel Empire l’apanage de celles et ceux que des vêtements auraient pu gêner dans l’exercice de leur profession : je pense aux pêcheurs ou à certains types d’artisans que l’on voit peints sur les parois de mastabas de l’Ancien Empire, par exemple. Je pense aussi, bien sûr, aux acrobates, aux danseuses ou à des  porteuses d’offrandes ...

 

    Bien évidemment, et les cuillers à offrandes que je vous ai présentées dans mon article du 20 mai dernier le prouvent à l’envi : on plongeait nu dans le Nil et ses canaux.

 

     C’est à partir du Nouvel Empire, les codes moraux semblant évoluer dans une classe sociale privilégiée, qu’apparaissent de plus en plus des représentations d’une nudité à connotation délibérément érotique avec, en parallèle, une poésie amoureuse d’une beauté remarquable.

 

    C’est l’un de ces textes que je vous propose aujourd’hui, ami lecteur. Vous vous souvenez très probablement de cet amoureux transi qui, parce que sa belle se trouvait de l’autre côté du fleuve, n’hésita pas un instant à le traverser en allant jusqu’à considérer la présence d’un crocodile aussi inoffensive que celle d’une souris.

     Ce très beau poème avait été gravé sur la panse d’un vase retrouvé à Deir el-Medineh. Faisant apparemment partie d’un ensemble, il suivait celui que je vous donne à lire ci-après. Cette fois, après celles du jeune amoureux, ce sont les paroles de l’Aimée que nous allons découvrir dans cette "scène du bain".

     D’aucuns ne voulurent comprendre en elle qu’une simple, voire banale scène de genre. 

     En revanche, l’égyptologue belge Philippe Derchain, par une traduction renouvelée et pointue, ainsi que par une analyse comparative de certains détails sémantiques, récurrents dans la littérature égyptienne, a magistralement et définitivement prouvé qu’il n’en était rien et que, tout au contraire, derrière cette apparente banalité se cachait une exceptionnelle scène de séduction, mâtinée d’une pointe de rouerie bien féminine que, vous conviendrez avec moi messieurs mes lecteurs, nous serions bien sots de blâmer et vous mes lectrices, bien sottes de vous (et de nous) en priver.
  

 

Ô mon dieu ! Ô mon lotus !
J’aurai envie de descendre dans l’eau
Pour me laver devant toi
Et ferai en sorte que tu vois mes charmes
A travers ma robe de lin royal de première qualité
Imprégnée (d’onguent)
J’entre à l’eau avec toi
Et j’en ressors pour toi avec un poisson mordoré.
Il se sent en sécurité sur mes doigts
Et je le pose devant toi ...
Viens, occupe-toi (enfin) de moi.


(Traduction Philippe Derchain : 1975, 73-5)

 

     Sans bien évidemment m’avancer vers de l’inutile paraphrase, permettez-moi néanmoins, ami lecteur, de quelque peu préciser certains emplois lexicographiques qui vous permettront de mieux comprendre encore tout l’érotisme sous-jacent de cette oeuvre.


     Le premier vers, déjà : la jeune femme s’adresse à l’homme qu’elle aime comme à un être divin, mais en assortissant cette exergue d’une comparaison avec le lotus. Quand on sait que cette fleur constitue un symbole de renaissance, quand on sait qu’elle était mise en rapport avec le dieu soleil Rê, en sa jeunesse, on ne peut attribuer au hasard le fait que l’Aimée entame son invocation de la sorte : elle prête d’emblée à l’Aimé l’éclatante jeunesse du plus brillant de tous les dieux. En outre, il n’est pas inintéressant de savoir que, dans la mythologie égyptienne, le lotus était porteur d’une valeur érotique indéniable : ainsi était-il souvent comparé aux seins d’une femme.

 
     Les filles nageaient nues, je l’ai mentionné en tout début d’article. Or, ici, la belle garde son vêtement et insiste même sur la finesse du tissu. La croira-t-on à ce point prude ? Non, bien sûr : cette volonté est tout à fait significative. Nous savons tous, en effet, et certainement déjà en ces temps anciens, que la transparence d’un tissu qui colle à la peau quand une femme sort de l’eau est mille fois plus suggestive, mille fois plus sensuelle, mille fois plus érotique, que la nudité "toute nue".

  

     Enfin, j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer, dans mon article du 3 juin dernier sur les poissons, la raison pour laquelle la "tilapia nilotica" représentait, aux yeux des Egyptiens, un symbole de régénération, un symbole de fécondité.

 

    Pouvez-vous un seul instant imaginer que, aussi habile soit cette jeune femme, un petit poisson va ainsi se laisser piéger et attendre bien sagement au bout de ses doigts qu’elle l’offre à l’homme qu’elle aime ?

 

     Certes, non ! C’est dès lors autre chose qu’il faut voir dans ce qui n’est qu’une métaphore : c’est elle, c’est l’Aimée qui, en fait, s’offre tout entière. C’est à une superbe invitation à la relation amoureuse qu’il a droit cet heureux jeune homme. On ne peut être plus précise dans l’allusif ...

  
     Voilà, sans trop, j’espère, avoir perturbé l’atmosphère dans laquelle ce petit chant d’amour nous avait plongés, ce que je voulais, ami lecteur, ajouter à sa compréhension première afin de simplement faire remarquer qu’il pose - si besoin en était encore de le prouver - la culture littéraire égyptienne antique à l’acmé de toutes celles qui, comme la Grèce, l’Inde, la Chine, voire même la nôtre quand elle n’est pas uniquement placée sous l’éclairage judéo-chrétien qui tant brime les corps et le plaisir, considèrent les rapports amoureux autrement que destinés à perpétuer l’espèce humaine.

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15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 23:00

     Comme annoncé à la fin de mon article de ce mardi, consacré au décodage de la célèbre scène de pêche et de chasse dans les marais, je vous propose aujourd’hui, ami lecteur, deux documents ressortissant à la littérature cette fois, et ce, afin de vous persuader du sens (évidemment) caché que revêt la coiffure des dames dans le domaine de la sexualité.


     Le premier texte constitue un extrait d’un conte à portée psychologique, oeuvre majeure dans le corpus littéraire égyptien, mettant en scène une femme mariée amoureuse du jeune frère de son époux - rien que de très banal, parfois - qui, dépitée par le fait qu’il dédaigne ses avances, décide de bassement le calomnier aux yeux de son mari.


     Certains d’entre vous reconnaîtront peut-être dans cette trame, à des degrés divers, autant l’épisode de Joseph et de l’épouse de Putiphar dans la Bible (Genèse), que l’histoire de Bellérophon et d’Anteia chez Homère (Iliade), ou celle de la relation entre Hippolyte et sa belle-mère Phèdre, racontée par Euripide.


     En égyptologie, il est convenu de donner à ce texte le titre de Conte des deux frères.
L'histoire, dans la première partie tout au moins, se révèle finalement très simple : Anoupou (que les Grecs, plus tard, traduiront par Anubis) est ici un paysan propriétaire de sa terre. Il est marié. Et le couple héberge Bata, le jeune frère d’Anoupou. Bata, nourri et logé, aide vigoureusement son frère aîné dans les travaux des champs, mais il s’occupe également de conduire les bêtes au pâturage et à l’occasion de tisser des étoffes.


     Par ses désirs d’adultère inassouvis débouchant sur d’éhontés mensonges, l’épouse insatisfaite provoque l’inévitable discorde entre les deux hommes. A la fin de la première partie du conte, la vérité étant rétablie, elle sera tuée par son époux et jetée aux chiens.


     C’est sur un papyrus de 19 pages, rédigé en écriture hiératique, que l’on trouve la version la plus complète de ce Conte des deux frères. Il porte le nom de Papyrus Orbiney, en référence à Mrs. Elisabeth Orbiney, une Londonienne qui l’acquit, avec d’autres pièces, lors d’un voyage en Egypte. Puis décida de le mettre en vente. Le Musée du Louvre se déclarant incapable de l'acheter - dans la mesure où le prix demandé dépassait ses ressources de l’époque -, le précieux document devint en 1857 la propriété du British Museum où il entra sous le numéro d’inventaire BM 10 183.

(Pour une version hiéroglyphique de ce papyrus, accompagnée de la traduction française de la première partie du conte, je convie les amateurs à consulter le lien suivant : http://egycontes.free.fr/2freres.pdf).
  

     Sur la dernière page du papyrus, on peut lire : Rédigé par le grammate Ennena, chef des écritures. Ce qui permet de le dater de la fin de la XIXème dynastie, sous le règne de Mineptah-Siptah, père du futur pharaon Séthi II, alors encore simple prince héritier.


     Lisons à présent l’extrait que je vous propose visant à étayer la thèse défendue par l’égyptologue belge Philippe Derchain à laquelle je faisais allusion dans mon dernier article, à savoir la connotation érotique donnée par les Egyptiens à la chevelure et au port de la perruque.

 
     Or quelques jours plus tard, alors qu’ils étaient au champ et qu’ils manquaient de semences, l’aîné envoya son jeune frère en lui disant : " Va vite, et rapporte-nous des semences de la ferme". Il trouva la femme de son frère aîné en train de se faire coiffer et lui dit : "Lève-toi et donne-moi des semences. Je dois vite retourner au champ car mon frère m’attend. Ne traîne pas".

     Elle lui répondit : "Vas-y toi-même; ouvre le grenier et prends ce que tu veux. Ne sois pas cause que ma coiffure reste en plan".

     Le jeune homme entra donc dans son étable pour y prendre une grande jarre car il voulait emporter beaucoup de semences. Il l’emplit d’orge et de blé et sortit avec sa charge. Elle lui demanda : " Quel est le poids de ce que tu as sur les épaules ?" Il répondit : " Trois sacs de froment, deux d’orge, en tout cinq sacs."  (1) Voilà ce que j’ai sur les épaules". (...)

     Ce qui fit dire à la dame : " Que de force il y a en toi ! Chaque jour j’admire ta vigueur." Elle eut envie de le connaître comme on connaît un homme, se leva, le saisit et lui dit : " Viens, allons passer une heure au lit. Ce te sera profitable, car je te ferai de beaux vêtements."

     Alors le jeune homme devint comme un léopard qui entre en rage, à cause des vilains propos qu’elle lui avait tenus


     Dans la version qu’elle donne de la scène à son époux, la dame affirme :  


     "Lorsque ton frère est venu chercher des semences, il m’a trouvée seule et m’a dit : "Allons passer une heure au lit. Mets ta perruque."


(1) Ce que les égyptologues traduisent par "sac" était à l'époque une mesure de capacité équivalant à plus ou moins 56 kilogrammes. Bata, si l'on en croit le texte, porterait donc ici une charge de quelque 280 kilogrammes sur ses épaules. Détail supplémentaire de force qui naturellement émoustille les sens de la dame disposée à être infidèle. 


     Pour mieux comprendre encore la connotation érotique qui se cache derrière le port de la perruque, je vous invite à découvrir, ami lecteur, un second texte. Il s’agit cette fois d’un chant d’amour extrait du Papyrus Harris 500 sur lequel, déjà, je vous avais donné quelques indications dans mon article du dimanche 29 juin dernier.

 

Mon coeur est une fois de plus envahi de ton amour
Alors que la moitié de la tempe seulement est tressée.
Je cours te retrouver.
Hélas, je suis dénouée.
Bah ! Je vais mettre une perruque et serai prête à tout moment.

 

     Il est indéniable aussi, à la lecture de ce très court poème que si la coiffure parfaite constitue un véritable moyen de séduction, la perruque, toujours prête en cas de besoin, est le signe de l’amplification des désirs et de la totale et immédiate disponibilité amoureuse.


     On comprend dans ce dernier texte que la belle, prise d’un violent désir amoureux, ne peut en aucun cas se présenter de la sorte, ses soins de coiffure non terminés, à son amant. Elle n’hésite donc pas, dans sa fougue, à se coiffer d’une perruque.


     Voilà bien la preuve, si besoin en était encore après mes deux articles, qu’une coiffure impeccable, voire une perruque soignée, font partie de la toilette d’une amante qui n’a qu’une idée en tête. Ce sont des signes évidents de connivence : ils constituent un code invitant à l’amour.
Ce sont donc, comme le port de certains vêtements et/ou de certains bijoux, des détails à connotation érotique de première importance.


(Derchain : 1975; Lefebvre : 1988, 144-6)


Petite mise au point technique :

     En vacances en France voici quelques semaines, il m'est apparu chez quelques amis que, si certains lisaient les poèmes égyptiens proposés dans la très cursive police de caractères que j'avais choisie, d'autres, en revanche, les découvraient dans une police constituée de majuscules d'imprimerie fort agrandies et, en définitive, fort peu agréables à l'oeil.
Aussi, ai-je décidé de ne plus utiliser de polices autres que celles mises à disposition par Overblog, que je choisis en italique et vert émeraude lorsqu'il s'agit de retranscrire des extraits de la littérature égyptienne.    



 

 

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