Visite, au Musée du Louvre, au fil des semaines, salle par salle, du Département des Antiquités égyptiennes.Mais aussi articles concernant l'égyptologie en Belgique.Mais aussi la littérature égyptienne antique.Et enfin certains de mes coups de coeur à découvrir dans la rubrique "RichArt" ...
" L'homme de génie ne peut donner naissance à des œuvres qui ne mourront pas qu'en les créant à l'image non de l'être mortel qu'il est, mais de l'exemplaire de l'humanité qu'il porte en lui. Ses pensées lui sont, en quelque sorte, prêtées pendant sa vie, dont elles sont les compagnes. À sa mort, elles font retour à l'humanité et l'enseignent."
Marcel PROUST
John Ruskin
dans Gazette des Beaux-Arts, 1er avril 1900
repris de Pastiches et mélanges
Paris, Gallimard, La Pléiade, 1971,
p. 106.
Après avoir tout récemment, grâce à Madame Gersande Eschenbrenner-Diemer, Docteur en Égyptologie et à l'amabilité qui fut sienne de me fournir nombre considérable de renseignements inhérents aux travaux de recherche qu'elle mena et qui débouchèrent en 2013 sur une bien judicieuse intervention menée, en collaboration avec Madame Élisabeth Delange, Conservateur en chef des Antiquités égyptiennes du Louvre et Madame Anne Portal, Conservateur-restaurateur du patrimoine, sur les modèles de bateaux alignés ici devant vous, amis visiteurs, sur la grande étagère centrale de la vitrine 2 de la salle 3, - mais aussi, sur ceux toujours actuellement conservés dans les réserves, et qui, sous peu j'espère, seront enfin présentés au grand jour, ne fût-ce que dans une banque de données accessible à tout un chacun - ; après avoir, donc, éclairci l'origine de quelques "transformations" qui nous avaient intrigués suite à la simple comparaison des photos prises par Claude Field le 31 janvier dernier et celles, partiellement différentes, apparaissant toujours sur le site internet officiel du Musée, je souhaiterais avec vous poursuivre la découverte des autres maquettes d'embarcations, en commençant par N 2457, chronologiquement la première de celles actuellement au Louvre puisqu'elle figurait au sein de la collection des 4000 œuvres dont Henry Salt (1780-1827), consul général britannique au Caire, cherchait à se départir et qu'après avoir reçu l'aval du roi Charles X, Jean-François Champollion, rappelez-vous, avait acquise.
Elle était entrée au Musée en 1826.
À la différence de la majorité des pièces de la série ici proposée que maintenant vous savez provenir du Moyen Empire, cet exemplaire en bois polychromé de 107, 3 centimètres de long, 21 de large et 25,2 de hauteur se révèle quelque peu antérieur puisqu'il date de la VIème dynastie, soit de la fin de l'Ancien Empire.
Il s'agit d'un artefact dont l'origine géographique n'a pas été relevée, si pas véritablement unique, à tout le moins esseulé ou délaisé, à tel point que dans sa Notice descriptive des Monuments égyptiens du Musée Charles-X, Champollion en personne, - lui qui pourtant avait étudié et invité son souverain à offrir cette deuxième collection Salt à la France, la première ayant été, je le rappelle incidemment, acquise par le British Museum de Londres, en 1818 -, n'en fit même pas mention !
Oubli ? Volonté délibérée dans le chef de l'inventeur des hiéroglyphes, par ailleurs premier Conservateur des Antiquités égyptiennes ?
Nonobstant, au British précisément, un modèle, BM EA 9510, accuse de manifestes analogies quant au style, aux dimensions et à la technique de fabrication avec "notre" N 2457. De sorte qu'il donne à penser que tous deux pourraient exciper d'une origine commune dans la mesure où la position caractéristique des jambes repliées des marins infère que les deux bateaux émaneraient d'un même atelier, probablement memphite, et auraient été réalisés au cours de la même VIème dynastie.
Quoi qu'il en soit, pour ma part, alors que voici 10 ans, il ne figurait nullement dans la vitrine, j'applaudis à la décision prise d'enfin l'exhumer des sous-sols et d'ici l'intégrer.
Cela permit de s'aviser de l'apposition, au dos d'un des hommes d'équipage, d'une petite étiquette vieille d'environ deux siècles mentionnant simplement qu'il faisait partie de la collection Salt qui, je le souligne également au passage, ne constitua nullement l'unique apport de monuments, de quelque taille qu'ils fussent, au Département des Antiquités égyptiennes du Louvre.
Forte de cette mince mais assurément pas anodine indication, Madame Eschenbrenner conjectura que d'autres figurines s'autorisant de la même référence d'acquisition, "perdues", voire "oubliées" dans les riches entrailles du Musée, devaient inévitablement faire partie intégrante de la même embarcation.
Celle-ci, relativement fruste, monoxyle, comprenez : taillée dans une seule pièce de bois, m'apparaissant "émouvante" malgré son aspect peu dégrossi, annonce la particularité de certaines du Moyen Empire, papyriformes, que vous avez admirées les semaines précédentes : il ne s'agit en définitive que pérenniser l'esthétique globale des barques égyptiennes des temps premiers.
Alors que ses extrémités effilées furent originellement peintes en jaune et la figuration des ombelles qui les terminent tout à la fois recouvertes de noir, de rouge et de rose, la partie centrale de la coque, plus large, se différencie par sa blancheur.
Approchons-nous, voulez-vous de trois des marins assis sur le pont, jambes repliées ; pont qui, probablement l'aurez-vous déjà remarqué, est à bâbord comme à tribord encadré de longerons protecteurs de faible hauteur.
Grâce à ce gros plan que nous offre ici Claude Field, vous avez l'opportunité, amis visiteurs, d'aisément comprendre un détail de fabrication de ces personnages taillés dans du bois de sycomore : les petits trous noirs que vous distinguez sur le haut du corps de chacun des deux de l'avant-plan, à la taille pour celui de gauche, à l'épaule pour son voisin, vous prouvent que leurs bras étaient enchevillés tout à la fois aux épaules et aux coudes.
Et c'est également une petite cheville qui les maintenait assis sur le pont du bateau. En revanche, leur collègue debout à la proue, censé sonder, comme déjà j'eus l'opportunité de vous l'expliquer, la profondeur de l'eau du Nil, se trouve pour sa part fixé par un tenon saillant de son pied pour s'enfoncer dans une mortaise percée dans le bois du pont.
Si, gantés de blanc, vous aviez l'heur de prendre en mains cette embarcation millénaire retirée de sa vitrine, vous constateriez que d'autres évidements pratiqués à même ce pont vous permettraient d'en supputer l'équipage ... qui, d'origine, comprit le marin sondeur à la proue et le barreur à la poupe, mais aussi six rameurs : trois sont donc peut-être encore à dénicher dans les réserves ... ou irrémédiablement égarés pendant leur traversée, non pas du Nil, mais de la Méditerranée et peut-être aussi de la Seine, avant de franchir les guichets du Louvre ...
Quant au timonier, si esseulé à la poupe, si dépourvu, alors que la bise ne fut pas encore venue, qu'en dire de plus que ce que déjà, à propos de E 12027, je vous ai expliqué le 12 juin dernier ?
En revanche, c'est par une mise au point concernant la coque de l'embarcation sur laquelle nous nous sommes penchés ce matin que je mettrai fin à la présente entrevue et, par la même occasion, que j'introduirai succinctement notre futur entretien du mardi 3 juillet, vraisemblablement l'ultime avant mon traditionnel cadeau annuel : deux mois de vacances estivales sans la moindre incursion d'EgyptoMusée dans votre vie.
Et pour l'heure donc, concevez, amis visiteurs, que se classent en deux catégories distinctes les bateaux se terminant par des ombelles de papyrus soit, comme N 2457 aujourd'hui ou E 11993 évoqué dernièrement, présentant une coque épaisse et massive, soit comme celui de la semaine prochaine, E 32566, doté d'une coque fine et extrêmement effilée ...
À mardi, pour que de conserve nous la découvrions ?
BIBLIOGRAPHIE
ESCHENBRENNER-DIEMER Gersande/PORTAL Anne, Un nouveau regard sur des modèles de bateaux égyptiens au musée du Louvre, dans La Revue des Musées de France - Revue du Louvre, Paris, 2016, n° 1, pp. 18-29.