"Proust ne peut être l'objet que d'un colloque infini : colloque infini parce que plus qu'aucun autre auteur, il est celui dont il y aura infiniment à dire. Ce n'est pas un auteur éternel, mais c'est je crois, un auteur perpétuel, comme on dit d'un calendrier qu'il est perpétuel.
(...) Ceci fait que je lis Proust, qui est l'un des très rares auteurs que je relise, comme une sorte de paysage illusoire, éclairé successivement par des lumières qui obéiraient à une sorte de rhéostat variable et feraient passer graduellement, et inlassablement aussi, le décor par différents volumes, par différents niveaux de perception, par différentes intelligibilités."
Roland BARTHES
Table ronde
Colloque "Proust et la nouvelle critique" (1972)
dans Cahiers Marcel Proust, 7
Études proustiennes, II
Paris, Gallimard, 1975
p.87.
L'ultime dossier à la navigation égyptienne consacré paru le 3 juillet dernier m'a opportunément permis de comprendre que pour moi aussi il devenait temps de prendre le large sur un bateau, ivre d'horizons littéraires en général, et proustiens en particulier ; ce qui, convenons-en, ne constitue nullement un secret d'État pour vous tous qui m'avez emboîté le pas essentiellement dans les salles égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris ou, plus ponctuellement, dans celles du Musée de Mariemont, en Hainaut belge.
Entré maintenant de plain-pied dans l'adolescence de la vieillesse, j'ai, après mûre réflexion au cours de ces dernières semaines, - geste toutefois envisagé depuis un certain temps déjà -, pris la décision de fermer le rideau du théâtre des rendez-vous que nous eûmes vous et moi, amis visiteurs, depuis plus de 10 ans sur ÉgyptoMusée ; rideau rouge au cœur de ce bonheur de vous avoir tous rencontrés et d'avoir pu converser avec certains, ici sur mon blog et aussi sur mes pages FB.
Pour tous ces moments d'exception auxquels il me sied d'associer ce don hors du commun qu'à l'intention d'ÉgyptoMuséee ont fait deux amis parisiens, - elle et il se reconnaîtront - , en se rendant au Louvre en vue d'y prendre des photos,
IMMENSE MERCI À VOUS TOUS.
Si dorénavant je ne cesserai point de (re)lire Montaigne, Saint-Simon ou Chateaubriand, parmi d'autres, c'est encore plus à Marcel Proust que j'accorderai désormais le temps que la vie de famille, notamment de Papy, me laissera de libertés.
Parce que tout au long de ce printemps, j'eus le grand bonheur de m'offrir à prix véritablement inespérés les quatorze volumes des "Cahiers Marcel Proust", deuxième série, publiés à partir de 1970, ainsi que, plus rares à dénicher, quelques-uns de la première série proposés dès 1927 par la Nouvelle Revue française (NRF) chez Gallimard dans lesquels des articles évoquant moult aspects de son oeuvre et donnant à comparer maints brouillons avec le texte définitivement présenté dans la prestigieuse collection de la "Pléiade" ; dans lesquels aussi ont été consignées les interventions d'éminents "proustologues" lors de colloques qui lui furent dédiés, notamment à Liège en 1959, à Paris en 1972 ou à New York en 1984 ; dans lesquels enfin j'ai découvert des textes inédits, ainsi que son époustouflante correspondance, le tout débusqué à la Bibliothèque nationale de France (BNF), à Paris, par feu l'érudit américain Philip Kolb dans les carnets et les cahiers, dits "d'addition", je dispose à présent à l'entrée de mon bureau, tout à côté de mes ouvrages d'histoire et d'égyptologie, quelques étagères uniquement de "proustologie" qui n'attendent que mon incommensurable soif, que mon bon plaisir de lecteur.
Que déjà je m'impatiente de découvrir de nouvelles pages de belle venue ! Que déjà je m'impatiente d'aborder ses esquisses, de m'adonner à une comparaison de différents états d'avancement de tel ou tel morceau d'anthologie de son grand oeuvre pour m'y abîmer avec dilection.
Que déjà je m'impatiente de retrouver du temps pour me gorger de ses feuillets, aux fins de, brouillons après brouillons, paperoles après paperoles jusqu'à presque son dernier souffle dans les marges ajoutées, jouir d'appréhender la genèse de cet incontestable monument qu'est "À la recherche du temps perdu".
Bref, vous l'aurez compris amis visiteurs, de l'égyptologie à la proustologie, il n'y a qu'un pas que le passionné que je suis a désormais décidé de franchir.
J'espère que vous me comprendrez mais aussi que vous admettrez sans peine qu'après plus de 45 années véritablement offertes à l'enseignement, officiellement jadis dans ma vie professionnelle, officieusement depuis deux lustres dans celle de mon blog, je m'offre aujourd'hui l'envie de définitivement me retraiter pour embrasser à bras démesurément ouverts des études proustiennes ...
À toutes et à tous, qui m'avez tant apporté, je souhaite le meilleur à venir ...
Puissiez-vous comme moi agréer ces vers de Baudelaire, extraits d'un des quatre poèmes de ses "Fleurs du Mal" intitulés "Spleen", (76) :
Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années,
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité.
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Richard LEJEUNE