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19 décembre 2017 2 19 /12 /décembre /2017 01:00

 

     À Maurice Maeterlinck qui m'a appris à regarder avec sérénité la Vie et la Mort, et à ne me troubler que devant la Beauté.

 

     Son admirateur et son ami de tout cœur

     E.G.C.

 

 

Enrique GOMEZ CARRILLO

Le Sourire du Sphinx - Sensations d'Égypte

(Traduction de Jacques CHAUMIÉ)

 

Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle Éditeur, 1918

 

 

 

 

 

 

 

LA FORMULE D'OFFRANDE FUNÉRAIRE - Seconde Partie : BESOINS ALIMENTAIRES

 

     À quelques kilomètres de Genève, c'est dans le hall de la Fondation Martin Bodmer, à Cologny, souvenez-vous amis visiteurs, que nous avons entamé de conserve la semaine dernière la lecture de l'introduction de ce que les égyptologues sont convenus d'appeler la formule d'offrande funéraire, ici gravée sur le linteau de toute beauté d'un certain Kaâper, dignitaire royal ayant vécu au début de la Vème dynastie.

 

 

     Après la formulation d'usage en guise de prémices : Offrande que donne le roi et (que donne) Anubis qui préside à la chapelle divine et à la nécropole ; après quelques souhaits personnels : qu'il soit enterré dans la nécropole en tant que détenteur de privilèges, qu'il atteigne une très belle vieillesse auprès du grand dieules besoins alimentaires du défunt peuvent enfin s'énoncer :  

 

que l'on invoque pour lui (des offrandes consistant en) pain, bière, viande, volaille 

 

 

Kaaper-05.-que-l-on-invoque-pour-lui-pain--biere--viande--.jpg

 

 

     La phrase commence par ce que les Égyptiens rendaient par "prt xrw", - que je vous invite à prononcer "péret kérou" : ce sont devant vous, de haut en bas, les trois premiers hiéroglyphes de droite, et qui littéralement signifient "sortie à la voix" et que les philologues traduisent habituellement par "offrande verbale" ou, comme ici, par " ... que l'on invoque pour lui ". Ce "pour lui" étant figuré par les deux signes en dessous ("n.f " ), celui de l'ondulation, symbolisant l'eau, surmontant le céraste pour lequel, au passage, je vous convie à admirer le rendu des écailles.

 

     Permettez-moi de réitérer un propos précédemment tenu : la concision extrême de la formule d'offrande de Nakht-Hor-Heb sur sa ronde-bosse en salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre était telle que les denrées officielles, classiques, énumérées ci-dessus, toujours de haut en bas et de droite à gauche : pain, jarre de bière, tête de bœuf et de volaille, n'étaient nullement précisées.

 

     Chez Kaâper, - à l'instar de bien d'autres -, la prolixité s'invite à la table puisque suivent maintenant les désignations des moments où le défunt escompte recevoir ces aliments essentiels :

 

(lors de) la fête-ouag, la fête de Thot, 

 

 

Kaaper-06.-fete-ouag--fete-de-Thot.jpg

 

 

le premier de l'an, le Nouvel An,

 

 

Kaaper-07.-le-premier-de-l-an--le-Nouvel-an.jpg

 

 

la fête de la sortie de Min, la fête-sadj,

 

 

Kaaper-07.jpg

 

 

la fête du feu

 

 

08.-fete-du-feu.jpg

 

 

le premier du mois, chaque fête, chaque jour.

 

 

Kaaper-09.-1er-du-mois--chaque-fete--chaque-jour.jpg

 

 

      Et la longue inscription si esthétiquement gravée de se terminer par l'énonciation de certains titres officiels du défunt : 

 

le chambellan royal,

 

 

Kaaper-10.-le-chambellan-royal.jpg

 

 

le prêtre de Heqet

 

 

Kaaper-11.-Pretre-Heqet.jpg

 

 

le magistrat et administrateur ;

 

 

Kaaper-12.-Magistrat-et-administrateur.jpg

 

 

puis, évidemment, par son prénom : Kaâper.  

 

   Kaaper-13.-Kaaper.jpg

 

 

 

 

 

     Sur le titre, curieux, et rare, de prêtre de Heqet, "hem netjer Heket" comme le prononcent les égyptologues, il me siérait à présent d'ouvrir une parenthèse pour introduire quelques considérations générales. 

 

      Heqet était dans la langue égyptienne un nom théophore, - comprenez qui porte le nom d'une divinité -, celui d'une déesse présentant l'aspect soit d'une femme à tête de grenouille, soit plus simplement comme ici, de la grenouille elle-même.

 

 

11-bis.-Heqet---Grenouille.jpg

 

 

    

     Dès le début de l'année prochaine, quand après être entrés dans la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, nous nous tournerons vers la deuxième des vitrines qui la meublent, nous nous attarderons sur ces petits batraciens et découvrirons qu'ils étaient empreints d'une valeur sémantique bien définie dans la mesure où, parce qu’issus des eaux, - donc éventuellement du mythique océan primordial, le Noun -, ils furent dès l’époque archaïque liés à l’apparition de la vie, partant, à la procréation.

 

     Symbole de forces vivifiantes, dispensatrice de vie, Heqet fut associée aux défunts dont elle permettait la régénération, la reviviscence dans l'Au-delà. Raison pour laquelle, dans la troisième vitrine de la future salle 3 que nous détaillerons dans quelques mois, vous en admirerez une, adorablement bleue, 

 

 

Grenouille---Louvre-E-26092.jpg

 

 

négligemment posée à l'extrémité d'une branche de potamot ; et cela, sur un fragment de calcaire peint (E 26092) représentant une scène de pêche dans les marais, environnement dont vous ne pouvez décemment plus ignorer maintenant toute la symbolique en rapport avec la renaissance des trépassés.

 

     N'oublions pas que, du têtard jusqu'à l'âge adulte, la grenouille subit d'importantes transformations, d'où sa présence tout à fait appropriée aux côtés des défunts aux fins de leur "annoncer" leur métamorphose à venir dans le royaume d'Osiris.

 

     Pour demeurer dans le même esprit, dans la même symbolique, j'ajouterai que la grenouille fut aussi assimilée à la déesse accoucheuse, parèdre de Khnoum, dieu potier qui modèle l’enfant divin sur son tour : c’est donc elle qui était censée donner le souffle de vie en tendant le signe "ankh" en direction du visage du petit être que Khnoum créait.

 

     Elle  était également comprise comme participant à l'avènement du monde, ainsi qu'à l'apparition de la tant attendue crue du Nil : elle avait donc partie liée avec certaines des fêtes agraires mentionnées sur le linteau de Kaâper, dont celle du Nouvel An, vers le 18 ou 19 juillet, quand tout à la fois fleuve, soleil et défunts reprenaient vie.  

 

 

     Rare, indiquai-je à l'instant, à propos du titre de prêtre de Heqet, parce qu'il ne fut porté qu'à l'Ancien Empire et, selon les documents actuellement connus, par à peine une petite quinzaine de personnages, tous en relation étroite avec les nécropoles du nord, Saqqarah et Abousir deux ayant vécu à la IVème dynastie, dix à la Vème, dont "notre" Kaâper, et les deux derniers à la VIème dynastie. Indéniablement très peu répandu, le titre fut apparemment circonscrit à une époque bien définie puisqu'il n'est plus attesté par la suite.    

 

     Nonobstant la disparition de cette prêtrise, il appert que les fonctions sacerdotales des différents personnages qui les effectuaient étaient en relation avec les cimetières de la région memphite.

 

     Au-delà de ces maigres certitudes, les égyptologues s'interrogent toujours sur la fonction réelle de cet officiant au sein des rites funéraires.

 

 

    Voici donc décodée pour vous, amis visiteurs, l'importante invocation de Kaâper gravée sur le long linteau provenant de son mastaba en Abousir, exposé à la Fondation Martin Bodmer de Cologny ...

 

 

     Tout en espérant vous retrouver disposés à investir ensemble la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre dès le mardi 9 janvier prochain, je vous souhaite à tous de coruscantes fêtes de fin d'année et, éventuellement, d'excellentes et roboratives vacances ... pendant lesquelles une petite méditation suggérée par un ami, belge lui aussi, ne peut que vous préparer à mieux appréhender l'année 2018 qui point à notre horizon.

 

 

     Richard

 

 

 

Vacances---Geluck.jpg

 

 

 

 

 

 

     Alors que je l'ai précisé la semaine dernière, j'ai ici complètement oublié de remercier mon amie genevoise qui m'a offert tous les clichés qu'elle a pris de ce relief qui ont émaillé le premier article consacré au linteau de Kaâper et sous-tendent notre présent rendez-vous.

(Grand merci à toi, qui te reconnaîtras.)

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

GABOLDE  Marc, Notes sur un "scarabée de coeur" conservé au Musée de Roanne, dans Bulletin du Cercle lyonnais d'égyptologie Victor Loret n° 2, Lyon, 1988, pp. 13 -20.

 

 

 

SERVAJEAN  Frédéric, Du singulier à l'universel : le Potamogeton dans les scènes cynégétiques des marais, dans ERUV 1, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1999, 259-63.

 

 

 

VUILLEUMIER Sandrine, CHAPPAZ Jean-Luc, Une offrande que donne le roi, dans "Sortir au jour" - Les aegyptiaca de la Fondation Martin Bodmer, Genève, Édition Fondation Martin Bodmer Cologny et Société d'égyptologie Genève, 2002, pp. 71-5.

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12 décembre 2017 2 12 /12 /décembre /2017 01:00

 

     Il n'y a pas de nature, il n'y a pas de culture, il y a le monde. On l'améliore par l'art, dont les gestes sont parfois un fragment. "

 

 

 

Charles  DANTZIG

Le Traité des gestes

Paris, Grasset, 2017

 

repris de Adrien GOETZ

Gestes du Louvre, gestes de tous

dans Grande Galerie. Le Journal du Louvre n° 42

Paris, 2017, p. 29

 

 

 

 

 

     Voilà : il a pris l'avion ! Il s'en est allé au devant d'une nouvelle et exaltante aventure : quitter les quais de Seine en jetant un regard discret sur la coupole de l'Académie française sous laquelle Jean d'Ormesson, le dernier grand thuriféraire de notre si belle langue, ne siégera plus ; passer "D'un Louvre à l'autre" et rejoindre un temps, exactement du 21 décembre prochain jusqu'au 7 avril 2018, une autre coupole, étoilée, spectaculaire, de 180 mètres de diamètre recouvrant les cinquante-cinq bâtiments de cette nouvellement inaugurée médina de la Culture, à Abu Dhabi, où il escompte bien se donner à connaître, lui le haut fonctionnaire aulique remarqué par Psammétique II, souverain de la XXVIème dynastie égyptienne, en  représentant son pays à la première exposition temporaire qui y est organisée, tout à côté qu'il sera d'un Moaï kavakava de l'Île de Pâques qui, pour sa part, a aussi quitté un musée parisien, celui du quai Branly, et avec lequel il essaiera vraisemblablement de converser ...  

 

     Maintenant seul avec vous, amis visiteurs, dans la salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes après que Nakht-Hor-Heb, - car c'est bien de lui qu'il s'agit à nouveau, vous l'aurez reconnu, qui, plusieurs semaines durant, nous a expliqué qui il fut et ce qu'il fut -, s'est envolé vers des cieux bien plus bleus, je souhaiterais, avant de nous diriger de conserve vers la salle 3 en janvier prochain, répondre, lors des deux derniers rendez-vous que j'ai programmés en cette fin d'année, à certaines questions qui me furent posées durant la semaine écoulée et, notamment, évoquer la notion si importante en Égypte antique de "formule d'offrande".

 

     La sienne, il nous l'a précisé, mettant très fortement l'accent sur ses titres et qualités, se déployait à même les faces du socle qui l'accueillit, agenouillé, hiératique, les mains posées à plat sur les cuisses, geste "fragment de l'art", retenu par les Égyptiens de l'époque pour symboliser la prière,

 

D'après Louvre A 94 - © Ch. Décamps

D'après Louvre A 94 - © Ch. Décamps

 

pour manifester le respect, la déférence d'un particulier vis-à-vis d'un roi et de la, - ou des -, divinité(s) qu'il sollicite, aux fins d'assurer son éternité dans l'Au-delà grâce précisément à ce type d'incantation.

 

      Profitant de l'opportunité qui m'est donnée par la concision des formulations lues sur ses différents monuments, j'aimerais proposer à tous mes visiteurs de Facebook d'en découvrir ce matin une autre, bien plus prolixe celle-là, - ceux des fidèles lecteurs de mon blog s'en souviendront certainement -, ayant été gravée sur un linteau de la porte de la chapelle funéraire d'un certain Kaâper, pas le plus que célèbre Cheik el-Beled du Musée du Caire, mais un homonyme, celui dont nous avions entrevu la partie supérieure de la tombe à Abousir, en mai 2010 ; celui dont plusieurs reliefs issus de pillages avaient été achetés par divers musées dans le monde et dont l'un d'entre eux fait actuellement partie des Aegyptiaca qui assoient durablement la richesse et la renommée de la Fondation Martin Bodmer - Bibliotheca Bodmeriana - à Cologny, près de Genève.

 

     J'ai la chance et le plaisir de virtuellement connaître plusieurs personnes passionnées d'égyptologie qui ont visité ce Musée, notamment Corinne , une "voisine" liégeoise qui m'a permis de lui emprunter ce cliché de l'intégralité du monument réalisé avec le recul nécessaire de manière qu'il nous apparaisse sur toute la longueur de ses quelque trois mètres, - pour seulement 22,5 centimètres de hauteur et de 3,5 à 5 cm de profondeur ;

 

 

Linteau-de-Kaaper--Cliche---Bastet-.JPG

 

   

et, bien évidemment, mon amie genevoise qui m'a offert tous les autres clichés qu'elle a pris de ce relief et qui émailleront notre présent rendez-vous, ainsi que celui de la semaine prochaine, l'ultime avant de prendre congé de vous et de 2017.

 

(Grand merci à toi aussi, qui te reconnaîtras.)

 

 

 

 

     Offrande que donne le roi et (que donne) Anubis qui préside à la chapelle divine et à la nécropole : qu'il soit enterré dans la nécropole en tant que détenteur de privilèges, qu'il atteigne une très belle vieillesse auprès du grand dieu et que l'on invoque pour lui (des offrandes consistant en) pain, bière, viande, volaille (lors de) la fête de Thot, le premier de l'an, le nouvel an, la sortie de Min, la fête du feu, le premier du mois, chaque fête, chaque jour, (pour) le chambellan royal, le prêtre d'Heqet, le magistrat et administrateur, Kaâper.

  

     Voici donc, traduite par les égyptologues suisses Sandrine Vuilleumier et Jean-Luc Chappaz référencés dans ma bibliographie infrapaginale, l'intégralité de la formule d'offrande de Kaâper dont, parallèlement aux explications que je vous donnerai aujourd'hui, je vous invite à d'ores et déjà admirer dans l'incipit par lequel nous allons commencer le soin apporté par le lapicide à la graver en léger relief de beaux et fins hiéroglyphes 

 

     En guise de simple introduction, permettez-moi de préciser que ce Kaâper fut lui aussi, quelque deux mille ans avant Nakht-Hor-Heb, un important fonctionnaire royal auréolé de nombreux titres tels que, notamment, scribe des terres de pâturage du bétail tacheté ; scribe, puis inspecteur des scribes du département des documents royaux se rapportant à l'armée de plusieurs forteresses des zones frontalières ; surveillant de tous les travaux du roi, puis architecte en chef responsable des bâtiments royaux sur tout le territoire égyptien ...

 

     Mais qu'est-ce donc qu'une "formule d'offrande" ??

 

     Il s'agit d'un texte invocatoire qui, dès l'Ancien Empire, comporta cinq éléments se déclinant dans un ordre bien défini : l'en-tête, invariable (Offrande que donne le roi) ; le nom de l'un ou l'autre dieu, essentiellement à connotation funéraire ; le verbe d'action, lui aussi immuable (donner) ; l'énoncé d'une succession de produits alimentaires et se terminant par le prénom du défunt auquel cette "prière" s'adressait, souvent assorti de ses titres et qualités, parfois de l'une ou l'autre spécification d'ordre généalogique.

 

     Pour diverses raisons politiques et/ou religieuses, le texte un temps figé, évolua suivant les époques, tant au niveau de la forme, -  quelques graphies nouvelles apparurent -, que du fond : aux denrées de base, pain, bière, viande, volaille, vinrent s'en ajouter d'autres comme le vin ou le lait, différents biens comme des tissus ou des ustensiles de vaisselle mais aussi, parfois, l'un ou l'autre souhait personnel du défunt.

 

     Abordons à présent, voulez-vous, le linteau si élégamment gravé du mastaba de Kaâper que vous lirez, comme de tradition, en partant de la droite et en vous dirigeant vers la gauche ; et voyons si, in fine, le texte respecte la formulation classique que je viens de brièvement vous définir.

 

 

     Offrande que donne le roi et (que donne) Anubis

 

 KAAPER 01. Offrande que donne le roi et Anubis

 

 


     Avec "Htp di nsw.t" - prononcez "hétep di nésout" -, Offrande que donne le roi, nous sommes donc bien en présence de l'incipit obligé de cette formulation. Les deux premiers hiéroglyphes, le roseau des marais (1) et la galette de pain en dessous (2), symbolisent le roi de Haute-Égypte : ensemble, ils se traduisent littéralement par : "Celui qui appartient au roseau", dans la mesure où cette plante figure l’emblème du sud du pays, comprenez : la Haute-Égypte.

     Le troisième signe, un pain sur une natte concrétise le concept de l'offrande ; et le quatrième, le triangle, correspond à une des formes conjuguées du verbe "donner".

 

     En toute logique, respectant ma numérotation, au lieu de "Offrande que donne le roi" que je viens de vous dire,  je devrais donc traduire cette suite de pictogrammes par :  " Le roi (1-2 offrande (3 donne (4) ", ce qui, convenez-en ne respecte guère notre langue française mais respecterait mieux la langue égyptienne car la première place qu'occupent ici les hiéroglyphes symbolisant le roi constitue ce que les égyptologues sont convenus d’appeler soit une métathèse de respect, soit une antéposition honorifique, c'est-à-dire une inversion sémantique par rapport à la logique de manière à mettre la personne royale en exergue, de manière à porter sur elle l'éclairage, avant n'importe quelle autre indication.

 

     Quant au cinquième élément dessin gravé, ce superbe chacal assis, il concrétise le fait qu'aux premiers temps - à tout le moins au début de la Vème dynastie -, ces souhaits étaient subordonnés aux consentements conjoints du souverain, "patron" séculier de la nécropole et d'un dieu, Anubis ici en l'occurrence, divinité protectrice de cette même nécropole qui, comme l'indique la suite du texte sur le linteau : 

 

préside à la chapelle divine et à la nécropole.

 

 

Kaaper-02.-qui-preside-a-la-chapelle-divine-et-a-la-nec.jpg

 

 

     Parfois, ce seront d'autres divinités à connotation funéraire, Osiris, ou Ptah, ou Min ..., voire l'une ou l'autre ensemble, qui seront également convoquées par le défunt.

 

     Roi et dieu(x) accordaient donc de conserve plusieurs avantages aux privilégiés à récompenser, dont pourvoir à son alimentation n'était évidemment pas le moindre. 

 

     Par la suite, la formule se modifia dans la mesure où le roi, initiateur des offrandes, faisait oblation au dieu, devenu ainsi bénéficiaire premier, pour qu'il les rétrocède à un défunt, "allocataire" final : Offrande que donne le roi à Anubis, pourriez-vous lire dans ce cas.

 

     Les nombreuses variantes rencontrées au cours des temps dans le libellé des formules d'offrandes, notamment aux XIIème et XIIIème dynasties (Moyen Empire/Deuxième Période Intermédiaire) - sur lesquelles il serait fastidieux et trop pointu d'insister aujourd'hui -, constituent d'évidence, vous l'aurez compris amis visiteurs, autant de critères stylistiques permettant aux égyptologues de dater avec une certaine précision le monument sur lequel elles figurent.

 

     Avant de poursuivre, qu'il me soit également permis un nouvel excursus pour simplement mentionner, sans là aussi entrer dans de trop lourdes considérations lexicologiques, que certains égyptologues contemporains ont choisi de ne plus entériner la traduction classique de leurs pairs, Offrande que donne le roi, et de voir en ces termes des sens grammaticaux différents - verbe ou substantif ? ; formule descriptive ou optative ? Ils préfèrent alors traduire par Daigne le roi accorder une offrande à ... ou Puisse le roi ... ou  Veuille le roi ... ou encore Qu'il (le roi) daigne accorder ...

 

     Mais tout ceci, que je ne fais que citer par simple souci d'exhaustivité, mériterait évidemment d'être développé au sein d'un vrai cours d'apprentissage de la langue égyptienne, ce que mon modeste blog n'a nullement la prétention d'être ...

 

 

     L'incipit terminé, l'invocation proprement dite peut commencer avec d'abord le vœu que Kaâper soit enterré dans la nécropole en tant que détenteur de privilèges.

 

 

Kaaper-03.-qu-il-soit-enterre-dans-la-necropole-en-tant-q.jpg

 

 

     Ensuite, qu'il atteigne une très belle vieillesse auprès du grand dieu.

 

 

Kaaper-04.-qu-il-atteigne-une-tres-belle-vieillesse-aupre.jpg

 

 

     Comment ne pas songer, en lisant semblables souhaits, à ce passage que nous avons jadis rencontré dans les Maximes de Ptahhotep, précédant immédiatement le colophon :

 

J'ai obtenu cent dix ans de vie,

que m'a accordés le roi,

(...) pour avoir pratiqué la maât pour le roi,

jusqu'à la place de la vénération (comprenez : le tombeau).

 

 

 

     Sur le linteau de Kaâper vont ensuite être énumérées les offrandes alimentaires proprement dites : c'est, si vous y consentez, amis visiteurs, ce que nous découvrirons ensemble mardi prochain, 19 décembre, avant que je vous octroie le congé scolaire de fin d'année auquel, très probablement, vous aspirez grandement ...

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

BARTA  Windfried, Aufbau und Bedeutung der altägyptischen Opferformel, Glückstadt, ÄgForsch 24, 1968, passim

 

 

MASPERO  Gaston, La table d'offrandes des tombeaux égyptiens, Études de mythologie et d'archéologie égyptiennes, Tome 6, Paris, Leroux, 1912, pp. 365-9.

 

 

 

SAINTE FARE GARNOT  Jean, Religions de l'Égypte, dans École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, Annuaire 1948-1949, pp. 35-8.

(Site "Persée")

 

 

 

VUILLEUMIER Sandrine, CHAPPAZ Jean-Luc, Une offrande que donne le roi, dans "Sortir au jour" - Les aegyptiaca de la Fondation Martin Bodmer, Genève, Édition Fondation Martin Bodmer Cologny et Société d'égyptologie Genève, 2002, pp. 71-5.

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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 00:00

 

       Vous vous souvenez assurément, amis lecteurs, qu'en vous quittant samedi dernier après une intervention préliminaire concernant les serviteurs funéraires dont tout défunt voulait s'entourer dans sa tombe aux fins de ne pas être astreint à des corvées dans l'Au-delà, j'avais, en évoquant les différents aspects qui furent leurs tout au long de la civilisation égyptienne, gardé en suspens un détail  d'importance : dans la chambre sépulcrale d'Iufaa, les fouilleurs oeuvrant pour l'Institut tchèque d'égyptologie en mirent au jour 408 semblables à celui que nous aurons à nouveau loisir d'admirer dans un instant. 

 

 

     Mais avant de la détailler, je voudrais simplement mentionner qu'au Moyen Empire, le défunt  ne possédait le plus souvent qu'une, voire, dans quelques cas rares, deux statuettes. Leur nombre s'accrut néanmoins un peu avec le temps, mais en quantité raisonnable, hormis une exception notoire au Nouvel Empire sur laquelle je ne manquerai pas de revenir.

 

     A partir de la XIXème dynastie,  puis quand  sous Ramsès II s'invitèrent les premières figurines de contremaîtres - tenant un bâton ou un fouet à la place des outils aratoires classiques qu'étaient la houe, le hoyau ou le pic -, l'effectif augmenta considérablement et ce, jusqu'à Basse Epoque.

 

     Idéalement mais, selon le papyrus EA 10800 du British Museum, seulement à partir de la XXIème dynastie, l'équipement d'un défunt d'une famille aisée pouvait atteindre, quand il était complet, 401 figurines : en effet, une était prévue pour chaque jour de l'année - 365 corvéables donc -, et 36, considérées comme étant des chefs d'équipes. Appelés parfois "Grand des Dix"dans la littérature égyptologique ou "Dizeniers", ces dirigeants avaient en charge une dizaine d'ouvriers agricoles.

 

     Quant à l'exception mentionnée ci-avant, il s'agit, vous vous en doutez, des  statuettes funéraires de Toutankhamon. Selon l'égyptologue anglais Nicolas Reeves, Howard Carter retrouva en effet dans son hypogée 413 statuettes : les 365 de base, les 36 contremaîtres et 12 chefs supplémentaires, apparemment un par mois de l'année, surveillant la totalité du contingent.


      (Pour la petite histoire, d'aucuns, comme le français Jean-Luc Bovot, avancent le nombre de 417, en comptabilisant 4 statuettes hors troupe retrouvées dispersées ailleurs dans la tombe du jeune souverain.)

 

    Une nouvelle fois, je ne puis qu'être interpellé - je l'ai à plusieurs reprises déjà signalé - par les similitudes existant entre le mobilier funéraire du pharaon adolescent de la XVIIIème dynastie et celui du fonctionnaire royal de la XXVIème qu'était Iufaa ...


 

     Pratiquement : il n'est nul besoin d'envisager de vous rendre au  Musée du Caire pour y admirer ces petits personnages en faïence siliceuse bleue, sauf à penser que vous désirez absolument  rencontrer ceux d'Iufaa. Outre le Louvre, maints musées, fussent-ils de provinces, en France comme en Belgique, vous en proposent à l'envi.

 

     D'ailleurs, à l'entre-sol du Hall Napoléon, précisément,  sous la Pyramide du Louvre, eûtes-vous peut-être la chance, au printemps 2003, de visiter l'exposition Chaouabtis, des travailleurs pharaoniques pour l'éternité qui leur avait été dédiée. Là, désirant matérialiser une théorie de serviteurs funéraires momiformes, véritables petits chefs-d'oeuvre de Basse Epoque, les concepteurs de la manifestation décidèrent de présenter un ensemble exceptionnellement sorti des réserves et ayant appartenu à deux personnalités différentes qui, comme notre Iufaa, vécurent à la XXVIème dynastie. 

 

     Si ce ne fut pas le cas, il vous sera toujours loisible, quand nous reviendrons ensemble au Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, de simplement diriger nos pas vers la salle 17.

 

     Sur les plus de 4500 exemplaires détenus par le Musée, c'est-à-dire pratiquement 9 % de l'ensemble de ses  antiquités égyptiennes, 71 sont ici alignés dans la première des vitrines.


 

Ouchebtis - Salle 17 - Vitrine 1

 

     Et vous vous direz alors, en tentant peut-être de les dénombrer, que Toutankhamon et Iufaa en disposèrent chacun de pratiquement 6 fois plus ...

 

 

     Mais revenons, voulez-vous, précisément à un des 408 serviteurs funéraires d'Iufaa retrouvés dans sa tombe d'Abousir.

 

 

 

Iufaa - Oushebti (Photo Milan Zemina)

 

   

     Tous pratiquement semblables, leur hauteur mise à part, en céramique siliceuse émaillée bleue, ils présentent bien un aspect momiforme, enfermés qu'ils sont dans la gaine de leur linceul d'où ne sortent que les mains tenant, l'une un pic et l'autre une houe travaillés en léger relief.

 

     Ils sont coiffés de la perruque tri-partite traditionnelle des dieux, avec retombée de chaque côté du visage, laissant libres les oreilles et, évidemment, la troisième masse de cheveux recouvrant la nuque. Ils portent également la barbe postiche des dieux, longue, tressée, arrondie et recourbée en son extrémité.

 

     Serein, leur visage arbore ce fameux sourire caractéristique de la XXVIème dynastie, appelé "sourire saïte" par les égyptologues.

 

     Terminons, si vous le voulez bien, par quelques notions philologiques.

 

     Le devant du corps présente une seule colonne de hiéroglyphes incisés dans un encadrement rectangulaire : d'emblée, vous aurez aisément compris qu'elle ne peut évidemment pas contenir le texte intégral du chapitre VI du Livre pour sortir au jour que je vous ai récité samedi dernier :

 

Formule pour faire qu'un chaouabti exécute les travaux pour quelqu'un dans l'empire des morts.

 

      Paroles dites par N. Qu'il dise : "O ce chaouabti de N., si je suis appelé, si je suis désigné pour faire tous travaux qui sont faits habituellement dans l'empire des morts, eh bien ! l'embarras t'en sera infligé là-bas, comme quelqu'un à sa tâche.

Engage-toi à ma place à tout moment pour cultiver les champs, pour irriguer les rives, et pour transporter le sable de l'Orient vers l'Occident.


      "Me voici !", diras-tu."

 

 

     Pas plus, d'ailleurs, que le traditionnel incipit que vous connaissez pour l'avoir ici maintes fois déjà rencontré : Offrande que donne le roi ... pour le Ka de N. [= le nom du défunt] .

 

     Bien plus simplement ici, l'inscription quatre cent huit fois répétée de statuette en statuette martèle ce que je  pourrais appeler, faisant fi de l'anachronisme évident : "carte d'identité" du défunt.

 

  Iufaa - Inscription Oushebti - Administrateur des palais  

     En effet, l'en-tête propose son titre officiel : Administrateur des palais.

 

    

 

 

  Iufaa - Inscription Oushebti - Son nom  

     Les quatre signes hiéroglyphiques qui s'ensuivent fournissent tout naturellement son patronyme : Iufaa.

 

    

 

  Iufaa - Inscription Oushebti - Nom de sa mère Ankhtes  

 

     Et la colonne de se terminer par le nom de sa propre mère : Ankhtes, précédant le déterminatif de la femme assise.

 

 

 

     Texte très réduit donc, vous en conviendrez, que fut celui adopté par le défunt pour ses propres serviteurs funéraires. Probablement représentait-il simplement ce qu'il voulait que l'on sache de lui dans l'Au-delà, partant du principe que la présence des statuettes était déjà amplement suffisante pour l'assurer de n'être pas contraint à y effectuer les corvées agricoles imposées à tous : nul besoin dès lors, à ses yeux, d'y faire graver un texte invocatoire comme celui du chapitre VI du Livre pour sortir au jour ... 

 


 

( Barguet : 1967, 42 ; Bovot : 2003, 9 ; ID. : 2008, 67-72 ; ID. 2009 : 389-90 ; Reeves : 1995, 136-9)

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11 décembre 2010 6 11 /12 /décembre /2010 00:00

 

      Après avoir terminé nos différentes visites de la tombe-puits d'Iufaa, fonctionnaire palatial ayant vécu à la XXVIème dynastie, dite saïte, inhumé aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir, je vous avais proposé, dans le courant du mois précédent, souvenez-vous amis lecteurs, de nous pencher sur le matériel qu'il avait cru bon de s'entourer pour l'éternité et, dans cette optique, j'avais pour vous plus spécifiquement évoqué, le 13 novembre, les deux coffrets qui avaient été placés l'un le long du côté nord de son sarcophage de calcaire blanc, l'autre du côté sud et, dans la foulée, le samedi 20, les vases canopes qu'ils contenaient.

 

     Un petit excursus m'avait permis, il y a deux semaines, de brosser à larges traits les différentes étapes de la momification et, samedi dernier, de répondre à un questionnement d'un lecteur.

 

     Il me plairait maintenant de reprendre l'évocation de la chambre sépulcrale de ce défunt privilégié dans laquelle ont été rétrouvées, en nombre impressionnant, des petites statuettes sur lesquelles nous allons aujourd'hui nous pencher ...

 

 

Iufaa - Oushebti (Photo Milan Zemina)

 

 

     Il s'agit, vous l'aurez assurément deviné en découvrant le cliché ci-dessus, de ce que la langue égyptienne nomme un ouchebti. Ou un chaouabti. Ou encore un chabti ...

 

     Ces termes ne sont évidemment pas utilisés au gré d'une certaine fantaisie, d'une humeur de l'un ou de l'autre : ce serait trop  simple.  La réflexion s'impose donc quant au choix de l'un d'entre eux. D'abord parce que leur étymologie est rien moins qu'assurée : pour certains égyptologues, chaouabti viendrait du terme shaouab - cela semble évident ! - qui désignerait le perséa. 

 

     En fait, pas aussi obvie que cela aux yeux d'autres savants qui font à juste titre remarquer que les textes mentionnent bien le bois, et même deux types de bois différents, dans lequel les statuettes d'origine étaient confectionnées ... mais jamais celui du perséa !

 

     Le problème ne se pose évidemment pas quand, sur la statuette elle-même, figure l'une des trois dénominations  !

 

     D'aucuns ont tranché d'une autre manière : quand le chapitre VI du Livre pour sortir au jour (ou Livre des Morts) n'est pas inscrit sur la statuette, ils la nomment chaouabti si elle est antérieure à la XXIème dynastie et ouchebti, si elle est postérieure.

 

     Pour ce dernier terme, l'étymologie sauve la mise : ousheb signifiant "répondre", l'ouchebti, les textes le prouvent, est bien celui qui répond à la place du défunt quand injonction de corvée lui est adressée.

 

    Et dans notre belle langue française ?

 

     Certains usent tout naturellement du terme "répondant" ; d'autres, préfèrent "corvéable" ; d'autres encore "substitut", ou "figurine funéraire" ou enfin - et  ceci constitue l'appellation choisie par le Louvre pour ses cartels - : "serviteur funéraire".

 

     Mais ici aussi, cela peut se compliquer : les chaouabtis ne sont pas que des serviteurs et ils ne sont pas exclusivement funéraires, fait remarquer, en introduction à  son catalogue de ceux du Louvre ayant appartenu aux rois et aux princes des rives du Nil, Jean-Luc Bovot, Ingénieur d'études au Département des Antiquités égyptiennes.

 

     Nonobstant toutes ces arguties, vous m'autoriserez, je présume, à m'en tenir ici, faute de mieux, à la désignation de "serviteur funéraire". 

 

     Il faut en effet savoir qu'à l'Ancien Empire déjà, des statuettes en bois ou en pierre considérées comme étant au service d'un défunt, faisaient partie du mobilier de sa tombe : les égyptologues les appellent "modèles", à l'instar de ceux qu'en mai 2009, nous avions déjà rencontrés à propos des scènes de labour, des bovidés et d'un grenier.

 

     Le mort - qu'il fût pharaon ou homme du peuple - se devait, selon les croyances religieuses, de cultiver les Champs d'Ialou afin d'être à même de se nourrir l'éternité durant. Corvées qui ne plurent évidemment pas à tout le monde, le travail effectué par quelqu'un considéré comme un subalterne étant naturellement plus agréable à envisager !

 

     De sorte que des figurines ne portant toutefois pas encore la formule du chapitre VI - dès lors, sont-ce vraiment des serviteurs funéraires ? - font leur apparition, puis se généralisent dès les XIIème et XIIIème dynasties : certes, point encore fort élaborées, étant vaguement momiformes et n'arborant pas encore d'outils aratoires.

 

     Mais le processus semble enclenché : les modèles de serviteurs disparaissent alors pour laisser de plus en plus la place aux statuettes qui deviennent magiquement substitut du défunt en vue, surtout, d'effectuer dans l'Au-delà ses propres travaux agricoles. Par leur aspect de momie et grâce aux instruments qu'elles tiennent en mains, elles peuvent être considérées à la fois comme une représentation d'un défunt et celle d'un serviteur. 

 

     Il me semble néanmoins intéressant de préciser qu'inversement aux coutumes funéraires préalablement destinées aux souverains, puis seulement bien après, étendues aux fonctionnaires égyptiens, les serviteurs d'éternité furent quant à eux d'abord prévus pour remplacer les particuliers dans leurs travaux agricoles de l'Au-delà avant d'officiellement entrer dans le mobilier funéraire royal, à la XVIIIème dynastie.

 

     Au cours des temps, vous vous en doutez amis lecteurs, leur typologie varia considérablement : aussi, du Louvre au British Museum, des musées du Caire ou de Turin, de Bruxelles, de Leyde ou de Berlin, en rencontrerez-vous beaucoup de momiformes, comme ici, mais aussi d'autres portant un vêtement tout à fait classique ; d'autres encore appuyés contre une plaque dorsale ;  ou gisant sur un lit funéraire ;  ou à tête animale ; ou  formant un couple, avec leur épouse ou avec un fils ; ou en train de moudre des grains ; d'autres, enfin, miniatures, percés d'un trou pour servir d'amulettes à enfiler dans un collier ...

 

     Certains arborent une perruque dite à revers ou à frisons, c'est-à-dire avec deux nattes suggérant des boucles descendant sur la poitrine ou, pour les ouchebtis des souverains uniquement, une coiffe qui leur est typique : notamment le némès, tel que nous le connaissons sur le masque funéraire de Toutankhamon.

Un détail : le port de la barbe se révèle extrêmement rare sur les statuettes d'avant la XXVIème dynastie à laquelle, précisément, appartint Iufaa. 

 

     Bien évidemment, la diversité typologique se manifeste  également au niveau des matériaux dans lesquels ils ont été confectionnés au cours des âges : bois, sculpté et ensuite peint, terre cuite séchée au soleil, quartzite, calcite, calcaire de différentes teintes, granite noir ou, comme ici,  faïence de ce bleu caractéristique, pigment synthétique obtenu par chauffage entre 850 et 1000° C d'un mélange de composés calcaires, de silice et de minerai de cuivre.

 

     Plus rarement toutefois, vous en rencontrerez en bronze ou en verre, ceux-là datant de la seule XVIIIème dynastie.

 

     Intéressant apparaît le changement ressortissant au domaine des attributs ne constituant pas des objets utilitaires comme la houe, le pic ou le hoyau : en effet, au Moyen Empire et jusqu'au début de Nouvel Empire, certains tiennent soit le célèbre signe de vie ankh ; soit celui d'une aiguière, hiéroglyphe signifiant "Le Loué" ; soit le pilier Djed, symbole de stabilité et de durée ou encore le signe de l'étoffe, (S 29 dans la liste de Gardiner), abréviation hiéroglyphique du terme "santé".

 

     Egalement importante à souligner : l'évolution de l'inscription sur le corps de la statuette. Si les premiers exemplaires furent anépigraphes, apparurent très vite mais de manière sporadique soit une petite formule d'offrande funéraire, comme celle qui commence par cet incipit que nous avons maintes fois rencontré :  Offrande que donne le roi ... pour le Ka de N. [le nom du défunt], soit le patronyme du mort ainsi qu'un de ses titres comme, par exemple : Que soit illuminé le Prêtre pur, ou Prêtre lecteur, ou Scribe  ... , l'Osiris N.  , Juste de voix.

 

     Ce n'est qu'à la fin de la XIIème dynastie, voire au début de la XIIIème que se trouvera inscrite - peinte ou gravée - tout ou partie, en fonction de la place disponible, la fameuse formule de ce qui deviendra, suivant la numérotation prônée par l'égyptologue allemand Karl Richard Lepsius en 1842, le chapitre VI du Livre pour sortir au jour (ou Livre des Morts) :

 

 

      Formule pour faire qu'un chaouabti exécute les travaux pour quelqu'un dans l'empire des morts.

 

      Paroles dites par N. Qu'il dise : "Ô ce chaouabti de N., si je suis appelé, si je suis désigné pour faire tous travaux qui sont faits habituellement dans l'empire des morts, eh bien ! l'embarras t'en sera infligé là-bas, comme quelqu'un à sa tâche.

Engage-toi à ma place à tout moment pour cultiver les champs, pour irriguer les rives, et pour transporter le sable de l'Orient vers l'Occident.


      "Me voici !", diras-tu."

 

     Jusqu'au début de la XVIIIème dynastie, ce texte peut être écrit en lignes horizontales.

 

     Un cas unique, logique toutefois : sur les statuettes funéraires d'Amenhotep IV/Akhénaton, le chapitre VI disparaît pour laisser place à des éléments de sa titulature - son nom, ses titres et épithètes - enclos dans un cartouche. Et pour celles des dignitaires, le chapitre VI a évidemment été remanié : ont été retirées les allusions aux cultes osiriens et ajoutées des invocations à Aton aux fins qu'il revivifie le défunt grâce à ses rayons.

 

     Avec Toutankhamon et le retour à la théologie des prêtres de Karnak, le chapitre VI revient, mais incrusté en deux ou quatre colonnes verticales.

 

      Suivant les dynasties et les origines géographiques des rois qui gouvernèrent l'Egypte à la Troisième Période Intermédiaire (T.P.I.) et à la Basse Epoque, disparaîtra puis réapparaîtra le chapitre VI.

 

     A la XXVIème dynastie, époque de "notre" Iufaa, le corps des serviteurs funéraires se trouve soit inscrit de ce chapitre VI en lignes à nouveau horizontales, soit, comme ici, d'un simple petit texte peint verticalement.

Sur certains d'entre eux, le texte, épousant les deux formats, se présente dans un encadrement en forme de T. 

 

     Permettez-moi d'aussi ajouter - mais sans entrer dans le détail - que la formule de ce chapitre VI évolua elle aussi dans ses termes - les égyptologues lui reconnaissent en effet  six recensions - tout en conservant globalement sa signification initiale.

 

     Vous l'aurez compris, amis lecteurs, leur matériau, leur format, leur fabrication, leur couleur, l'absence ou la présence d'une inscription, le type même de celle-ci et la façon dont elle est inscrite, tout, indéniablement, fait de ces artefacts des documents d'une importance capitale pour une connaissance approfondie de la société d'un temps et d'un lieu.

 

      A tous ces indicateurs, j'ajouterai un ultime, assurément le plus spectaculaire : le nombre des suppléants magiques présents dans un  tombeau.

 

     Car, et j'ai gardé ce détail par devers moi pour la fin de notre présent rendez-vous : dans la chambre funéraire d'Iufaa, les égyptologues tchèques mirent au jour un nombre appréciable de statuettes semblables à celle que nous avons eue aujourd'hui sous les yeux.

 

     C'est à elles que, si d'aventure vous m'accompagnez encore dans la découverte de son  mobilier funéraire, je me propose la semaine prochaine de consacrer notre dernière rencontre en Abousir de cette année 2010.

 

   A samedi  ?

 

 

 

 

 

(Aubert L. et J. : 1974, passim ;  Barguet : 1967, 42 ; Bovot : 2003, 9 ; ID. : 2009, 389-90 ; Malaise : 1990-91, 31 sqq. ; Reeves : 1995, 136-9 ; Speleers : 1923, passim)

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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 00:00

 

     Parmi le mobilier funéraire d'Iufaa, fonctionnaire de cour à la XXVIème dynastie, que les égyptologues tchèques, sous l'égide du Professeur Ladislav Bares, mirent au jour dans la sépulture aménagée aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir, j'avais, souvenez-vous amis lecteurs, épinglé la semaine dernière, les deux coffres contenant chacun, notamment, deux de ses vases, dits canopes, en me et en vous promettant d'aujourd'hui être un peu plus prolixe quant à leur signification.     

 

     Permettez-moi d'entamer cette intervention par quelques brèves notions de philologie.

 

     Le terme canope constitue - et il n'est pas le seul dans son cas ! - le fruit d'une mésinterprétation historique. En effet, il fut créé par un auteur allemand, orientaliste, véritable génie encyclopédique, Athanase Kircher (1601-1680), pour désigner les quatre réceptacles à viscères disposés auprès du cercueil d'un défunt. Par la suite, il fut adopté par les premiers antiquaires européens à qui les pilleurs de tombes venaient les proposer et, enfin, par les égyptologues au demeurant conscients de la confusion initiale mais ne désirant apparemment pas perturber l'usage alors parfaitement avéré.

 

     Confusion initiale car, en fait, Kircher se basa sur un passage de l'Histoire ecclésiastique de Rufin d'Aquilée, auteur chrétien du IVème siècle de notre ère, dans lequel il était question d'un certain Canopus, dieu révéré dans une ville colonisée par les Grecs vers le VIème siècle avant notre ère, située au nord-est d'Alexandrie, sur une branche nilotique du Delta occidental, à laquelle, pour une raison par ailleurs inconnue,  ils avaient donné le nom de Canope, le nautonier de Ménélas, un des héros de la Guerre de Troie qui, lors de son retour au pays, se serait arrêté en cet endroit.

 

     De sorte que dans le petit catalogue qu'il rédigea pour sa propre collection d'antiquités égyptiennes, c'est abusivement que le jésuite allemand employa le terme pour désigner des urnes en pierre surmontées d'une tête humaine, ressemblant fortement à l'image connue de l'Osiris de Canope, un peu pansu, lié au culte de l'eau du Nil, partant, n'ayant strictement aucun rapport avec la conservation des organes abdominaux des trépassés.

 

     Utilisé dans le monde égyptologique, à défaut de ne correspondre à aucune réalité historique, à défaut également de créer un autre vocable de toutes pièces, plus correct mais à faire admettre par la communauté savante, le terme subsista et, à mon sens, ne sera même probablement jamais remplacé par un autre.   

 

 

     Les vases canopes d'Iufaa - puisque c'est bien de lui qu'il s'agit encore aujourd''hui -,  en albâtre, étaient obturés par des bouchons taillés dans le même matériau figurant bizarrement tous quatre, un visage humain, aux yeux et sourcils rehaussés de noir.


 

Iufaa - Vases canopes - (Cat. Prague)

 

     Bizarrement, parce qu'il faut savoir que depuis l'époque ramesside, et plus spécifiquement depuis la XXème dynastie, ces récipients destinés à recevoir les entrailles momifiées des défunts, présentaient des couvercles à l'effigie des génies protecteurs que sont censés être chacun des quatre fils d'Horus l'Ancien parce qu'ils auraient assisté Anubis lors de la momification d'Osiris en lui ouvrant la bouche aux fins d'à nouveau lui permettre de se nourrir : 

 

*  Imset, le seul à avoir conservé une tête humaine, protégeait le foie ; 

*  Hâpi, à tête de babouin, avait la garde des poumons ;

*  Douamoutef, à tête de chien, celle de l'estomac et de la rate ;

*  Qebeshenouf, à tête de faucon, étant pour sa part en charge des intestins.


     Ici, c'est sur la panse des réceptacles que, dans des encadrements d'inscriptions hiéroglyphiques incisées, figurent et le patronyme et l'image des quatre frères adolescents.

Et c'est sous le menton des couvercles qu'ont été inscrits à la peinture noire les noms des déesses protectrices : Isis,  secondant Imset ; Nephthys s'occupant de Hâpi ; Neith accompagnant Douamoutef et Selkis, Qebeshenouf.

 

     Les égyptologues n'ont pas vraiment établi la raison de cette assistance en abyme : pour quel(s) motif(s) ces divinités protégeaient-elles les fils d'Horus qui, pour leur part, jouaient magiquement le même rôle sur les viscères du défunt ? Sauf à penser qu'une comparaison pourrait éventuellement être faite entre la forme des jarres et un ventre de femme ...

 

     Fournissant tout à l'heure une précision chronologique, il serait peut-être maintenant bienvenu, amis lecteurs, sans pour autant vous assommer de dates à répétition, que je brosse rapidement un historique de ces réceptacles qui prirent une aussi grande importance dans les rites funéraires égyptiens.

 

     C'est de la fin de la IVème dynastie, à l'Ancien Empire donc, que proviennent les plus anciens vases canopes qui soient actuellement en notre possession : il s'agit de ceux retrouvés dans le mastaba de Guizeh de la reine Meresânkh III,  une des épouses du pharaon Chéphren. En calcaire, imitant la structure morphologique d'un petit vase tronconique appelé, en égyptien classique, un nemset, ils étaient fermés par des couvercles circulaires légèrement bombés.

 

     Mis à part un signe hiéroglyphique parfois peint signifiant "nécropole", ces premiers canopes sont en général anépigraphes. Et en outre pas nécessairement encore au nombre de quatre ...


     A la Première Période Intermédiaire (P.P.I.) apparaissent des bouchons à tête humaine sur des récipients que l'on commence à mettre sous la protection des fils d'Horus. L'époque étant à la restriction, le cartonnage remplace alors la pierre.  

 

     Si, au Moyen Empire qui suit, l'on en trouve encore d'hémisphériques, très vite, dès la XIIème dynastie en fait, consubstantiellement à l'assimilation, par des inscriptions sur la panse, des viscères aux quatre génies protecteurs, les bouchons à têtes humaines se généralisent et figurent indistinctement le masque funéraire du mort ou les traits attribués aux frères divins, assortis ou non, pour certains d'entre eux, d'une barbe.

 

     Cette représentation persistera jusqu'à la fin de la XIXème dynastie pour laisser place à la symbolique attribuée à chacun d'eux : Hâpi, le singe ; Douamoutef, le chien ; Qebeshenouf, le faucon ; Imset, je l'ai mentionné, restant le seul à conserver un visage d'homme.

 

     Au Nouvel Empire, à la XVIIIème dynastie, les jarres proprement dites seront en majorité confectionnées au tour de potier, alors que les bouchons continueront à être taillés à la main.  A noter également pour cette époque, une systématisation du texte de protection inscrit sur le corps même de l'objet. 

 

     Petit "intermède" à la Troisième Période Intermédiaire (T.P.I.) : à la XXIème dynastie, celle des souverains originaires de Tanis dans le Delta oriental, de nouvelles pratiques funéraires font en sorte que les canopes disparaissent, à tout le moins ceux contenant les entrailles des particuliers dans la mesure où soit, momifiées ou non, elles resteront en place dans l'abdomen, soit elles seront déposées entre ses jambes. Si d'aventure certains subsistent, parce que réalisés en un bloc de pierre plein, ils ne sont plus que factices. D'autres, tout aussi  fictifs, sont à peine évidés et ne renferment le plus souvent que des figurines de cire.

 

     Pour les souverains tanites, toutefois, la tradition des canopes persista. 

 

     Ce n'est qu'à Basse Epoque, sous le règne du pharaon Taharqa de la XXVème dynastie, au début du 7ème siècle avant notre ère, que la "mode" marquée par le retour aux anciennes traditions funéraires les réintroduira  et ce, jusqu'à l'époque ptolémaïque, avec quelques sporadiques variations de forme.

 

     Quant à la XXVIème dynastie qui nous occupe aujourd'hui avec Iufaa,  j'ai déjà maintes fois indiqué que, d'un point de vue artistique, elle se caractérisait par un besoin de revenir aux conceptions du passé - que les historiens nomment Renaissance saïte - avec une prédilection plus spécifique pour le Moyen Empire que le grand égyptologue allemand Dietrich Wildung n'hésite pas à appeler L'âge d'or de l'Egypte : de sorte que tout naturellement seront remis à l'honneur les bouchons à têtes humaines, ceux d'Iufaa en étant une illustration notable.

 

     Dois-je ajouter, dans un semblant d'exhaustivité, que bien évidemment le christianisme, abhorrant, donc rejetant les rites égyptiens à connotations religieuses, fut à l'origine de la disparition de cette tradition ?

 

     

     Après ce rapide tour d'horizon chronologique, permettez-moi de revenir aux vases canopes mis au jour dans la tombe d'Iuffa dont une matière résineuse, désormais carbonisée, comblait encore presque entièrement l'intérieur quand les fouilleurs tchèques en retirèrent les couvercles : cela me permettra de terminer mon intervention d'aujourd'hui en tentant d'expliquer la signification matérielle et religieuse de ces récipients funéraires.

 

      Si, à la fin de la préparation de l'ensevelissement d'un défunt, le coeur et le sexe conservaient leur place dans la momie ; si les reins, inaccessibles aux taricheutes - entendez les prêtres embaumeurs -, restaient eux aussi dans le corps, d'autres organes putrescibles faisaient l'objet d'une extraction et d'un traitement spécifique, puis étaient conservés dans ces urnes aux formes renflées .

 

     Selon les conceptions des Egyptiens de l'Antiquité, les quatre viscères, faisant partie de ce qu'il est convenu d'appeler "l'intérieur-ib" d'un défunt auquel les différents rites funéraires offraient d'accéder au statut de nouvel Osiris, devenaient organes du corps du dieu que les génies protecteurs avaient ensuite pour mission de lui rendre. De sorte que, restitués au trépassé, ses propres entrailles, par le passage magique dans les vases canopes, étaient considérées comme celles d'Osiris.

 

     En les rétrocédant à Iufaa parce qu'elles représentaient un des cinq constituants de son être, les fils d'Horus permettaient ainsi de magiquement lui assurer son intégrité physique pour l'éternité en menant à bien la reconstitution de son corps entamée par le processus de momification.

 

     La seule inconnue qui subsiste dans ce mythe - et elle est de taille : pour quelle(s) raison(s) uniquement ces organes-là, et pas d'autres ?  

 

  

 

 

 

(Bardinet : 1995, 79 ; Dolzani : 1982, passim ;  Laboury : 1990, passim ; Malaise : 1990, 27-8 ;   Reeves : 1995, 119-22 ; Reisner : 1967, passim)

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13 novembre 2010 6 13 /11 /novembre /2010 00:00

 
     Nous nous étions momentanément quittés, souvenez-vous amis lecteurs, avant les vacances de Toussaint, après avoir, à plusieurs reprises, eu l'opportunité d'ensemble visiter le tombeau d'Iufaa, ce fonctionnaire aulique de la XXVIème dynastie, inhumé dans le cimetière saïte aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir que fouillent, depuis quelques décennies, les membres de l'Institut tchèque d'égyptologie.

 

     Dans la chambre sépulcrale, à quelque 22 mètres sous le sable du désert,  Ladislav Bares, l'inventeur de cette tombe, nous avait permis, le 2 octobre, d'admirer à ses côtés l'imposant sarcophage rectangulaire de calcaire blanc, le samedi 9 suivant, celui, anthropomorphe, en basalte sombre qu'il contenait et enfin, le 16, le troisième cercueil gigogne, en bois cette fois, dans lequel reposait le corps momifié d'Iufaa.

 

     Ce n'est que lors de notre dernier rendez-vous, le 23 octobre, qu'il nous donna quelques indications supplémentaires sur cette momie avant de prendre congé de nous et ce, dans tous les sens de l'expression puisque nous en avions terminé de cette découverte.

 

     Ou presque ...


     Car s'il nous fut possible d'ainsi accompagner les membres de l'équipe de fouilleurs dans un espace aussi restreint (4, 90 x 3, 30 mètres) quasiment entièrement comblé par la présence de l'énorme premier sarcophage de pierre blanche, c'est parce qu'un long et important travail, au demeurant d'un très grand intérêt quant à ses résultats, avait été préalablement réalisé aux fins de dégager tout ce qui encombrait les seuls cinquante centimètres de couloir qui séparaient les quatre parois de la première bière de celles du caveau proprement dit.

 

     On sait, depuis notamment la découverte de l'hypogée du jeune Toutankhamon par Howard Carter au début des années 20 du siècle dernier, combien l'étude du mobilier funéraire participe des interprétations éminemment pointues en égyptologie.

 

     En effet, axe de recherche privilégié - quand, comme ici,  la sépulture est retrouvée intacte ou pratiquement -, l'analyse du viatique dont aimaient s'entourer ceux qui en avaient les moyens en vue de continuer à être favorisés dans leur vie de l'Au-delà, permet d'affiner nos connaissances ressortissant tout à la fois au domaine des pratiques funéraires (quels sont les objets présents et en quelle quantité ?), à celui des techniques de fabrication (quels furent les matériaux employés ?) et aussi, peut-être aux yeux de certains le plus important pour l'histoire des relations humaines, à celui de la position sociale du défunt, tant il est vrai que toutes les pièces déposées là et destinées à l'accompagner pour l'éternité sont fondamentalement révélatrices de son statut au sein de la société de son temps.

 

     C'est donc de ce trousseau funéraire particulièrement riche préalablement exhumé du caveau par les membres de l'équipe tchèque et actuellement exposé au Musée du Caire que j'aimerais, à partir de ce samedi, vous entretenir quelque peu.

 

     L'étroit espace qui entourait le massif sarcophage de calcaire - 50 centimètres de part et d'autres, je l'ai souligné ci-avant -, était, quand les membres de l'équipe voulurent pénétrer dans la relativement petite chambre funéraire, partiellement rempli d'une épaisse couche de sable sur laquelle gisaient des morceaux pilés de briques de boue séchée, ainsi que quelques blocs de calcaire sur lesquels très probablement reposa le couvercle en attendant que soit définitivement refermée la cuve funéraire à la fin de la cérémonie d'inhumation.

 

     Furent aussi retrouvés là un coffre de faïence, des vases en céramique sur la panse desquels était précisé à l'encre noire le nom des huiles sacrées qu'ils avaient contenues ; des amulettes, aussi ; ce que l'humidité ambiante avait  permis de conserver d'un rouleau de papyrus, autant dire quelques lambeaux irrémédiablement indéchiffrables  - (nous sommes, à plus de 20 mètres sous le sol,  au niveau de la nappe phréatique)  ; des poteries originaires de villes telles que Samos, Chios, Lesbos, en Grèce insulaire orientale et de Clazomènes, cité grecque également mais d'Asie mineure ; un vase d'albâtre, un autre en calcaire rose, d'une petite cinquantaine de centimètres de hauteur, présentant une adresse à Anubis ainsi qu'une image de ce dieu ; et ...

 

     Et, une des pièces les plus intéressantes mises au jour, un coffre en forme de naos - naoforme, comme aiment à le définir les égyptologues -, surmonté d'une élégante statue de chien (chacal ?) représentant Anubis couché, semblant indubitablement se faire le gardien du contenu de ce meuble sur lequel, ce matin,  il me siérait d'attirer votre attention.

 

 

Iufaa - Coffre aux canopes (Couverture ouvrage Bares - Abus

 

 

     Vous noterez tout de suite l'état de dégradation de ce monument de bois qui en réalité faisait partie d'une paire dont originellement l'un avait été entreposé le long du côté nord du sarcophage et l'autre, à l'opposé, du côté sud :  tout comme sur le troisième cercueil gigogne, figurations et textes peints en ocre à même une couche de vernis noir ont maintenant partiellement disparu à cause de l'important degré d'humidité que j'évoquais à l'instant.  


     A l'intérieur de chacun des coffres, deux vases d'environ 30 cm de haut.

 

Iufaa - Canopes (Photo Kenneth Garrett)

 

     Les plus fidèles d'entre vous auront remarqué que ce n'est pas la première fois qu'à propos du mobilier funéraire d'Iufaa, au demeurant "simple" haut fonctionnaire de cour, je faisais allusion à celui de Toutankhamon, pharaon de la XVIIIème dynastie : déjà la présence de cercueils emboîtés pour préserver sa momie, trois, comme dans l'hypogée du jeune souverain, m'avait interpellé, même si, je dois à la vérité de  reconnaître que la comparaison ne s'impose absolument pas quant au matériau utilisé et à la facture de réalisation .

 

     Aujourd'hui, ce coffre destiné aux viscères m'invite derechef à évoquer un mobilier funéraire hors du commun. Certes, celui-ci, en bois, n'a aucune prétention à rivaliser avec l'élégance de celui du roi adolescent, ni pour ce qui concerne la matière, de la calcite veinée, ni du point de vue de l'esthétisme de l'ensemble avec, notamment,  les quatre divinités protectrices sculptées en relief embrassant chacune de leurs bras étendus un angle spécifique du monument : Isis au sud-ouest, Nephthys au nord-ouest, Neith au sud-est et Selkis au nord-est.

 

     Mais il appert qu'à bien des niveaux, un parallélisme existe entre les deux inhumations.

 

     Ceci posé, j'aimerais en quelques mots retracer l'évolution de ces réceptacles avant de bientôt vous expliquer de manière détaillée  la signification de la présence de semblables jarres dans les tombeaux égyptiens.

 

     Il faut savoir que, dès le début de la civilisation et de ses pratiques de momification, à Saqqarah, certains viscères des défunts furent enveloppés à part, dans des étoffes, avant d'être posés à même une niche pratiquée à l'angle sud-est du mur sud de la chambre funéraire.

 

     Pour ne pas alourdir mes propos, permettez-moi de n'évoquer que prochainement les raisons de ces gestes thanatopraxiques.

 

     Après cette première étape à l'aube de l'Ancien Empire, des solutions multiples virent le jour à partir de la IIIème dynastie pour la conservation des entrailles : furent par exemple envisagés l'utilisation d'un second sarcophage placé à proximité de celui contenant la momie ; le creusement d'un deuxième caveau ; voire aussi celui d'un deuxième tombeau uniquement prévu pour les abriter ...

 

     A la même époque, les paquets de viscères embaumés furent enfermés dans des coffres en bois ou en pierre placés dans l'alcôve creusée à cet effet ou, notamment à la IVème dynastie, au fond d'un puits sommé d'une dalle.

 

     A la Vème dynastie, l'emploi de coffres se multiplie : ils sont alors souvent déposés près du sarcophage, du côté sud. Mais cela ne signifie nullement que la niche initiale disparaît complètement : les égyptologues en retrouvèrent encore dans des sépultures du Moyen Empire.

 

     C'est précisément à cette époque que, protection supplémentaire, se développe l'usage de prévoir quatre vases pour contenir les paquets d'entrailles momifiées. Dès lors, à partir du moment où, comme nous le verrons bientôt, des bouchons particuliers refermeront ces vases, le format des coffres qui, initialement, n'étaient fabriqués que pour abriter des paquets de viscères, s'agrandit considérablement.

 

     On les retrouvera désormais dans le mobilier funéraire égyptien jusqu'à l'époque gréco-romaine ; raison pour laquelle, aujourd'hui, nous avons pu nous pencher sur celui d'Iufaa, dignitaire de la XXVIème dynastie, et des vases qu'il contenait.

 

     Pour ce qui les concerne, je vous propose un nouveau rendez-vous, le samedi 20 novembre.

 

      Si tant est que la poursuite de ce sujet vous intéresse ...

 

 

 

 

(Bardinet : 1995, 79 ; Bares : non daté, passim ; Posener/ Sauneron/Yoyotte : 1959, 41-2 ; Reeves : 1995, 119-22 ; Rogouline : 1965, 237-54)

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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 23:00

 

      Dans une bien compréhensible prise de position respectueuse des conceptions funéraires de l'Egypte ancienne, l'égyptologue tchèque Ladislav Bares nous demanda, samedi dernier, souvenez-vous, de nous retirer avant qu'il ne procède au délicat enlèvement de ce qu'il restait encore d'intact de la parure qui recouvrait la momie d'Iufaa.

    

     Certes, il assortit sa décision d'une invitation à le rejoindre aujourd'hui, tout au fond du caveau funéraire, à 22 mètres sous le sable du cimetière sud-ouest de la nécropole d'Abousir pour mieux apprécier encore les différents sarcophages ; raison pour laquelle je vous retrouve avec plaisir à mes côtés ce matin.

 

     Quand tout fut terminé,

 

Iufaa - Sarco (Photo Martin Frouz - National geo)

 

quand la première cuve de calcaire blanc, avec toutes les précautions d'usage, fut vidée des deux cercueils gigognes qu'elle avait contenus, apparurent enfin complètement les différentes colonnes de hiéroglyphes colorés que les scribes d'il y a deux millénaires et demi, sur commande du  jeune défunt lui-même, voire, s'il n'en avait pas eu le temps, de ses proches, avaient dessinés sur tout le pourtour de la cavité anthropoïde dans l'espoir de le protéger au maximum pour l'Au-delà.

 

     Cette production littéraire magico-religieuse entourant son corps momifié consistait en textes relativement courts, extraits notamment des Formules des Pyramides et autres invocations, mais aussi en petites scènes peintes à l'image des vignettes que l'on peut admirer en tête des chapitres du Livre pour sortir au jour (appelé aussi, mais erronément, Livre des Morts) : plusieurs de ces chapitres - les 26 à 30 B qui tous  demandent que, dans l'empire des morts, soit rendu son coeur au défunt, ainsi que le 72  qui formule la permission qui lui est accordée de pouvoir librement sortir, puis rentrer dans sa tombe à la fin du jour - se retrouvaient d'ailleurs reproduits à divers emplacements sur les cercueils.

 

     Tout ce corpus, qu'il soit sur ou dans le sarcophage en calcaire blanc, sur le couvercle ou le pourtour extérieur du deuxième, en basalte foncé, ou sur la planche recouvrant celui en bois, constituera une incontestable documentation de première main - retrouvée intacte de surcroît ! - permettant aux égyptologues d'appréhender de manière encore plus détaillée les pratiques funéraires inhérentes à cette époque saïto-perse que sont les XXVIème et XXVIIème dynasties.

 

     Il est en effet dans les intentions du Professeur Bares de publier un nouveau volume dans la collection Abusir qui, après celui  qu'il fit paraître en 2008 et  seulement consacré à la description de la situation archéologique et des trouvailles mises au jour dans le tombeau,

 


Iufaa - Couverture Abusir XVII (L. Bares)

 

 

devrait nous dévoiler textes et scènes, peints ou gravés, de la chambre sépulcrale et des différentes enveloppes protectrices d'Iufaa.

 

     L'intéressant de la visite d'aujourd'hui réside évidemment aussi dans le fait que la tombe ayant été complètement dégagée, nous sont beaucoup plus aisément accessibles les motifs "décorant" les  murs intérieurs, ainsi que les différents cercueils gigognes.

 

     Ainsi, cette scène classique de la théorie des porteurs d'offrandes où au-dessus de la case attribuée à chacun d'eux a été gravé le nom du produit qu'ils proposent ;  

 

Iufaa - Porteurs offrandes sur sarco (Photo Martin Frouz)

 

 

ou, tout aussi, récurrente, celle du défunt assis devant la table de son repas funéraire comme déjà nous l'avions vue dans le mastaba d'Akhethetep, salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre et, plus récemment, ici en Abousir, dans celui d'Inty ;

 

Iufaa - Scène banquet sur sarco

 

 

ou, nettement plus problématique, plus interpellante dans la mesure où on ne lui connaît aucun parallèle dans un quelconque monument égyptien, celle de ces vaches prétendument "dansantes", aux pattes qui font étrangement penser à l'uraeus, le cobra femelle que l'on trouve fréquemment au front des pharaons et qui, assimilé à l'oeil de Rê, était censé protéger le souverain des ennemis du pays. 

 

Iufaa - Vaches dansantes


 

 

     Après nous être abondamment attardés pour admirer tous ces détails ressortissant au domaine des représentations funéraires, l'égyptologue nous propose de maintenant remonter à la surface pour ensemble converser autour d'une bonne et fraîche bière tchèque ...

 

     La momie d'Iufaa, dans un état de fragilité, voire de décomposition, assez préoccupant, ne fut pas "débandelettée", nous apprend-il, et donc partit telle quelle dans un laboratoire de Giza pour y être analysée aux rayons-X par les membres de l'équipe de l'anthropologue Eugen Strouhal.

 

     Et les radiographies, vous vous en doutez certainement, révélèrent bien des détails intéressants.

 

     Ainsi, les prêtres embaumeurs - (taricheutes, selon le terme employé par les égyptologues) - qui, au VIème siècle avant notre ère, avaient pratiqué la momification, insérèrent-ils entre les épaisseurs des tissus qui ceignaient le cadavre, comme d'ailleurs le voulait la tradition notamment pour les souverains, un certain nombre de ces amulettes prophylactiques en pierres semi-précieuses telles qu'on en trouve au Musée du Louvre, par exemple : entre autres, ici, six yeux oudjat, trois scarabées, deux noeuds d'Isis ...

 

     Les clichés permirent également de constater que doigts et orteils de la momie avaient été gainés d'une feuille d'or pur - la chair des dieux ! -, comme ceux que l'égyptologue français Pierre Montet avait exhumés de certains tombeaux de Tanis, en 1939.

 

      Enfin, sur le sexe avait été posée une mince plaque en cuivre doré.

 

     Après une analyse un peu plus poussée, le Professeur Strouhal put déterminer que notre homme était décédé relativement jeune, entre 25 et 35 ans, probablement vers 30 ans et qu'il avait déjà perdu la plupart de ses dents.


 

     Il serait prévu - Zahi Hawass, le tout puissant patron du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes l'avait promis en 2005, déjà, - qu'Iufaa réintègre sa tombe de manière qu'il soit à nouveau sous la protection des dieux.

 

     Quant à savoir s'il y reposerait en paix, c'est là une tout autre histoire dans la mesure où la sépulture, maintenant complètement sécurisée, devrait être ouverte au public.

 

     Un contact que j'ai récemment eu avec un égyptologue belge qui travaille sous la direction de Miroslav Verner à Prague (I.T.E.) m'a appris, le 29 septembre dernier, que, pour le moment, le site d'Abousir n'était pas ouvert pour les touristes. Le SCA (Supreme Council of Antiquities) a déjà depuis 2005 des plans pour l'ouvrir, mais jusqu'à présent, il ne l'a pas fait.

 

     Et mon correspondant de conclure : "Je crois que cela va durer encore longtemps avant que les touristes puissent visiter les pyramides et les tombes d'Abousir".


     Dans ce cas, peut-on penser que Z. Hawass voudrait ainsi respecter les traditions religieuses égyptiennes antiques pour lesquelles l'inviolabilité d'une tombe était gage d'éternité pour son propriétaire ?

 


     Deux remarques, avant de nous quitter ce matin.

 

     La première pour vous faire prendre conscience, amis lecteurs, que vous fûtes éminemment privilégiés d'ainsi m'accompagner depuis plusieurs mois dans tous ces caveaux nouvellement explorés par les égyptologues tchèques.

 

     La seconde, c'est que, toujours en rapport avec les conceptions égyptiennes que j'évoquais à l'instant, prononcer le nom de tous ces défunts comme nous l'avons maintes et maintes fois fait vous et moi, que ce soient ceux de Rêneferef, d'Oudjahorresnet, de Kaaper, de Fetekti, de Qar, d'Inty et, depuis quelques semaines, celui d'Iufaa, leur assure une vie éternelle, là-bas, dans les magnifiques Champs d'Ialou ...


     Cela compense, à mon sens, l'énorme dérangement que les égyptologues leur ont imposé en pénétrant et en fouillant dans leurs tombeaux. Et ce n'est peut-être déjà pas si mal !

 

    

 

(Bares : 2005 ; Barguet : 1967, 71-6 et 110-1 ; Onderka & alii : 2008, 108 ; Verner : 2002, 192-205)

 

 

     Conscient que les congés scolaires de la Toussaint qui débutent  fin de la semaine prochaine peuvent, comme ce sera mon cas, emmener certains d'entre vous, sur l'une ou l'autre route des vacances, je vous donne rendez-vous, amis lecteurs, le samedi 13 novembre aux fins de poursuivre notre prospection de la tombe d'Iufaa  : car aussi bizarre que cela puisse peut-être vous paraître, il nous reste encore quelques découvertes d'importance à y faire ...

 

     Mais avant cela, n'oubliez pas, mardi 26, notre dernière visite de ce mois d'octobre au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre ...

 



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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 23:00

 

     A nouveau, le moment nous sembla particulier, lourd, pesant, sombre même ; à nouveau, accord tacite, nous retenions tous notre souffle ; à nouveau, à 22 mètres de profondeur sous les sables du désert, dans le cimetière saïto-perse situé aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir que, depuis bien des années maintenant, fouillaient inlassablement les membres de l'Institut tchèque d'égyptologie que dirigeait Miroslav Verner, nous étions, vous et moi, les hôtes plus que privilégiés de Ladislav Barès et de son équipe.

 

     Samedi dernier, souvenez-vous, dans un vacarme que l'exiguïté des lieux avait rendu plus retentissant encore, chaînes et poulies avaient soulevé le lourd couvercle de basalte sombre qui chapeautait le deuxième sarcophage que contenait l'immense bière de calcaire blanc de la chambre sépulcrale d'Iufaa.

 

     Et, tout de suite, dans les yeux de l'égyptologue maître des travaux, se lut, si pas l'abattement, à tout le moins une perceptible déconvenue ... Aucun d'entre nous n'osa se faufiler pour s'approcher de la cuve, aucun n'osa poser de question, sauf d'un oeil scrutateur, respectant ainsi le silence qui avait suivi l'ahan général motivé par l'effort de permettre au couvercle de lentement glisser sur les poutres transversales.

 

     Et pourtant ...

 

     Une nouvelle surprise était bien au rendez-vous. Dans la cavité de pierre reposait, non pas immédiatement le corps du défunt comme tous  nous l'attendions, mais ce qui avait dû être une troisième enveloppe protectrice : un cercueil anthropoïde, le second, en bois de sycomore cette fois, de 1, 84 mètre de long et 48 centimètres de large, recouvert de motifs de stuc peint en ocre jaune.

 

     Ou plutôt, pour être plus précis encore, ce que l'humidité ambiante qui s'était malicieusement infiltrée jusque là depuis deux mille cinq cents ans avait permis d'en conserver : avec la précaution dont ils étaient pourtant coutumiers, les hommes de Ladislav Bares tentèrent de soulever quelque peu le couvercle manifestement fendu sur toute sa longueur. Il ne lui fallut que quelques menues secondes pour qu'il se démantèle quasi complètement, s'effritant et ne laissant que des morceaux épars entre les doigts des ouvriers, décontenancés, dépités.

 

     Fort heureusement avait été prise la sage précaution de préalablement retranscrire, puis de photographier les trois colonnes de hiéroglyphes peints en noir au centre de la longue et fragile planche en bois : là, en effet, se lisaient notamment le nom d'Iufaa et son titre d'Administrateur du Palais, ainsi que la mention d'Ankhtisi (ou Ankhtes), sa mère.

 

     Les fragments pourris dégagés, quelle ne fut pas la surprise de constater que ce troisième - et je peux maintenant ajouter : ultime écrin -,  à l'instar de ceux du même nombre mis au jour jadis dans l'hypogée de Toutankhamon, contenait enfin la momie tant espérée, d'apparence assez hiératique à cause du natron dans lequel l'ensemble avait été plongé originellement en vue d'une dessiccation optimale.

 

     Le visage mis à part, dissimulé sous un masque mortuaire en stuc doré, le corps était entièrement recouvert d'un linceul.

 

 

Iufaa - Momie dans sarcophage - (Catalogue Expo. Prague)

 

       Oh, évidemment, par n'importe quel linceul !

 

     Sur les bandelettes qui emmaillotaient Iuffa avait été déposée une superbe résille d'innombrables perles tubulaires de faïence bleue disposées en losanges  ; résille en bien piteux état aussi, je vous l'accorde, mais néanmoins encore suffisamment éloquente quant à la magnificence avec laquelle ce haut fonctionnaire palatial et prêtre lecteur, avait tenu à se faire inhumer. Certes, la splendeur n'atteignait en rien celle des trois sarcophages gigognes recouverts d'or du jeune fils d'Akhenaton : d'or, ici, il n'y avait point ! Point encore, à tout le moins ...

 

     Mais il demeure que l'ensemble de ces enveloppes funéraires successives, qu'elles soient de pierre ou de bois, constituait, pour un fonctionnaire royal, une bien belle preuve de statut social privilégié.

 

     De l'entrelacs des perles bleues allongées se détachèrent ça et là quelques figurations : les quatre fils d'Horus que, traditionnellement, l'on rencontre en guise de bouchon sur les vases canopes destinés à conserver les viscères d'un défunt et, au-dessus, sur la poitrine, Nout, la déesse du Ciel, ailes éployées.  

 

  

    Iufaa - Garniture de momie (Photo - M. Barta)

 

     Mais ce qui retint une nouvelle fois l'attention émerveillée de tous, ce fut un imposant collier Ousekh, - que j'ai pris la liberté de reproduire ci-dessus au départ d'un cliché de Miroslav Barta que publie M. Verner dans son remarquable ouvrage consacré à Abousir (voir référence infra-paginale) -, pectoral  de toute beauté, constitué de plusieurs rangs de fines perles de faïence multicolores et, lui aussi, malheureusement détérioré par le temps. 

 

 

      Ce sera après notre départ souhaité du caveau, dans quelques instants, qu'interviendra la délicate opération consistant à retirer du dessus de la momie d'Iufaa résille et collier qui la recouvrent encore ; les membres de l'équipe de l'Institut tchèque d'égyptologie désirant, mus par un ultime respect du défunt dans la plus pure conception antique, rester seuls en présence de la momie.

 

     Alors, et alors seulement, pourrons-nous contempler l'intérieur - vide - de l'imposant sarcophage de calcaire blanc qui avait pendant plus de deux millénaires et demi réussi à abriter les cercueils gigognes d'Iufaa.

 

     Il nous est proposé de nous retrouver ici même, samedi prochain  23 octobre, pour une dernière visite privée de la sépulture ...

 

     Qu'en pensez-vous ? Personnellement, je me suis empressé de déjà notifier mon accord, partant, ma présence.

 

     Et vous ?     

 

 

 

(Bares : 2005 ; Verner : 2002, 192-205)

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8 octobre 2010 5 08 /10 /octobre /2010 23:00

 

     Un assourdissant silence s'était emparé du caveau funéraire.  

     Tous étaient frappés.

     On surprit même Zahi Hawass en personne se taisant ... Le chapeau rivé, les mains dans les poches de son jeans bleu foncé, il pensait. Probablement à ce que, dans quelques instants, tonitruant, il révélerait à la presse.

 

     Seuls bientôt rompraient notre silence le cliquetis des chaînes et le grincement des poulies qui, une fois encore, seraient sollicitées pour soulever un pesant couvercle.

 

     A la surface, là-haut, à quelque vingt-deux mètres au-dessus de nous, dans le cimetière saïte aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir, s'entendait l'excitation manifeste chez chacun des journalistes de la presse internationale invités à couvrir l'événement par le tout (trop ?) puissant patron du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes.

 

     Mais à notre niveau, le temps semblait s'être figé : nous venions d'assister, souvenez-vous, à la fin du dégagement de tout ce qui, dans l'impressionnant sarcophage de calcaire blanc, recouvrait une nouvelle merveille : un deuxième cercueil - gigogne - , anthropomorphe et en  basalte vert foncé, destiné à protéger la momie d'Iufaa. Car contrairement à ce que nous croyions de prime abord, ce n'était pas elle qui nous était apparue dès le déblaiement des gravats, mais bien une merveille de l'art funéraire de Basse Epoque.

 

 

Iufaa - Sarcophage (Photo Kenneth Garrett - National Geogra


     Invités que nous sommes une fois encore ce samedi à poursuivre notre découverte du tombeau retrouvé intact de ce haut fonctionnaire palatial du temps des derniers souverains de la XXVIème dynastie - nous sommes ici au milieu du VIème siècle avant notre ère -, nous ne savons ce qu'il faut admirer le plus : sont-ce les colonnes de magnifiques hiéroglyphes colorés qui courent de haut en bas sur les parois  internes de la cavité anthropoïde du premier sarcophage rectangulaire de calcaire blanc, textes dont on n'aperçoit pas la fin ? Ou, dans ce même décor, les figures de quelques divinités du panthéon égyptien : Rê-Horakhty, Sekhmet, Bastet, Ouadjet et le peu connu Tutu, le Tithoès des Grecs, représenté en tant que dieu sphinx et qui n'apparut précisément qu'en ces temps-là ?

 

     Ou encore, merveille des merveilles, le deuxième sarcophage d'Iufaa, de 2, 20  mètres de long et 90 centimètres de large ? Le visage encadré par une perruque tripartite et le menton orné de la barbe recourbée caractéristique des défunts devenus un nouvel Osiris, il paraît opposer au monde des morts et des lamentations un sourire d'une sérénité confondante, si certain qu'il semble être d'accéder au Bel horizon, si apaisé d'avoir été reconnu Juste de voix par le Tribunal osirien.

 

     Ou enfin, - et c'est peut-être ce qu'en premier nous sauta aux yeux -, l'abondance, mais aussi l'excellence des hiéroglyphes de l'imposant couvercle recouvrant la cuve dans laquelle nous verrons sous peu la momie :  en effet, autour de la représentation d'un grand scarabée magnifiquement gravé en creux - figuration du verbe Kheper, qui signifiait tout à la fois,  "être", "devenir", "venir à l'existence" et évoquait de la sorte le principe de l'éternel retour, celui de la régénération dans l'Au-delà qu'espérait tout défunt -, répondaient à celles du pourtour des dizaines et des dizaines de colonnes de signes finement incisés dans la pierre sombre ; formules manifestement à nouveau religieuses que l'on pourrait définir de prophylactiques dans la mesure où, là aussi, les prières étaient prévues pour lui assurer un confortable avenir dans l'Au-delà.

 

     Caractéristique d'une conception funéraire de l'époque saïto-perse, cette profusion hiéroglyphique - cette surcharge regretteront assurément certains - avait ici pour conséquence de ne laisser vierges d'inscriptions que le visage, les deux pans de la perruque et une partie du cou modelés sur le couvercle : tout ce qui avait pu être décemment utilisé pour recevoir les formules protectrices l'avait été.

 

     Remarquable découverte, précieuse manne évidemment pour ceux des égyptologues qui plus spécifiquement plébiscitent l'épigraphie. Du travail de traduction en perspective, certes, mais surtout, et c'est là inestimable, une base de réflexions, de conclusions quant aux conceptions funéraires de cette époque bien particulière, charnière même, de l'histoire du pays.

   

 

     Le trouble manifeste qui nous anime aujourd'hui, vous et moi, devant tant de savoir-faire, tant de finesse, tant de délicatesse d'exécution chez des artistes d'il y a quelque deux mille cinq cents ans, nous a fait oublier la plus élémentaire des politesses sociales en semblable circonstance : Ladislav Bares et son équipe souhaiteraient en effet que nous nous reculions, que nous ne nous attardions par outre mesure au bord des cercueils de manière à permettre à tous ceux qui, comme nous, participent de ce privilège d'être présents dans la chambre sépulcrale, d'avoir un instant aussi visuellement accès à la beauté antique.

 

     Une deuxième raison, plus immédiatement pratique en réalité, motive la bien compréhensible requête de nos amphitryons tchèques : quand tous nous nous serons avidement rassasiés de tant d'élégance, ils désireraient retirer le couvercle du deuxième sarcophage pour enfin accéder à la momie d'Iufaa.

 

     Comme pour le premier, des moyens techniquement plus sophistiqués que ceux qu'indubitablement avait dû employer le personnel égyptien  du VIème siècle avant notre ère en vue de procéder à l'opération exactement inverse furent convoqués.

 

 

Iufaa

 

      (Document trouvé ici sur le Net) 

 

     La manoeuvre, aussi délicate que celle qui consista à  précédemment retirer la première dalle, se révéla toutefois moins problématique : aucune résistance ne fut opposée aux ouvriers par la présence d'une quelconque matière "soudant" ensemble couvercle et cuve proprement dite.

 

     Toutefois, une nouvelle surprise fut au rendez-vous : Iufaa n'ayant manifestement pas lésiné sur sa protection post mortem, dans cette deuxième enveloppe de pierre reposait, non pas son corps momifié que tous  nous attendions, mais une troisième bière : un cercueil à nouveau anthropoïde, mais en bois cette fois, de 1, 84 mètre de long et 48 centimètres de large, ou plutôt, apparemment, ce que l'humidité ambiante depuis plus de deux millénaires avait permis d'en conserver ...

   

     Un instant, un instant seulement, gênés peut-être, mais heureux d'avoir la chance de fouiller un tombeau inviolé, les archéologues avaient oublié que l'homme n'est pas toujours le seul responsable de déprédations irrémédiables : la Nature, aussi, se rappelle volontiers à leur souvenir. Et dans cette nécropole d'Abousir, plutôt deux fois qu'une ! La déception, alors, n'eut d'égale que l'espérance de tout retrouver parfaitement intact qui avait accompagné les différentes étapes de leur fouille. 

 

      Perceptiblement, la déconvenue, naturelle en la circonstance, se lisait sur le visage de l'équipe : dans quel état les éléments de la dernière (?) protection mortuaire d'Iufaa nous apparaîtraient-ils ?  Et sa momie, par la suite ?

 

     Nous n'osions à nouveau approcher pour nous pencher au-dessus de la cuve, pour embrasser d'un regard ce qu'elle nous réservait.

 

     Et pourtant ...

 

 

 

 

(Bares : 2005 ;  Verner : 2002, 192-205)

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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 23:00

 

     Lentement, désespérémment lentement, le reste des gravats qui encombraient la partie inférieure de la porte fut déblayé. L'instant décisif était arrivé. Les mains tremblantes, je pratiquai une petite ouverture dans le coin supérieur gauche. J'y introduisis une tige de fer qui ne rencontra que le vide. Puis je plaçai une bougie devant l'ouverture, pour m'assurer qu'il n'y avait pas d'émanations dangereuses, élargis le trou - et regardai.

 

     Anxieux, lord Carnarvon, lady Evelyn et Callender se tenaient près de moi. D'abord, je ne vis rien ; l'air chaud qui s'échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis, à mesure que mes yeux s'accoutumaient à l'obscurité, des formes se dessinèrent lentement : d'étranges animaux, des statues, et, partout le scintillement de l'or. 

 

     Pendant quelques secondes  - qui durent sembler une éternité à mes compagnons - je restai muet de stupeur.  Et, lorsque lord Carnarvon demanda enfin : "Vous voyez quelque chose ?", je ne pus que répondre : "Oui, des merveilles !"

 

     Alors, j'élargis encore l'ouverture pour que nous puissions voir tous les deux.

 

Howard Carter

 

 

 

     Après avoir de nombreuses fois au cours de leur exploration du site d'Abousir vérifié la triste efficience des profanateurs de nécropoles, quelle ne fut pas l'heureux étonnement des archéologues tchèques s'intéressant au complexe funéraire d'Iufaa devant lequel, souvenez-vous amis lecteurs, je vous avais à nouveau fixé rendez-vous, de constater - là réside la surprise que je vous annonçais samedi dernier, vous vous en étiez très probablement doutés -,  que la chambre sépulcrale de cet administrateur palatial qu'ils atteignirent en 1998 se présentait apparemment sans trace de pillage.

 

     Même si l'égyptologue tchèque Miroslav Barta avance qu'il s'agit de la première chambre funéraire découverte intacte depuis celle de l'hypogée de Toutankhamon par Howard Carter, en 1923, il semblerait qu'il faille remonter moins loin dans le passé pour rencontrer une autre sépulture, d'époque saïte de surcroît,  donc fort semblable à celle-ci, également inviolée :  il s'agit de celle d'un certain Imentefnakht mise au jour en 1941 par Zaky Y. Saad, à Saqqarah, au sud de la pyramide d'Ouserkaf.

 

     Que ce soit l'une ou l'autre, peu importe me semble-t-il, et ne doit en cette matière être prise en bonne considération, archéologiquement parlant,  que l' "exceptionnalité" de l'événement. 

(J'en suis conscient, amis lecteurs, le terme n'existe pas, je l'ai forgé de toute pièce parce qu'il correspondait parfaitement à mon attente : pourquoi pas un Petit Richard après le Petit Robert ???)

 

     Nonobstant, ils n'entonnèrent pas démesurément le péan de la victoire dans la mesure où, certes épargnée par les pillards, la sépulture avait subi quelques dégradations manifestes inhérentes à l'humidité parce que creusée au niveau des eaux phréatiques. 


     Mais comment, in situ, les membres de l'équipe de fouilles tchèque arrivèrent-ils à cette conviction de  tombe non profanée ?

 

     Reprenons chronologiquement, voulez-vous, et avec force détails, les étapes de leurs travaux.

 

     Souvenez-vous, je vous avais expliqué que tout au fond du large puits principal du complexe funéraire, ils avaient rencontré, creusée à 22 mètres en dessous du niveau du sol désertique du cimetière saïte de la nécropole d'Abousir, orientée d'est en ouest, la chambre sépulcrale d'Iufaa, relativement petite puisqu'elle ne mesurait que 4, 90 mètres de long et 3, 30 de large et qui avait indubitablement été agencée pour évoquer la forme générale d'un sarcophage géant, aux extrémités relevées et au couvercle, le plafond de la pièce en réalité, voûté, bombé.

 

Iufaa - Chambre sépulcrale (Reconstitution 3D - Photo Nati

 

     Manifestement, elle avait été réalisée après l'inhumation du défunt dans la mesure où sa propre bière présentait les dimensions non négligeables de 3, 80 mètres de longueur et 2, 30 de largeur ; ce qui, si vous calculez comme moi, ne laissait de chaque côté de ses parois qu'un espace d'une cinquantaine de centimètres de large, sur lequel j'aurai un prochain samedi bien des choses à révéler. Impossible donc dans un environnement aussi restreint de se mouvoir aisément pour introduire un monument funéraire d'un tel volume. 

 

     Les murs de la chambre, en calcaire de qualité très inégale, étaient entièrement recouverts, la voûte mise à part, de textes hiéroglyphiques ressortissant au domaine religieux aux fins d'assurer au défunt un avenir post mortem le plus protecteur qui soit. Les égyptologues constatèrent très vite que, dans l'ensemble légèrement gravés, certains passages, notamment sur le mur ouest, n'avaient bizarrement pas été traités et étaient restés à l'état d'ébauche, c'est-à-dire préparés à la peinture rouge, - la couleur de l'esquisse chez les scribes égyptiens, alors que dans notre monde contemporain, elle serait plutôt celle de la correction d'un travail.

 

     Quant à la raison de cette différence, elle doit probablement être inhérente au fait qu'Iufaa décéda relativement jeune : en effet, les scientifiques qui ont analysé les ossements de sa momie estiment qu'il ne vécut qu'une petite trentaine d'années, voire tout au plus 35 ... De sorte que ceux qui avaient  entamé l'élaboration de sa maison d'éternité n'eurent manifestement pas le temps d'en terminer la "décoration" avant les funérailles.

 

 

     Dans cet espace exigu reposait un sarcophage rectangulaire constitué de deux imposants blocs de calcaire blanc. Tout de suite, c'est avec bonheur que Ladislav Bares qui dirigeait l'équipe de fouilles de l'Institut tchèque d'égyptologie nota que les parois externes de la cuve étaient couvertes de signes hiéroglyphiques et de scènes figurées, tout comme les murs de la petite chambre d'ailleurs, mais moins profondément incisés pour les textes et en quantité plus limitée pour les figurations : aux épigraphistes l'importante tâche d'à présent traduire tout ce corpus dont Iufaa, administrateur du palais d'Amasis, le pénultième souverain de cette XXVIème dynastie qui bientôt s'éteindrait sous les coups de butoir de la soldatesque perse de Cambyse II, avait cru bon de préventivement s'entourer.

 

     Pour l'heure, il ne restait plus qu'à ouvrir le sarcophage pour accéder à sa momie ...

 

     Est-il vraiment besoin d'insister ? Soulever cet énorme couvercle nécessita une énergie hors du commun : différents crics, mécaniques et hydrauliques, furent notamment requis.

Il ne pesait pas moins de 24 tonnes à lui seul ! 

 

     Toutefois, au préalable, il fallut briser le plâtre qui le scellait encore à la cuve proprement dite. Progressivement, des coins de bois furent encastrés les uns après les autres dans le minuscule espace que le descellement dégageait jusqu'à ce que, dans l'interstice devenu suffisamment large, il fut possible d'insérer des blocs de bois. Le procédé fut ainsi maintes fois renouvelé sur tout le pourtour, de manière que l'énorme dalle soit enfin surélevée d'environ un mètre. C'est alors seulement que dans l'espace libéré ainsi obtenu furent introduites quatre considérables poutres de bois de 7, 50 m de long et de 31 centimètres de section sur lesquelles, grâce à deux crics mécaniques, le lourd couvercle de calcaire blanc fut poussé jusqu'à une plate-forme de pierre et de sable aménagée à cet effet au-delà du mur nord de la tombe.

 

 

     Avez-vous été attentifs à mes propos, amis lecteurs ? Briser le plâtre qui scellait encore le couvercle à la cuve, ai-je ci-avant énoncé. Qu'est-ce que cela signifie exactement pour vous ?

 

- Un énorme travail de précision pour ne pas abîmer le monument.

 

- Certainement, Monsieur, je n'en disconviens pas. Mais encore ?

 

- ...

 

- Oui, Madame ... Vous me dites ?

Ne craignez pas de vous exprimer devant tous nos amis ici réunis. Parlez un peu plus fort, voulez-vous ?


- S'il fallut dessouder couvercle et cuve, cela signifie peut-être que le sarcophage n'a jamais été  profané par des pilleurs de tombes.

 

- Et pourquoi : peut-être, Madame ?

Vous avez parfaitement raison : le monument funéraire fut bien retrouvé intact par les archéologues !


      Vous souvenez-vous que, tout à l'heure, nous nous étions interrogés sur la raison pour laquelle, pratiquement dès le départ, ils avaient été persuadés d'entrer dans une tombe inviolée ?

Parmi les différentes propositions de réponses que bientôt nous rencontrerons, vous venez d'en donner une, Madame, et de taille.

 

     

     L'immense bloc de calcaire d'un mètre d'épaisseur dégagé, apparut l'intérieur de la cuve du sarcophage proprement dit : il suffit alors aux archéologues tchèques de se pencher au-dessus de cet espace anthropomorphe d'1, 40 mètre de haut pour enfin admirer la momie d'Iufaa.

 

     Que nenni !! Rappelez-vous la semaine dernière : avec les membres de l'équipe tchèque qui nous avaient exceptionnellement admis à leurs côtés, nous avions constaté, après avoir admiré les premiers centimètres de textes hiéroglyphiques peints de couleurs noire, rouge, bleue, brune, verte et jaune et remarquablement conservés décorant la partie supérieure de la paroi interne de l'imposante cavité   

 

 

Sarcophages d'Iufaa

 

que nécessité s'imposait de préalablement dégager les gravats de briques crues partiellement concassées qui encombraient l'intérieur avant de pouvoir saluer le corps momifié d'Iufaa.

 

     Il était patent que l'interrogation se lisait dans les yeux des fouilleurs : pourquoi de semblables déchets avaient-ils été là déposés ? Car d'évidence, leur présence n'était manifestement pas le produit du hasard. Ils eussent été retrouvés sur la voûte de la chambre funéraire que cela eût pu être explicable : un quelconque éboulement dans le puits. Mais ici, sous le lourd couvercle de 24 tonnes ?  Pour symboliser une inhumation à même le sol ?  Ou, plus pragmatiquement, dans l'unique volonté d'absorber l'importante humidité des lieux sachant que rien n'était plus espéré, dans les conceptions funéraires égyptiennes, que la protection maximale d'un défunt ?

 

     Quoi qu'il en soit de la réponse à apporter à ces interrogations,  les membres de l'équipe de Ladislav Bares n'eurent de cesse de dégager tous ces débris. ... pour en découvrir d'autres, en dessous : il s'agissait cette fois de tessons de poteries rouges.

 

     Là, l'intention était claire.

 

     Vous souvenez-vous, amis lecteurs, de cette intervention d'avril dernier dans laquelle j'avais évoqué les moyens, magico-religieux, auxquels recouraient les prêtres ritualistes pour  protéger les trépassés des éventuels ennemis de l'Egypte ? Dans le même ordre d'idée, à ces statuettes de prisonniers mains liées derrière le dos que je vous avais alors présentées, je me dois aujourd'hui d'ajouter le rite récurrent du "bris des vases rouges".

 

     Mais de quoi s'agit-il au juste ?

 

     D'après les recherches  menées par l'égyptologue français Georges Posener sur certains fragments exposés à Berlin et sur des céramiques mises au jour dans une forteresse datant de la XIIème dynastie, à Mirgissa, près de la deuxième cataracte du Nil (actuelle frontière égypto-soudanaise), il appert que certaines pièces de vaisselle comme des bols, des écuelles et des petits vases essentiellement de teinte rouge sur lesquels étaient notés les noms des peuples hostiles aux terres nilotiques pouvaient être ainsi  systématiquement brisés et inhumés avec un défunt.

 

     Deux points sont ici à épingler : d'abord la couleur rouge qui, dans la riche symbolique égyptienne, fait prioritairement allusion aux déserts frontaliers et, subséquemment, aux ennemis du pays toujours susceptibes d'entraver un parcours vers l'Au-delà.

 

      Ensuite, l'inscription : lors de nos rencontres, j'ai souvent attiré votre attention sur le fait que l'écriture égyptienne détenait une puissance créatrice telle que noter le nom d'un individu suffisait à le faire exister et, inversement, que le  biffer ou, comme c'est ici le cas, le briser, signifiait le faire disparaître ou, à tout le moins, annihiler ses pouvoirs maléfiques.  

 

     Ce fut donc assurément un geste à connotation prophylactique que celui qui constitua de disposer des tessons de céramique rouge dans le sarcophage d'Iufaa.

 

     Quand les membres de l'équipe de fouilleurs tchèques eurent enfin terminé ce  long travail de dégagement, ce fut une nouvelle surprise qui les - qui nous attendit : lentement, au fur et à mesure de l'opération, sous nos yeux à tous apparaissaient une nouvelle merveille ...  

 

     Plus personne ne disait mot ... Je pense même avoir entrevu l'un ou l'autre essuyer une larme furtive ...

 

     Encore tout ébaubi par ce que nous venions de découvrir ensemble, l'esprit un peu confus par tant de splendeur, j'entendis nettement, rompant un silence qui me sembla démesurément long, comme s'approchant doucement de nous depuis le dessus du puits central du complexe funéraire, les dernières paroles d'une chanson de Brel :  

 

     Mais il est tard, Monsieur, il faut que je rentre chez moi ...

 

     Gravissant tel un automate les marches de l'immense escalier aménagé dans le puits parallèle, j'eus encore la force de me répéter : ne pas oublier, ne pas oublier, ne pas ...


     En me réveillant le lendemain matin, sur l'autocollant apposé la veille contre le miroir de la salle de bains de mon hôtel au Caire, je reconnus mon écriture : "Ne pas oublier de  mentionner notre rendez-vous du samedi 9 octobre prochain" ...

 


 

(Bares : 2005 ; Carter : 1978, 65-6 ; Jambon : 2009, 1-26 ; Posener : 1940 et 1966 : 277-87 ;  Saad : 1942, 382-91 ; Verner : 2002, 192-205)

  

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