"Par excellence, domaine de la résidence divine, la sphère céleste accueille donc le Créateur et sa cour, naviguant librement au sein de nefs aériennes, à la fois "flottantes" et "volantes". À l'image des vaisseaux ailés, les formes architecturales rêvées de l'Empyrée possèdent des propriétés surnaturelles, issues d'autres perceptions du temps, de l'espace et de la matière. Pour la créature humaine, ce domaine de l'essence divine incarne le plus sûr des asiles, le plus puissant des boucliers contre la rupture d'équilibre cosmique toujours menaçante. Avant d'y accéder, le défunt doit abolir le terrifiant système défensif créé par la mort et le jugement, l'emporter sur l'inquisition initiatique du Passeur, afin de fusionner avec sa nef divine remembrée, en envol vers les prairies des provendes éternelles, sur le " côté oriental du ciel". Là, dans ces confins horizontains, se dévoile enfin le Réel véritable dont notre monde terrestre n'offrira toujours que des approximations."
Jocelyne BERLANDINI-KELLER
Résidences et architectures célestes
dans Les Portes du Ciel.
Visions du monde dans l'Égypte ancienne
Paris, Catalogue d'exposition (Marc ÉTIENNE s/d),
Éditions Somogy/Musée du Louvre, 2009,
p. 37
Stèle de la Dame Oudjarénès - Louvre, salle 31, vitrine 14 - (© Guillaume Blanchard - https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Egypte_louvre_033.jpg)
Aujourd'hui, amis visiteurs, c'est en compagnie de la charmante Dame Oudjarénès représentée sur une stèle de bois ornée de couleurs vives, mesurant 45,50 centimètres de haut et 26, 80 de large et datant de la XXVIème dynastie, - N 3787 -, que nous nous rapprocherons encore davantage de notre rentrée attendue en salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris.
Certes, ce n'est ni vous ni moi qu'elle prie instamment de revenir auprès d'elle dans la vitrine 14 de la salle 29, - ou 31 ou encore, depuis peu sur le site officiel, 643 (?) ; salle néanmoins toujours intitulée : "De l'An 1000 à la première domination perse"-, mais bien plutôt, vous l'aurez remarqué, le soleil deux fois identifié : dans l'encadrement de droite, celui qui, vespéralement, chaque jour se couche : Atoum ; et, à gauche, celui qui, matutinalement, se lève : Rê-Horakhty.
Fréquent dans le mobilier funéraire à partir du premier millénaire avant notre ère, ce type de petit monument présentant des scènes d'adoration du soleil manifeste clairement la volonté d'un défunt, - une défunte, ici, en l'occurrence -, d'éternellement se joindre au dieu Rê lors de son périple nocturne aux fins, comme lui, de renaître chaque matin.
Dans le tableau supérieur de cette stèle, après d'autres motifs décoratifs et une ligne de hiéroglyphes liserant la cambrure du cintre, sous un soleil ailé que dominent vingt étoiles symbolisant la voûte céleste, l'artiste a peint une barque voguant sur des eaux tranquilles : il s'agit de celle de Rê se levant entre deux collines, les monts de l'Orient et de l'Occident, akhet, ainsi que le définissaient les Égyptiens ; ce que les égyptologues nomment volontiers l'horizon, comprenez, avec feu l'égyptologue belge Philippe Derchain : le lieu toujours brillant où se tient le soleil au ciel, lieu embrasé où résident les dieux, et qu'il nomme "empyrée".
Dans le catalogue de l'exposition "Les Portes du Ciel" duquel, tout à l'heure, j'ai distrait l'exergue de notre présent rendez-vous, l'égyptologue français Luc Gabolde précise que l'horizon-akhet constitue "le lieu où, manifestement, le monde divin touche le monde humain, où l'ici-bas touche l'au-delà".
Parce que le milieu naturel fut de tout temps celui qui existe encore de nos jours ; parce que ne se construisit jamais un pont permettant de passer d'une rive du Nil à l'autre ; parce que matériellement, leur statut social et leurs conditions de vie ne permirent pas à la majorité d'entre eux de disposer d'une quelconque embarcation personnelle, fût-elle de papyrus confectionnée, les Égyptiens de l'Antiquité se virent contraints, notamment pour leurs déplacements d'est en ouest ou sur les canaux du Delta, de faire appel aux services de passeurs disposant d'une barque de manière à leur permettre d'évoluer sur l'eau.
De sorte qu'à l'instar de leur quotidienneté, quand venait le moment de rejoindre les régions espérées hospitalières pour y séjourner leur seconde vie durant, c'est également grâce à un nocher qu'ils escomptaient atteindre ces Champs d'Ialou au sein desquels, leur avait-on prédit, "tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté".
De ce souhait bien compréhensible, les textes d'une pyramide tardive, celle d'Aba-Kakarê-Ibi, de la VIIIème dynastie, font déjà état ; ainsi que, bien évidemment, ceux dits "des sarcophages" puis, plus tard enfin, quelques chapitres du "Livre pour sortir au jour", dont le 99ème par lequel je me propose ce matin de commencer à vous en faire découvrir quelques autres qui, peu ou prou, évoquent la navigation dans l'Au-delà ...
Chapitre 99 : Formule pour amener (à soi) le bac dans l'empire des morts, par N.
(N. = Nom du défunt à ajouter)
Qu'il dise : "Ô vous qui ramenez le bac de Noun de dessus ce mauvais écueil, amenez-moi le bac, attachez-moi les cordages ! Venez vite. Hâtez-vous vite. Je suis venu pour voir mon père Osiris. (...)
Ô Gardien du bac mystérieux, qui surveille Apophis ! Amenez-moi le bac, amenez-moi les cordages, afin que j'en sorte (de) ce pays mauvais (= le monde souterrain considéré comme à l'envers du monde céleste) dans lequel les Renversées (= les étoiles) tombent sur leurs faces sans qu'elles puissent se redresser.
Hensoua langue de Rê, Indebou guide du Double Pays et Mengeb, avec leurs pagaies, et ce Puissant (du ciel), celui qui fait briller le disque, celui qui domine le sang, amenez-(le) moi, que je ne sois pas sans barque !"
Bien avant cet important chapitre 99 expliquant que tout défunt souhaite se faire amener la barque solaire de Rê dans laquelle il prendra place aux fins de naviguer vers l'empire d'Osiris, - et vous aurez évidemment compris toute la gravité du "que je ne sois pas sans barque" qu'il adresse à Hensoua, Indebou et Mengeb, ses trois pagayeurs -, à la fin du chapitre premier déjà, allusion avait été faite à la navigation post mortem :
"Le prêtre-lecteur du coffret (qui contient les documents sur lesquels sont inscrites les formules du rituel funéraire) psalmodie pour lui (= le défunt), et il entend la liturgie des offrandes ; il monte dans la barque-nechmet sans être repoussé, son âme étant avec son maître. "
Parmi les vignettes susceptibles de surmonter l'un ou l'autre des seize premiers chapitres du Livre pour sortir au jour expliquant la progression du cortège funèbre vers la nécropole de l'Occident, l'une permet de visualiser cette barque-nechmet, en réalité celle d'Osiris, posée sur un traîneau que halent des bovidés et sur laquelle trône un dais surmontant le sarcophage contenant la momie, ainsi que vous le montre ce document de la vitrine 2 de la salle 20 (318 ?), - N 3068 -, du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre.
Dans ce corpus funéraire capital que fut pour les Égyptiens à partir du Nouvel Empire le Livre pour sortir au jour, bien d'autres chapitres mentionnent la thématique de la navigation des défunts ; ainsi ceux affichant les numéros 100 à 102, dont je vous propose le titre et quelques extraits :
* Chapitre 100 : Livre de glorifier le bienheureux et de faire qu'il descende dans la barque de Rê avec sa suite.
"Tout bienheureux pour qui cela est récité, il peut descendre dans la barque de Rê au cours de chaque jour, et Thot le prend en compte à l'aller et au retour au cours de chaque jour ; cela a été véritablement efficace des millions de fois."
* Chapitre 101 : Formule pour protéger la barque de Rê.
"Ô celui qui fendit l'eau, qui sortit des eaux primordiales, et qui siège à la poupe de sa barque, assieds-toi à la poupe de ta barque et rends-toi à ta place d'hier ; l'Osiris N.(= le défunt un tel) s'est joint à toi, comme bienheureux éminent, dans ton équipage, car, quand tu es florissant, il est florissant."
* Chapitre 102 : Formule pour descendre dans la barque de Rê.
Paroles dites par N. : "Ô le Grand dans sa barque, installe-moi dans ta barque, avance-moi ton escalier, que je dirige ta navigation avec ces tiennes compagnes que sont les Étoiles Infatigables."
Ces trois chapitres sont eux aussi chapeautés par des vignettes montrant la barque officielle de Rê, semblable à celle-ci, sauf que chacune d'elle figure le défunt en adoration devant le dieu assis ...
D'autres chapitres encore, je pense notamment aux 130 et 133 à 136, eux aussi couronnés d'une vignette du dieu Rê présent dans le monde souterrain assis dans sa barque avec, debout devant lui, le défunt, solarisé, c'est-à-dire s'étant identifié à Rê.
Chapitre 130 : Autre formule pour transfigurer le bienheureux le jour de la naissance d'Osiris, et pour faire vivre l'âme pour l'éternité.
Paroles dites par N. : "Le ciel s'ouvre, la terre s'ouvre, l'Occident s'ouvre, l'Orient s'ouvre, la Chapelle du Sud s'ouvre, la Chapelle du Nord s'ouvre, les vantaux s'ouvrent, les portes s'ouvrent pour Rê, afin qu'il sorte de l'horizon ; les deux vantaux de la barque de la nuit s'ouvrent pour lui, les portes de la barque du jour s'ouvrent pour lui, pour qu'il respire Maât et qu'il crée Tefnout. Ceux qui sont dans le cortège le suivent." (...)
Paroles à dire sur une barque de Rê peinte en blanc en une place pure ; alors, quand tu auras mis une image de ce bienheureux en avant d'elle, tu dessineras une barque de la nuit à sa droite et une barque du jour à sa gauche ; des offrandes de toutes sortes de bonnes choses leur seront présentées devant eux, le jour de la naissance d'Osiris.
Celui pour qui c'est fait, son âme vivra à jamais, il ne peut plus mourir à nouveau.
BIBLIOGRAPHIE
BARGUET Paul, Le Livre des Morts des Anciens Égyptiens, Paris, Éditions du Cerf, 1979
BICKEL Susanne, D'un monde à l'autre : le thème du passeur et de sa barque dans la pensée funéraire, dans D'un monde à l'autre. Textes des pyramides & des sarcophages, Le Caire, I.F.A.O., BdE 139, 2008, pp. 91-117.
DERCHAIN Philippe, Hathor Quadrifrons. Recherches sur la syntaxe d'un mythe égyptien, Istanbul, Nederlands Historisch-Archaelogisch Instituut in het Nabije Oosten, 1972, p. 5, note 14.
GABOLDE Luc, Le temple, "horizon du ciel", dans Les Portes du Ciel. Visions du monde dans l'Égypte ancienne, Paris, Catalogue d'exposition (Marc ÉTIENNE s/d.), Éditions Somogy/Musée du Louvre, 2009, p. 290.