(Seuls les italiques et les guillemets constituent un ajout qui m'est personnel)
Mon premier exemple reprend donc un passage d’un conte à portée psychologique, oeuvre majeure dans le corpus littéraire égyptien, mettant en scène une femme mariée amoureuse du jeune frère de son époux, - rien que de très banal, parfois -, qui, dépitée par le fait qu’il dédaigne ses avances, décide de bassement le calomnier aux yeux de son mari.
Certains d’entre vous reconnaîtront peut-être dans cette trame, à des degrés divers, autant l’épisode de Joseph et de l’épouse de Putiphar dans la Bible (Genèse) que l’histoire de Bellérophon et d’Anteia chez Homère (Iliade), ou celle de la relation entre Hippolyte et sa belle-mère Phèdre, narrée par Euripide.
En égyptologie, il est convenu, je viens de le souligner, de donner à ce texte le titre de Conte des deux frères.
L'histoire, dans la première partie tout au moins, se révèle finalement très simple : Anoupou, - que les Grecs, plus tard, traduiront par Anubis -, est ici un paysan propriétaire de sa terre. Il est marié. Le couple héberge Bata, jeune frère d’Anoupou. Nourri et logé, Bata aide vigoureusement son frère aîné dans les travaux des champs, tout en s'occupant également de conduire les bêtes au pâturage et, à l’occasion, de tisser des étoffes.
Par ses désirs d’adultère inassouvis débouchant sur d’éhontés mensonges, l’épouse insatisfaite provoque l’inévitable discorde entre les deux hommes. A la fin de la première partie du conte, la vérité étant rétablie, elle sera tuée par son époux et jetée aux chiens.
C’est sur un papyrus de 19 pages, rédigé en écriture hiératique, que l’on trouve la version la plus complète de ce Conte des deux frères : il est désormais convenu de le nommer "Papyrus Orbiney", en référence à Madame Elisabeth Orbiney, riche Londonienne qui, avec d’autres pièces, l'acquit lors d’un voyage en Égypte ; puis décida de le mettre en vente. Le Musée du Louvre se déclarant incapable de l'acquérir, - dans la mesure où le prix demandé dépassait ses ressources de l’époque -, le document devint en 1857 la propriété du British Museum où il est désormais consigné sous le numéro d’inventaire BM 10 183.
(Pour une version hiéroglyphique de ce papyrus, accompagnée de la traduction française de la première partie du conte, je convie mes amis intéressés à consulter le lien suivant : http://egycontes.free.fr/2freres.pdf).
Découvrons à présent l’extrait visant à étayer la thèse défendue par feu l’égyptologue belge Philippe Derchain à laquelle je faisais allusion mardi dernier, à savoir : la connotation érotique accordée par les Égyptiens à la chevelure, ainsi qu'au port de la perruque.
Or quelques jours plus tard, alors qu’ils étaient au champ et qu’ils manquaient de semences, l’aîné envoya son jeune frère en lui disant : " Va vite, et rapporte-nous des semences de la ferme". Il trouva la femme de son frère aîné en train de se faire coiffer et lui dit : "Lève-toi et donne-moi des semences. Je dois vite retourner au champ car mon frère m’attend. Ne traîne pas".
Elle lui répondit : "Vas-y toi-même; ouvre le grenier et prends ce que tu veux. Ne sois pas cause que ma coiffure reste en plan".
Le jeune homme entra donc dans son étable pour y prendre une grande jarre car il voulait emporter beaucoup de semences. Il l’emplit d’orge et de blé et sortit avec sa charge. Elle lui demanda : " Quel est le poids de ce que tu as sur les épaules ?" Il répondit : " Trois sacs de froment, deux d’orge, en tout cinq sacs." (1) Voilà ce que j’ai sur les épaules". (...)
Ce qui fit dire à la dame : " Que de force il y a en toi ! Chaque jour j’admire ta vigueur." Elle eut envie de le connaître comme on connaît un homme, se leva, le saisit et lui dit : " Viens, allons passer une heure au lit. Ce te sera profitable, car je te ferai de beaux vêtements."
Alors le jeune homme devint comme un léopard qui entre en rage, à cause des vilains propos qu’elle lui avait tenus
Dans la version qu’elle donne de la scène à son époux, la dame affirme :
"Lorsque ton frère est venu chercher des semences, il m’a trouvée seule et m’a dit : "Allons passer une heure au lit. Mets ta perruque."
(1) Ce que les égyptologues traduisent par "sac" était à l'époque une mesure de capacité qui équivalait à plus ou moins 56 kilogrammes. Bata, si l'on en croit le texte, porterait donc ici une charge de quelque 280 kilogrammes sur ses épaules. Détail supplémentaire de force qui naturellement émoustille les sens de la dame disposée à être infidèle.
Pour mieux comprendre encore la connotation érotique qui se cache derrière le port de la perruque, je vous invite à maintenant découvrir, amis visiteurs, un second texte, un chant d’amour extrait du Papyrus Harris 500, datant lui aussi de la XIXème dynastie.
Pour la petite histoire, je préciserai simplement que ce papyrus fait partie de la collection que détenait l’amateur et marchand d’antiquités anglais Anthony Charles Harris (1790-1869) et que sa fille adoptive mit en vente en 1871. Ce fut le Bristish Museum qui en acquit l’ensemble, contenant ce que les égyptologues appellent le Papyrus Harris I (ou Grand Papyrus Harris); le Papyrus Harris II; le Papyrus Harris 500 qui contient deux contes et de la poésie ; et le Papyrus Harris 501 sur lequel a été copié un texte magique.
"Écoutons" à présent la voix de l’Aimée ...
Mon coeur est une fois de plus envahi de ton amour
Alors que la moitié de la tempe seulement est tressée.
Je cours te retrouver.
Hélas, je suis dénouée.
Bah ! Je vais mettre une perruque et serai prête à tout moment.
Il est aussi indéniable, à la lecture de ce très court poème que si la coiffure parfaite représente un véritable moyen de séduction, la perruque, toujours prête en cas de besoin, constitue le signe de l’amplification des désirs et de la totale et immédiate disponibilité amoureuse.
On comprend par ces quelques vers que la jeune femme, prise d’un violent désir amoureux, ne peut en aucun cas se présenter à son amant, ses soins de coiffure non terminés. Fougueuse, elle n’hésite donc pas à se parer d’une perruque.
Voilà bien la preuve, si besoin en était encore ce matin, qu’une coiffure impeccable, voire une perruque soignée, font également partie de la toilette d’une amante qui font manifestement office de signes de connivence : ils constituent un code invitant à l’amour. Ce sont donc, comme le port de certains vêtements et/ou de certains bijoux, tels que nous l'avons ensemble vu la semaine dernière, amis visiteurs, des détails à connotation érotique d'importance non négligeable.
ADDENDUM
(14, 45 H. )
Il m'est plus qu'agréable, amis visiteurs, de vous donner à découvrir ce mardi après-midi, une version bien plus poétique que la traduction littérale que je m'étais contenté de proposer de l'extrait du poème égyptien qui clôturait mes propos de ce matin.
Au sein d'échanges de commentaires que vous pourrez lire ci-dessous tout à l'heure, elle m'est, - elle vous est -, offerte par un très ancien et fidèle lecteur, Alain Yvars, l'auteur de l'excellent blog "Si l'art m'était conté".
La voici :
Que faire ! Seule la moitié de ma tempe est tressée.
Une fois de plus, mon coeur est envahi de ton amour.
Je cours te retrouver. Hélas ! je suis dénouée.
Bah ! Je vais mettre une perruque et serai à toi pour toujours.
Merci Alain.
Ton cadeau m'honore.
BIBLIOGRAPHIE
DERCHAIN Philippe, La perruque et le cristal, SAK 2, Hamburg, Helmut Buske Verlag, 1975, passim.
LEFEBVRE Gustave, Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien Maisonnneuve, 1988, pp. 144-6.