Ces dernières semaines, le monde de l'égyptologie a été secoué par la thèse de l'éminent Professeur Francesco Tiradritti, directeur de la Mission Archéologique Italienne à Louxor, professeur d’égyptologie à l’Université Kore de Enna en Italie, qui émet des doutes sur l'authenticité de la peinture.
“Égypte actualités” : Professeur, tout d'abord, nous sommes extrêmement touchés que vous acceptiez cette interview pour “Égypte actualités” et nous vous en remercions sincèrement. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à douter de l'authenticité des "Oies de Meïdoum"?
FT : Je ne suis pas ornithologue et je n’ai même pas la passion d’aller observer les oiseaux. Sur ce point, je fais confiance à l’opinion des experts qui ont des problèmes d’identification. Ce qui est sûr, c'est que le couple d’oies tournées à droite sont, comme vous dites, des bernaches à cou roux. Le deux oies tournées à gauche ont été identifiées avec une espèce qui se trouve aussi bien en Égypte. Les deux aux extrémités sont généralement identifiées comme des oies des moissons qui sont typiques de la toundra et de la taïga, mais il y a des experts qui ne sont pas d’accord avec cette opinion et il y a plusieurs avis émis sur ce sujet. On a même dit que si, aujourd’hui, ces oies ne se trouvent pas en Égypte, elles pouvaient y avoir été à l'époque pharaonique. Il faudrait alors expliquer pourquoi les bernaches à cou roux ne sont pas attestées ailleurs dans toutes les reproductions d’oies que l’on connaît de l’ancienne Égypte. Parmi les critiques que j’ai reçues, il y en avait une où l'on disait que les bernaches à cou roux sont rarement repérées en Égypte. L’auteur mentionnait 1874 comme date du premier repérage témoigné. Peut-être qu’il n’a pas fait attention que cette date est très proche de 1872 lorsque les "Oies de Meïdoum" ont été découvertes. Si ce que cette personne affirme était vrai, il ne démontrerait pas que les oies à cou roux étaient en Égypte à la IVe dynastie, mais qu’elles y étaient à la fin du XIXe siècle. Je n’ajoute rien à cela parce qu’il me semble évident de ce que cela implique.
FT : La composition symétrique est connue en ancienne Égypte, mais pas dans la façon dont elle se trouve réalisée dans les "Oies de Meïdoum". S’il s’agissait d’une peinture égyptienne, les six oies devraient être toutes de la même dimension. Celles qui se trouvent aux extrémités sont seulement un peu plus petites que les deux couples qui les suivent. Cette disproportion est très commune dans un art qui connaît la perspective. Je l’avais prise comme une preuve de l’existence de quelque chose de très proche de cela dans l’ancienne Égypte et je l’avais expliqué, toujours, avec le fait que je me trouvais confronté à un chef-d’œuvre et, pour cela, unique dans son genre. Maintenant je vois cette composition comme un autre élément qui parle contre l’authenticité de la peinture.
ÉA : Vous êtes conscient que vos dires secouent le monde de l'égyptologie et que des voix s'élèvent... Pensez-vous, plus tard, pouvoir vous baser sur des analyses, de pigments par exemple, pour étayer votre thèse ?
FT : Je suis parfaitement conscient du fait que déclarer la possible "fausseté" des "Oies de Meïdoum" peut m’attirer des critiques et, depuis la publication de mon article sur il Giornale dell’arte et sa reprise par la presse mondiale, il y a eu pas mal de gens qui se sont sentis en devoir d’exprimer leurs jugements sur le sujet, en arrivant parfois à m’insulter. Je dois avouer que tous les arguments qui ont été émis, soit étaient fondés sur une pauvre connaissance de l’argument et contenaient pas mal d’erreurs, soit sur une prétention qui trop souvent est devenue la règle dans notre domaine de recherche.
Mon intention était de soulever un débat et de mettre en question une discipline comme l’égyptologie qui a besoin d’une autoréflexion pour devenir une véritable science.
L’affaire des "Oies" m’a fait comprendre que trop souvent on juge et on regarde sans vraiment ni voir ni analyser. Je suis le premier à m’être trompé pendant des années. J’ai publié au moins cinq fois sur les "Oies" comme si elles étaient un chef-d’œuvre de l’art égyptien. Après avoir regardé la question depuis différentes perspectives scientifiques, je suis arrivé à la conclusion que je me suis trompé. J'ai voulu partager ce résultat avec les collègues et je l'ai transformé en une invitation à vérifier ce que l’on a devant les yeux, et à le voir avec un regard différent. C’est aussi une invitation à la nouvelle génération des égyptologues égyptiens à examiner ce que leurs ancêtres ont fait sans se laisser conditionner par ce qui est déjà dit. Je crois que c’est à leur tour d’écrire l’histoire et l’histoire de l’art de leur pays.
Je considère l’égyptologie comme étant une science avec des règles et des formules, comme toutes les autres. Je les ai appliquées et je suis sûr que toutes les analyses ne pourront que reconfirmer ce que je pense. Autrement je n’aurais pas écrit mon article. Renvoyer chaque décision finale à des analyses, qui peuvent aussi très bien être falsifiées (on a pas mal d’exemples dans le passé), signifie dénier le statut de science à l’égyptologie et je suis tout à fait contre cela.
ÉA : Si l'égyptologue Luigi Vassalli avait vraiment réalisé un "faux" - ce qui ne serait absolument pas déontologique - qu'elle aurait pu être sa motivation ?
FT : Je ne crois pas que, dans l’esprit de Vassalli, peindre les "Oies de Meïdum" ait pu représenter quelque chose de déontologiquement incorrect. Il faudrait étudier un peu mieux la façon de concevoir les antiquités et les musées au XIXe siècle. Je crois que Vassalli a voulu remplir un vide dans le musée de Boulaq (il n’y avait pas de peintures) dans une intention tout à fait didactique. C’est le même esprit qui a poussé Arthur Evans à refaire des parties entières du Palais de Cnossos, par exemple. Pendant des dizaines d’années, personne n'a rien trouvé à redire sur ses "restaurations" qui ont même servi à bâtir un mythe de grandeur autour de la civilisation Minoenne qu'à bien voir, il vaudrait mieux réviser. Il faudrait faire la même chose avec la culture égyptienne. Si l'on arrivait à établir que les "Oies" ne sont pas un produit de l’Ancien Empire (je ne veux pas utiliser le mot de "faux"), mais d’un peintre du XIXe siècle (Luigi Vassalli), on perdrait sûrement un chef-d’œuvre, mais on obtiendrait une vision un peu plus vraie de l’art égyptien dont la magnificence, d’ailleurs, ne se fonde absolument pas seulement sur cette peinture.
propos recueillis par Marie Grillot pour “Égypte actualités”