Un artiste contemporain, du Nord, rendant hommage à d'autres artistes du Nord, ses aïeux : voilà ce que le Musée du Louvre propose ce printemps, et jusqu'au 7 juillet, en accueillant le très discuté Jan FABRE, belge, né à Anvers en 1958. Apportant au travers d'une rétrospective de son oeuvre sa vision toute personnelle des peintres de l'Ecole du Nord (flamande, néerlandaise et allemande), c'est précisément dans les salles des Van Eyck, Bosch, Metsijs, Van der Weyden, Rembrandt, Rubens et Vermeer ... qu'il expose une quarantaine de pièces.
Fabre dit avoir conçu son parcours comme une "dramaturgie mentale", s'inspirant des thèmes abordés par ces peintres qu'il vénère, et en les étirant vers de nouvelles interprétations.
Accompagné de notre souveraine, la Reine Paola, de la Ministre française de la Culture, Christine Albanel et de son homologue belge, Bert Anciaux, de Victor Loyrette, Président-Directeur du Musée du Louvre, ainsi que de nombreuses autres personnalités, Jan Fabre a commenté ses oeuvres ce mercredi 9 avril en fin de journée lors de l'inauguration officielle de ce parcours tout à fait atypique.
(Une autre relation de l'événement ici)
Très controversé - honni par les uns, porté au pinacle par les autres -, ce touche-à-tout absolument inclassable - n'est-il pas tout à la fois plasticien, dessinateur, sculpteur, mais aussi chorégraphe, metteur en scène de théâtre ?, a récemment défrayé la chronique, précisément dans cette dernière facette de son travail, en présentant au Festival d'Avignon 2005 un opus intitulé Histoire des larmes, spectacle mêlant expressions corporelle et théâtrale, et tout empreint de crudité, de sexe, de scatologie, de sang, de violence ...
Et c'est cet artiste protéiforme, taraudé par la notion de métamorphose ainsi que par les effets que produit le temps qui passe sur les êtres vivants, sur leur corps essentiellement, qui aujourd'hui et pour trois mois, est l'invité du Musée du Louvre dans le cadre d'une exposition qui lui est entièrement consacrée, et intitulée Jan Fabre, l'Ange de la métamorphose.
Mais, seriez-vous en droit de vous dire, ami lecteur, "qu'est-il donc allé faire dans cette galère" ? Pourquoi le concepteur de ce blog s'aventure-t-il aujourd'hui sur les terres de Louvre-passion qui, lui précisément, excelle à nous présenter, entre autres, les différentes expositions hébergées au Louvre ?
Parce que Fabre est un compatriote ? Oui, peut-être, cela tiendrait la route. Mais, peu probable quand même, ce "chauvinisme"...
Parce que Fabre, peu ou prou, aurait l'une ou l'autre accointance avec l'Egypte ? Peu probable également.
Quoique ...
Prétendant être un descendant direct de l'entomologiste français Jean-Henri Fabre, notre Belge axe son oeuvre plastique sur le monde des insectes, avec une toute particulière prédilection pour ... le scarabée égyptien (nous y voilà !), ce coléoptère coprophage nommé kheper
et qui avait donné naissance au verbe éponyme signifiant quelque chose comme : venir à l'existence en prenant une forme donnée, advenir, se transformer ...
C'est ce terme que l'on retrouve dans un des noms de certains pharaons, tel celui de Toutankhamon.
Dans le cartouche de gauche, vous reconnaissez le scarabée, au centre, qui se lit kheper, surmontant les trois traits qui forment la marque du pluriel se lisant ou, l'ensemble donnant donc kheperou. La corbeille au bas, qui signifie Maître se lit neb. Et tout au-dessus du cartouche, le soleil, Rê.
En commençant du bas vers le haut, nous lisons donc :
Neb-Kheperou-Rê (= Maître des devenirs de Rê, Maître des transformations de Rê ...).
(Sur les scarabées proprement dits, sur leur signification, sur leur emploi dans l'histoire dynastique égyptienne, j'aurai évidemment l'occasion d'y revenir plus en détails dès que nous en rencontrerons un exemplaire dans l'une ou l'autre vitrine du Département des Antiquités égyptiennes).
Jan Fabre donc, décide de mettre à exécution ses recherches dans le domaine entomologique jusqu'à ce qu'un jour il soit approché par la reine Paola de Belgique, une de ses plus ferventes admiratrices, afin de décorer le plafond de la Salle des Glaces du Palais Royal de Bruxelles.
Et de ses cogitations artistico-philosophiques, Fabre "accoucha" en 2002 de cette décoration pour le moins extravagante : 1,6 million d'élytres elliptiques, de carapaces de scarabées de près de 2, 7 cm revêtent le plafond de la salle et en ornent le grand lustre.
Cette imposante réalisation, qui confine à l'exploît, représente le travail d'une trentaine d'assistants qui, trois mois durant, ont oeuvré à ce gigantesque collage. L'histoire raconte (ou la légende ?) que la reine elle-même serait montée sur les échafaudages et aurait participé avec beaucoup d'entrain à coller des carapaces de scarabées.
L'ensemble, réverbérant et fragmentant la lumière naturelle, la lumière artificielle et celle des ors de la décoration murale, se reflétant dans les immenses miroirs d'époque - le Palais fut construit au XIXème siècle -, variant sans cesse car proposant des teintes qui s'étendent du vert au bleu, produit un effet littéralement stupéfiant.
A sa manière, pour la famille royale de Belgique, Jan Fabre a revisité la peinture murale, genre séculaire s'il en est.
Je crois à la beauté, parce que la beauté a la couleur de la liberté.
Jan Fabre
"Je veux sortir ma tête du noeud coulant de l'Histoire"