Jean-François CHAMPOLLION
Portrait posthume de Léon COGNIET
(1834)
Dans un premier article consacré au tout nouveau Musée Champollion, les Ecritures du Monde paru le 2 septembre 2008 et ici republié le 14 septembre dernier, j'avais déjà eu l'opportunité d'indiquer, amis visiteurs, combien le rôle joué par Jacques-Joseph Champollion-Figeac, le frère aîné, avait été moralement, intellectuellement et matériellement plus que bénéfique dans la vie du cadet, Jean-François.
Dans l'article que vous avez lu la semaine dernière, j'avais consenti une attention soutenue à la Pierre de Rosette, rappelant que toute capitale qu'elle fut, elle constitua une partie seulement d'un vaste et éclectique ensemble dans lequel le jeune prodige figeacois puisa ce qui allait être une incontournable certitude scientifique.
Et pour aujourd'hui et mardi prochain compléter ce parcours, je vous propose d'évoquer le combat mené par Jean-François Champollion le Jeune pour la juste légitimation de sa découverte, toutes les vicissitudes qui accompagnèrent, ici et là, ce déchiffrement et entachèrent la joie qui eût dû en découler dans son chef.
***
Monsieur,
Je dois aux bontés dont vous m'honorez l'indulgent intérêt que l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres a bien voulu accorder à mes travaux sur les écritures égyptiennes, en me permettant de lui soumettre mes deux mémoires sur l'écriture hiératique ou sacerdotale, et sur l'écriture démotique ou populaire ; j'oserai enfin, après cette épreuve si flatteuse pour moi, espérer d'avoir réussi à démontrer que ces deux espèces d'écriture sont, l'une et l'autre, non pas alphabétiques, ainsi qu'on l'avait pensé si généralement, mais idéographiques, comme les hiéroglyphes mêmes, c'est-à-dire peignant les idées et non les sons d'une langue ; et croire être parvenu, après dix années de recherches assidues, à réunir des données presque complètes sur la théorie générale de ces deux espèces d'écriture, sur l'origine, la nature, la forme et le nombre de leurs signes, les règles de leurs combinaisons, au moyen de ceux de ces signes qui remplissent des fonctions purement logiques ou grammaticales, et avoir ainsi jeté les premiers fondements de ce qu'on pourrait appeler la grammaire et le dictionnaire de ces deux écritures employées dans le grand nombre de monuments dont l'interprétation répandra tant de lumière sur l'histoire générale de l'Egypte.
A l'égard de l'écriture démotique en particulier, il a suffi de la précieuse inscription de Rosette pour en reconnaître l'ensemble ; la critique est redevable d'abord aux lumières de votre illustre confrère, M. Silvestre de Sacy, et successivement à celles de feu Åkerblad et de M. le docteur Young, des premières notions exactes qu'on a tirées de ce monument, et c'est de cette même inscription que j'ai déduit la série des signes démotiques qui, prenant une valeur syllabico-alphabétique, exprimaient dans les textes idéographiques les noms propres des personnages étrangers à l'Egypte. C'est ainsi encore que le nom des Ptolémées a été retrouvé et sur cette même inscription et sur un manuscrit en papyrus.
Il ne me reste donc plus, pour compléter mon travail sur les trois espèces d'écritures égyptiennes, qu'à produire mon mémoire sur les hiéroglyphes purs. J'ose espérer que mes nouveaux efforts obtiendront aussi un accueil favorable de votre célèbre compagnie, dont la bienveillance a été pour moi un si précieux encouragement.
C'est par ces mots que, le vendredi 27 septembre 1822, à la séance de l'Académie à laquelle assistait le monde scientifique et littéraire de l'époque, français bien sûr, mais ausssi anglais avec notamment Thomas Young, et allemand, avec les frères Humboldt, Jean-François Champollion entama la lecture d'un résumé de huit pages de ce qui devait, fin octobre, constituer la publication d'une plaquette de quarante-quatre pages : la célébrissime Lettre à M. Dacier, Secrétaire perpétuel de l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, relative à l'alphabet des hiéroglyphes phonétiques employés par les Egyptiens pour inscrire sur leurs monuments les titres, les noms et les surnoms des souverains grecs et romains ; document qui consacrait sa propre découverte, en réalité rédigé par son frère aîné cinq jours plus tôt ; document qui aux yeux des historiens du monde entier constitue, non pas comme certains l'ont affirmé un aboutissement, mais bien le véritable acte de naissance du déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens, soit un point de départ à bien d'autres recherches, à bien d'autres conclusions avancées dans au moins deux autres publications, dont, quinze mois plus tard, son Précis du système hiéroglyphique des anciens Egyptiens ou recherches sur les éléments premiers de cette écriture sacrée, sur leurs diverses combinaisons, et sur les rapports de ce système avec les autres méthodes graphiques égyptiennes ; et dont la présente adresse aux Académiciens n'est en définitive qu'avant-courrière.
Champollion a presque 32 ans. Mais le cheminement fut long et souvent sujet à malsaines jalousies avant d'arriver à cette apothéose ; et encore, sera-t-il par la suite à nouveau la cible d'autres polémiques, pas toujours des plus rigoureusement scientifiques ...
Jouer dans la cour des grands, il l'apprendra à ses dépens, n'est certes pas sinécure. Le parcours d'un génie aussi précoce, aussi incontestablement prometteur et porteur d'avenir ne pouvait manquer de susciter mécontentements, envies, déceptions ; haine aussi.
De l'arène dans laquelle il s'aventura, trois noms de savants sont à épingler qui, comme lui, s'étaient penchés ou planchaient toujours sur l'écriture hiéroglyphique égyptienne - depuis l'apparition de la fameuse Pierre de Rosette, surtout -, afin d'en percer les arcanes avec, évidemment, moins de réflexion, moins d'intuition, ou de chance que le jeune et boulimique déchiffreur.
L'orientaliste français Antoine-Isaac Silvestre de Sacy, tout d'abord (1758-1838),
ainsi que le diplomate et archéologue suédois Johann-David Åkerblad (prononçons "Okerblad"), (1763-1819), tous deux, de leur côté, depuis 1802 s'entêtant à considérer que l'écriture égyptienne n'était qu'alphabétique ; et donc, tous deux incapables de mener plus avant leurs recherches.
Le médecin, physicien et érudit anglais Thomas Young (1773-1829), ensuite,
parfait esprit encyclopédique, tout aussi parfait connaisseur des langues orientales, et féru d'égyptologie.
Dès 1818-19, il suppute l'existence de hiéroglyphes phonétiques, ainsi que la parenté des trois écritures égyptiennes. Malheureusement pour lui, il n'a aucune connaissance du copte alors que l'on savait, depuis Athanase Kircher au XVIIèmesiècle, qu'il était une survivance de la langue populaire des anciens Egyptiens.
En 1815, déjà, le 20 juillet, de Sacy, éminemment perfide, volontairement insidieux, écrit à Young :
... Si j'ai un conseil à vous donner, c'est de ne pas trop communiquer vos découvertes à M. Champollion. Il se pourrait faire qu'il prétendît ensuite à la priorité. Il cherche en plusieurs endroits de son ouvrage à faire croire qu'il a découvert beaucoup de mots de l'inscription égyptienne de Rosette. J'ai bien peur que ce ne soit là que du charlatanisme. J'ajoute même que j'ai de fortes raisons de le penser.
Fort heureusement, de Sacy revint par la suite sur ses propos, ainsi qu'à de bien meilleurs sentiments vis-à-vis de Champollion. Mais pour l'heure, le mal était fait. La philippique, en outre, était doublée, le même mois, d'un petit compte rendu publié dans le Magasin encyclopédique, l'un des plus importants organes du mouvement littéraire et scientifique du Directoire, du Consulat et de l'Empire, à propos de L'Egypte sous les pharaons, de Jean-François Champollion, dans lequel le savant affirmait de manière péremptoire et inélégante que cet ouvrage aurait bien de la peine à prendre rang parmi les travaux intéressants sur l'Egypte.
Dans une lettre à son frère, concernant cette critique, Jean-François écrit le 21 juillet :
Le rapport du jésuite est tel que je l'attendais : du venin sous du sucre; ne pouvant attaquer le fond, il se rejette sur la forme. C'est une chenille, qui, ne pouvant mordre et déchirer une plante, se contente de la couvrir de sa bave. Je ne suis point surpris de ce qui arrive.
Blessé, le frère aîné, bibliothécaire de la ville de Grenoble où il s'était installé très jeune, professeur de littérature grecque, secrétaire puis doyen de la Faculté des Lettres, rédigea lui aussi pour le même Magasin encyclopédique une réfutation aux allusions malveillantes du vieil orientaliste.
Ambiance ...
Pour Jean-François Champollion, les échecs patents de de Sacy, d'Åkerblad et de Young étaient essentiellement dus à leur méconnaissance de la langue copte, mais aussi à leur manque de méthode : là où le Figeacois devenu Grenoblois à l'adolescence, puis Parisien pour parfaire ses études de langues orientales accumulait moulages, estampages et scrupuleuses copies manuscrites de ce qu'il estimait lui être utile dans ses recherches en tant que supports d'hiéroglyphes, ses prédécesseurs aînés dans la même tentative de déchiffrement se contentaient de la seule copie de la Pierre de Rosette, qu'ils considéraient comme le tout de l'écriture égyptienne.
Aucun parmi ces savants n'avait pris conscience que les trois formes de l'écriture égyptienne antique, à savoir les hiéroglyphes, le hiératique et le démotique (tels que je les ai définis dans mon article de mardi dernier), appartenaient à un seul et unique système d'écriture ; et que ce système était composé à 90 % d'éléments phonétiques.
Et c'est donc au dernier étage de la maison qu'il occupait avec son frère, au 28 de la rue Mazarine à Paris, dans ce qui fut, quelques années plus tôt, l'atelier du peintre Horace Vernet, que le 14 septembre 1822, Champollion eut l'illumination et la certitude suprêmes grâce à des reproductions de bas-reliefs provenant de temples égyptiens, celui d'Abou Simbel notamment, réalisées par l'architecte Jean-Nicolas Huyot, celui-là même qui participa et acheva la construction de l'Arc de Triomphe.
Sur une première feuille, Champollion reconnaît les signes et lit le nom de Ramsès ; sur une seconde, celui de Thoutmes, le Thoutmosis des Grecs. Sa conviction est par là même confirmée : c'est bien en face d'un triple système d'écriture remontant à la plus haute antiquité qu'il se trouve. Il est de ce fait absolument, et à juste titre, convaincu que les hiéroglyphes expriment parfois les idées, parfois les sons de la langue égyptienne.
Il n'eut de cesse d'immédiatement prévenir son frère : il tenait l'affaire ! A la fin du mois, la célèbre Lettre à M. Dacier concluait, pour un temps relativement court, ces longues années de recherches.
La publication et la lecture d'une partie de ce mémoire devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres débouchèrent chez lui sur une immense déception morale : l'envie et la petitesse d'esprit qu'il avait déjà rencontrées tout au long de son parcours -, sa jeunesse bien sûr accroissant d'autant la hargne de ces doctes savants -, se muèrent très vite en haine, en inexcusables bassesses, en insupportables vilenies.
C'est de quelques-unes d'entre elles que je me propose de vous entretenir, amis visiteurs, le mardi 6 octobre prochain.
ainsi que le diplomate et archéologue suédois Johann-David Åkerblad (prononçons "Okerblad"), (1763-1819), tous deux, de leur côté, depuis 1802 s'entêtant à considérer que l'écriture égyptienne n'était qu'alphabétique ; et donc, tous deux incapables de mener plus avant leurs recherches.
Le médecin, physicien et érudit anglais Thomas Young (1773-1829), ensuite,
parfait esprit encyclopédique, tout aussi parfait connaisseur des langues orientales, et féru d'égyptologie.
Dès 1818-19, il suppute l'existence de hiéroglyphes phonétiques, ainsi que la parenté des trois écritures égyptiennes. Malheureusement pour lui, il n'a aucune connaissance du copte alors que l'on savait, depuis Athanase Kircher au XVIIèmesiècle, qu'il était une survivance de la langue populaire des anciens Egyptiens.
En 1815, déjà, le 20 juillet, de Sacy, éminemment perfide, volontairement insidieux, écrit à Young :
... Si j'ai un conseil à vous donner, c'est de ne pas trop communiquer vos découvertes à M. Champollion. Il se pourrait faire qu'il prétendît ensuite à la priorité. Il cherche en plusieurs endroits de son ouvrage à faire croire qu'il a découvert beaucoup de mots de l'inscription égyptienne de Rosette. J'ai bien peur que ce ne soit là que du charlatanisme. J'ajoute même que j'ai de fortes raisons de le penser.
Fort heureusement, de Sacy revint par la suite sur ses propos, ainsi qu'à de bien meilleurs sentiments vis-à-vis de Champollion. Mais pour l'heure, le mal était fait. La philippique, en outre, était doublée, le même mois, d'un petit compte rendu publié dans le Magasin encyclopédique, l'un des plus importants organes du mouvement littéraire et scientifique du Directoire, du Consulat et de l'Empire, à propos de L'Egypte sous les pharaons, de Jean-François Champollion, dans lequel le savant affirmait de manière péremptoire et inélégante que cet ouvrage aurait bien de la peine à prendre rang parmi les travaux intéressants sur l'Egypte.
Dans une lettre à son frère, concernant cette critique, Jean-François écrit le 21 juillet :
Le rapport du jésuite est tel que je l'attendais : du venin sous du sucre; ne pouvant attaquer le fond, il se rejette sur la forme. C'est une chenille, qui, ne pouvant mordre et déchirer une plante, se contente de la couvrir de sa bave. Je ne suis point surpris de ce qui arrive.
Blessé, le frère aîné, bibliothécaire de la ville de Grenoble où il s'était installé très jeune, professeur de littérature grecque, secrétaire puis doyen de la Faculté des Lettres, rédigea lui aussi pour le même Magasin encyclopédique une réfutation aux allusions malveillantes du vieil orientaliste.
Ambiance ...
Pour Jean-François Champollion, les échecs patents de de Sacy, d'Åkerblad et de Young étaient essentiellement dus à leur méconnaissance de la langue copte, mais aussi à leur manque de méthode : là où le Figeacois devenu Grenoblois à l'adolescence, puis Parisien pour parfaire ses études de langues orientales accumulait moulages, estampages et scrupuleuses copies manuscrites de ce qu'il estimait lui être utile dans ses recherches en tant que supports d'hiéroglyphes, ses prédécesseurs aînés dans la même tentative de déchiffrement se contentaient de la seule copie de la Pierre de Rosette, qu'ils considéraient comme le tout de l'écriture égyptienne.
Aucun parmi ces savants n'avait pris conscience que les trois formes de l'écriture égyptienne antique, à savoir les hiéroglyphes, le hiératique et le démotique (tels que je les ai définis dans mon article de mardi dernier), appartenaient à un seul et unique système d'écriture ; et que ce système était composé à 90 % d'éléments phonétiques.
Et c'est donc au dernier étage de la maison qu'il occupait avec son frère, au 28 de la rue Mazarine à Paris, dans ce qui fut, quelques années plus tôt, l'atelier du peintre Horace Vernet, que le 14 septembre 1822, Champollion eut l'illumination et la certitude suprêmes grâce à des reproductions de bas-reliefs provenant de temples égyptiens, celui d'Abou Simbel notamment, réalisées par l'architecte Jean-Nicolas Huyot, celui-là même qui participa et acheva la construction de l'Arc de Triomphe.
Sur une première feuille, Champollion reconnaît les signes et lit le nom de Ramsès ; sur une seconde, celui de Thoutmes, le Thoutmosis des Grecs. Sa conviction est par là même confirmée : c'est bien en face d'un triple système d'écriture remontant à la plus haute antiquité qu'il se trouve. Il est de ce fait absolument, et à juste titre, convaincu que les hiéroglyphes expriment parfois les idées, parfois les sons de la langue égyptienne.
Il n'eut de cesse d'immédiatement prévenir son frère : il tenait l'affaire ! A la fin du mois, la célèbre Lettre à M. Dacier concluait, pour un temps relativement court, ces longues années de recherches.
La publication et la lecture d'une partie de ce mémoire devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres débouchèrent chez lui sur une immense déception morale : l'envie et la petitesse d'esprit qu'il avait déjà rencontrées tout au long de son parcours -, sa jeunesse bien sûr accroissant d'autant la hargne de ces doctes savants -, se muèrent très vite en haine, en inexcusables bassesses, en insupportables vilenies.
C'est de quelques-unes d'entre elles que je me propose de vous entretenir, amis visiteurs, le mardi 6 octobre prochain.
ainsi que le diplomate et archéologue suédois Johann-David Åkerblad (prononçons "Okerblad"), (1763-1819), tous deux, de leur côté, depuis 1802 s'entêtant à considérer que l'écriture égyptienne n'était qu'alphabétique ; et donc, tous deux incapables de mener plus avant leurs recherches.
Le médecin, physicien et érudit anglais Thomas Young (1773-1829), ensuite,
parfait esprit encyclopédique, tout aussi parfait connaisseur des langues orientales, et féru d'égyptologie.
Dès 1818-19, il suppute l'existence de hiéroglyphes phonétiques, ainsi que la parenté des trois écritures égyptiennes. Malheureusement pour lui, il n'a aucune connaissance du copte alors que l'on savait, depuis Athanase Kircher au XVIIèmesiècle, qu'il était une survivance de la langue populaire des anciens Egyptiens.
En 1815, déjà, le 20 juillet, de Sacy, éminemment perfide, volontairement insidieux, écrit à Young :
... Si j'ai un conseil à vous donner, c'est de ne pas trop communiquer vos découvertes à M. Champollion. Il se pourrait faire qu'il prétendît ensuite à la priorité. Il cherche en plusieurs endroits de son ouvrage à faire croire qu'il a découvert beaucoup de mots de l'inscription égyptienne de Rosette. J'ai bien peur que ce ne soit là que du charlatanisme. J'ajoute même que j'ai de fortes raisons de le penser.
Fort heureusement, de Sacy revint par la suite sur ses propos, ainsi qu'à de bien meilleurs sentiments vis-à-vis de Champollion. Mais pour l'heure, le mal était fait. La philippique, en outre, était doublée, le même mois, d'un petit compte rendu publié dans le Magasin encyclopédique, l'un des plus importants organes du mouvement littéraire et scientifique du Directoire, du Consulat et de l'Empire, à propos de L'Egypte sous les pharaons, de Jean-François Champollion, dans lequel le savant affirmait de manière péremptoire et inélégante que cet ouvrage aurait bien de la peine à prendre rang parmi les travaux intéressants sur l'Egypte.
Dans une lettre à son frère, concernant cette critique, Jean-François écrit le 21 juillet :
Le rapport du jésuite est tel que je l'attendais : du venin sous du sucre; ne pouvant attaquer le fond, il se rejette sur la forme. C'est une chenille, qui, ne pouvant mordre et déchirer une plante, se contente de la couvrir de sa bave. Je ne suis point surpris de ce qui arrive.
Blessé, le frère aîné, bibliothécaire de la ville de Grenoble où il s'était installé très jeune, professeur de littérature grecque, secrétaire puis doyen de la Faculté des Lettres, rédigea lui aussi pour le même Magasin encyclopédique une réfutation aux allusions malveillantes du vieil orientaliste.
Ambiance ...
Pour Jean-François Champollion, les échecs patents de de Sacy, d'Åkerblad et de Young étaient essentiellement dus à leur méconnaissance de la langue copte, mais aussi à leur manque de méthode : là où le Figeacois devenu Grenoblois à l'adolescence, puis Parisien pour parfaire ses études de langues orientales accumulait moulages, estampages et scrupuleuses copies manuscrites de ce qu'il estimait lui être utile dans ses recherches en tant que supports d'hiéroglyphes, ses prédécesseurs aînés dans la même tentative de déchiffrement se contentaient de la seule copie de la Pierre de Rosette, qu'ils considéraient comme le tout de l'écriture égyptienne.
Aucun parmi ces savants n'avait pris conscience que les trois formes de l'écriture égyptienne antique, à savoir les hiéroglyphes, le hiératique et le démotique (tels que je les ai définis dans mon article de mardi dernier), appartenaient à un seul et unique système d'écriture ; et que ce système était composé à 90 % d'éléments phonétiques.
Et c'est donc au dernier étage de la maison qu'il occupait avec son frère, au 28 de la rue Mazarine à Paris, dans ce qui fut, quelques années plus tôt, l'atelier du peintre Horace Vernet, que le 14 septembre 1822, Champollion eut l'illumination et la certitude suprêmes grâce à des reproductions de bas-reliefs provenant de temples égyptiens, celui d'Abou Simbel notamment, réalisées par l'architecte Jean-Nicolas Huyot, celui-là même qui participa et acheva la construction de l'Arc de Triomphe.
Sur une première feuille, Champollion reconnaît les signes et lit le nom de Ramsès ; sur une seconde, celui de Thoutmes, le Thoutmosis des Grecs. Sa conviction est par là même confirmée : c'est bien en face d'un triple système d'écriture remontant à la plus haute antiquité qu'il se trouve. Il est de ce fait absolument, et à juste titre, convaincu que les hiéroglyphes expriment parfois les idées, parfois les sons de la langue égyptienne.
Il n'eut de cesse d'immédiatement prévenir son frère : il tenait l'affaire ! A la fin du mois, la célèbre Lettre à M. Dacier concluait, pour un temps relativement court, ces longues années de recherches.
La publication et la lecture d'une partie de ce mémoire devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres débouchèrent chez lui sur une immense déception morale : l'envie et la petitesse d'esprit qu'il avait déjà rencontrées tout au long de son parcours -, sa jeunesse bien sûr accroissant d'autant la hargne de ces doctes savants -, se muèrent très vite en haine, en inexcusables bassesses, en insupportables vilenies.
C'est de quelques-unes d'entre elles que je me propose de vous entretenir, amis visiteurs, le mardi 6 octobre prochain.