Revenir des pyramides, c'est comme si vous reveniez de Montléry.
Vous conviendrez avec moi, amis visiteurs, que l'on ne peut plus explicitement exprimer un désenchantement.
Je quittai Jérusalem, j'arrivai à Jaffa, et je m'embarquai pour Alexandrie. D'Alexandrie, j'allai au Caire, et je laissai Julien chez monsieur Drovetti, qui eut la bonté de me noliser un bâtiment autrichien pour Tunis.
Vous conviendrez également qu'aussi rapidement présenter le "programme" d'un séjour en Égypte n'augure pas vraiment de pages et de pages de considérations enflammées.
Je m'étais imaginé, après avoir constaté que ce n'est que dans la sixième des sept parties que contient son ouvrage Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, en allant par la Grèce et revenant par l'Égypte, la Barbarie et l'Espagne, et en seulement une petite trentaine de pages que François-René de Chateaubriand "expédie" la relation de son séjour en terre égyptienne ; je m'étais naïvement imaginé donc que de brillantes descriptions viendraient émailler ses Mémoires d'Outre-Tombe dans lesquelles je prends tant de plaisir à voyager depuis cet automne.
Que nenni ! Malheureusement pour les amateurs de comptes-rendus que nous sommes vous et moi de tous ces grands écrivains qui, à partir de cette époque, entreprirent ce qu'il est convenu d'appeler dans la littérature idoine, le "Voyage en Orient".
Nonobstant, ce matin, je me propose de vous offrir, extraites du deuxième chapitre du dix-huitième livre de ses Mémoires d'Outre-Tombe, quelques précisions additives à son Itinéraire de Paris à Jérusalem, qu'absent de la blogosphère pendant ces vacances d'hiver j'ai préalablement programmées la semaine dernière à votre seule intention.
Chateaubriand et Julien, son domestique, ont embarqué à Alexandrie aux fins de rallier Tunis :
Un orage du sud-est s'éleva à notre grande joie, et en cinq jours nous arrivâmes dans les eaux de l'île de Malte. Nous la découvrîmes la veille de Noël ; mais le jour de Noël même, le vent, se rangeant à l'ouest-nord-ouest, nous chassa au midi de Lampedouse. Nous restâmes dix-huit jours sur la côte orientale du royaume de Tunis, entre la vie et la mort.
Je n'oublierai de ma vie la journée du 28. [décembre 1806]
Nous jetâmes l'ancre devant les îles de Kerkeni. Nous restâmes huit jours à l'ancre dans la petite Syrte, où je vis commencer l'année 1807.
Sous combien d'astres et dans combien de fortunes diverses j'avais déjà vu se renouveler pour moi les années, qui passent si vite ou qui sont si longues ! Qu'ils étaient loin de moi ces temps de mon enfance où je recevais avec un coeur palpitant de joie la bénédiction et les présents paternels ! Comme ce premier jour de l'année était attendu ! Et maintenant, sur un vaisseau étranger, au milieu de la mer, à la vue d'une terre barbare, ce premier jour s'envolait pour moi, sans témoins, sans plaisirs, sans les embrassements de la famille, sans ces tendres souhaits de bonheur qu'une mère forme pour son fils avec tant de sincérité ! Ce jour, né du sein des tempêtes, ne laissait tomber sur mon front que des soucis, des regrets et des cheveux blancs.
François-René de CHATEAUBRIAND
Mémoires d'Outre-Tombe
Livres XV à XXIV
Lausanne, Éditions Rencontre, 1968
pp. 202-3
Vous aurez évidemment compris que ces propos, superbes, de Chateaubriand m'invitent, avec malheureusement moins d'éloquence, à d'ores et déjà vous adresser à toutes et à tous mes voeux les plus enthousiastes pour que cette période traditionnellement de fêtes vous soit la plus excellente possible, et à vous donner rendez-vous le mardi 5 janvier prochain.
Très bonnes vacances à tous ...
Richard