Parmi les animaux des rives du Nil qui ont jadis effectué le voyage vers celles de la Seine ou, plus exactement, vers la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre qui les borde, le long du quai François Mitterrand, et que nous avions déjà rencontrés, souvenez-vous amis visiteurs fidèles de ce blog, en juin 2008, certains s'en sont pour un temps échappé en quelques bonds aux fins de s'exposer à Lens, illustrant eux aussi avec délicatesse et élégance l'éclectisme de la faune lacustre et celui des rituels dont ils furent les héros désignés.
Il me siérait, aujourd'hui et ce prochain samedi alors qu'il ne vous reste plus que quelques jours jusqu'au 9 mars pour aller les saluer, d'en évoquer l'un ou l'autre, en commençant ce matin par vraisemblablement les plus petits d'entre eux : les batraciens.
Il vous faut savoir que dès l'époque prédynastique, et bien évidemment avec d'autres figurines d'animaux, la grenouille fit partie du mobilier funéraire déposé dans les tombes.
(Grenouille en bois - Louvre E 17364 - © C. Décamps)
Et que, l'usage s'étant instauré, les égyptologues en retrouvèrent en faïence dans les sanctuaires égyptiens datant déjà de la Ière dynastie, offertes comme ex-voto en quête de fertilité.
(Grenouille - Faïence siliceuse - Louvre AF 11513 - © C. Décamps)
(Grenouille - Faïence siliceuse - Louvte AF 11514 - © C. Décamps)
A leur propos, permettez-moi de préciser que si leurs représentations n'autorisent pas toujours la distinction effective des espèces, je puis néanmoins affirmer que la grenouille possédait une valeur sémantique bien déterminée : parce qu’elle était issue des eaux - donc éventuellement des eaux primordiales chères à la cosmogonie égyptienne -, elle fut dès l’époque archaïque en étroite relation avec l’apparition de la vie, partant, de la procréation.
Raison pour laquelle, dans l'écriture égyptienne, le dessin la représentant entra dans la composition de l'expression "vivant à nouveau", que l'on trouvait parfois gravée dans une tombe, suivant immédiatement le nom du défunt.
Et que celui du tétard, en quantité impressionnante dans les flaques ou d’autres eaux
stagnantes, fut retenu, comme l'expliquait à son cours d'égyptien hiéroglyphique, Michel
Malaise, mon Professeur à l'Université de Liège, pour noter, à partir du Nouvel Empire, le
nombre 100 000.
Dispensatrice de vie, la grenouille fut assimilée à la déesse accoucheuse Heket, figurée soit sous l'aspect d'une femme à tête de grenouille, soit plus simplement, sous celui de la grenouille elle-même.
Parèdre de Khnoum, le dieu potier qui modèle l’enfant divin sur son tour, elle donnait souffle de vie en tendant le signe "ânkh" en direction du visage du petit être en devenir que Khnoum créait.
A Lens, en plus des exemplaires en faïence datant du Nouvel Empire que je vous ai présentés ci-avant, vous pourrez également admirer une grenouille en cornaline (E 22720)
et une en basalte (AF 2 549), retrouvée à Tanis, dans le delta oriental, datant pour sa part de la Basse Époque.
Symbole de forces vivifiantes, Heket fut évidemment associée aux défunts dont elle permettait la régénération, la reviviscence dans l'Au-delà : c'est ce qui motive la présence de cette adorable petite grenouille bleue
négligemment posée à l'extrémité d'une branche de potamot sur un fragment de calcaire peint (E 26092) représentant une scène de pêche dans les marais nilotiques, environnement dont vous ne pouvez décemment plus ignorer maintenant que vous êtes des fidèles d'ÉgyptoMusée toute la symbolique en rapport avec la renaissance des trépassés.
(De ce bas-relief venant du Louvre, également exposé à Lens jusqu'au 9 mars prochain, je vous entretiendrai lors de notre tout prochain rendez-vous.)
N'oublions pas que, du têtard à l'âge adulte, la grenouille subit d'importantes transformations, d'où sa présence tout à fait appropriée aux côtés des morts pour leur "annoncer" leur métamorphose à venir dans le royaume d'Osiris.
Elle était également censée participer à l'avènement du monde, ainsi qu'à l'apparition de la tant attendue crue du Nil : elle avait donc partie liée avec certaines des fêtes agraires, dont celle du Nouvel An, vers le 19 juillet, quand tout à la fois fleuve, soleil et défunts reprennent vie.
Toute cette symbolique perdura d'ailleurs bien au-delà de l’Égypte pharaonique : ainsi dans l'Alexandrie ptolémaïque, au sein de la nécropole de Gabarri, furent exhumées de nombreuses lampes à huile agrémentées de figurations de grenouilles.
Et ne connaît-on pas, datant de l'époque chrétienne, une lampe à huile où se lisent ces mots, en grec : "Je suis la résurrection"
BIBLIOGRAPHIE
DERCHAIN Philippe
A propos d’une grenouille, RdE 30, Paris, Klincksieck, 1978, pp. 65-6.
MALAISE Michel,
La perception du monde animal dans l'Égypte ancienne, dans Anthropozoologica n° 7, 1987, p. 36.