Le dernier mardi avant le congé de Printemps, - ce funeste 22 mars de bien triste mémoire pour la Belgique mais aussi, à court ou à long terme, pour tous les citoyens de ce monde mis en grand péril par les folies meurtrières perpétrées depuis un quart de siècle au coeur même des pays musulmans par G. W. Bush et ses affidés européens auto-proclamés sauveurs de l'humanité chrétienne ... en mal de pétrole ; opinion personnelle en forme de coup de poing sur le i de ingérence - ; ce mardi-là, donc, au terme d'une rapide évocation des quelques découvertes qui se sont succédé durant l'ultime décennie du XXème siècle dans la nécropole d'Abousir, concession de fouilles accordée jadis par le gouvernement égyptien aux archéologues tchécoslovaques en guise de reconnaissance et de remerciements officiels pour la participation de leur pays, à l'aube des années 1960, au sauvetage des temples de Nubie, je vous conviais, amis visiteurs, à ce nouveau rendez-vous pour pénétrere de conserve ce matin au sein du mastaba d'un certain Kaaper.
(Merci à nouveau à C., une ami genevoise, d'avoir, voici plus de trois ans, eu l'amabilité de m'adresser ce cliché parmi d'autres, - sur lesquels j'aurai l'opportunité d'abondamment revenir dès la semaine prochaine -, présentant les quatre hiéroglyphes qui, de droite à gauche, nous permettent de lire le nom de Kaaper.)
Dans cette tombe, nous aurons pour guide l'égyptologue tchèque Miroslav Barta qui en a étudié toutes les composantes, puis les a publiées en anglais en 2001 dans un ouvrage relatant les recherches menées précisément entre 1991 et 1993 au cimetière sud, ainsi que les résultats obtenus tant dans les domaines de l'archéologie, de l'architecture et de la décoration que dans celui de l'étude démographique, taphonomique et pathologique des corps mis au jour.
Que vous dire de ce tombeau ?
Que sa superstructure rectangulaire qui avait dû atteindre quelque 42 mètres de longueur pour 20 de large et très probablement 5 de hauteur, fut construite en calcaire originaire des carrières de Toura, proches du Caire actuel, sur la rive opposée du Nil.
Que sa façade fut initialement décorée de portraits du défunt.
Que sa chapelle en forme de L située dans la partie sud-est du complexe funéraire contenait les vestiges d'une fausse-porte devant laquelle une table d'offrandes en granit rouge avait été scellée dans le sol.
Que le traditionnel serdab destiné à abriter une statue de défunt était lui aussi bien présent.
Ces quelques détails doivent à l'évidence vous rappeler le mastaba d'Akhethetep qu'ensemble, à l'automne 2008, nous avions admiré dans la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Si tel n'était pas le cas et si, d'aventure, vous désiriez quelques explications supplémentaires à son propos, mais surtout sur ce que l'on nomme stèle fausse-porte, table d'offrandes ou serdab que je viens de simplement citer pour Kaaper, permettez-moi de vous suggérer de (re)-trouver les quelques articles qu'alors je leur avais consacrés par un simple clic de votre part sur les différents termes ci-dessus surlignés en rouge.
C'est dans l'intention de sauver ce qui pouvait encore l'être que les archéologues tchécoslovaques s'intéressèrent donc à ce monument sépulcral dès 1991.
Car il vous faut prendre conscience, amis visiteurs, qu'il se prévalait d'une histoire archéologique à rebondissements : vous n'ignorez évidemment pas, qu'avec parfois la complicité des gardiens de nécropoles, les voleurs n'avaient aucun scrupule, quelques jours à peine après l'inhumation, à pénétrer dans les tombeaux à la recherche des trésors qu'ils savaient y avoir été enfouis, nonobstant qu'ils avaient pourtant été aménagés de manière que leurs propriétaires fussent en droit d'espérer que jamais ils ne seraient violés, et d'ainsi pouvoir bénéficier du repos éternel pour leur vie dans l'Au-delà.
Des minutes de procès célèbres, notamment à l'époque ramesside, ont en effet été retrouvées, qui mentionnent avec force détails les profanations et les dégradations qui furent commises aux "Maisons d'éternité" des plus grands, voire de hauts-fonctionnaires du royaume, susceptibles eux aussi, par leur équipement post-mortem, d'attiser de nombreuses convoitises.
Ces pratiques perdurèrent à divers degrés d'importance, en ce comprises, ne nous voilons pas la face, les déprédations commises à l'envi par des "fouilleurs" occidentaux du XIXème siècle stipendiés par des consuls européens véreux qui accroissaient substantiellement leurs revenus en vendant à des musées du monde entier maints fragments pariétaux de temples ou d'autres constructions.
Dans la nécropole sud d'Abousir, le mastaba de Kaaper fut de ceux-là. Même si, comme je l'ai tout à l'heure mentionné, il fut l'objet de pillages dès l'Antiquité, c'est assurément à l'époque contemporaine que son histoire connut quelques nouvelles péripéties, au point que Miroslav Barta, dans un article qu'il lui consacra en 2005 (voir référence infrapaginale), n'hésite pas à écrire que : "during the last 100 years, this monument was discovered and lost several times."
"Découvert et perdu à plusieurs reprises", puisqu'en effet, il fut très tôt visité, très tôt démantelé, ce qui "expatria" moult blocs de fins reliefs en calcaire provenant de la chapelle funéraire dans de grands musées états-uniens.
Le mastaba fut ensuite vraisemblablement "oublié" jusqu'à ce qu'en 1959, l'égyptologue américain Henry George Fischer (1923-2006), Conservateur en chef des Antiquités égyptiennes du Metropolitan Museum of Art de New York, le remit à l'honneur en publiant une étude dont le point de départ était constitué de photographies émanant d'archives de Saqqarah : bien que proposant notamment des clichés de murs détruits d'une chapelle indubitablement mise à mal par des pillards, Fischer parvint à en décrire quelques détails de la décoration initiale et, surtout, à en identifier son propriétaire, Kaaper, grâce à des investigations parallèles qu'il mena dans les collections égyptiennes américaines.
Quoi qu'il en fut, sans plus de précision, il situa la tombe "somewhere on the Saqqara necropolis".
Trente ans plus tard, en 1989, une équipe d'archéologues égyptiens la retrouva officiellement sur le site d'Abousir, - ce n'était jamais que la troisième fois de son histoire qu'elle "réapparaissait" ! C'est à ce moment-là seulement que l'on prit conscience de la gravité des dégâts occasionnés par les bien peu scrupuleux " visiteurs" qui s'y étaient successivement introduits.
Ce que confirma l'expédition de l'Institut Tchécoslovaque d'Égyptologie sous la direction de Miroslav Verner, au cours d'une reconnaissance de la région en 1991 : elle en fit aussitôt le premier projet de sauvegarde par investigations électro-magnétiques dans cette portion du cimetière, conscients qu'étaient les membres de l'équipe que la reconstitution de l'aspect premier du décor intérieur de la tombe - emplacement n° 18, sur le plan ci-dessous -, serait un énorme défi à relever.
Et cela en fut effectivement un ! Et qui dura plusieurs années. Et qui apporta, malgré le piètre état de conservation, bien des renseignements nouveaux sur le défunt, son épouse, sa famille ...
Et qui aussi, par la même occasion, offrit aux égyptologues la triste opportunité d'évaluer les pertes, pour le moins considérables. En effet, souvenez-vous, j'ai à l'instant mentionné les documents photographiques archivés qu'avait publiés H.G. Fischer dans son étude de 1959 : plusieurs d'entre eux permirent évidemment d'établir des comparaisons avec ce qui subsistait encore in situ.
Ainsi, sur le mur est, à l'entrée de la chapelle funéraire, figurait jadis une scène classique dans laquelle des pêcheurs capturaient différentes sortes de poissons à l'aide d'un filet - un peu comme celle, souvenez-vous, que nous avons déjà rencontrée dans la vitrine 2 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Dans la chapelle funéraire de Kaaper, ce registre a aujourd'hui entièrement disparu !
Certes, nous savons qu'un bloc, un seul, se trouve exposé au Metropolitan Museum de New York (MMA 58.161, 1:5), ce qui constitue déjà une espèce de consolation. Mais force est de constater qu'il ne nous donne à voir qu'une infime partie de ce que dut être la scène originelle.
Les autres blocs ? Ils ne figurent dans aucun inventaire de collections muséales. Et Miroslav Barta d'avancer l'hypothèse, tout à fait plausible évidemment, qu'ils seraient désormais la propriété d'un riche collectionneur privé qui se garderait bien d'en faire état.
Espérons qu'un jour, suite au décès de ce "propriétaire" peut-être, ils réapparaîtront sur le marché souvent frauduleux de l'Art ...
La minutie des travaux de restauration de l'équipe tchécoslovaque permit de constater, avec un véritable soulagement, que toute la décoration pariétale de la chapelle de culte n'avait pas été systématiquement arrachée : ainsi sur le même mur est, la classique scène qu'il est convenu d'appeler le "repas funéraire", - Kaaper et Tjenteti, son épouse à ses côtés, sont assis devant une table garnie de pains et d'autres offrandes alimentaires -, n'a fort heureusement pas intéressé les voleurs
Ce tableau constitue le seul élément de décoration de la chapelle funéraire qui soit resté en place pratiquement intact ; pratiquement parce que de graves problèmes de salpêtre ne cessent depuis d'en accentuer la détérioration.
Ceci posé, déplorons que d'autres scènes pariétales de la chapelle ont disparu : ainsi, sur le mur nord, les égyptologues auraient dû pouvoir rencontrer le défunt que son épouse enlaçait au niveau des épaules, même si, déjà, et les photos d'archives le prouvent, leurs deux visages avaient été jadis détachés de l'ensemble.
Au-dessus de leurs têtes, une inscription hiéroglyphique très intéressante. Malgré qu'elle soit elle aussi fortement endommagée, il fut possible d'en reconstituer une partie et d'ainsi se rendre compte qu'il s'agissait d'un extrait s'apparentant à cette incontournable "Déclaration d'innocence", connue aussi sous l'appellation de "Confession négative" que, lors de notre rendez-vous du 21 février 2009, j'avais déjà, souvenez-vous, dans un contexte plus général eu l'opportunité de vous en expliquer fondements et teneur.
Ici, Kaaper s'adressant à ceux des siens attendus pour régulièrement venir entretenir son culte funéraire, désire les convaincre qu'il a toujours été respectueux des normes éthiques en vigueur, partant, qu'il mérite amplement et leurs offrandes et leurs prières de manière à pouvoir être assuré d'une vie éternelle des plus heureuses :
" J'ai construit ce tombeau justifié devant le dieu. J'ai construit ce tombeau avec mes biens propres (...)
Je n'ai jamais dit quoi que ce soit de mal contre quiconque. Je n'ai jamais rien volé à personne (...)
Celui qui aurait l'intention de perturber cette tombe serait jugé par le grand dieu, seigneur du jugement dernier (...)
Et de "signer" : le fonctionnaire royal, Kaaper.
Mais qui donc fut ce Kaaper si "dispersé" - , qu'homonymie aidant d'aucuns sur le Net persistent à confondre avec le "Cheik-el-Beled" dont la célèbre statue en bois exposée au Musée du Caire fut mise au jour par Auguste Mariette au XIXème siècle ?
C'est grâce à d'autres documents heureusement retrouvés qu'il me siérait, mardi 19 avril prochain, amis visiteurs, de faire en votre compagnie plus ample connaissance avec Kaaper ...
(Barta : 2005 2 ; Fischer : 1959, 233-72 ; Verner : 1993, 84-105)