Certes, j'eusse pu vous convier, amis visiteurs, à une balade dans un parc de quelque 45 hectares, superbe, celui du domaine royal de Mariemont, à Morlanwelz, en province de Hainaut belge où nous aurions flâné de conserve sur les bords munificents d'un plan d'eau ;
où nous aurions admiré des essences classées, certaines rares parce qu'exotiques, d'autres parce que moult fois séculaires ;
où nous aurions badaudé sur des chemins ourlés de flamboyants massifs d'azalées et de rhododendrons qu'ombragent fraternellement des hêtres pourpres ;
où nous aurions croisé six hommes, de licou et de simple chemise couverts, résignés si j'en crois Froissart, à se sacrifier pour sauver les habitants de leur ville s'apprêtant à être conquise par la soldatesque d'Édouard III d'Angleterre ;
où nous aurions ...
Brisons net l'anaphore et acceptez, - la beauté bucolique du parc ne le cédant en rien à celle des oeuvres égyptiennes encore à découvrir -, qu'après l'article préliminaire, sorte de mise en bouche apéritive du 17 mai dernier, après le préambule du 24 mai suivant, après les deux rencontres que nous nous sommes octroyées les 31 mai et 7 juin, j'aie préféré suivre l'invite que me suggère l'index injonctif de ce jeune garçon, - doigt que le scribe Amenempopé aurait pu comparer à un bec d'ibis :
nous rendre à nouveau au Musée lui-même
et plus spécifiquement en son second étage pour y reprendre, là où nous l'avions à peine ébauchée, la visite de l'exposition "Dieux, génies, démons en Égypte ancienne" qu'Arnaud Quertinmont,
Égyptologue, Docteur en Histoire, Art et Archéologie et Conservateur du Département Égypte/Proche-Orient, y propose jusqu'au 20 novembre prochain.
Dans l'imposant ouvrage d'art de quelque 380 pages, - un catalogue, est-il convenu de l'appeler -, réalisé sous sa direction,
l'introduction et les trois grandes thématiques envisagées par les contributions de grands noms de l'égyptologie contemporaine sont précédées d'un texte, pp. 11-3, Par Horus demeure ! ou l'éternelle fascination des dieux égyptiens, signé Jean-Marcel Humbert.
Docteur en Histoire (égyptologie) et Docteur d'État ès-lettres et Sciences humaines de l'Université Paris IV-Sorbonne, Conservateur général honoraire du Patrimoine, J.-M. Humbert est incontestablement devenu LA référence en matière d'égyptomanie, thème qu'il a développé dans de nombreux écrits, ainsi qu'en tant que Commissaire de la mémorable exposition "Égyptomania. L'Égypte dans l'art occidental (1730-1930)", que j'eus l'heur de voir au Louvre en mars 1994.
Le titre de son article, à tout le moins les trois premiers termes, fait évidemment référence, beaucoup d'entre vous l'auront reconnue, à l'exhortation "Par Horus demeure !" prononcée par le Professeur Mortimer en brandissant dans la direction d'un dangereux serpent naja rampant vers son lit la petite gaine de cuir contenant une quelconque formulation magique tracée en hiéroglyphes sur un vieux papyrus - (Mystère de la Grande Pyramide, tome II : La chambre d'Horus, planche V, dernier philactère) - que lui avait offerte quelques heures plus tôt le cheik Abdel Razek (op. cit., planche IV, 9ème vignette).
Court article en réalité qui aurait tout aussi bien pu figurer dans un éventuel catalogue de l'exposition De Stargate aux comics que nous avons visitée de conserve les deux semaines précédentes, dans la mesure où traitant d'égyptomanie, il montre dans un premier temps combien certains dieux égyptiens contribuent de nos jours à faire acheter, Bastet, des croquettes pour chats, Osiris, des voitures d'occasion et Isis, des tire-lait !!
Isis dont J.-M. Humbert retrace ensuite la popularité dans l'imaginaire collectif depuis les cultes isiaques que propagèrent dans tout le bassin méditerranéen les légions romaines jusqu'aux comics américains qui en firent une héroïne surhumaine, dont également le cinéma s'empara, détenant certains pouvoirs comme ceux de s'envoler, de passser murailles, d'apparaître ou de disparaître selon son humeur ...
Cette Isis devenue égérie d'une littérature éminemment contemporaine, l'exposition du rez-de-chaussée la met en valeur dans une de ses vitrines.
Preuve, si besoin s'imposait encore de le souligner, qu'exista dans le chef de ses commissaires l'impérative volonté de les penser de manière que soit possible entre elles une étroite interdépendance susceptible, à des niveaux différents certes, de grandement séduire autant les parents que leurs enfants.
Enfants qui sont bien sûr attendus eux aussi au second étage et auxquels un parcours est suggéré, avec jeux de questions/réponses, guidés qu'ils seront par un "Bès" contemporanéisé.
Là, tous auront loisir de retrouver la déesse Isis, épouse d'Osiris, mère d'Horus plus d'une quinzaine de fois représentée sous divers aspects et à différents époques avec les traits d'une jeune femme élancée, revêtue d'une robe longue moulante et souvent "coiffée" du signe hiéroglyphique figurant le siège du roi servant à écrire son nom en égyptien.
C'est cette première apparence que je soulignerai aujourd'hui grâce à un fragment de cartonnage de momie en lin stuqué et peint (FT 207), datant de l'époque pendant laquelle l'Égypte vécut sous les dominations grecque puis romaine.
Il fait partie d'un très bel ensemble de textiles coptes, 220 pièces, constitué par Maria Luise Fill et Robert Trevisiol, couple véritablement passionné par les tisssages et qui, dernièrement, décida d'offrir leur collection à la Fondation Roi Baudouin avec mission de la sauvegarder. Celle-ci jugea opportun de la placer en dépôt au Musée royal de Mariemont aux fins qu'elle soit admirée par le plus grand nombre.
Scrutez cette pièce de tissu : au niveau de la portion inférieure gauche, sous les représentations momiformes de chacun des quatre fils d'Horus et face à sa soeur Nephthys, vous distinguerez Isis, tournée vers la droite, assise sur le hiéroglyphe de l'or et portant sur la tête la figuration minimalisée du trône qu'à l'instant j'évoquai.
Avant de prendre congé de vous, amis visiteurs, préférant vous laisser déambuler seuls au sein de l'exposition à la recherche des autres Isis présentes, j'aimerais partager avec vous un véritable coup de coeur. Il constituera la seconde apparence sur laquelle je souhaitais ce matin attirer votre attention : une Isis coiffée de cornes ceignant un disque solaire, l'assimilant fortement à la déesse Hathor, figures divines de l'amour maternel qu'elles représentaient toutes deux dans la mythologie égyptienne.
Qu'importe si pour expliquer d'aussi longues ailes, d'aucuns évoquent un geste protecteur quand d'autres hésitent entre celui de permettre l'ombre et, plus poétique et mieux en accord avec les souhaits des défunts, celui d'apporter en battant le doux souffle du vent du nord : mais ne trouvez-vous pas, amis visiteurs, qu'ainsi dotée, de cette statuette en bronze de 26 centimètres de haut, de cette Isis ailée, comme il est convenu de la nommer dans la littérature égyptologique, sourd une élégance hors du commun ?
Il vous reste un peu plus de cinq mois pour venir l'admirer à Mariemont avant qu'elle s'en retourne au Museum aan de Stroom d'Anvers où elle est répertoriée sous le numéro d'inventaire AV 79.1.30.
(Grand merci à toi, Alain, d'avoir aussi amicalement accepté de m'offrir ta photo de l'affiche de Bès destinée aux enfants pour l'insérer dans le présent article.)
BIBLIOGRAPHIE
CANNUYER Christian, Statuette d'Isis ailée, dans QUERTINMONT Arnaud, Dieux, génies et démons en Égypte ancienne, Paris, Somogy Éditions d'Art / Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 2016, notice catalogue 57, pp. 190-1.
QUERTINMONT Arnaud, Fragment de cartonnage, dans QUERTINMONT Arnaud, Dieux, génies et démons en Égypte ancienne, Paris, Somogy Éditions d'Art / Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 2016, notice catalogue 149, pp. 340-1.
TREVISIOL Robert & alii, Textiles coptes. La collection Fill-Trevisiol, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin, 2015, pp. 30 et 99.