... J'aimais mieux porter ma vue au dehors et admirer, du haut du château, le vaste tableau que présentaient au loin le Nil, les campagnes, le désert et les Pyramides. Nous avions l'air de toucher à ces dernières, quoique nous en fussions éloignés de quatre lieues. À l'oeil nu, je voyais parfaitement les assises des pierres et la tête du sphinx qui sortait du sable ; avec une lunette je comptais les gradins des angles de la grande Pyramide et je distinguais les yeux, la bouche et les oreilles du sphinx, tant ces masses sont prodigieuses.
François-René de CHATEAUBRIAND
Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris
Sixième partie : Voyage d' Égypte
Gallica - Document électronique
Plus personne parmi vous n'ignore, je présume, amis visiteurs, qu'à l'Ancien Empire, dès la IVème dynastie, les premiers souverains égyptiens à se faire ériger une pyramide en guise de "maison d'éternité" choisirent le plateau de Guizeh, en Basse-Égypte, devenu avec le temps passage obligé pour des millions de touristes qui visitèrent le pays. À quelques kilomètres plus au sud : Saqqarah, indépendamment de la première pyramide à degrés de Djoser, à la IIIème dynastie, l'ancêtre avéré de toutes les autres, n'en compte pas moins d'une quinzaine, notamment pour les derniers souverains de la Vème dynastie, Isési et Ounas, ainsi que ceux de la VIème, Téti, Pépi Ier, Mérenrê et Pépi II.
Dois-je une fois encore rappeler que c'est précisément à Ounas que l'on doit la présence, pour la toute première fois, de textes destinés à permettre d'obtenir l'éternité - communément appelés Textes des Pyramides -, sur les parois des appartements funéraires royaux ? Et d'insister sur le fait que tous ces immenses tombeaux qui ont précédé celui d'Ounas étaient donc absolument anépigraphes ...
Ce que d'aucuns savent peut-être un peu moins, c'est que, les trois plus célèbres mises à part, celles de Chéops, de Chéphren et de Mykérinos, des dizaines et des dizaines d'autres virent le jour, plus au sud encore pour la majorité d'entre elles et ce, jusqu'à la XIIème dynastie du Moyen Empire : pendant un bon millénaire donc, rois et souvent épouses, recoururent à ce mode d'ensevelissement avant de préférer, au Nouvel Empire, les profondeurs de la montagne thébaine - dont la forme, par parenthèses, avait bizarrement un aspect plus ou moins pyramidal -, pour y faire aménager des hypogées, plus discrets, partant, moins susceptibles d'être pillés, donc leur permettant de définitivement reposer en paix ; à tout le moins, l'espéraient-ils.
Certains d'entre vous me citeront probablement aussi, avec raison, les pyramides de Dachour, de Licht, ou de Meidoum ... même si, pour la plupart, ne subsiste plus comme probants vestiges qu'un amoncellement de débris.
Pour ma part, et comme vous vous y attendez si vous m'avez accompagné jusqu'avant le congé de Carnaval, j'apporterai une autre pierre à cet édifice - qui n'a rien, quant à lui, de pyramidal ! -, en citant le site d'Abousir, entre Guizeh, au nord et Saqqarah, au sud où l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie reçut, en remerciement de sa participation au sauvetage des temples de Nubie, au début des années soixante, une vaste et importante concession de fouilles.
Abousir ? Oui, vous en avez récemment entendu parler : c'est là qu'une équipe d'archéologues de l'Institut Tchèque d'Égyptologie dirigée par Miroslav Barta, - dont je vous entretiendrai dans les semaines à venir -, a mis au jour, proche d'un mastaba, les vestiges d'un bateau de 18 mèttres de long vieux de quatre millénaires et demi.
(https://www.rtbf.be/info/monde/detail_egypte-les-restes-d-un-bateau-de-4-500-ans-decouverts-pres-de-pyramides?id=9202000)
Mais pour l'heure, revenons voulez-vous, à l'époque précédant la direction de Miroslav Barta sur les fouilles du site d'Abousir ...
Ouserkaf mis à part, cinq de ses huit successeurs à la tête de la Vème dynastie : Sahourê, Néferirkarê-Kakaï, Rêneferef, Shepseskarê et Niouserrê choisirent Abousir comme lieu d'inhumation, permettant par la même occasion à certains de leurs hauts fonctionnaires d'y prévoir leur propre mastaba.
L'on suppose que la préférence, par ces souverains, d'un endroit situé à une petite trentaine de kilomètres au sud-ouest de Memphis, serait consécutive au fait qu'Ouserkaf, leur ancêtre direct qui, bien que faisant ériger son propre tombeau à Saqqarah, proche de celui de Djoser, choisit Abousir pour y édifier son temple solaire. Ce qui eut pour conséquence de déplacer le centre de gravité du royaume vers cette partie septentrionale de la capitale d'alors, en la transformant en nécropole à l'usage de certains dynastes de la fin de l'Ancien Empire.
Certes, l'endroit n'attendit pas les égyptologues tchécoslovaques pour être fouillé et étudié : ainsi, des clandestins à l'extrême fin du XIXème siècle déjà, puis le grand égyptologue allemand Ludwig Borchardt à la tête de la Deutsche Orient-Gesellschaft, en 1907, mirent au jour, dans le temple funéraire du pharaon Neferirkarê-Kakaï, un important corpus de papyri dont certains fragments ont entre autres abouti au Musée du Louvre, et qu'étudia et publia en 1976 Madame Paule Posener-Kriéger ; publication que, jeune égyptologue, elle dédia notamment à la mémoire de Jaroslav Cerny que j'ai pour vous récemment évoqué.
Comme j'avais déjà eu l'opportunité de l'expliquer en septembre 2009, cette collection de rouleaux d'archives concernait la vie quotidienne du temple, d'où son immense importance : des tableaux de service définissant les tâches à accomplir par les différents membres de son personnel côtoyaient des inventaires de biens ; des comptes afférents aux offrandes alimentaires destinées à nourrir la statue du dieu s'accompagnaient de l'énoncé des noms de ceux qui les avaient acheminées ; des listes de pièces livrées étaient assorties de notices décrivant leur état, etc.
Toute cette comptabilité qui fut ainsi tenue deux cents ans durant par une pléiade de scribes méticuleux représentait incontestablement à l'époque de son étude par Paule Posener le lot de documents archivés le plus imposant, le plus détaillé, partant, le plus intéressant jamais retrouvé pour l'Ancien Empire.
Mais un égyptologue tchécoslovaque vint qui, dès 1980, eut l'heur de mettre au jour les vestiges d'un autre temple funéraire, en briques crues, et donc considérablement ruiné : celui de Rêneferef, le fils aîné de Néferirkarê-Kakaï,
des magasins duquel il exhuma, en 1982, des empreintes de sceaux en terre crue, des fragments de plaquettes de faïence, ainsi que des papyri, ensemble bien plus riche encore dans la mesure où il nous permet à présent, non seulement d'affiner nos connaissances de la gestion des domaines royaux à la Vème dynastie, mais surtout, grâce aux autres découvertes réalisées jusqu'en 1986, de mieux appréhender le règne de ce pharaon en définitive peu connu.
Miroslav Verner - car c'est bien de lui qu'il s'agit : j'avais en effet mentionné, le mardi 2 février dernier, rappelez-vous amis visiteurs, son accession à la direction de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie, après le décès de Zbynek Zaba -, fouillait régulièrement à Abousir, tant au nord qu'au sud du site.
Avant lui, dès le début des années soixante, les missions tchécoslovaques qui s'y étaient succédé avaient déjà contribué à l'exploration du plus imposant complexe funéraire privé de l'Ancien Empire (56 x 42 mètres), le mastaba de Ptahshepses, l'époux d'une fille du roi Niouserrê,
ainsi qu'à son anastylose.
Il appert que les agrandissements successifs que Ptahshepses imprima dans son tombeau soient le reflet de son prestigieux parcours social : cumulant tout à la fois les fonctions de vizir, de grand prêtre de Memphis et d'Inspecteur général des travaux du roi, il s'était initialement prévu un mastaba qui ne devait se composer que des traditionnelles salles inhérentes à son inhumation et à son culte funéraire ; c'est à tout le moins ce que les différentes saisons de fouilles des archéologues tchécoslovaques révélèrent.
Or, après la construction initiale, le haut fonctionnaire palatial commanda deux agrandissements qui, étude faite, n'eurent d'autre fonction que celle d'asseoir sa notoriété en empruntant des caractéristiques architecturales aux monuments royaux, pas moins !, qu'apparemment, vu sa position - gendre du souverain, je le rappelle ! -, il connaissait à la perfection.
Des magasins ; un autel destiné à recevoir les offrandes au centre d'une immense cour entourée de 20 piliers ; une chapelle à trois niches hautes pour abriter ses statues, grandeur nature, auxquelles un petit nombre de marches permettaient d'accéder et servant manifestement d'important lieu de culte ; deux salles d'offrandes, dont une réservée à son épouse furent entre autres ainsi ajoutés au mastaba originel.
L'ensemble était précédé d'un portique, ainsi que le montre le cliché ci-dessus de Kamil Vodera, que soutenaient deux colonnes en calcaire symbolisant un bouquet de plusieurs tiges de lotus. Les monarques antérieurs, quant à eux, s'ils plébiscitèrent également ce type de colonnes, choisirent plutôt le bois pour les faire réaliser. Et après Ptahshepses, plus personne ne souhaita semblables supports lotiformes en pierre pour ce type de soutènement.
En outre, dans une des salles nouvelles, il fit également aménager un escalier permettant d'accéder au toit, comme dans certains temples précédant les pyramides royales .
Miroslav Verner jaugeant les fragments mis au jour estima que les différentes salles de ce tombeau, décorées de bas-reliefs peints dont certains furent retrouvés in situ, servirent à abriter une quarantaine de statues du défunt de tailles et de matériaux différents.
Mais quelle ne fut pas la surprise des membres de la mission tchécoslovaque quand ils prirent conscience que la couverture du caveau funéraire de Ptahshepses se révélait parfaitement semblable à celle des pyramides des rois de la Vème dynastie : quatre paires d'énormes monolithes de calcaire étaient en effet empilés en chevron.
Il est en définitive difficile quand, sur un chantier de fouilles, s'enchaînent comme ici, pendant des années, tant d'importantes découvertes, de déterminer celle qui restera la plus prépondérante aux yeux de l'Histoire. Et les archéologues de l'Institut tchécoslovaque, à la tête duquel officia Miroslav Verner dix-sept années durant, sont là pour avérer mon propos, eux qui permirent à l'égyptologie d'effectuer de grands pas dans ses différents axes d'études : qu'ils ressortissent au domaine de l'architecture funéraire, à celui, plus théorique, de la chronologie des rois de la Vème dynastie ou à celui de certains rites de proscription ...
C'est pour envisager la suite des travaux de ces missions tchécoslovaques, ainsi que leurs résultats, que je vous invite à me rejoindre, amis visiteurs, sur le site d'Abousir, le mardi 23 février prochain.
(Grimal : 1988, 92-5 ; Janosi : 1999, 60-3 ; Malek/Baines : 1981, 140-1 et 152-3 ; Onderka & alii : 2008, passim; Posener-Kriéger : 1976, passim ; Verner : 1978, 155-9 ; 1985 (1), 267-80 ; 1985 (2), 281-4 et 1985 (3), 145-52)