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30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 01:00

 

 

 " Si l'Égypte a montré, avant même l'Ancien Empire, sa capacité à vivre en bonne intelligence avec des étrangers, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières, il n'en reste pas moins qu'elle a très tôt combattu pour son unité, pour défendre son territoire, mais aussi pour conquérir de nouveaux marchés et pour soumettre des hôtes peu accueillants. "

 

 

 

Dominique  VALBELLE

L'Égyptien et les étrangers,

de la préhistoire à la conquête d'Alexandre

 

Paris, Librairie Armand Colin, 1990, p. 65.

 

     Vous vous souvenez certainement, amis visiteurs que, le 16 janvier dernier, j'avais terminé mon premier article consacré au bloc E 11220 exposé ici devant vous dans la première vitrine de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre en attirant votre attention sur deux courtes colonnes de textes hiéroglyphiques disposées de part et d'autre de l'entaille centrale réalisée sur l'une des deux petites faces du monument, proclamant respectivement que "tous les pays désertiques sont sous les pieds de ce dieu parfait" et que "toutes les terres sont sous les pieds de ce dieu parfait".

     L'expression "dieu parfait ", avais-je précisé, constituait une des épithètes du roi régnant ... que, depuis la semaine dernière, vous savez désormais être l'ultime souverain indigène de la trentième dynastie égyptienne, Nectanebo II.

 

     Poursuivant notre analyse de ce socle, il m'agréerait que nous consacrions notre rendez-vous de ce matin à nous pencher sur les motifs scindés en deux registres superposés, toutefois non séparés par une ligne horizontale, que le lapicide a incisés, toujours selon la technique du relief dans le creux, sur le petit côté exactement à l'opposé de celui qui nous a occupé jusqu'ici. 

     

Bloc E 11220 - (Wikimedia - © Vania Teofilo)

Bloc E 11220 - (Wikimedia - © Vania Teofilo)

 


     Au registre supérieur, les dessins gravés, pas vraiment de la plus belle facture, convenez-en, proposent une lecture-rébus dont nous savons les Égyptiens antiques très friands, image spéculaire autour d'un axe central concrétisé par le hiéroglyphe du cœur surmonté de sa trachée, qui se lit "nefer" et signifie "beau, bon, parfait", flanqué, de part et d'autre, de l'idéogramme d'une espèce de drapeau représentant en fait l'emblème de la divinité, qui se lit " netjer " et qui donc signifie "dieu" ; le tout matérialisant le concept de "dieu parfait" qu'à l'instant j'évoquai.

     Cette épithète royale est ici encadrée par le signe semi-circulaire de la corbeille, ayant la valeur phonétique "neb" et se traduisant par "
tout
, tous", que surmontent deux vanneaux huppés levant des bras humains en guise d'adoration, ce que nous invite à parfaitement comprendre le pictogramme de l'étoile devant eux dans la mesure où il matérialise le verbe "adorer" : ces pluviers, ces "rekhyt", comme ils étaient alors nommés, symbolisent la masse populaire, tout le peuple ; la plèbe, diront plus tard les Romains.

 

     De sorte que cet ensemble graphique particulier vous incite à comprendre que tous les Égyptiens se devaient de faire allégeance à leur souverain, dieu parfait à leurs yeux ; obligation d'ailleurs parfaitement corroborée par maints objets archéologiques exhumés datant déjà des temps immémoriaux de la constitution de l'idéologie monarchique, soit depuis approximativement la fin du IVème millénaire avant notre ère.

 

     Faire allégeance au roi : uniquement le peuple égyptien ?, seriez-vous en droit de vous interroger. 

     C'est pour répondre à ce questionnement que j'attire maintenant votre regard, toujours sur le même côté de la base de statue de Nectanebo II, vers le second registre, immédiatement en dessous de celui que vous venez de découvrir : sur trois niveaux, un même arc a été incisé à trois reprises. Neuf arcs en tout.

 

      Rien n'étant jamais dû au hasard dans l'art égyptien antique, que peut donc signifier cette image répétée à neuf reprises ?  

 

 

     L'arc, nul n'en doutera, fait partie des symboles de cynégétique et de stratégie militaire les plus vieux de l'histoire de l'humanité : rien d'étonnant dès lors que les Égyptiens l'aient choisi en tant qu'emblème pour illustrer le concept d'ennemis. Probablement pensé à Héliopolis, ancienne ville "sainte" d'où naquit une cosmogonie en vue de rassembler les mythes les plus archaïques sous l'autorité d'une ennéade, entendez : neuf dieux considérés comme primordiaux permettant d'expliquer la constitution de l'univers, rien d'étonnant non plus que ce chiffre 9 ait été retenu pour mathématiser ceux, étrangers à l'Égypte, ennemis éventuels de la paix et de l'équilibre universels, qui étaient susceptibles de venir perturber l'ordre cosmique, de venir mettre à mal cet univers si bien conçu et dont le roi assurait la stabilité : ce seront les "Neuf Arcs" ... que vous dénombrez dans la partie inférieure du monolithe exposé devant vous.

 

     Par cette seule image d'un arc neuf fois repris, les Égyptiens suggéraient que le monarque, - quel qu'il fût au cours de l'histoire plurimillénaire du pays, mais ici, nommément identifié à Nectanebo II -, et que ses sujets, qui l'adulaient et le soutenaient, - ici, les vanneaux encerclant le "dieu parfait"-, entendait neutraliser ceux qui, étrangers, - ici, les neufs arcs -, auraient tenté de s'opposer à la bonne marche de la société. 

 

     Combattre, annihiler ceux pouvant être hostiles au pays : voilà le maître mot ! Pas moins mais pas plus que tous ses prédécesseurs depuis la création de la royauté égyptienne des centaines de siècles avant lui, Nectanebo II mit un point d'honneur à montrer sa volonté de protéger son pays et ses sujets contre menaces ou inimitiés d'aubains.

 

     De sorte que, à tout le moins les deux côtés que nous venons de décrypter, ce socle incontestablement destiné à recevoir une de ses statues, non seulement matérialisait ce souhait régalien mais en outre, en plaçant Nectanebo II sous l'égide du couple divin honoré à Coptos, Min et Isis, escomptait le prémunir de toute influence nuisible en couchant, je le souligne une dernière fois, toutes les terres et tous les pays désertiques sous les pieds de ce dieu parfait.

 

 

     Qui furent toutes ces terres, tous ces pays désertiques, bref tous ces étrangers dont le monarque égyptien tant semblait se méfier au point de vouloir les soumettre, notamment, en les faisant prisonniers, ou les écraser sous ses pieds ? 

 

     C'est ce nous apprendront les deux autres faces, plus longues, de ce beau bloc d'albâtre parallélépipédique et que je me propose, amis visiteurs, de décoder avec vous lors de notre quatrième et dernière rencontre à son sujet, mardi 6 février prochain, juste avant le début du Congé de Carnaval dans l'Enseignement belge. 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

BARBOTIN Christophe/ DEVAUCHELLE Didier, La voix des hiéroglyphes, Paris, Éditions Khéops, 2006, pp. 30-1.

 

 

 

SCHUMANN-ANTELME  Ruth, Coptos, XXXème dynastie, dans Catalogue de l'exposition " Un siècle de fouilles françaises en Égypte (1880-1980) ", Le Caire, I.F.A.O., 1981, pp. 275-7.

 

 

VALBELLE  DominiqueL'Égyptien et les étrangers, de la préhistoire à la conquête d'Alexandre, Paris, Librairie Armand Colin, 1990, pp. 43-8.

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23 janvier 2018 2 23 /01 /janvier /2018 01:00
BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

 

 

     " Souvent, on s'interroge, on ne sait plus, on n'y voit goutte, on se mélange les pinceaux, on n'y comprend plus rien : l'art, qu'est-ce que c'est ? Où est-ce que ça commence, Où est-ce que ça finit ? Où donc est-ce que ça va ? Et qu'est-ce que ça raconte ? 

Eh bien, voilà, c'est tout simple. Ça ne commence nulle part, ça ne finit nulle part ailleurs. Ça se perd en convergences et ça se trouve en reflets. Ça va chercher partout la lumière, ça ramasse les ombres. Ça remue les images et ça vous parle en face. Car l'art, c'est un miroir. Meuble jeté sur le chemin où galope Stendhal, glace rafraîchissant le font fiévreux de monsieur Proust, lentille grossissante, embellissante, enlaidissante, image hyperbolique, parabolique ou fugitive, surface bien polie, complexement convexe, obscurément concave, vitre piquée de mouches sur une armoire de ferme, psyché nimbée d'or frais aux galeries des rois, qu'importe, du moment que c'est un miroir et que le monde s'y reflète à son aise.

N'exigez qu'une chose : que le verre soit d'un seul tenant, sans soudures, sans coulures, d'une eau pure et profonde, puisée à la source de l'être. "

 

 

 

 

Carole CHOLLET-BUISSON

Miroir

 

Blog "Chemin des jours"

22 juillet 2014

 

 

 

 

     D'une relecture que je me suis offerte l'autre soir, avec toujours autant de plaisir, - et d'enchantement, surtout ! -, de quelques articles publiés par Madame Carole Chollet-Buisson sur son excellent blog "Chemin des jourset dont, dans un tiroir, j'avais précieusement conservé les références chronologiques, j'ai distrait celui que je vous propose en exergue ce matin, amis visiteurs, tant il me paraît significativement rencontrer la philosophie du beau monolithe d'albâtre, E 11220, exposé ici devant vous dans la première vitrine de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris ; la philosophie aussi des frises qui le ceignent en guise de "décor", ainsi que du sens des hiéroglyphes incisés dans les cartouches jumelés trônant, au mitan d'une de ses faces, sur le signe hiéroglyphique de l'or, symbole du concept d'indestructibilité, chacun coiffé du disque de Rê qu'encadrent deux plumes, symboles solaires par excellence ; cartouches qui vont me permettre aujourd'hui de non seulement vous révéler l'identité du souverain ici mentionné mais également de vous éclairer à propos de l'importante notion de titulature, appelée également protocole royal par certains égyptologues.

 

     Préalablement, il me siérait de quelque peu vous expliquer ce que cèle en réalité l'expression titulature royale.

 

     Il s'agit d'une liste de cinq appellations parfaitement contrôlées reçues par toute personne, homme ou femme, qui accède au pouvoir suprême en montant sur le trône d'Égypte : les trois premiers de ces noms constituent en quelque sorte une précision programmatique sur ce qu'il ou elle souhaite que soit son futur règne, tandis que les deux derniers, les seuls à être "protégés" par un cordeau ovale, indiquent son identité réelle, ce qui le ou la distinguera de celles ou ceux qui furent ses prédécesseurs.  

 

     Dans l’Égypte antique, pour tout un chacun, porter un nom signifiait non seulement détenir un signalement officiel mais aussi et peut-être surtout être reconnu comme existant, comme "étant", - au sens métaphysique que lui donnait Heidegger -, c'est-à-dire en tant que réalité vivante, par opposition à toute notion abstraite de l'être.

     Ainsi, par exemple, lors des guerres engagées hors territoire égyptien, la crainte suprême de tout soldat était de périr en terre étrangère, inconnu, ignoré, oublié. Point d’au-delà possible pour lui si son corps, même éventuellement rapatrié sur le sol natal, n’était pas assorti de son identité précise.

 

     Pour le souverain, héritier du démiurge, cette notion revêtait une importance évidemment capitale : l’anonymat étant vocation au néant, cela eût été dans son cas tout bonnement inconcevable. Cela lui aurait surtout dénié l’exercice de la royauté terrestre, partant, aurait perturbé le bon fonctionnement du pays tout entier.

 

     Dès lors, au moment de son intronisation, le monarque recevait trois noms qui définissaient, en plus de ceux des deux cartouches, sa personnalité en rapport avec les dieux et les déesses du pays.


     À dessein, j'ai à l'instant employé le terme monarque : j'eusse tout aussi bien pu dire souverain ou roi ... mais pas pharaon ! En effet, ce terme à présent parfaitement admis ne fut inventé et appliqué de manière métonymique à celui qui dirigeait le pays qu'à partir du Ier siècle avant notre ère : révélé par la Vulgate (Genèse XII, 15), il provient de la vocalisation par les Grecs des hiéroglyphes "per  ", signifiant grande maison, - attesté dès l'Ancien Empire -, que l’on traduit communément par palais royal

 

     Remarquez que ce type de synecdoque a perduré dans notre belle langue française, non plus comme procédé de style, mais dans un emploi tout à fait courant : ne dit-on pas encore de nos jours, en Belgique, par exemple : "Le Palais a annoncé le mariage de ..."; ou en France : "L’Élysée préconise ..." ?

 

     " Per aâ ", désignant au départ un bâtiment a, in fine, été attribué à celui qui y résidait, donnant ainsi naissance en français au terme "pharaon". Mais, jamais avant la XXIIème dynastie, il n'a servi de titre officiel aux rois, jamais il n'a accompagné leur nom : pour ce faire, les Égyptiens les désignaient simplement grâce au vocable " Horus un tel ".   

     Cette expression constituait d'ailleurs la première des cinq appellations sur lesquelles je vous propose maintenant de revenir.

 

 

1.  La première d'entre elles, le nom d'Horus donc, 

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

plaçait le souverain sous la protection de l'oiseau sacré, patron de la ville d'Hiérakonpolis d'où le premier roi, Narmer, était originaire ; et ainsi l'identifiait à Horus lui-même.
                                 

     Dans la transcription hiéroglyphique, l'oiseau Horus est placé au-dessus d'une représentation du mur d'enceinte protégeant le palais royal, nommé le "serekh" par les égyptologues, à l'intérieur duquel figure le nom du roi.

 

     Chez celui auquel le socle E 11220 appartint, la première dénomination le qualifiait de "L'Aimé des Deux Terres".  

 

 

2. Avec la deuxième appellation, le nom de "Nb.ty", les "Deux Maîtresses",

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

le souverain se trouvait sous la protection des déesses tutélaires des deux royaumes primitifs : Nekhbet, le vautour blanc de Haute-Égypte et Ouadjit, le cobra de Basse-Égypte. En tant que telles, elles personnifiaient les couronnes blanche et rouge matérialisant les deux parties du pays. Dès lors, ce souverain était considéré comme régnant sur l'Égypte unifiée.

 

     Chez "notre" roi, la deuxième dénomination le qualifiait de "Celui qui réjouit le cœur des dieux".



3. La troisième, le nom d'Horus d'or,  

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

composé du signe du faucon, personnification de Rê, et de celui du collier d'or réunis en un monogramme, liait la personne royale à celle de l'Horus solaire.

 

     La troisième dénomination désignait le propriétaire du monument de la vitrine 1 comme étant celui "Celui qui établit les lois".



4. La quatrième

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

souvent appelée prénom ou nom de règne ou de trône, celle de "Nesout-bity" signifiant, parlant du roi : "Celui du Roseau et de l'Abeille", ce que les égyptologues traduisent par "Roi de Haute et de Basse-Égypte", entouré d'un premier cartouche, l'assimile à la faune et à la flore symboliques de chacune des deux parties de son royaume : le roseau, pour la Haute-Égypte et l'abeille pour la Basse-Égypte.

     Et à l'instar de l'épiclèse constituant le deuxième nom, " Celui des Deux Maîtresses ", ce titre affirme donc la souveraineté du monarque sur l'Égypte unifiée.

 

     

5. Enfin, la cinquième et dernière appellation fournit son nom de naissance, son prénom pourriez-vous dire en référence à nos us, que les Égyptiens faisaient précéder de "Sa-Rê, comprenez " Fils de Rê ",

 

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

(le hiéroglyphe du canard  = "Fils de" et celui du soleil = ""); ce qui mettait sa personne, à tout le moins à partir de Chéphren, en relation intime avec le soleil, la grande puissance cosmique de l'univers.

 

     Des cinq appellations, seule cette dernière est passée à la postérité, devenant la dénomination la plus connue du grand public : pensez par exemple à Sésostris, Aménophis et autres Ramsès ... auxquels pour certains, à l'image des noms de monarques français ou belges, les historiens ont ajouté une numérotation en chiffres romains aux fins de les distinguer les uns des autres (Sésostris II, Sésostris III ; Ramsès II, Ramsès III, etc.)

 

     L'idéologie de la titulature royale peut donc se réduire à deux concepts :

 

     * Le souverain règne sur la Haute et la Basse-Égypte unifiées ;

     * Il s'intègre dans les deux cycles mythiques de la royauté divine : celui de Rê et celui d'Horus.

 

 

     Après avoir résumé cette immuable théorie et vous avoir en même temps énoncé les trois premières appellations du dynaste auquel E 11220 fait implicitement référence, découvrons, grâce aux deux cartouches, son identité réelle.

 

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

 

     Celui de droite, mettant en évidence sa quatrième appellation, son nom de couronnement, son nom de Roi de Haute et de Basse-Égypte, peut se traduire par : "Celui qui rend doux le cœur de Rê, l'élu d'Onouris " , tandis que celui de gauche donne à lire son nom de naissance, celui que retiendra la mémoire populaire  : "Puissant est Horus de Hebyt, l'aimé d'Onouris, le fils d'Hathor" ; 

 

     " Puissant est Horus de Hebyt ": ne retrouvez-vous pas là une expression vous semblant familière ?

 

     Mais bien sûr : trois pictogrammes précédemment rencontrés :

 

 

a) un avant-bras dont la main tient un bâton (= signe D 40 de la liste de Gardiner), 

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

qui se lit Nakht

 

 

b) le faucon Horus (= G 5 dans la même liste),

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

qui se lit Hor

 

 

c) la salle des fêtes du "jubilé royal" (= O 23),

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

qui se lit Heb

 

 

     Ces trois hiéroglyphes (D 40, G 5 et O 23) notent un prénom dont vous vous souvenez certainement, Nakht-Hor-Heb, parce qu'il est identique à celui de l'orant qui nous avait reçus il y a peu dans la salle 2 précédant celle-ci ; prénom que les Grecs retinrent sous la dénomination de Nectanebo, le second du nom, de manière à le différencier de son grand-père, le premier Nectanebo sur le trône de la XXXème et dernière dynastie égyptienne indigène.

 

     Que sait-on de ce Nectanebo II ?    

 

     À partir d'ici, concevez que ce sont moins les hiéroglyphes présents sur ce socle qui vous éclaireront que quelques ouvrages "incontournables" que j'ai compulsés parce que nécessairement nourris au sein d'irréprochables documents d'époque.

 

     Nectanebo II fut l'ultime  souverain autochtone, le dernier monarque égyptien de cette dynastie. Gouvernant de 360 à 343 avant notre ère, il connut une triste fin de règne puisqu'il choisit de s'enfuir vers le sud du pays après avoir été dépouillé du pouvoir par le roi perse Artaxersès III Ochos qui venait de s'emparer des villes de Péluse, de Bubastis et de Memphis.

     Épisode que les historiens ont pris l'habitude de qualifier de "Deuxième invasion perse".

 

     Sans pouvoir personnel, politiquement parlant, l'Égypte devint alors une satrapie, c'est-à-dire une division administrative de l'empire achéménide gérée par un satrape, un gouverneur commis par la Perse.

         

     Moins de dix ans plus tard, originaire de Macédoine, Alexandre qui deviendra le Grand, adoubé par l'oracle d'Amon, marquera définitivement de son empreinte et le pays et le reste du monde.

 

     Mais ceci ressortit à une autre histoire ...

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

LABOURY  Dimitri, L'inscription historique d'Amenhotep II à Amada, Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Licencié en Histoire et Philologie Orientales, U.Lg., Liège, 1992, 21-7.

 

 

DESSOUDEIX  Michel, Chronique de l'Égypte ancienne. Les pharaons, leur règne, leurs contemporains, Arles, Actes Sud, 2008, pp. 521-3.

 

 

GRIMAL  Nicolas, Histoire de l'Égypte ancienne, Paris, Fayard, 1988, pp. 451-5. 

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16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 01:00
BLOC  E 11220 - 1. PRÉSENTATION LIMINALE

 

     "Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre,  nous le voyons se multiplier, et, autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini et, bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial."

 

 

Marcel  PROUST

Le Temps retrouvé

 

Paris, Gallimard, Livre de Poche n° 2128, 1967

  pp. 256-7.

 

 

 

     Plutôt que ces deux immenses représentants du Siècle d'Or hollandais que furent Rembrandt et Vermeer, Marcel Proust aurait tout aussi bien pu évoquer, aux fins d'étayer son propos, à condition bien évidemment qu'il s'y fût intéressé et qu'à leur encontre il éprouvât une quelconque dilection, d'autres artistes, définitivement anonymes pour la plus grande majorité d'entre eux  puisque leurs noms ne sont pas parvenus jusqu'à nous -, qui peuplèrent différents "siècles d'or", - oui, malgré son anachronisme, je m'autorise cette expression ! -, de l'art égyptien antique qui, sur mon blog, amis visiteurs, participent de ma recherche de la Beauté.

 

 

     Pour cette quête, bien avant le blog, bien avant Internet, bien avant même qu'un ordinateur pénétrât dans mon bureau, c'est bloc de feuilles et bic qui accompagnèrent chaque année, au moment des vacances belges de Printemps, mes déambulations, salle après salle, au sein du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre dans lequel, depuis son redéploiement il y a vingt ans maintenant, ainsi que je vous l'ai expliqué la semaine dernière, deux gigantesques parcours sont offerts au public : au-dessus de nous, au premier étage de ce qu'il est convenu de nommer "l'Aile Sully", une visite chronologiquement agencée complète avec bonheur celle que nous allons ce matin officiellement entamer, ici, au rez-de-chaussée, à savoir : une approche thématique de la civilisation égyptienne avec, et c'est d'ailleurs le titre choisi par les Conservateurs en charge des pièces exposées pour caractériser cette salle 3 , le Nil, en guise de fil conducteur.

 

     Dans cette salle, comme dans ce fleuve, avec moi, je vous invite à maintenant plonger ! 

 

     Rien que pour le plaisir, naïf je vous le concède, de me souvenir des premiers moments, magiques, vécus au Louvre, acceptez que je vous montre ce plan qui convertissait, grâce à un PC de l'École Polytechnique de V., en province de Liège, dans laquelle j'avais alors le bonheur d'enseigner, un dessin précédemment réalisé de chic : ma vision de cet espace habillé de seulement cinq vitrines de différents aspects, de différentes dimensions et de différentes finalités. 

BLOC  E 11220 - 1. PRÉSENTATION LIMINALE

 

     Comme vous aujourd'hui, venant de la salle 2 où, souvenez-vous nous croisâmes dernièrement Nakht-Hor-Heb, la première d'entre elles que je découvris fut, - et reste -, celle proposant à notre admiration un monolithe d'albâtre rectangulaire de 26 cm de hauteur, sur 60 de long et 41 de large, portant le numéro d'inventaire E 11 220,

© Louvre - Christian Décamps

© Louvre - Christian Décamps

 
dont la partie centrale a bizarrement été chantournée et une face profondément entaillée, de manière à manifestement y faire glisser, puis encastrer quelque chose ...

 

     Si vous compulsiez les ouvrages cités dans ma bibliographie infrapaginale, vous apprendriez entre autres que ce bloc évidé fut mis au jour en 1910, puis offert au Louvre en mai de l'année suivante par ses inventeurs, les égyptologues français Raymond Weill et Adolphe Joseph Reinach, tous deux fouillant à l'époque le petit temple gréco-romain de Coptos pour la Société Française de Fouilles Archéologiques.

 

     Incidemment, permettez-moi de rappeler qu'outre la notion de création, l'une des acceptions du terme "inventeur" dans notre si belle langue française, désigne la personne qui, dans les domaines de la recherche en histoire ou en archéologie essentiellement, trouve, découvre quelque chose : ainsi par exemple lirez-vous fréquemment dans des ouvrages spécialisés que M. Untel est l'inventeur du site préhistorique de X ... ou, dans mon article de mardi dernier, que J.-F. Champollion fut l'inventeur des hiéroglyphes.

 

     Ceci posé, n'en doutez point, c'est à ce qui fut gravé en creux sur chacune des faces de cette pièce massive que nous allons aujourd'hui et dans les prochaines semaines accorder toute notre attention aux fins d'en apprendre davantage à son sujet.

 

     Commençons, voulez-vous par le petit côté, échancré, qui nous apparaît de prime abord en entrant salle 3.

     Je n'aurai point l'outrecuidance de stigmatiser ni de prendre position pour ou contre l'un ou l'autre des égyptologues cités dans ma bibliographie sur le fait que pour deux d'entre eux, ce côté constituerait la partie postérieure du monument, alors que pour madame Ruth Schumann-Antelme, il s'agirait de l'antérieure. Peu me chaut en définitive qu'il soit la face avant ou arrière, l'important résidant à mes yeux au niveau de ce que nous apprend ce qui y a été incisé.

          

     Au centre de cette face donc, vous distinguez deux formes ovales jumelées, toutes deux posées sur le signe hiéroglyphique de l'or, symbole d'indestructibilité, et toutes deux surmontées du disque solaire qu'encadrent deux plumes : il s'agit en fait originellement d'une boucle de corde, circulaire, nouée à la base et symbolisant "ce que le soleil encercle", comprenez l'univers, hiéroglyphe qui se disait "chénou" en égyptien ancien et que nous traduisons communément par cartouche.

 

     Sur maints monuments, ce signe s'allongeait et de rond prenait un aspect ovale quand il devait contenir une série de hiéroglyphes constituant les deux derniers des cinq noms attribués à tout souverain : configuration adoptée par les Égyptiens pour indiquer que le monde, soit tout ce que le soleil encercle, lui appartenait.

 

     Est-il encore vraiment nécessaire de vous rappeler que ce procédé de visuellement encadrer quelques signes amena Champollion à penser, idée de génie s'il en est, que cet isolement graphique ne pouvait qu'abriter des noms de personnes mis en évidence et, de surcroît, probablement les plus importantes de l'histoire du pays ? 

     Donc des noms de souverains, supputa-t-il judicieusement !

     Et ce fut le point de départ de son parcours de déchiffreur des éléments de l'écriture égyptienne ...  

 

     Ne dérogeant évidemment pas à cette pratique, comme à l'accoutumée, les deux cartouches ici devant vous révèlent l'identité du souverain qui les a fait graver. Mais personnellement, je ne le ferai pas car pour l'heure, je vous invite à poursuivre l'observation de cet intéressant côté du monument. 

    

     Deux petites colonnes, à côté des plumes que vous avez vues tout à l'heure, précisent qu' "Isis la Grande, mère du dieu" (à gauche) et "Min de Coptos" (à droite), aiment le roi : il s'agit évidemment du dieu tutélaire de la ville et, ici, son épouse, sa parèdre. 

 

     Deux personnages agenouillés, chacun tourné vers l'extérieur, les bras liés dans le dos, terminent la composition : ils symbolisent, à gauche, les ennemis du Nord, - il  s'agit manifestement d'un prisonnier libyen -, et à droite, ceux du Sud, - homme d'aspect négroïde -, que le roi a soumis.

 

     Chapeautant l'ensemble : une ligne horizontale gravée qui pourrait ne paraître que simple encadrement, que banale délimitation de scène constitue en réalité le signe hiéroglyphique de la voûte céleste. 

 

     De part et d'autre de l'entaille, aux extrémités gauche et droite du dessus de la ligne du ciel, au-dessus donc de la tête de chaque prisonnier, deux courtes colonnes de texte proclament, respectivement que "tous les pays désertiques sont sous les pieds de ce dieu parfait" et que "toutes les terres sont sous les pieds de ce dieu parfait" ; l'expression "dieu parfait " rendant une des épithètes du roi régnant.

 

     Mais de qui s'agit-il ?

 

     C'est, amis visiteurs, ce qu'entre autres choses, je me propose de vous révéler lors de notre prochain rendez-vous, mardi 23 janvier, en décryptant les hiéroglyphes inscrits dans les deux cartouches.  

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BARBOTIN Christophe/ DEVAUCHELLE Didier, La voix des hiéroglyphes, Paris, Editions Khéops, 2006, pp. 30-1.

 

SCHUMANN-ANTELME  Ruth, Coptos, XXXème dynastie, dans Catalogue de l'exposition " Un siècle de fouilles françaises en Égypte (1880-1980) ", Le Caire, I.F.A.O., 1981, pp. 275-7.

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9 janvier 2018 2 09 /01 /janvier /2018 01:00

 

 

     Nonobstant le fait que, pour comptabiliser les années, les Égyptiens de l'Antiquité n'eussent jamais pu atteindre semblable nombre calendaire dans la mesure où, depuis le Nouvel Empire, ils recommençaient leur comput en l'an 1 à chaque intronisation d'un nouveau souverain ; le fait aussi que le 1er janvier, pour autant qu'ainsi il eût été nommé, n'eût correspondu à aucun événement particulier puisque le calendrier en usage étant essentiellement basé sur le cycle des trois saisons, c'était le début de la crue du Nil, conjointement à l'apparition de l'étoile Sothis dans le ciel, aux environs de notre 19 juillet actuel qui, pour eux, marquait le commencement d'une nouvelle année ; nonobstant ces deux restrictions d'égyptophile, je souhaite aujourd'hui avant toute chose, amis visiteurs, - dussé-je encourir le risque de paraître à vos yeux, parce que nous sommes déjà en la deuxième semaine de janvier, pétri de propos itératifs, tautologiques -, à grandement tous vous remercier pour les vœux que, pendant ces congés octroyés loin de l'ordinateur, vous me fîtes si aimablement parvenir et, bien évidemment, à cordialement vous réitérer ceux présentés au terme de notre dernier rendez-vous de décembre 2017.

 

 

VŒUX  2018

 

     À l'instar des riverains du Nil qui, à partir de la XVIIIème dynastie, et plus habituellement encore à l'époque tardive, s'offraient notamment semblables bouteilles lenticulaires contenant, est-il commun de penser, quelques lichées de l'eau bienfaitrice du premier jour de la crue, et sur le pourtour desquelles, - certains assurément s'en souviendront, je l'ai longuement expliqué en septembre 2013, à propos de l'exposition "Histoires d'eaux. Du Nil à Alexandrie" qui s'était tenue cet été-là au Musée royal de Mariemont, en Belgique -, vous lirez parfois cette formule traditionnelle

 

Que s'ouvre pour vous une belle année

 

 

puissiez-vous, au goulot de l'une d'elles, longtemps encore, étancher votre soif de découvertes aux côtés d'ÉgyptoMusée.  

 

     Et pour ce qui me concerne, j'espère que, porté tout autant par cette fidélité qui caractérise nombre d'entre vous depuis bientôt dix ans maintenant que ce blog existe que par celle qui anime maints nouveaux abonnés, entouré de toute votre amitié, encore et toujours, j'éprouverai l'envie, partant le bonheur de poursuivre avec vous ma quête de Beauté, de salle en salle, de vitrine en vitrine, au sein du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. 


     Aussi, comme annoncé à l'heure où je pris congé de vous le 19 décembre, je vous propose d'ores et déjà ce matin de préparer notre future entrée en salle 3 par quelques considérations liminales.

 

 

 

VŒUX  2018

 

 

     " Les collections de monumens égyptiens que réunit le zèle si louable des amateurs, sont, en général, formées dans l'unique but d'éclairer l'histoire de l'art, et d'apprécier, comparativement, les procédés de la sculpture et de la peinture à différentes époques et chez des nations diverses.

(...)

     Mais l'importante et nombreuse suite de monumens égyptiens, dont la munificence royale vient d'enrichir le Musée Charles X, devant, en quelque sorte, servir de sources et de preuves à l'histoire toute entière de la nation égyptienne, avait besoin d'être coordonnée sur un plan différent ; il fallait, de toute nécessité, avoir égard à la fois, soit au sujet même de chaque monument, soit à sa destination spéciale, et que la connaissance rigoureuse de l'un et de l'autre déterminât la place et le rang qu'il devait occuper. "

 

 

 

Jean-François  CHAMPOLLION LE JEUNE

Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X

 

Paris, Imprimerie Crapelet, 1827

pp. i et ii

 

(Librement consultable sur le site de Gallica)

   

 

       

 

     Dans cet "Avertissement" rédigé par Jean-François Champollion grâce auquel, je vous le rappelle, moult collections d'antiquités égyptiennes furent acquises par la France, l'inventeur des hiéroglyphes nommé en mai 1826 par Charles X Conservateur des Antiques du Musée royal du Louvre, (seconde division), - comprenez : de la suite de salles dédiées à l'Égypte qui alors se créèrent -, précise, à l'entame de sa "Notice descriptive ...", - dont j'ai ici respecté et l'orthographe et la ponctuation originales -, sa propre vision d'un tel département, vision à deux voies qui, bien longtemps après, en décembre 1997, à vrai dire, voici donc à peine vingt ans, prendra véritablement effet quand Jacques Chirac, alors Président de la République française, inaugura officiellement le nécessaire réaménagement muséographique des collections égyptiennes souhaité et réalisé de main de maître par les huit conservateurs auxquels avaient été "rendus" de nouveaux espaces de l'ancien palais des rois de France : c'est dans ce superbe Département des Antiquités égyptiennes que, j'espère, vous apprenez à maintenant mieux connaître, que je vous propose de poursuivre nos déambulations.

 

     Permettez-moi de rappeler au passage, qu'à partir de cette salle 3, il s'éploie sur deux niveaux distincts : l'un, au rez-de-chaussée de ce qui est communément appelé "l'aile Sully", décline tout au long de ses 19 salles successives différentes thématiques caractérisant la civilisation des rives du Nil ; l'autre, au premier étage de cette même section du Musée, observe d'un point de vue éminemment chronologique l'évolution de l'art jadis réalisé par d'immenses artistes.  

 

    Cette troisième salle, ouvrira notre parcours par une évocation du Nil, le fleuve colonne vertébrale, le fleuve pérenne dont l'inondation annuelle, bienfaitrice, était attendue avec impatience dans la mesure où, apportant le limon, engrais naturel, elle permettait à la population de cultiver une terre constamment asséchée, faute de pluie.

     Et, dès lors, d'avoir de quoi se nourrir une nouvelle année encore.
 

 
VŒUX  2018

 

     Portant le titre générique "Le Nil", vaste, claire, aérée, - hébergeant seulement trois vitrines au sol et deux aux murs -, cette salle offre la particularité pédagogique de proposer trois grandes cartes, situées dans l'embrasure de chacune des fenêtres donnant sur la Cour Carrée, 

 

 

VŒUX  2018


panneaux didactiques qui, en relation directe avec les différents monuments exposés, présentent l'Égypte ancienne selon trois axes primordiaux : l'environnement politique, illustré par la première des cinq vitrines que je vous ferai découvrir dès la semaine prochaine ; le cadre physique et naturel, dévoilé par la grande armoire vitrée centrale et une troisième, murale celle-là. Puis, pour terminer, les deux dernières s'attacheront plus spécifiquement à expliciter la topographie religieuse du pays.

 

     Rendez-vous est pris, à tout le moins dans mon chef, pour la semaine prochaine aux fins de nous pencher sur la vitrine 1 de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. 

     Et dans le vôtre, amis visiteurs ?

 

 

 

 

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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 01:00

 

     "Je sais ma pudeur et c'est d'un doigt prudent, d'un seul doigt, que je viens ici tapoter trois ou quatre notes sur le piano de mon adolescence.  (...)

     Je sais trop, en effet, quelle complaisance à soi - malgré soi ? - fait souvent dériver l'esquif des souvenirs vers des mers aux vagues complices qui vous portent où votre gré, menteur, veut aller. Je me méfie des autobiographies, des aveux écrivains, des enfances débitées en chapitres impeccables (...), des mémoires fonctionnant avec une précision de bottin téléphonique, des souvenirs emboîtés en puzzle par des mains d'adulte et coloriés en trompe-l’œil et trompe-sincérité selon de nostalgiques humeurs, je me méfie de cela."

 

 

 

Jean  CAU

Croquis de mémoire

 

Paris, Julliard, 1985

p. 69

 

 

 

     Heureux, très heureux, de vous retrouver ici, amis d'ÉgyptoMusée, et vous aussi Richard, dans cet espace vide voici un instant encore de la salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre où, désespérément resté seul après notre bien agréable rendez-vous de la semaine dernière, je me suis beaucoup interrogé sur l'éventualité de vous recevoir tous à nouveau et, surtout, sur votre envie ou pas d'accepter mon invitation à m'écouter derechef évoquer mon passé ...

 

     Tout de go, je vous rassure : dans le droit fil des propos de Jean Cau, deux lustres secrétaire de Jean-Paul Sartre -, que M. Lejeune m'a conseillé de vous rappeler ce matin en guise de préalable, je ne révélerai rien me concernant qui ne soit prouvé grâce à  ce que vous trouverez gravé à même mon effigie par l'artiste mandé pour m'immortaliser.

 

     Ceci posé, tout ce qui est écrit, tout ce que l'on peut lire sur un socle de statue ou un mur de tombe respecte-t-il toujours la vérité historique ? Est-ce parce que vous l'avez lu sur la pierre que cela correspond à la stricte réalité et que vous deviez tout croire, tout prendre au pied de la lettre ... fût-elle hiéroglyphe ? 

 

     Voilà bien une question cruciale qui, à mon sens, doit encore de vos jours et dans votre monde rester d'actualité, non ?

Mais bon, revenons au mien, de monde. 

 

     Si vous avez pris mes propos de la semaine dernière en bonne considération et bien observé le socle sur lequel je suis agenouillé, vous devez avoir retenu que le texte gravé en creux qui le parcourt rend compte de deux formules d'offrande qui, comme de tradition, sont destinées à m'assurer, à tout le moins à mon "Ka" comme on disait alors, comprenez : à ma force vitale, à ma potentialité de vie, le meilleur pour mon éternité post-mortem.

 

     En fait, chacune des deux phrases partant de dessous mes genoux et se poursuivant de façon symétrique, l'une vers la droite, l'autre vers la gauche, commence par indiquer que mon souverain, - je vous précise qu'il s'agissait de Psammétique II -, fait offrande au dieu Thot aux fins qu'il m'accorde "toute chose bonne, pure et succulente dont vit un dieu", et se termine, à l'arrière du socle, je vous l'ai expliqué lors de notre précédent rendez-vous, par mon prénom.

 

    Mais entre ce début de texte et sa fin, que croyez-vous y trouver ? Tout simplement, mes titres, mes fonctions ; en d'autres mots : mes attributions à la Cour. 

 

     Qui fus-je ?

     Non par suffisance ou vanité mais parce que je ne suis pas peu fier de mon ascension sociale, permettez-moi de vous répondre que d'un côté est indiqué que je fus Comte-Gouverneur, Ami unique du roi, Administrateur du Palais, habilité à donner des instructions aux courtisans mais aussi Prêtre-lecteur

 

     Vous comprendrez aisément que cette dernière fonction me tient particulièrement à cœur puisqu'elle entérine le fait que, dans cette société où si peu étaient à même de lire et d'écrire, avait été remarquée, appréciée et mise à profit ma dilection pour notre langue.

 

     Me croirez-vous si je vous confie qu'aujourd'hui, à ne plus m'en être servi depuis tant de siècles, à ne plus l'avoir entendue dans mon entourage, ici, au Louvre, j'en ai oublié jusqu'à la prononciation, j'en ai oublié la belle musicalité ?

 

 

     Consubstantiellement aux différents postes et appellations qui m'avaient été conférés dans mon âge d'homme et que je viens d'énoncer pour vous, la seconde formule, gravée sur les faces opposées du socle, en épingle plusieurs autres : j'étais en effet aussi considéré comme Compagnon de Sa Majesté ; j'étais aussi chargé de la couronne lors de l'habillement du roi : votre Louis XIV se serait-il inspiré tant de siècles plus tard de notre cérémonial d'alors ? 

 

     Ne vous laissez surtout pas abuser par ces titres parfois déroutant en votre vingt-et-unième siècle et que, par souci de modestie, croyez-le bien, je n'ai pas tous listés : en définitive, je ne fus jamais, et ce  parmi tant d'autres, notamment ces Ti, Ptahhotep et autres Akhethetep de l'Ancien Empire que vous connaissez probablement bien mieux que moi, qu'un haut-fonctionnaire aulique, embrassant de nombreuses responsabilités, tant civiles que sacerdotales ; pour me résumer, je ne fus qu'un Administrateur du Palais, tout à la fois initié à ses arcanes, mais aussi aux rituels des temples, ainsi qu'aux formules secrètes des magiciens. 

 

     Ce rang dans la hiérarchie sociale et cette belle carrière qui furent miens se concrétisèrent par divers monuments réalisés à mon nom : rappelez-vous, plusieurs statues et un sarcophage, disséminés maintenant dans différents musées, de Rome à Copenhague, de Londres à Paris.

 

     Je viens d'évoquer cet Ancien Empire aussi éloigné pour moi dans le temps que je le suis actuellement de vous : vous devez savoir qu'à la fin de cette époque-là déjà, soit aux Vème et VIème dynastiesla réduction des commandes proprement royales permit à bon nombre d'artistes de travailler pour les chapelles funéraires des courtisans et des dignitaires du royaume tels que moi, que le roi honorait fréquemment du don d'une tombe et/ou d'une statue. 

 

     En outre, à l'époque suivante, au Moyen Empire, donc, les souverains autorisèrent l'érection de petites chapelles privées au sein des espaces publics de certains temples. De sorte que, grâce à cette haute faveur régalienne, je pus me glorifier, parmi d'autres notables, de posséder plusieurs statues à mon effigie dans la cour même de divers temples et d'ainsi bénéficier de la protection royale ; statues actuellement dispersées dans d'autres établissements que le Louvre où je vis désespérément seul ...

 

     Permettez-moi d'ouvrir une petite parenthèse. J'ai à l'instant mentionné les "espaces publics" de certains temples. Vous ne pouvez évidemment ignorer qu'à la différence de tous vos lieux de culte modernes, l'intérieur d'un temple égyptien n'était à l'époque nullement accessible au public, mais en principe strictement réservé au monarque, responsable suprême de la dévotion à rendre aux dieux. En principe car, n'ayant évidemment aucune propension à l'ubiquité, le souverain ne pouvait officier en même temps dans tous les sanctuaires du pays. Dès lors, une théorie de prêtres rendaient à sa place les hommages prévus chaque jour à la statue du dieu que le temple recelait, et honorait.

 

 

     Il ne vous aura certes pas échappé que, parmi mes prérogatives d'Administrateur du Palais de Psammétique II, j'aie tout à l'heure précisé que j'étais aussi initié aux "formules secrètes des magiciens". Or, avanceront les plus perspicaces d'entre vous, je n'ai rien insinué à ce sujet qui soit gravé sur les quatre faces du socle. Aurais-je oublié ma promesse initiale de ne faire mention que de ce que la pierre nous apprenait ?

 

     Que nenni, mes amis !

 

     M'autorisant à prolonger mon plaisir à vous avoir nombreux ici attentifs devant moi, j'ai  conservé pour la bonne bouche un important "détail" lithique que vous auriez remarqué de prime abord en me contournant si les Conservateurs du Département ne m'avaient malencontreusement pas installé aussi près de l'imposante paroi de pierre grise posée derrière moi : pour me tenir aussi hiératiquement droit sur mes talons, sachez que je suis appuyé contre une pierre qui fait corps avec moi. C'est ce que, de profil vous distinguez à peine et que les égyptologues qualifient de pilier dorsal.

 

 

Louvre A 94 - © Ch. Décamps

Louvre A 94 - © Ch. Décamps

 

     Pour la petite histoire de la ronde-bosse égyptienne, j'ajouterai que c'est précisément à l'Ancien Empire auquel je faisais voici quelques minutes allusion, exactement à la Vème dynastie, qu'apparut pour la première fois semblable appui dorsal : c'était sur une représentation statuaire du roi Niouserrê, retrouvée à Karnak, qu'actuellement se partagent les Musées du Caire et de Rochester, dans l'État de New York.

 

     Si j'en crois l'égyptologue anglais Cyril Aldred (1914-1991), cet élément de pierre trouverait vraisemblablement sa raison d'être originelle dans la nécessité de consolider les effigies en calcaire qui, sous leur poids, risquaient de se briser au niveau des chevilles. Raison pour laquelle il fut, dans un premier temps, essentiellement ajouté aux statues en pied.
     Mais très vite, cet élément fit partie intégrante du monument lui-même et prit ainsi une importance certaine et non négligeable dans la mesure où il fournissait un emplacement  supplémentaire aux artistes pour graver un certain nombre d'indications concernant le dignitaire statufié.

     Quelque deux mille ans après Niouserrê, ce fut également le cas pour ce qui me concerne. 

 

     Si vous pouviez le voir de face, en entier pour admirer les deux colonnes parallèles de hiéroglyphes magnifiquement incisés en creux, que vous apprendrait mon pilier dorsal que déjà vous ne sachiez ? 

     Il vous préciserait que je fus également Porte-parole de la ville de Pé ; également Préposé aux secrets de la Maison-du-Matin, - comprenez du vestiaire royal - ; également Directeur des scribes et enfin, à propos de l'initiation à la magie que j'ai citée tout à l'heure, Administrateur en chef des supérieurs des forces magiques dans la Maison-de-vie, - comprenez dans la bibliothèque du temple de Saïs, ville d'où mon souverain était originaire.

 

     Enfin, et j'ai gardé le plus personnel pour la fin car cette annotation me touche énormément : après la dernière mention de mon prénom, Nakt-Hor-Heb,

NAKHT-HOR-HEB  : EN MES TITRES ET QUALITÉS
NAKHT-HOR-HEB  : EN MES TITRES ET QUALITÉS
NAKHT-HOR-HEB  : EN MES TITRES ET QUALITÉS

 

aux deux tiers de la seconde colonne, j'ai absolument souhaité que figurât la formule mentionnant le nom de ma mère : je fus mis au monde par Ta(y)es-Nakht.

 

     Simple femme du peuple ...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

ALDRED  Cyril, L'art égyptien, Paris, Thames & Hudson, 1989. 

 



ANDREU  G./RUTSCHOWSCAYA  M.-H ./ZIEGLER  Ch., L’Égypte ancienne au Louvre, Paris, France Loisirs, 1997, pp. 185-6.
 

 

 

CALMETTES  Marie-Astrid, Statue de Nakhthorheb, Archéologia n° 341, Dijon, Editions Faton, 1998, p. 41.

 

 

 

PERDU  Olivier, Statue de Nakht-hor-heb, dans Les statues privées de la fin de l'Égypte pharaonique (1069 av. J.-C - 395 apr. J.-C.), Tome I - Hommes, Paris, Musée du Louvre/Éditions Khéops, 2012, pp. 272-81

 

 

 

ZIEGLER  ChristianeLouvre : Les Antiquités égyptiennes I, (Guide du visiteur), Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1997 ², p. 18.

 

EAD.Les plaisirs d'une collection, Archéologia n° 341 "L'Égypte au Louvre ", Dijon, Éditions Faton, 1998, p. 24.

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28 novembre 2017 2 28 /11 /novembre /2017 01:00

 

 

     La nature forme des êtres vivants mais quelconques, l'artiste forme des êtres morts mais dotés de signification, la nature crée des êtres véritables, l'artiste des êtres d'apparence. Dans le cas d’œuvres de la nature, le spectateur doit apporter lui-même la signification, le sentiment, les pensées, l'effet et l'action sur l'âme ; dans le cas de l'œuvre d'art,il veut et doit trouver déjà tout cela dans l'œuvre. Une imitation parfaite de la nature n'est possible dans aucun sens, l'artiste est appelé uniquement à représenter la surface d'une apparence. L'extérieur, la totalité vivante qui parle à toutes nos forces spirituelles et sensibles, qui suscite notre désir, qui élève notre esprit et dont la possession nous rend heureux, qui est pleine de vie, vigoureuse, parfaitement formée et belle - c'est vers tout cela que l'artiste doit tendre.

 

 

 

 

Johann Wolfgang von GOETHE

L'Essai sur la peinture de Diderot

 

dans Écrits sur l'Art 

Paris, GF Flammarion n° 893, 1996 

pp. 194-5

 

 

 

D'après © Rama - Wikimedia (Fichier Nakhthorheb en train de prier A94 mg 8642.jpg)

D'après © Rama - Wikimedia (Fichier Nakhthorheb en train de prier A94 mg 8642.jpg)

 

 

     "Longtemps, je me suis couché de bonne heure," a écrit l'un de vos plus grands littérateurs à qui j'emprunte cet incipit, non pas que mes yeux se fermassent aussi vite que les siens, non pas que j'aie conscience de m'assoupir en me disant : "Je m'endors", mais parce que je n'ai rien d'autre à faire dans ce sombre absolu qui m'assaille tout à coup, chaque soir, bien après que les derniers visiteurs, - si toutefois il y eut des premiers ! -, m'ont délaissé.

 

     Rien d'autre à faire que soliloquer, et m'interroger : qui suis-je ? Ou, tout aussi grande question existentielle : que suis-je ?  

 

     Enfin Richard Lejeune vint, et, le premier en Belgique, - ou presque -, sembla s'intéresser à moi, envisageant même d'inviter ici, en salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, ses amis aux fins que je leur parle de moi.

     Et parler de moi, il n'y a que cela qui m'intéresse ...

 

 

     Je m'appelle Nakhthorheb.

 

     Oh !, j'en suis conscient : c'est pour vous difficile à prononcer, à écrire, à comprendre aussi, peu habitués que vous êtes à semblables consonances et à un prénom tripartite car, oui, en réalité, il s'écrit Nakht-Hor-Heb.

 

     Ici, au Louvre, par facilité je présume, l'on me nomme A 94. Admettez que cela ressemble plus à un glacial matricule qu'à une harmonieuse appellation ... que je ne puis contrôler ! A 94 me semble si disgracieux, ingrat, rébarbatif ! Fort peu avenant, reconnaissons-le, pour engager un éventuel dialogue. Aussi, entre nous, soyons simples, appelez-moi l'Orant. 

 

     Non seulement, du strict point de vue de la sonorité, cette dénomination s'accommodera mieux avec votre langue, elle vous paraîtra plus familière mais en outre, elle correspondra parfaitement à l'une de mes activités. 

 

     Richard Lejeune, dans son ÉgyptoMusée, vous en a rapidement touché un mot la semaine dernière. Mais j'escompte plus tard étoffer ses propos, quand je m'efforcerai de vous expliquer mes attributions à la Cour du souverain qui alors gouvernait mon pays ; de vous expliquer le "que fus-je ?"

 

     Mais avant, commençons voulez-vous par le "qui fus-je ?" 

 

     À vous dont le prénom n'a pas vraiment de signification sauf peut-être de faire référence à un personnage célébré, devenu le plus souvent saint d'un calendrier, martyrologe ou ménologe ; à vous qui, plus que très probablement, ignorez et l'origine et la vie du personnage emblématique auquel vos parents, pour diverses raisons personnelles, ont jugé bon de vous associer par ce prénom, alors que votre nom de famille, lui, s'inscrit de plain-pied au sein d'un processus étymologique qui s'imposa dès la fin de l'époque romaine, puis au Moyen Âge en fonction de l'aspect, du métier ou de l'endroit où vécut le premier qui alors le porta de manière, dans chaque village, à le distinguer de tous les autres Jean, ou Pierre ou Marie auxquels l'évolution galopante de la démographie avaient donné naissance ; à vous, j'aimerais préciser que mon prénom, comme tant d'autres en Égypte ancienne d'ailleurs, est véritablement significatif, véritablement porteur de sens : ainsi, "nakht" se réfère-t-il à la force, à la puissance, raison pour laquelle dans le corpus hiéroglyphique est-il représenté soit par un homme armé d'un bâton qu'il tient des deux mains avec lequel il est manifestement prêt à frapper, signe A 24 de la liste de Gardiner

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

 

soit par un avant-bras dont la main tient également un bâton, signe D 40 ; 

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

 

"Hor", pour sa part, représenté par un faucon, constitue l'idéogramme du dieu Horus, portant la référence G 5, dans la même liste ;

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

 

et enfin "heb", s'apparentant à la notion de festivité, figuré par l'idéogramme O 23 censé représenter la salle des fêtes de "jubilé royal".

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

 

 

     Ces trois hiéroglyphes ici placés verticalement mais horizontalement gravés l'un à côté de l'autre à même la partie postérieure de la base sur laquelle je suis agenouillé qui, parce que malencontreusement installée trop près de la dalle grise derrière moi, n'est visible par aucun d'entre vous, ces trois pictogrammes donc proposent évidemment mon prénom, Nakht-hor-heb, (A 24, G 5 et O 23),

 

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE
STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE
STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

pour terminer la première formule d'offrandes que j'y ai fait inscrire par un lapicide de mes amis ; inscription qui, en partant de dessous mon genou gauche se lit de gauche à droite en commençant par "Offrande que donne le roi à Thot", ainsi que l'a parfaitement traduit une de mes lectrices sur sa page FB le 21 novembre dernier. (Bravo Barbara !)

 

     Remarquez qu'à l'avant, parce que j'ai souhaité qu'une seconde formule semblable tout en n'étant pas exactement identique, se déploie une autre invocation de manière symétrique de manière à doublement assurer mon avenir dans l'Au-delà, en commençant sous mon genou droit cette fois et se lisant de droite vers la gauche :

 

Gros plan des inscriptions de la face antérieure du socle de Nakhthorheb que je me suis autorisé à réaliser à partir d'une photo que m'a offerte Madame Chris Subrosa.

Gros plan des inscriptions de la face antérieure du socle de Nakhthorheb que je me suis autorisé à réaliser à partir d'une photo que m'a offerte Madame Chris Subrosa.

 

elle aussi se clôture par mon prénom, toujours aussi invisible à l'arrière. Mais là, les signes hiéroglyphiques de l'homme armé et du faucon placés dans l'autre sens évidemment ; celui de la salle des fêtes (O 23), pour sa part, fait office de dernier idéogramme pour chacune des deux phrases.

     En un mot comme en cent, O 23,

 

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

n'est gravé qu'une seule fois exactement au centre de la face postérieure du socle, mettant ainsi fin à mon "petit" nom, qu'il soit lu en venant de la droite ou de la gauche.

 

     Sur les textes qu'il me seyait de voir incisés en creux sur ce monument à ma gloire, - oui, oui, à ma gloire !, vous m'avez bien entendu -, je vous entretiendrai prochainement, amis d'ÉgyptoMusée, estimant que notre présent rendez-vous, plus ardu que d'habitude avec Richard Lejeune, devrait suffire pour rassasier votre appétence matinale ... 

 

 

    À tout bientôt, mardi 5 décembre prochain ? 

 

     N'oubliez pas : en salle 2, quasiment vide, si peu attrayante, - mis à part moi, bien évidemment ! -, au-dessus de l'escalier venant de la Crypte du Sphinx ...

 

 

 

 

 

     

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

PERDU  Olivier, Statue de Nakht-hor-heb, dans  Les statues privées de la fin de l'Égypte pharaonique (1069 av. J.-C - 395 apr. J.-C.), Tome I - Hommes, Paris, Musée du Louvre/Éditions Khéops, 2012, pp. 272-81

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21 novembre 2017 2 21 /11 /novembre /2017 01:00

 

 

     À force de croire que l'on a déjà vu ce que l'on regarde, on finit par regarder pour la première fois des objets qui, jusqu'ici, nous semblaient familiers. Du déjà-vu, on s'élève à l'étonnement. D'un présent épaissi par son propre souvenir, on en vient à la matière fine de l'ordinaire métamorphosé en inédit.

 

 

Raphaël  ENTHOVEN

Lectures de Proust

 

Paris, Librairie Arthème Fayard, 2011, p. 31

 

 

 

 

      Comme sur l'obélisque du Cap Blanc-Nez, au récent congé d'Automne, 

 

UN ORANT - CONSIDÉRATIONS LIMINALES

 

ou comme sur toute la Côte d'Opale,

UN ORANT - CONSIDÉRATIONS LIMINALES

 

les feux se sont doucement éteints, amis visiteurs, sur les monuments qu'ensemble nous avons découverts ces dernières semaines dans la Crypte du Sphinx, première des trente salles du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

 

UN ORANT - CONSIDÉRATIONS LIMINALES

 

     Il est grandement temps, à présent, d'emprunter l'escalier de gauche, aux fins de poursuivre nos déambulations. 

 

(© René Lefébure - httpwww.blog-crm.frexposes-etudiantsle-commerce-virtuel)

(© René Lefébure - httpwww.blog-crm.frexposes-etudiantsle-commerce-virtuel)

 

    Mais bizarre impression d'entrée, alors que des dernières marches gravies nous distinguons déjà celui qui nous attend, là-bas, agenouillé devant une immense dalle de marbre gris, l'endroit semble vide ... hormis un grand panneau explicatif   

 

(© Chris Subrosa)

(© Chris Subrosa)

 

dont m'échappe la raison de la présence en cet endroit, puisqu'il concerne la chapelle du mastaba d'Akhethetep exposée plus avant, en salle 4.

 

 

     Au point de départ de la nouvelle redistribution des antiquités égyptiennes inaugurée en décembre 1997 par le président de la République Jacques Chirac, cette salle 2, alors définie en tant qu'espace d'accueil et d'informations proposait, le long de la rampe d'escalier, une librairie consacrée essentiellement aux ouvrages et guides de la section égyptienne, déclinés en diverses langues.

 

 

Salle 2 (Louvre - Photo E. Revault)  

    
     
Il y a deux ans, la dernière fois que j'y accédai, les livres avaient disparu et bureau et présentoirs démontés étaient entassés pêle-mêle, vraisemblablement voués à être emportés ailleurs ...

 

     Quant à l'homme agenouillé, Nakhthorheb, il n'a pas bougé depuis 20 ans ... du moins pourriez-vous le supposer !

     Mais en réalité, au printemps 2012, j'eus l'opportunité de le croiser, lui, lui et encore lui, au Boulevard Haussmann, non pas flânant aux Galeries Lafayette mais devisant dans un des salons du Musée Jacquemart-André où, initiative de l'égyptologue français Olivier Perdu, Commissaire de l'exposition,

UN ORANT - CONSIDÉRATIONS LIMINALES

 

il était réuni à deux autres de ses effigies, toujours dans la même position, l'une venant du British Museum de Londres, l'autre, de chez les Rothschild.       

 

UN ORANT - CONSIDÉRATIONS LIMINALES

 

     Si ces trois statues datent  du milieu de la XXVIème dynastie, soit entre 664 et 525 avant notre ère, époque que les égyptologues ont coutume de caractériser par le terme "saïte", faisant ainsi référence à la ville de Saïs, dans le Delta occidental, dont étaient originaires les dynastes régnant sur le pays, celle du British Museum fut retrouvée dans le temple d'Osiris, à Saïs, celle de la collection privée de la famille Rothschild dans le temple d'Amon, à Xoïs et celle du Louvre qui nous intéressera plus particulièrement, dans celui de Thot, à Hermopolis-Baqlieh, villes importantes dans l'histoire de l'Égypte qui, toutes trois, se situèrent dans le Delta du Nil et qui, toutes trois aussi, sous le règne de Psammétique II, accueillirent dans leur sanctuaire une figuration de cet homme dont l'indéniable similitude laisse supposer qu'elles durent plus que très certainement avoir été façonnées, si pas par le même artiste, à tout le moins au sein d'un même atelier.

 

     Ce type statuaire figurant un particulier agenouillé, - ici, au Louvre, Nakhthorheb, désigné par le numéro d'inventaire A 94,  

     

Nakhthorheb - Louvre A 94 - © C. Décamps.

Nakhthorheb - Louvre A 94 - © C. Décamps.

 

la taille ceinte d'un simple pagne, la tête couverte d'une perruque en bourse, le torse viril, superbement modelé, - avez-vous notamment pris attention à ces détails du creux de la fourchette sternale à la base du cou et des clavicules en V bien marquées ; mais aussi, si vous examinez l'élégance de la silhouette de profil, le traitement minutieux du bas des jambes ? -, le port général droit et fier, les mains posées sur le côté externe du bas de ses cuisses inclinées, ce type de statuaire donc excède à peine, selon Olivier Perdu, la cinquantaine d'exemplaires. Provenant essentiellement de l'époque saïte, ces statues rendent compte d'une attitude bien précise : celle d'un homme en adoration devant une divinité, d'un homme priant son dieu, d'un orant, pour le dire d'un mot.

 

Nakhthorheb - Louvre A 94 - © C. Décamps.

Nakhthorheb - Louvre A 94 - © C. Décamps.

 

     Socle compris, l'oeuvre atteint une hauteur de 148,5 centimètres pour une largeur de 54 cm aux épaules et une profondeur de 66,2 cm dans la partie supérieure et 70,3 au niveau de la base ; base aux coins antérieurs arrondis qui, pour sa part, mesure entre 25,5 et 26,2 cm de haut.

 

     L’œil aiguisé qui est vôtre, amis visiteurs, aura évidemment remarqué que, certes en bon état général de conservation, cette magnifique ronde-bosse est malheureusement affectée par l'une ou l'autre dégradation :  

Nakhthorheb - Louvre A 94 - © Chris Subrosa.

Nakhthorheb - Louvre A 94 - © Chris Subrosa.

 

un nez cassé, le lobe de l'oreille droite et la partie centrale d'une bouche qui dut être souriante endommagés, l'auriculaire gauche partiellement arraché, sans oublier les arêtes du socle souffrant de quelques épaufrures.

 

     Un seul "défaut", si d'aventure je devais absolument épingler un point critiquable dans le chef de l'artiste qui réalisa cette oeuvre : le rendu pas vraiment réussi à mes yeux des genoux qu'il a bizarrement présentés à face plane et carrée ; mal dégrossis en quelque sorte ! 

   

     Mais qui donc fut ce Nakhthorheb, pour qu'à son nom les archéologues aient mis au jour, non seulement les trois statues en grès silicifié que vous avez admirées ce matin, triplement mises à l'honneur au Musée Jacquemart-André mais également deux autres en pierre noire, et enfin un sarcophage, le tout disséminé dans les musées du monde entier, de Rome à Copenhague, Stockholm et Londres, en passant bien évidemment par le Louvre ?

     Ici, à Paris, tristement seul, presque délaissé, abandonné et, à mon sens, nullement à la place qu'il souhaiterait, il patiente dans la deuxième salle du circuit thématique du Département des Antiquités égyptiennes espérant que sur lui, très bientôt, je porte enfin l'éclairage de manière que les nombreux touristes qu'il voit déboucher de l'escalier venant de la Crypte du Sphinx lui accordent enfin un regard bienveillant avant de continuer, certains presque au pas de charge, vers les salles suivantes ...

 

     "J'ai quand même beaucoup de choses à leur apprendre, non ?", me susurre-t-il à l'oreille, persuadé qu'il me sent du bien-fondé de sa remarque, indubitablement frappée au coin du regret, voire d'une franche incompréhension ... 

 

     Et si, mardi 28 novembre prochain, nous lui faisions tous la surprise de venir lui  prêter notre oreille attentive ?   

 

 

     (Immense merci à Madame Chris Subrosa qui a eu l'amabilité la semaine dernière de m'adresser quelques clichés réalisés à ma demande dans la salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes lors de sa toute récente visite au Musée du Louvre ; notamment le dernier ci-dessus.) 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

PERDU  Olivier, Statues agenouillées de Nakhthorheb, dans Le Crépuscule des pharaons, Chefs d'oeuvre des dernières dynasties égyptiennes, Catalogue de l'exposition au Musée Jacquemart-André, Paris, Bruxelles, Éditions Fonds Mercator, 2012, pp. 48-9.

 

PERDU  Olivier, Statue de Nakht-hor-heb, dans  Les statues privées de la fin de l'Égypte pharaonique (1069 av. J.-C - 395 apr. J.-C.), Tome I - Hommes, Paris, Musée du Louvre/Éditions Khéops, 2012, pp. 272-81

 

 

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14 novembre 2017 2 14 /11 /novembre /2017 01:00
DEUX BAS-RELIEFS - 4. APPROCHE  ESTHÉTIQUE

 

     "L'oeuvre de Lewis Carroll a tout pour plaire au lecteur actuel : des livres pour enfants, de préférence pour petites filles ; des mots splendides insolites, ésotériques ; des grilles, des codes et décodages ; des dessins et photos ; un contenu psychanalytique profond, un formalisme logique et linguistique exemplaires. Et par delà le plaisir actuel quelque chose d'autre, un jeu du sens et du non-sens, un chaos cosmos."

 

 

Gilles  DELEUZE

De Lewis Carroll aux stoïciens

dans Logique du sens

Avant-propos

Paris, Éditions de Minuit, 1969

p. 7

 

 

 

 

     J'ignore si ces premières lignes du philosophe français Gilles Deleuze (1925-1995) dans l'avant-propos de "Logique du sens", ouvrage dans lequel il développe une série de paradoxes antiques et modernes aux fins de tenter de déterminer et d'approfondir le statut du sens et du non-sens, vinrent à l'esprit de Louis Djalaï, artiste à l'imagination exubérante, à la culture cinématographique intarissable, jardinier en chef de la ville de Boulogne-sur-mer, "jardiniste", comme il fut défini lors du discours d'inauguration de son onzième "Jardin éphémère", en juin dernier, sur la petite place Godefroid de Bouillon, devant l'Hôtel de Ville, en plébiscitant cette année une thématique au 7ème Art dédiée, - "Boulogne fait son cinéma" -, 

    

DEUX BAS-RELIEFS - 4. APPROCHE  ESTHÉTIQUE

et en choisissant d'illustrer dans un environnement végétal, quatre films distincts : "Mon Oncle", de Jacques Tati, "Shining", de Stanley Kubrick, "Edward aux mains d'argent", de Tim Burton et, du même Burton, "Alice au pays des merveilles", ainsi que vous le suggéra le premier cliché de notre rendez-vous de ce matin. 

 

     Quoi qu'il en soit, amis visiteurs, cette introduction de Deleuze, pour ce qui me concerne, mais aussi la satisfaction de décoder les scènes distribuées à l'intérieur des quatre parterres différents de cette nouvelle création de Djalaï, tout récemment admirée, où s'offraient à mes yeux de grand enfant et de petit cinéphile, le lapin blanc au gilet bleu et sa montre gousset, le célèbre jeu de cartes, les champignons magiques ou encore les tables bellement dressées pour le goûter d'Alice, mais aussi, dans d'autres parterres voisins, la reconstitution de la villa Arpel, tout droit sortie du film de Tati, ou les "Jumelles", de celui de Kubrick et d'autres et d'autres détails d'importance d'Edward aux mains d'argent s'inscrivent idéalement dans la ligne intimée depuis sa création voici bientôt dix ans à mon blog pour les œuvres du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris, que je prends tant de plaisir à vous proposer de mieux connaître, de mieux comprendre, d'être à même d'en décrypter le sens.

 

     Sans prétendre me substituer à Humpty Dumpty dialoguant avec Alice sur le sens des mots dans "De l'autre côté du miroir", affirmant péremptoirement que "Quand j'emploie un motil signifie ce que je veux qu'il signifie, ni plus ni moins" ; puis, après objection de la petite fille qui se demande si l'on peut attribuer n'importe quel sens à un mot, en lui rétorquant : "La question est de savoir qui est le maître, et c'est tout", je vous annonce qu'après avoir, lors de nos derniers rendez-vous du 24 octobre et du 7 novembre, attiré votre attention sur deux conventions de l’art égyptien en matière d’écriture hiéroglyphique, j'ai décidé aujourd'hui, pour notre ultime conversation dans la Crypte du Sphinx, d'évoquer pour vous les sens techniques à pourvoir, dans cet espace et ce temps donnés, au syntagme nominal "relief" en me penchant sur les blocs gravés de Ramsès II qui y sont exposés,     

Stèle de Ramsès II B 18 (© SAS)

Stèle de Ramsès II B 18 (© SAS)

 

 

 

Relief B 19 - Louvre - © Christian Décamps

Relief B 19 - Louvre - © Christian Décamps

mais aussi, sur la Stèle du Songe de Thoutmosis III,

 

 

Reproduction de la "Stèle du Songe", exposée au Musée rosicrucien de San José, en Californie -  © Captmondo (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ReproductionOfDreamSteleOfThutmoseIV_RosicrucianEgyptianMuseum.png)

Reproduction de la "Stèle du Songe", exposée au Musée rosicrucien de San José, en Californie - © Captmondo (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ReproductionOfDreamSteleOfThutmoseIV_RosicrucianEgyptianMuseum.png)

 

trois monuments qu'a exhumés au début du XIXème siècle d'entre les pattes du Sphinx de Gizeh, souvenez-vous, le Gênois Giovanni Battista Caviglia. 

 

     Dans un premier temps, il m'agréerait d'insister sur un point d’importance capitale à mes yeux : la sculpture, les reliefs, la peinture n’étaient employés chez les Anciens, en Égypte comme d’ailleurs dans d'autres civilisations antiques, qu'en tant qu'éléments d’architecture ; l'architecture qui, précisément constitua l’art par excellence : dominant tous les autres, elle les contenait tous. Et si d'aventure, sculptures, gravures ou peintures venaient à compléter un monument, elles épousaient ses formes, - ou, telle la ronde-bosse, s’en détachaient -, mais, toujours, en tant qu’accompagnatrices de premier plan, voire en tant que partie intégrante du bâtiment.

 

     Quant à la peinture, elle fut pour sa part un complément primordial, indispensable même puisque, vous ne pouvez l'ignorer, tous les monuments, toutes les statues étaient jadis peints. Et le touriste que vous êtes peut-être a certainement dû remarquer, dans l’un quelconque endroit bien protégé du soleil de l'un ou l'autre temple, des traces patentes de couleurs, comme ici, sur cette photo qu'a aimablement accepté de me prêter mon ami Alain Guilleux. (Merci à toi, Alain)

Chapiteau campaniforme d'une colonne de la salle hypostyle du Ramesseum - (© Alain Guilleux)

Chapiteau campaniforme d'une colonne de la salle hypostyle du Ramesseum - (© Alain Guilleux)

 

     En tant que partie intégrante du monument, vous disais-je à l'instant, avec évidemment encore à l'esprit les deux reliefs ramessides et le thoutmoside.


     Autorisez-moi un préalable : il n’existe pas, dans le vocabulaire égyptien antique, de termes pour désigner l’artiste, l’artisan. Il était symptomatiquement appelé "scribe des contours". Ce qui démontre à nouveau l’étroite imbrication existant entre l’art et l’écriture : il apparaît en effet que ce scribe était tout à la fois celui qui effectuait une première esquisse, - comme aux temps les plus anciens étaient dessinés les hiéroglyphes avant qu’ils soient incisés dans la pierre par la suite - ; celui qui gravait et enfin qui peignait.

 

 

     Concernant les reliefs qui nous occupent aujourd'hui, avec un peu d’attention, vous aurez probablement très rapidement remarqué que sur B 18 et B 19, scènes et hiéroglyphes, étroitement mêlés se profilent en léger relief, tout le champ du registre étant rabattu à plat autour de l’image, ainsi que l'indique l'égyptologue français Pierre Lacau (1873-1963).

(Voir référence infrapaginale)    

     Ils ressortent donc légèrement par rapport au fond : il s’agit là d’un exemple de ce que l’on nomme bas-relief.

 

     En revanche, sur la Stèle du Songe, le roi et le sphinx dans le cintre, ainsi que le texte en dessous, sont seuls entaillés dans la pierre, le reste autour n'étant en rien entamé. Il s'agit là de ce qu'il est convenu d'appeler une gravure en creux.

 

     Grâce à ces trois monuments, vous êtes donc en présence de deux techniques esthétiques bien distinctes définissant la gravure monumentale égyptienne : le relief et le creux.

 

 

     S'opposant en quelque sorte au bas-relief pour lequel l'artiste a pris soin d'évider son bloc de pierre initial de manière qu'en ressorte nettement la figuration qu'il désire mettre en évidence grâce à cette légère saillie, le relief dans le creux consiste à retirer du champ, sur à peine quelques petits centimètres d'épaisseur, les formes qui figureront la scène.

 

     Un procédé relevant du même esprit, se prêtant d'ailleurs à intimes combinaisons avec le précédent, consiste à creuser un sillon tout autour de la forme que l'on désire, et qui se situe alors sur le même plan que le bloc de pierre proprement dit ; ce qui donne un dessin qui n'est finalement qu'une silhouette cernée par des traits creux plus ou moins larges.

 

     Il faut savoir que bas-relief et relief en creux, caractéristiques du décor que l’on peut tout aussi bien admirer sur une pièce de dimensions "normales" que sur l’immense surface murale d'un temple ou d'une chapelle royale, ont coexisté depuis au moins la fin de l’Ancien Empire jusqu’aux ultimes soubresauts de l’histoire du pays, toutes périodes artistiques confondues.

 

     Ces deux procédés de taille, - et là résidera la finalité de notre présent entretien, ne ressortissent jamais au hasard, ne furent jamais appliqués selon le bon vouloir de l'artiste : ils furent véritablement, délibérément réfléchis, raisonnés : in situ, la gravure en relief intervint en général pour les représentations réalisées à l'intérieur des bâtiments, tandis que la gravure en creux, pour celles de l'extérieur.

 

    Dès l'Ancien Empire, une raison toute simple à l’évidence motiva le scribe des contours à choisir l'une plutôt que l'autre, une raison en fait inhérente à l’environnement auquel l’oeuvre était destinée : une gravure en creux exposée en plein air, donc aux rayons d'un soleil dont l’intense éclat favorise jeux d’ombre et de lumière, apparaissait avec bien plus de netteté qu’un relief de faible épaisseur. D'autant plus que l'incision pouvait entamer la pierre jusqu’à 2, 5 cm de profondeur.

 

     Tout au contraire, un bas-relief, à l'intérieur d'un bâtiment dans lequel la clarté est pratiquement inexistante, à  tout le moins considérablement réduite, se détachait de manière plus évidente que le creux.

 

     Ces déterminations naturelles amenèrent les graveurs à élever le procédé en convention : c’est ainsi que la présence d'un relief en creux dans un temple, par exemple, signifie que la scène doit être considérée comme se déroulant au dehors ; et inversement, l’emploi de la technique du bas-relief impose que l’on comprenne que les événements figurés se passent au dedans. Et il n’est absolument pas rare que pour un même monument, vous retrouviez mêlés les deux types de gravure : ce qui lui confère une lecture d’autant plus pointue.

 

     En outre, et ceci n'est nullement négligeable, quand d'aventure un fragment sans origine connue est exposé dans un musée ou "miraculeusement" retrouvé sur le marché de l'art, l'on peut, grâce à ces conventions connues, déterminer avec plus ou moins de certitude, et selon le type de scène, si l'oeuvre provient de l'extérieur ou de l'intérieur d'un bâtiment ; ce qui permet assurément de faire avancer les déductions quant à sa provenance.

 

     Tout ceci vous prouve une nouvelle fois que l’artiste égyptien fut toujours préoccupé de donner à son oeuvre une signification déterminée, simplement parce qu’il croyait au pouvoir de l’image.

 

     Et "nos" trois reliefs, dans tout cela ?


     Parce que gravée en creux, il est certain que la Stèle du Songe de Thoutmosis IV a bien été réalisée pour figurer dans cette petite chapelle à ciel ouvert lovée entre les pattes du grand Sphinx de Gizeh ; alors que manifestement, et parce qu’ils affichent un léger relief, les deux blocs de Ramsès II, pourtant placés au même endroit, avaient à l’origine indiscutablement été prévus pour figurer à l’intérieur d’une construction architecturale.

     Mais laquelle ?  
Il est presque assuré que la recherche archéologique ne nous l’apprendra jamais.


     À moins que ... Obélix, là-dessus, ait à nouveau sa petite idée ...

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

BAUD  Marcelle, Le caractère du dessin en Égypte ancienne, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien-Maisonneuve, 1978, pp. 18-29.

 

 

DELEUZE  GillesDe Lewis Carroll aux stoïciens, dans Logique du sens, Avant-propos, Paris, Éditions de Minuit, 1969, pp. 7 ; 28-9 ; 

 

 

LACAU  Pierre, Le tableau central de la stèle-porte égyptienne, RdE 19, Paris, Klincksieck, 1967, 39-40.

 

 

 

 

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7 novembre 2017 2 07 /11 /novembre /2017 01:00

 

     À peine avais-je quitté le parking gratuit, - première stupéfaction -, dans lequel était garée la voiture, à peine m'étais-je dirigé vers le petit square arboré qui le jouxtait, que je la remarquai, - deuxième stupéfaction.

 

DEUX BAS-RELIEFS - 3. APPROCHE  PHILOLOGIQUE

 

     Il est certes de nombreux moyens de transport, à notre époque ; de nombreux types de véhicules, aussi. Mais je ne m'attendais nullement à trouver cette embarcation amarrée aux pieds des remparts de la vieille ville de Boulogne-sur-mer.

 

     Tout de suite, évidemment, je la reconnus !

 

     Qui avait osé ? Qui avait eu suffisamment d'aura, suffisamment de charisme pour traiter Chéops de pair à compagnon, lui le deuxième souverain de la IVème dynastie égyptienne, au point de lui emprunter sa barque solaire ? Qui avait ainsi à son bord eu la folie de quitter l'Égypte pour braver les eaux méditerranéennes et atlantiques aux fins de venir s'installer dans cette ville des Hauts-de-France ?

 

     Par une voix chaude semblant tombée du ciel, - troisième stupéfaction -, je fus tout à coup interpellé : "Vous ici, Richard" ?

     Surpris, je me retournai tout de go et LE vis !         

 

DEUX BAS-RELIEFS - 3. APPROCHE  PHILOLOGIQUE

 

     Hiératique, théâtral presque, juché au sommet d'une pyramide tronquée dont il semblait constituer l'humain pyramidion, coiffé de ce tarbouche que portera lui aussi avec belle élégance au siècle suivant son collègue français Étienne Drioton, la main droite fraternellement posée sur une tête d'Isis qu'il a peut-être eu l'heur, un jour, d'exhumer des sables qu'il fouilla avec tant d'alacrité, et de patience aussi, Auguste MARIETTE  

 

DEUX BAS-RELIEFS - 3. APPROCHE  PHILOLOGIQUE

 

 

me regardait, minuscule à ses pieds, - aux sens propre et figuré -, mais impétueux laudateur de ses travaux de fouilles et des rapports qu'il en rédigea.

 

     Si je ne remarquai pas tout de suite les deux sphinx qui flanquaient le monument du haut duquel il m'apostropha, je compris néanmoins très vite leur rapport avec les propos qu'il me tint :

 

     "Voici une quinzaine de jours, Richard, ce fut une intervention proposée aux visiteurs de votre blog et que d'incultes censeurs  de Facebook, d'autorité, et pour une raison que je n'ai toujours pas comprise, couvrirent de leur imbécile opprobre, qui retint particulièrement mon attention. Vous y offriez un moyen très simple pour permettre à ceux qui s'intéresseraient à l'écriture hiéroglyphique égyptienne de déterminer le sens de lecture de ses petits pictogrammes.

 

     Vous n'ignorez point, ce me semble, - votre métier, jadis, a dû vous en convaincre -, que toute règle, qu'elle soit  grammaticale ou autre, souffre d'exceptions. Pourquoi dès lors ne pas évoquer celle qui concerne, notamment, les deux bas-reliefs de Ramsès II de la Crypte du Louvre constituant le sujet de vos articles actuels ? "

 

     C'est ce moment-là que choisit mon épouse qui, indubitablement, n'avait point entendu les propos que m'avait adressés le grand égyptologue français, s'impatientant du temps que je passais à rester coi devant lui, pour m'inviter à l'accompagner vers la porte d'entrée de la vieille ville que nous souhaitions visiter ...     

 

 

 

DEUX BAS-RELIEFS - 3. APPROCHE  PHILOLOGIQUE

 

 

***

 

     Avant de quitter l'antre du Sphinx devant lequel nous devisons vous et moi depuis un certain temps déjà, amis visiteurs, espérant par là avoir quelque peu réussi à ce qu'il ne soit plus pour vous un granit entouré d'une vague épouvante assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux, un vieux sphinx ignoré d'un monde insoucieux, oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche ; avant de tout naturellement poursuivre notre chemin vers la salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, j'ai cru intéressant, après avoir été personnellement "sollicité", ainsi que je viens de vous le conter -, de plutôt poursuivre le cheminement de ma pensée aux fins d’introduire aujourd'hui et vraisemblablement la semaine prochaine, quelques considérations particulières à propos de l’art égyptien, et ce, toujours en étroite corrélation avec les deux bas-reliefs ramessides et la Stèle du Songe thoutmoside évoqués ici même les 17 et 24 octobre derniers.  

 

    Tentons, voulez-vous, de décoder les figurations de ces trois monuments car, pour l'Égypte ancienne, vous n'ignorez plus que c'est à l'image que revint le privilège éducatif de véhiculer les différents messages émanant du pouvoir politique et religieux puisqu'il est avéré que peu de gens de ce temps-là furent à même de lire et d'écrire : dans les ouvrages spécialisés, il est d'usage aujourd'hui d'estimer à guère plus de 1 % de la population ceux qui en étaient capables.

 

     Permettez-moi, dans un tout premier temps, de rapidement rappeler ce que je vous ai expliqué voici deux semaines, à savoir que pour déterminer le sens de lecture d’un texte, il vous faut repérer la direction vers laquelle est tournée la tête de tout être vivant : si un dieu, un humain ou un animal a le visage ou le bec dirigé vers la gauche, comme sur le bas-relief B 19 le sont ceux qui sont gravés dans les colonnes au-dessus du sphinx,

 

 

Relief B 19 - Louvre - © Christian Décamps

Relief B 19 - Louvre - © Christian Décamps

 

 

 

vous commencerez par lire en partant de la gauche et en progressant, ici de haut en bas, vers la droite. Et bien évidemment, si les têtes ou les personnages sont tournés vers la droite, comme le roi l'est sur ce même monument, vous lirez de droite à gauche.
 

     Et c’est d’ailleurs cette règle, la lecture de droite à gauche, que l’on retrouve le plus fréquemment adoptée, en toute logique, quand il s’agit d’un texte rédigé sur papyrus, et par respect d’une tradition codifiée quand il s’agit d’un relief : c’est ce que les égyptologues nomment la "direction dominante".

 

     En toute logique, viens-je de vous dire ; je m'explique.

 

     D'évidence, vous avez déjà admiré le célèbre scribe E 3023 qui nous attend dans la vitrine 10 de la salle 22, au premier étage de l'aile Sully.    

DEUX BAS-RELIEFS - 3. APPROCHE  PHILOLOGIQUE

 

 

     Lui, comme ses nombreux confrères tels qu'ils sont représentés dans la statuaire égyptienne, maintient de la main gauche, à plat sur son pagne tendu, le papyrus sur lequel il écrira en commençant tout naturellement au bord supérieur droit de la partie dégagée de de son rouleau. Au fur et à mesure qu’il rédigera, il le déroulera de plus en plus de manière à poursuivre son texte vers la gauche.

     S’écrivant donc de droite à gauche, les signes de la phrase, tournés vers le début de la page, se lisent tout logiquement aussi de droite à gauche.

 

     C’est cette direction dominante qui sera, dans les monuments isolés, réservée aux dieux : ceux-ci regarderont vers la droite et tout personnage lui faisant face, le souverain par exemple, obligatoirement vers la gauche.

     Il en sera de même des hiéroglyphes qui accompagneront ces scènes.

     Mais, 
m'objecterez-vous, en regardant le bas-relief  B 19 de la crypte, c'est ici le sphinx, le dieu Harmachis, qui est tourné vers la gauche, et non le roi !!!

 

     En revanche, poursuivrez-vous en pensant stigmatiser une "erreur" dans mon chef, sur B 18, le dieu regarde vers la droite et le souverain vers la gauche !

 

 

Relief B 18 - Louvre  © Christian Décamps

Relief B 18 - Louvre © Christian Décamps

 

 

     Réfléchissez ! J’ai bien précisé tout à l'heure, que cette règle énoncée concernait les monuments isolés. Or, souvenez-vous qu'ici, dans le cas qui nous occupe, les bas-reliefs de Ramsès II formaient une paire que Giovanni Battista Caviglia découvrit entre les pattes du sphinx de Gizeh : ils se répondaient donc l’un l’autre.  

 

   Comprenez ainsi que la codification de la "direction dominante" souffre au moins une exception, celle sur laquelle Auguste Mariette m'enjoignit la semaine dernière d'attirer votre attention : quand le relief d’une paire, ou d’une suite, est situé à droite dans un temple, ou une chapelle funéraire, le dieu regarde vers la gauche, et donc le roi dans le sens inverse.

     À présent, au fait de tous ces renseignements, il vous est aisé, amis visiteurs, de déterminer l’emplacement qui était le leur quand ces reliefs furent mis au jour par Caviglia : B 18 se trouvait à gauche en entrant dans le petit sanctuaire, et B 19, à droite.

 

     Notez, pour définitivement clore notre présent entretien, que les conservateurs du Louvre qui ont choisi de les exposer dans la Crypte ont respecté leur position initiale entre les pattes du Sphinx, à Gizeh, dans la mesure où, installés ici contre les parois latérales, B 18 est présenté à gauche et B 19 à droite.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BAUDELAIRE  CharlesSpleen : J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans, dans Les Fleurs du Mal, dans Oeuvres complètes, Paris, Seuil, p. 85 de mon édition de 1968.

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24 octobre 2017 2 24 /10 /octobre /2017 00:00

 

     Ils étaient annoncés, amis visiteurs, les voici, l'un contre le mur de gauche, avant de vous diriger vraiment vers le Sphinx logé dans la Crypte qui lui est désormais dévolue au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, dont vous atteindrez la deuxième salle, celle-ci étant la première, en empruntant l'escalier de gauche ; l'autre, sur le mur latéral opposé, juste avant de monter, si l'envie vous en prend, par l'escalier de droite vers les salles du Département des Antiquités grecques.

 

     Approchons-nous, voulez-vous, de ces deux imposants bas-reliefs en calcaire jadis peints, bien protégés derrière leur vitre respective, que je vous ai, la semaine dernière, promis d'aujourd'hui découvrir ensemble.    

 

DEUX BAS-RELIEFS -  2. APPROCHE  ÉGYPTOLOGIQUE

 

     Exhumés dans le premier quart du 19ème siècle par Battista Caviglia, malgré que trop souvent, ils ne font l'objet d'aucune attention soutenue de la part des touristes, ces monuments préparent à mon sens notre mémoire égyptologique à mieux comprendre le colosse hybride, - mi-homme, mi-lion -, qui trône ici devant vous, à propos duquel, depuis un certain temps déjà, je vous entretiens.

 

     Il est donc grand temps maintenant, à B 18

 

Relief B 18 - Louvre  © Christian Décamps

Relief B 18 - Louvre © Christian Décamps

 

 

et à B 19,

 

Relief B 19 - Louvre - © Christian Décamps

Relief B 19 - Louvre - © Christian Décamps

 

de consacrer notre présent rendez-vous hebdomadaire.

     Mais, d'emblée, je souhaiterais aussi rappeler que, lors de ses fouilles au niveau du Sphinx de Gizeh, Cavaglia avait tout d'abord mis au jour ce qu'il est convenu de nommer la "Stèle du Songe".

 

Reproduction de la "Stèle du Songe", exposée au Musée rosicrucien de San José, en Californie -  © Captmondo (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ReproductionOfDreamSteleOfThutmoseIV_RosicrucianEgyptianMuseum.png)

Reproduction de la "Stèle du Songe", exposée au Musée rosicrucien de San José, en Californie - © Captmondo (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ReproductionOfDreamSteleOfThutmoseIV_RosicrucianEgyptianMuseum.png)

 

 

     Souvenez-vous du site que je vous ai montré tout dernièrement : une petite chapelle sise entre les pattes du gigantesque Sphinx dont le mur du fond était constitué de cette importante stèle de la dix-huitième dynastie puisqu'elle date du règne de Thoutmosis IV, toujours en place actuellement, et ceux de côté, par chacun des reliefs désormais dans la Crypte du Louvre, provenant pour leur part de la dix-neuvième dynastie puisqu'ils furent réalisés à l'époque de Ramsès II.

 

     Si vous prenez la peine de comparer le cintre de la Stèle du Songe et chacun de ces deux blocs de calcaire qui, jadis, l'encadraient, un peu comme aujourd'hui ils coudoient le Sphinx A 23, vous remarquerez aisément l'incontestable similitude : manifestement, Ramsès II a voulu reproduire et le geste et l'iconographie du souverain thoutmoside, la différence résidant simplement au niveau de l'offrande puisque c'est d'encens seul qu'il s'agit chez Ramsès II, d'encens et d'un liquide offert en libation, eau ou vin dans une aiguière, chez Thoutmosis IV.

 

     Ainsi, qu'il soit figuré sur la droite ou la gauche, le souverain debout devant la divinité solaire couchée s'apprête à l'apaiser et à éventuellement évacuer des forces malfaisantes, démoniaques. Pour ce faire, il avance un encensoir de quelque cinquante centimètres, - la valeur d'une coudée égyptienne ! -, en forme d'avant-bras, - ce que les égyptologiques nomment "Bras d'Horus" -, présentant une tête de faucon à une de ses extrémités, figuration évidente d'Horus, et un petit bol rempli de charbon brûlant, à l'extrémité opposée. Entre les deux, un autre récipient contient des boules de cet encens que les Égyptiens rapportaient des contrées du Sud, notamment de Nubie.

     Pour la fumigation proprement dite, Pharaon déposait quelques graines d'encens sur les braises incandescentes de cette longue et particulière "cuillère à offrandes".

 

     Et, selon le principe bien connu théorisé voici bientôt un siècle par Marcel Mauss, ce don du roi appelait en retour un contre-don de la part du dieu qu'il honorait, Hor-em-Akhet, Horus dans l'Horizon, ici, en l'occurrence, dans l'espoir d'être à son tour assuré de sa protection toute divine, voire de jouir de différents biens matériels.     

   
     Certes, les inscriptions hiéroglyphiques en colonnes ou celles ceintes du cartouche royal sont évidemment distinctes sur les trois monuments, mais il n'en demeure pas moins que certaines d'entre elles y sont tout naturellement communes dans la mesure où elles désignent un même sphinx : celui de Gizeh ; le "Père de tous les Sphinx", comme le définit judicieusement l'égyptologue belge Eugène Warmenbol.

     Veuillez ainsi noter, - sans toutefois que j'entre dans de substantielles considérations philologiques -, qu'au-dessus de leur tête sont à chaque fois inscrits les trois mêmes signes hiéroglyphiques, (détériorés sur B 18, complets sur B 19) : de 
haut en bas, un oiseau, une sorte de U horizontal et enfin un cercle engoncé dans un rectangle.



- Le premier hiéroglyphe

figure le faucon Horus; et se lit "Hor".



- Le deuxième, une côte

   constitue notre préposition "dans"; et se lit "èm".

- Le dernier


 représente le soleil entre deux collines ; et se lit "Akhet".

  
   Le tout, Hor-em-Akhet signifiant, en translittération, "
Horus dans l'Horizon", Horus de l'Horizon" ou encore "Horus à l'Horizon", suivant les traductions les plus courantes ; Hor-em-Akhet que les Grecs de l'Antiquité rendirent par "Harmachis", patronyme donné par les Anciens au géant gardien du plateau de Gizeh.

     Ces trois seuls signes hiéroglyphiques, placés en cet endroit précis, constituent donc, à l'instar des phylactères des bandes dessinées, une sorte de document l'identifiant de manière incontestable. 

     Quant aux nom et prénom du souverain, ils figurent dans les cartouches gravés au-dessus de lui.

     Pour ce qui concerne la notion de cartouche, ainsi que la titulature royale avec les différentes appellations attribuées aux souverains, ayez la patience, amis visiteurs, d'attendre la fin du congé d'Automne pour que le mardi qui suit, je vous explique ce dont il s'agit ...



     Un dernier point, si vous m'accordez encore quelques instants, en fait un moyen simple, non pas pour vous enseigner directement la signification des hiéroglyphes mais pour vous indiquer d'abord le sens de votre futur apprentissage de lecture, qui n'est pas uniquement de droite à gauche, comme on le croit trop souvent : il faut toujours considérer la direction vers laquelle une tête d'humain ou d'animal est tournée et commencer à interpréter les pictogrammes en partant de ce visage et en poursuivant vers ce qui se trouve en dessous, s'ils se présentent en colonnes, ou derrière s'ils s'alignent sur un même plan horizontal.

 

     Ainsi, dans le cas qui nous occupe ce matin, vous aurez évidemment remarqué que les hiéroglyphes gravés en colonnes au-dessus des scènes ne se présentent pas uniformément dans le même sens, mais sont orientés parfois dans un sens, parfois dans un autre, en fonction du personnage qu'ils définissent, qu'ils caractérisent.

     Prenez par exemple, pour mieux comprendre mon propos, le monument B 19, plus "lisible" car moins endommagé dans sa partie supérieure : couché à droite, le Sphinx regarde vers la gauche. Au-dessus de sa tête, la transcription de son nom commence par la représentation du faucon Horus, lui aussi tourné vers la gauche.


     En revanche, dans la petite colonne qui lui fait face, un hibou est représenté la tête dirigée vers la droite : il figure en fait dans la première des colonnes précédant les cartouches de Ramsès II dont tout le corps est également tourné vers la droite.

     Qu'en déduire ?  Que les quatre colonnes de textes visibles sur B 19, au-dessus du corps du Sphinx, se lisent de gauche à droite et que celles qui leur font face se rapportent à Ramsès et donc se lisent de droite à gauche.

     Vous aurez aussi constaté, je présume, que si tous ces hiéroglyphes sont gravés côte à côte, un espace vide, moins large qu'une colonne, sépare celles dont le texte se réfère au Sphinx de celles se rapportant à Pharaon. Il est donc aisé, même pour qui ignore la langue et les écritures égyptiennes, de différencier les propos des uns et des autres.


     Terminons voulez-vous en indiquant ce que nous apprennent  les quatre petites colonnes surmontant le Sphinx : il s'agit d'un ensemble de formules, classiques au demeurant, destinées à maintenir la pérennité du pays, garantie par le souverain en tant que seul détenteur du pouvoir d'exercer le culte. Et comme je vous l'ai expliqué voici quelques instants, Ramsès II, en faisant offrande à Harmachis, attend ainsi en échange que ce dernier lui accorde quelques bienfaits. 

 

     De gauche à droite, donc, en empruntant la traduction de l'égyptologue français Christophe Barbotin, vous pouvez lire  :

Colonne 1 : Horus-dans-l'Horizon
Colonne 2 : qu'il daigne accorder toute vie,
Colonne 3 : 
toute pérennité, tout pouvoir, toute santé,
Colonne 4 :
 toute allégresse comme Rê, chaque jour.


 


     "Vie, santé et joie", notez-vous parfois aussi sur les cartes de vœux que vous envoyez au moment du Nouvel An ...

 

     ***

 

     Mais avant cela, dès à présent, permettez-moi de vous souhaiter un excellent congé d'Automne et de vous proposer de nous retrouver ici même le mardi 7 novembre prochain.   
 

 
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
 
BARBOTIN  Christophe, La voix des hiéroglyphes, Paris, Editions Khéops, 2005, p. 29.
 
 

CAUVILLE  Sylvie, L'offrande aux dieux dans le temple égyptien, Leuven, Peeters, 2011, pp. 36-8.

 

WARMENBOL  Eugène, Sphinx. Les gardiens de l'Égypte, dans Catalogue de l'exposition éponyme, Bruxelles, ING Belgique et Fonds Mercator, 2006, p. 13 

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