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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 23:00

 

 

     Samedi dernier, donc, au terme d'une rapide évocation des quelques découvertes qui se sont succédé durant l'ultime décennie du XXème siècle dans la nécropole d'Abousir, concession de fouilles accordée par le Gouvernement égyptien aux archéologues tchèques au tout début des années 1960, en guise de reconnaissance officielle et de remerciement appuyé pour leur participation au sauvetage des temples de Nubie, je vous invitais, amis lecteurs, à aujourd'hui pénétrer ensemble dans le mastaba de Kaaper à la suite de l'égyptologue Miroslav Barta

 

 

Barta - Ouvrage - Tombes d'Abousir sud

 

 

qui en a étudié toutes les composantes dans un ouvrage, publié en anglais en 2001, consacré aux fouilles du cimetière sud d'Abousir précisément menées entre 1991 et 1993, ainsi qu'aux résultats obtenus tant dans les domaines  de l'archéologie, de leur architecture et de leur décoration que dans celui de l'étude taphonomique, démographique et pathologique des corps exhumés.  

 

 

     La superstructure rectangulaire du tombeau de Kaaper qui avait dû atteindre 42 mètres de longueur, 20 de large et très probablement 5 de hauteur, fut construite en calcaire originaire des carrières de Toura, sur la rive opposée du Nil, proches du Caire actuel. La façade était initialement décorée de portraits du défunt.

     La chapelle funéraire en forme de L, située dans la partie sud-est de la tombe, contenait les vestiges d'une fausse-porte devant laquelle une table d'offrandes en granit rouge avait été scellée dans le sol. Le traditionnel serdab destiné à abriter une statue de Kaaper était lui aussi présent.

     Ces quelques détails doivent à l'évidence vous rappeler la chapelle du mastaba d'Akhethetep qu'ensemble, à l'automne 2008, nous avions visitée dans la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Si tel n'était pas le cas et si, d'aventure, vous désiriez quelques explications supplémentaires à son propos, mais aussi sur la stèle fausse-porte, la table d'offrandes ou le serdab, puis-je me permettre de vous suggérer d'éventuellement relire ces différents articles ?
 

 

     C'est aux fins de sauver ce qui peut encore l'être de ce monument que les archéologues tchèques s'y intéressèrent dès 1991 : il faut savoir qu'il avait une longue histoire derrière lui ...

    Vous n'êtes certainement pas sans ignorer qu'avec parfois la complicité des gardiens de nécropoles, à peine parfois quelques jours après l'inhumation, les voleurs n'avaient aucun scrupule à pénétrer dans les sépultures
à la recherche des trésors qu'ils savaient s'y trouver, nonobstant le fait qu'elles avaient pourtant été aménagées de manière telle que leurs propriétaires soient en droit d'espérer que jamais elles ne seraient violées, et d'ainsi pouvoir bénéficier du repos éternel pour leur vie dans l'Au-delà. Des minutes de procès célèbres, notamment à l'époque ramesside, ont en effet été mises au jour par les égyptologues, qui mentionnent avec force détails les profanations et les dégradations qui ont ainsi été commises à la "Maison d'éternité" des plus grands, ou des hauts-fonctionnaires du royaume susceptibles eux aussi, par leur équipement post-mortem, d'attiser de nombreuses convoitises.

    Cette pratique perdura à divers degrés d'importance tout au long des siècles : ainsi les bâtisseurs du Caire, au début de l'histoire arabe de l'Egypte, ne se privèrent pas de démanteler des monuments proches - je pense par exemple aux pyramides - aux fins d'édifier ou d'agrémenter ce qui allait devenir la capitale du pays.

    Il y eut aussi, ne nous voilons pas la face, toutes les déprédations perpétrées par des "fouilleurs" du XIXème siècle à la solde de consuls véreux qui arrondissaient leurs fins de mois en vendant  à certains musées du monde entier des fragments pariétaux de temples ou de tombeaux : rappelez-vous, entre autres, celui du fourré de papyrus peint ramené par le Nantais Frédéric Cailliaud, que nous avons pu admirer dernièrement dans la vitrine 2 de la salle 5 du même Département des Antiquités égyptiennes du Louvre, et auquel j'ai pris plaisir à consacrer plusieurs interventions successives. 

     Dans la nécropole d'Abousir, le mastaba de Kaaper fut de ceux-là ; et, comme je l'ai ci-avant mentionné, dès la plus haute Antiquité. Mais c'est assurément à l'époque contemporaine, au cours du dernier siècle plus précisément, que son histoire connut quelques rebondissements, au point que Miroslav Barta, dans un article qu'il lui consacra en 2005, n'hésite pas à écrire que : "during the last 100 years, this monument was discovered and lost several times."

 

     En effet, il fut très tôt l'objet de pillages qui eurent pour conséquence d'exporter un certain nombre de blocs de calcaire présentant de fins reliefs, provenant de la chapelle du culte, dans de grands musées des Etats-Unis.

    

     Le mastaba fut ensuite quelque peu "oublié" jusqu'à ce qu'en 1959 l'égyptologue américain Henry George Fischer (1923-2006), Conservateur en chef des Antiquités égyptiennes du Metropolitan Museum of Art de New York, le remit à l'honneur en publiant une étude dont le point de départ était constitué de photographies émanant d'archives de Saqqarah : bien que proposant, notamment, des clichés de murs détruits d'une chapelle indubitablement mise à mal par des pillards, Fischer parvint à en décrire quelques détails de la décoration initiale et, surtout, à en identifier son propriétaire, Kaaper, grâce à des recherches  parallèles qu'il mena dans les collections égyptiennes américaines. Mais, et sans plus de précision, il situait la tombe "somewhere on the Saqqara necropolis".

    Trente ans plus tard, en 1989, une équipe d'archéologues égyptiens la retrouva officiellement - pour la troisième fois de son histoire ! -, sur le site d'Abousir et se rendit compte de l'énormité des dégâts occasionnés aux cours des siècles par les bien peu scrupuleux "visiteurs" qui s'y étaient introduits.

    Ce que confirma l'expédition de l'Institut Tchécoslovaque d'Egyptologie sous la direction de Miroslav Verner, au cours d'une reconnaissance de la région en 1991 : elle en fit aussitôt le premier projet de sauvetage
par investigations électro-magnétiques dans cette partie du cimetière, conscients qu'étaient les membres de l'équipe que la reconstitution de l'aspect premier du décor intérieur de la tombe - emplacement n° 1, sur le plan ci-dessous -, serait un énorme défi à relever.

 

 

Abousir-sud---Plan.jpg


     Et c'en fut effectivement un ! Et qui dura plusieurs années. Et qui apporta, malgré le piètre état de conservation, bien des renseignements nouveaux sur le défunt, son épouse, sa famille ...

     Mais qui aussi, par la même occasion, offrit aux égyptologues la triste opportunité d'évaluer les pertes, considérables. En effet, souvenez-vous, j'ai ci-avant signalé les photos  d'archives qu'avait publiées H.G. Fischer dans son étude de 1959 : plusieurs d'entre elles permirent évidemment d'établir des comparaisons avec ce qui subsiste encore in situ.

     Ainsi, sur le mur est, à l'entrée de la chapelle funéraire, figurait jadis une scène classique dans laquelle des pêcheurs capturaient différentes sortes de poissons à l'aide d'un filet - un peu comme celles que nous avons déjà rencontrées dans la vitrine 2 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. La précision de la réalisation était telle, sur les clichés qui montraient l'intégralité de la scène, qu'il fut extrêmement aisé aux ichtyologistes de définir les espèces représentées. Dans la chapelle de Kaaper, ce registre a aujourd'hui entièrement disparu ! Certes, nous savons qu'un bloc se trouve exposé au Metropolitan Museum de New York ; ce qui constitue déjà une espèce de consolation. Mais force est de constater qu'il ne nous donne à voir qu'une infime portion de l'ensemble qui existait originellement.

     Les autres blocs ? Ils ne font pas partie d'autres collections muséales. Et Miroslav Barta d'avancer l'hypothèse, tout à fait plausible évidemment, qu'ils appartiendraient désormais à un collectionneur privé.

     Peut-être qu'un jour, espérons-le, réapparaîtront-ils "miraculeusement"sur le marché  des antiquités ... 

     La minutie des travaux de restauration menés par l'équipe tchécoslovaque permit de constater, avec un véritable soulagement, que tout n'était pas irrémédiablement perdu. Ainsi, sur le même mur est, a échappé aux voleurs la classique scène qu'il est convenu d'appeler le "repas funéraire" : Kaaper et Tjenteti, son épouse à ses côtés, sont assis devant une table garnie de pains et d'autres offrandes alimentaires.

     Ce tableau constitue le seul élément de décoration de la chapelle funéraire qui soit resté pratiquement intact ; pratiquement parce que, depuis, ce sont les sels cristallins qui commencent à l'endommager.

 

     Irrémédiablement perdues aussi donc, les autres scènes pariétales de cette chapelle : ainsi, sur le mur nord, les égyptologues auraient dû pouvoir rencontrer le défunt que son épouse enlaçait au niveau des épaules, même si, déjà, et les photos d'archives le prouvent, leurs deux visages avaient été jadis détachés de l'ensemble.

    Au-dessus de leurs têtes, une inscription hiéroglyphique très intéressante. Malgré qu'elle soit elle aussi  fortement endommagée, il fut possible d'en reconstituer une partie et d'ainsi se rendre compte qu'il s'agitssait d'un extrait s'apparentant à l'ultra célèbre texte qu'il est convenu d'appeler, dans les milieux égyptologiques, la "Déclaration d'innocence" ou la "Confession négative" ; texte que, dans un article datant du 21 février 2009, j'avais déjà eu l'opportunité de vous en expliquer les fondements et la teneur.

     Ici, Kaaper s'adressant à ceux des siens qui devront en principe venir régulièrement entretenir son culte funéraire désire les convaincre qu'il a toujours été respectueux des normes éthiques en usage et, partant, qu'il mérite amplement et leurs offrandes et leurs prières de manière à pouvoir être assuré d'une vie éternelle des plus heureuses :


    " J'ai construit ce tombeau justifié devant le dieu. J'ai construit ce tombeau avec mes biens propres (...)
Je n'ai jamais dit quoi que ce soit de mal contre quiconque. Je n'ai jamais rien volé à personne. (...)
Celui qui aurait l'intention de perturber cette tombe serait jugé par le grand dieu, seigneur du jugement dernier. (...)

Et de "signer" : le fonctionnaire royal, Kaaper.

 

 

     Les égyptologues tchèques s'ingénièrent également, au fil des saisons, à procéder à l'anastylose du mur  ouest de la chapelle dans lequel initialement se trouvait la stèle fausse-porte par laquelle, je le rappelle rapidement, Kaaper pouvait passer du royaume des morts vers le monde des vivants afin de venir recueillir les produits alimentaires disposés en principe régulièrement sur la table d'offrandes, par ceux des membres de sa famille qui continuaient à lui assurer le culte funéraire. 

 

     Et comme de tradition, une sorte de lucarne, au-dessus de la fausse-porte, permettait de voir le défunt assis de l'autre côté d'une table débordant de victuailles. Ce relief, vous vous en doutez, ne se trouve pas plus que les autres dans la tombe, mais est désormais exposé aux Etats-Unis, au Detroit Institute of Arts Museum, sous le numéro d'inventaire 57.58.

 

Kaaper-devant-table-repas-funeraire--Detroit-Institute-of-.jpg

 

 
     Selon les principes funéraires, un linteau devait surmonter ce tableau. En 1991, les égyptologues tchèques ne purent qu'également constater sa disparition. Mais quelle ne fut pas leur surprise, trois ans plus tard, quand
avec l'accord du Conseil Suprême des Antiquités de l'Egypte (CSA) une équipe de savants écossais  effectua sur le site une prospection géophysique de surface en vue d'établir une nouvelle carte de cette partie de la nécropole (Saqqara Survey Project 1990-1998) et découvrit le linteau manquant gisant dans le sable à quelques centaines de mètres au sud de la tombe : probablement, à une période difficile à déterminer, avait-il été abandonné là par des voleurs dérangés dans leur action, espérant bien venir ultérieurement le récupérer.

    Actuellement, il fait partie des collections des Musées nationaux d'Ecosse (Glasgow).

    D'autres fragments représentant Kaaper, son épouse et leur fils qui se trouvaient jadis à droite de la fausse-porte sont désormais visibles au Nelson-Atkins Museum of Art, à Kansas City (Nelson Fund 46-33). Quant aux colonnes de hiéroglyphes qui légendaient cette scène, les fouilleurs égyptiens qui, en 1989, "découvrirent" et identifièrent formellement ce mastaba préférèrent les enlever de la paroi et les mettre préventivement à l'abri dans les magasins de l'Inspectorat de Saqqarah (références LB 5 - LB 7), avant que d'autres, moins respectueux, s'en emparent. 

 

 

     Mais qui donc fut ce Kaaper - ou Ka-âper, selon certaines graphies - qu'homonymie aidant certains, sur le Net notamment, confondent avec le "Cheik-el-Beled" dont la statue en bois, actuellement au Musée du Caire, fut mise au jour par Auguste Mariette au XIXème siècle ?

    Celui qui nous occupe aujourd'hui v
écut au début de la Vème dynastie. Les différentes inscriptions que son mastaba nous offre encore permettent de savoir qu'il fut non seulement scribe des terres de pâturage du bétail tacheté ; scribe, puis inspecteur des scribes du département des documents royaux se rapportant à l'armée de plusieurs forteresses des zones frontalières ; surveillant de tous les travaux du roi, puis architecte en chef responsable des bâtiments royaux sur tout le territoire égyptien ; mais aussi prêtre de la déesse Heqet et même général d'armée. Ce qui prouve, par parenthèses, qu'à cette époque, double, voire triple casquette constituait déjà une prérogative dont bénéficiaient certains très hauts personnages du royaume.

 

 

     Comme souvent en ces temps lointains de l'Ancien Empire, - nous sommes ici , je vous le rappelle, au début de la Vème dynastie, soit aux environs de 2500 avant notre ère -,  c'est tout au fond d'un puits, profond de 24 mètres, situé dans le coin sud-ouest du mastaba, que fut aménagée la chambre sépulcrale de Kaaper. Et après avoir "visité" la partie supérieure, il eût été tout à fait logique, amis lecteurs, que je vous propose de descendre avec moi dans le sous-sol du désert pour précisément la découvrir.

 

     Malheureusement, notre visite s'arrête ici car, à l'instar de toute la tombe vous l'aurez aisément compris, le puits funéraire fut lui aussi l'objet d'une attention particulière de certains pilleurs et ce, dès l'Antiquité. De sorte que, pour d'évidentes raisons de sécurité, je me refuse à vous emmener en ce lieu fort endommagé et  actuellement bien trop peu sécurisé pour permettre l'accès aux touristes que nous sommes ...

 

     Mais rassurez-vous, nous n'avons pas épuisé les découvertes des archéologues tchèques à Abousir sud, loin s'en faut. Raison pour laquelle je vous convie, samedi prochain, à poursuivre notre exploration du site en leur compagnie.  

 

   

(Barta : 2005 2 ; Fischer : 1959, 233-72 ; Verner : 1993, 84-105)
 

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14 mai 2010 5 14 /05 /mai /2010 23:00



     Quand nous nous sommes quittés, samedi dernier, amis lecteurs, je vous proposais de commencer d'envisager aujourd'hui avec vous ce que l'ultime décennie du précédent siècle avait réservé aux archéologues de l'Institut tchèque d'égyptologie (I.T.E.) qui, depuis le début des années soixante, explorent avec le succès que l'on sait la nécropole d'Abousir, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest du Caire actuel.

     Sous la direction de Miroslav Verner, nous l'avons vu, de nombreux complexes funéraires furent ainsi mis au jour. La provende, fort heureusement, ne se tarit nullement puisque, même après avoir quitté la direction de l'I.T.E., le Professeur Verner assumant celle de la Concession pour la Prospection d'Abousir, poursuivit ses travaux patronnant et accompagnant de nouveaux collègues : je n'en citerai que deux qui, relativement jeunes encore à l'époque, se révélèrent par la suite, vous le constaterez au fil des prochains articles, de brillants découvreurs :  

 

    

 

Miroslav Barta

Ladislav-Bares.jpg

    

 


    

 

 

Ladislav Bares


              et Miroslav  Barta

 

 

    
 
    
    
     Dès 1991, les équipes de fouilleurs tchèques vont se rendre encore un peu plus au sud du site d'Abousir pour en explorer les ultimes confins, à environ un kilomètre de la nécropole royale d'origine, celle d'une majorité de souverains de la Vème dynastie ; et ce, après avoir pris soin d'effectuer des sondages préalables dans  cette zone bien circonscrite.

    Permettez-moi d'emblée une petite précision : en historien, mais pas uniquement pour cette raison, j'ai pris l'initiative de relater
dans un ordre purement chronologique les découvertes qui se sont là succédé. Car en fait, ayant quitté la tombe-puits d'Oudjahorresnet la semaine dernière, il m'eût fallu, animé de la logique la plus élémentaire, envisager de vous emmener vers celles qui lui étaient proches dans ce cimetière saïto-perse, et qui furent mises au jour dans les années qui suivirent.

    J'ai en réalité plutôt préféré épouser le cheminement des égyptologues - même si, dans un premier temps, leurs raisons premières m'échappèrent en partie  -, et donc momentanément quitter le cimetière ouest pour les accompagner en  celui de son extrémité sud.

    Le plan ci-après, dessiné par Vladimir Bruna, devrait faciliter vos déplacements : il s'agit des tombes numérotées de 14 à 18.
.

Site d'Abousir

 

 

     En revanche, ce que je vous demanderai pour l'heure de maîtriser sera la chronologie, et plus précisément les différentes dynasties égyptiennes. Car si la  zone nord de la nécropole, ses pyramides, effondrées, et ses mastabas de nobles, dataient pour une grande part de la Vème dynastie de l'Ancien Empire, la tombe-puits d'Oudjahorresnet, souvenez-vous, avait quant à elle été creusée quelque 1700 ans plus tard, soit à la  XXVIème dynastie, à Basse Epoque donc.

    Et maintenant, nouveau retour en arrière, là-bas, tout au sud du site, je vous  invite à renouer avec l'histoire des fonctionnaires palatiaux de l'Ancien Empire.

    Aussi, et afin que toutes ces allées et venues dans le temps et le sable du désert ne vous essoufflent démesurément, je vous propose aujourd'hui, amis lecteurs, plutôt que déjà nous précipiter dans de nouvelles tombes, de simplement les évoquer de manière très générale, en guise de mise en appétit pour les prochaines visites auxquelles je vous convierai.

    Profitez donc de ces quelques moments de répit car, - et je vous l'annonce solennellement -, ce n'est pas en vacances que je vous emmènerai ces prochains samedis : il ne s'agira pas ici de déambuler dans Prague comme nous l'avons fait l'automne dernier ni de nous prélasser au soleil d'une agréable croisière sur le Nil avec soirée dansante déguisée en Néfertiti, mesdames ou en Toutankhamon, messieurs.

     Non ! Ce seront plus certainement des godillots qu'il vous faudra chausser et des jeans endosser : nous allons à nouveau descendre, à la suite des archéologues tchèques, dans le sous-sol de la nécropole, en explorant avec eux ce qu'il est maintenant convenu d'appeler le cimetière des fonctionnaires de rang inférieur à Abousir Sud.

    Certes, d'aucuns m'opposeront très vite qu'il ne s'agit point là d'une vraie découverte ; que plusieurs  des tombeaux que je compte prochainement vous faire découvrir furent déjà, au XIXème siècle, l'objet de fouilles, notamment par l'expédition pour compte de la Prusse de l'égyptologue allemand Karl Richard Lepsius, (1810-1884) qui, de 1842 à 1845, sillonna précisément toute cette région des domaines funéraires de Guizeh, Saqqarah, Abousir ou autres pour en effectuer un relevé topographique de première importance.

    Bien évidemment, je ne puis qu'entériner cette connaissance pointue qui est vôtre en la matière. Je préciserai simplement que si nos amis tchèques ont cru bon, là et alors, d'y consacrer un temps certain, c'était parce qu'il était urgent à leurs yeux d'y effectuer ce qu'ils nomment une "fouille de sauvetage" dans la mesure où la structure même de ces monuments se trouvait grandement - et irrémédiablement - menacée par d'avides pilleurs de sépultures.

    Et parmi ces sépultures antiques, je relève, sans aucune prétention d'exhaustivité, les mastabas pourtant en partie déjà connus de Kaaper, un fonctionnaire de très haut rang, et de Fetekti, un prêtre d'un temple royal, tous deux
ayant vécu à la Vème dynastie ; et ceux, nouvellement découverts, de Qar, un vizir de la VIème dynastie et des membres de la famille d'un certain Hetepi, prêtre également, mais à la IVème dynastie ...

     Toutes ces fouilles, toutes ces découvertes  - ou redécouvertes, c'est selon -  sous la direction de Miroslav Verner s'étageront donc sur les dernières années du XXème siècle : à partir de 1990-91 pour ce qui concerne Kaaper, Fetekti et les tombes près de celle de Hetepi, de 1993 pour Itehy, fonctionnaire du début de la IVème dynastie - ce qui correspondrait donc à la plus ancienne du site -, et de 1995 pour les sépultures des vizirs Qar et Isesiseneb ...

     Sans oublier - et là, il nous faudra revenir près de la tombe-puits d'Oudjahorresnet, dans le cimetière saïto-perse - celle également explorée à partir de 1995 d'un autre très important personnage de cette époque : Iufaa.

     Mais pour l'heure, c'est la première d'entre elles, celle de Kaaper, que, samedi prochain, amis lecteurs, je vous propose de visiter en ma compagnie ...

 

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7 mai 2010 5 07 /05 /mai /2010 23:00

 

 

     A l'extrême fin des années '80 donc, en 1989 pour être plus précis, aux confins sud-ouest de la concession d'Abousir,

 

 

Site-d-Abousir.jpg

 

l'égyptologue tchèque Miroslav Verner, à la tête des fouilles menées depuis plusieurs décennies sur tout le site par l'I.T.E., l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie, vient de découvrir la tombe d'un homme hors du commun : il s'agit de celle de cet Oudjahorresnet que, samedi dernier, nous avons, vous et moi, amis lecteurs, appris à quelque peu connaître.

 

     (Sur le dessin de Vladimir Bruna ci-dessus que j'ai photographié à la page 25 du catalogue de l'exposition Discovering the Land on the Nile [Objevovani zeme na Nilu] qui s'est tenue au Narodni Museum de Prague en 2008 pour commémorer le cinquantième anniversaire de la création de l'I.T.E., l'emplacement de cette tombe porte le numéro 9.)  

 

     Mes précédentes interventions à propos des découvertes tchèques en Abousir, souvenez-vous, vous ont permis de comprendre que cette vaste nécropole fut essentiellement, à tout le moins dans la partie nord du site, celle de certains souverains de la Vème dynastie, à l'Ancien Empire, dont la plupart des pyramides ne sont plus actuellement que monceaux de ruines ; ainsi que des mastabas, parfois impressionnants, des hauts fonctionnaires qui gravitaient dans l'entourage royal : c'était évidemment du temps où le pouvoir résidait à Memphis, capitale d'empire.

 

     J'avais ainsi plus spécifiquement attiré votre attention, le 27 mars, sur le mastaba de Ptahshepses (emplacement n° 1 ci-dessus), ainsi que, le 24 avril, sur la "Pyramide inachevée" de Rêneferef (emplacement n° 2.) 

 

     Quand Thèbes devint, bien après Memphis, elle aussi capitale pharaonique,  les nécropoles de Saqqarah, Abousir et de toute cette région du nord du pays furent délaissées au profit de la montagne thébaine, avec ses célèbres vallées des Rois, des Reines et des Nobles celant en leur sein nombre d'hypogées presque toujours richement décorés.

 

     Il fallut attendre ce que les égyptologues appellent la Basse Epoque, et plus spécifiquement les XXVIème et XXVIIème dynasties, à partir d'approximativement 664 avant notre ère, soit quelque mille sept cents ans plus tard, pour que, les vicissitudes de l'Histoire aidant, le site d'Abousir recouvrât une nouvelle aura, grâce à un petit cimetière situé un peu plus au sud-ouest des pyramides royales d'Ancien Empire et caractérisé par des tombes-puits, - ce que la littérature égyptologique anglophone nomme "Shaft Tombs"- , remises à l'honneur en ces temps saïto-perses : ce sont sur le plan ci-dessus les emplacements numérotés de 9 à 12.


     Remises à l'honneur puisque, vous ne l'ignorez probablement pas, c'est déjà tout au fond d'un semblable aménagement souterrain d'une trentaine de mètres sous le niveau du désert qu'entre autres, le premier souverain de l'Ancien Empire à se faire construire une pyramide, Djoser, à la IIIème dynastie, fut inhumé.

 

     Même si, longtemps aux yeux de certains savants, de semblables puits furent compris comme des réponses à des impératifs essentiellement pratiques - (recevoir par exemple les eaux torrentielles qui, parfois, se déversaient dans la Vallée des Rois) -, l'on sait actuellement, après les travaux pertinents de l'égyptologue allemand Friedrich Abitz au niveau des inscriptions qu'on y a retrouvées, qu'ils ressortissent au domaine des mythes osiriens : dans la tombe de Ramsès II, par exemple, les textes considèrent très clairement le puits comme une métaphore du tombeau d'Osiris, c'est-à-dire là où s'opère la transformation de Pharaon en Osiris, partant, un lieu de résurrection.

 

     Et le Professeur Abitz de poursuivre sa démonstration en ajoutant que semblable cavité matérialisant l'endroit où le souverain prenait un nouveau départ vers sa vie dans l'Au-delà, pouvait être considérée comme étant "la matrice où, environné d'eau, l'enfant s'apprête à naître".  


     C'est en quelque sorte ce qu'expliquait déjà l'égyptologue française Madame Christiane Desroches Noblecourt dix ans auparavant quand à ce propos elle faisait allusion à l'environnement des milieux palustres des débuts de la cosmogonie égyptienne : par exemple, au niveau du Delta du Nil, à Bouto, ou à Chemmis, cette île mythique sur laquelle Isis se serait cachée avec son fils Horus pour tous deux échapper à la vindicte de Seth.    

           

     Ce fut donc une de ces tombes-puits, au demeurant en fort mauvais état, celle du Médecin-chef de Haute et Basse-Egypte, Commandant de la marine royale, mais aussi Chancelier des rois perses Cambyse et Darius en tant que souverains sur le trône égyptien, Oudjahorresnet, qui plus particulièrement retint en 1989 l'attention de Miroslav Verner et de son équipe.


Oudjahorresnet---Entree-tombe-puits.jpg

 

     La fouille de ce tombeau, le plus à l'ouest du cimetière saïto-perse, étant à présent terminée ; les résultats ayant fait l'objet d'une monographie publiée en 1999 par Ladislav Bares, un des égyptologues tchèques travaillant sous la direction du Professeur Verner, ainsi que d'un article qu'il signa en novembre 2005 sur le site de l'I.T.E., 

 

 

Oudjahorresnet---Monographie-de-L.-Bares.jpg

 

nous savons que ce puits central d'une petite vingtaine de mètres de profondeur pour approximativement 5, 50 m de côté, rempli de sable très fin quand il fut mis au jour, faisait en réalité partie, comme visible sur le tout premier cliché monochrome ci-avant, d'une superstructure constituée d'un mur d'enceinte en calcaire blanc ; ainsi que l'étaient également les blocs de la chambre funéraire proprement dite : en fait, tout simplement un matériau que les ouvriers avaient trouvé sur place.

 

     Si l'ensemble du complexe funéraire comprenait des puits périphériques, c'est dans le principal donc que fut découvert le caveau, dont une des particularités résidait dans la présence de  trois ouvertures de forme conique pratiquées dans le plafond et encore obstruées par des poteries de terre cuite rouge manifestement destinées à retenir le sable fin comblant l'espace immédiatement au-dessus :

 

 

Oudjahorresnet---Plafond-tombe.jpg

 

 

ce détail nous permet de comprendre que, les funérailles d'Oudjahorresnet à peine terminées,  il eût suffi de casser un morceau de ces céramiques de manière à permettre au sable entassé d'entièrement combler, en un certain laps de temps, la chambre funéraire elle-même ; et ainsi, en principe enfoui à jamais, le corps de ce haut dignitaire, n'eût jamais pu être trouvé ni profané. 

 

     Sur le sol de la chambre sépulcrale avait été déposé un  imposant sarcophage, en calcaire blanc lui aussi, en forme de coffre rectangulaire de 5, 10 m de long, 2, 90 de large et 3, 20 m de hauteur, couvercle d'1, 10 m d'épaisseur compris. L'ensemble était de finition relativement sommaire et seule une ligne de hiéroglyphes  courait sur tout le pourtour : grossièrement gravés, ils fournissaient tout à la fois les formules religieuses classiques, ainsi que les nom et titres du défunt. 

 

     Contenu à l'intérieur : un cercueil anthropomorphe en basalte,

 

 

Oudjahorresnet---Sarcophage-anthropomorphe.jpg

 

soigneusement lissé et couvert quant à lui d'inscriptions conformes aux us funéraires du temps : textes religieux, figuration des divinités protectrices, à nouveau le nom et les différents titres d'Oudjahorresnet, ainsi que ceux de ses parents.

 

     L'imbrication de ces deux éléments aux fins de protéger la momie au maximum n'était évidemment pas le fruit du hasard ni du seul état social du défunt : placé au plus profond d'une tombe, tout sarcophage symbolisait le Noun, l'océan primordial d'où, aux temps premiers, sortit toute vie (voir à ce sujet l'article du 23 mars, ainsi que le judicieux commentaire d'Alain et la réponse afférente) ; et l'introduction dans ce sarcophage extérieur d'un cercueil contenant le corps proprement dit figurait métaphoriquement l'immersion nécessaire à toute résurrection. 

 

     Il ne fut pas long à Miroslav Verner et à ses hommes pour remarquer que des pillards s'étaient introduits dans le tombeau d'Oudjahorresnet : en effet, avaient été réparées et reconstruites déjà dans l'Antiquité les dalles massives du plafond d'un corridor horizontal permettant d'accéder à la chambre  funéraire par où, vraisemblablement, étaient passés ces premiers voleurs ; mais surtout, il était patent qu'ils s'étaient attaqués aux deux cercueils : un trou d'approximativement 40 x 28 cm endommageait en effet la partie inférieure du second d'entre eux, pourtant bien plus dur que le simple calcaire du premier ; trou manifestement réalisé par un feu qui attaqua la structure même du basalte.

 

     Mais espace qui n'était absolument pas suffisant pour permettre d'en retirer la momie ! Et bien qu'encore scellée, la bière était désespérément vide ...  

 

     Et là, Miroslav Verner prend conscience de ce que d'autres détails des fouilles viendront par la suite corroborer : la tombe-puits d'Oudjahorresnet pose bien plus de questions que, véritablement, elle n'en résout !

 

     Elle ne contint manifestement jamais de corps. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     Point de trace non plus des traditionnels vases-canopes abritant les viscères d'un défunt. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     Ce tombeau ne serait-il donc qu'un cénotaphe ? Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     Les parois du caveau présentent des extraits des Textes des Pyramides qui, bien que fort abîmés, viennent néanmoins compléter et accréditer les connaissances que les égyptologues détenaient à propos de l'utilisation de semblables inscriptions à la Basse Epoque. 

 

 

Oudjahorresnet---Hieroglyphes-peints-mur-ouest.jpg

 

 

     Toutefois, ces textes sont simplement peints en noir et non gravés en relief comme le voulait la tradition : cette décoration pariétale ne  fut donc  jamais achevée. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     Nonobstant le fait que la découverte dans la tombe de fragments de céramique datant des époques romaine, copte et même arabe prouve qu'elle fut, au moins jusqu'au Xème siècle de notre ère, l'objet d'indésirables "visites", la quantité de pièces encore présentes mises au jour par la mission tchèque fut véritablement dérisoire : 5 statuettes funéraires (des oushebtis) de faïence verdâtre au nom d'Oudjahorresnet ; deux plaquettes de faïence miniatures, vraisemblablement de petites tables d'offrandes votives supportant de minuscules vases ; enfin quelques fragments de ce que les égyptologues appellent des briques magiques : généralement au nombre de quatre, en fonction des points cardinaux, ces petits blocs en argile crue gravée ou peinte d'une inscription magique et d'une amulette protectrice étaient, selon le chapitre 151 A du Livre pour sortir au jour (plus communément, mais erronément, appelé Livre des Morts) destinés, parce que placés dans une petite alcôve creusée dans chaque paroi de la chambre, à protéger la dernière demeure d'un défunt.

 

     Ces quelques rares vestiges constituaient-ils ce qui avait été préservé de l'équipement mortuaire d'Oudjahorresnet ou avait-il été initialement réduit à son plus strict minimum ? Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     J'ai insisté tout à l'heure sur les poteries bouchant les trois ouvertures du plafond en signalant qu'elles avaient été retrouvées intactes par les fouilleurs : on n'avait donc pas cru bon de préserver, en les ensablant, les sarcophages pour l'éternité. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     En outre, alors que ses fonctions le liaient indubitablement à Saïs, la capitale dynastique sise dans le Delta occidental, Oudjahorresnet se fit inhumer à l'autre extrémité du pays : une tombe-puits ; à Abousir  ; et  isolée des complexes funéraires déjà existants. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     Et après lui, d'autres hauts fonctionnaires de cette époque plébiscitèrent ce même petit cimetière. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

     Que de questions animaient encore l'esprit de Miroslav Verner au moment où il allait bientôt quitter ses fonctions à la tête de l'Institut tchèque d'égyptologie, mais pas la nécropole sur laquelle, à partir de 1991, il dirigerait officiellement les recherches en tant que Directeur de la Concession pour la Prospection d'Abousir.

 

     Me croirez-vous, amis lecteurs, si je vous confie que samedi prochain, je compte bien l'accompagner pour découvrir ce que la dernière décennie du précédent siècle lui a réservé comme nouvelles surprises archéologiques ?

 

     Et vous : serez-vous des nôtres ?

 

 

 

 

(Abitz : 1974, passim ; Desroches Noblecourt : 1963, 245 sqq ; Régen : 2010, 23 ; Vandersleyen : 1975, 151-7 ; Verner : 1989, 283-90 )

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30 avril 2010 5 30 /04 /avril /2010 23:00

 

 

     Nous sommes en pleine campagne de fouilles 1988-1989.

 

     Aux confins sud-ouest du site d'Abousir, l'égyptologue tchèque Miroslav Verner s'apprête à découvrir une nouvelle tombe : celle d'un homme hors du commun ...

 

 

 

Oudjahorrresne---Museo-Gregoriano-Vatican---Rome--copie-1.jpg

 

 


     Nous sommes  en 525 avant notre ère.


     Cambyse, roi de Perse de la dynastie des Achéménides, dans le droit fil d'une politique d'expansion au Proche-Orient que son père, Cyrus le Grand, avait déjà initiée, - conquête des royaumes mède en 550, lydien en 546 et néo-babylonien en 539 -, à l'aide d'une flotte de guerre qu'il venait de se faire construire aux fins de plus aisément contrer les défenses égyptiennes, rallie Memphis, s'emparant manu militari du pharaon Psammétique III, souverain originaire de la ville de Saïs,  capitale dynastique, dans le Delta occidental, mais aussi de son fils et de quelques hauts dignitaires de la cour : la XXVIème dynastie, dite saïte, laisse ainsi la place à celle qu'après Manéthon, les égyptologues ont pris coutume d'appeler "perse".

 

     A propos de Cambyse et de Darius, son successeur ; à propos des Perses achéménides un temps à la tête de l'Egypte donc, vous me permettrez, amis lecteurs, dans le cadre de ce troisième article consacré aux fouilles de l'I.T.E., l'Institut tchèque d'égyptologie à Abousir sous la direction de Miroslav Verner, auxquelles j'ai accordé quelque attention  les samedis 27 mars et 24 avril derniers, de ne point trop m'étendre sinon peut-être pour préciser - et ce ne sera nullement la première fois dans ce blog -, qu'il faut envisager avec une certaine circonspection les propos avancés par l'écrivain grec Hérodote, notamment dans le livre III de ses "Histoires". Comme bien d'autres et d'aussi célèbres après lui, l'historien d'Halicarnasse n'est pas exempt d'une certaine vision propagandiste des événements qu'il relate : il ne nous faut pas perdre de vue que dans ce cas d'espèce, après les Perses, ce furent les Grecs qui  régnèrent sur l'Egypte, et il n'est malheureusement rien de plus humain que de dénigrer un prédécesseur,  Cambyse en l'occurrence, quand on désire mieux mettre en valeur les actions d'un des siens, à savoir : Alexandre le Grand.

 

     Plutôt que grecs donc, ce seraient des documents uniquement égyptiens que je convoquerais si je devais longuement définir cette période de l'histoire du pays au milieu du dernier millénaire avant notre ère. 

 

     Ce pourrait, par exemple, être l'une ou l'autre des stèles datant précisément de cette première domination perse mises au jour par Auguste Mariette au XIXème siècle dans le Sérapéum de Memphis, qu'ensemble un jour nous détaillerons en la salle 19 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre dans lequel, chaque mardi, je prends plaisir à vous emmener.

 

 

Steles-Serapeum-Memphis---Salle-19.JPG

 

 

     En effet, plusieurs d'entre celles rédigées tout à la fois en hiéroglyphes et en écriture démotique proviennent de l'époque des rois achéménides. Elles font actuellement partie d'une documentation relativement riche concernant ces temps de "soumission" ; d'autant plus riche qu'elle est multi-culturelle dans la mesure où le pays était dans les faits dirigé par un satrape résidant à Memphis, sous la férule évidemment du souverain perse en personne, auto-proclamé pharaon et que les fonctionnaires de cette sixième satrapie que constituait l'Egypte, mais aussi les militaires et bien d'autres personnages occupant des postes décisionnels, représentaient quasiment autant de nationalités différentes qu'existaient de provinces de l'Empire perse : administratifs perses, mèdes, babyloniens, juifs - notamment ceux de la célèbre colonie d'Eléphantine -, araméens, syriens, phéniciens avaient adopté une langue et une écriture communes : l'araméen.

 

     Quant aux fonctionnaires égyptiens, eux aussi embrigadés dans cette aventure, puisque la structure globale du pays était restée semblable à celle des dynasties pharaoniques précédentes, c'est grâce à l'écriture démotique donc qu'ils correspondaient avec leurs collègues. Bref, aussi bizarre que cela puisse actuellement nous paraître, tout ce petit monde de l'intelligentsia  saïto-perse sembla fort bien se comprendre malgré la multiplicité des origines linguistiques en présence.

 

     Mais LE document qu'incontestablement je plébisciterais sans hésitation aucune si, de la domination achéménide en Egypte je voulais aujourd'hui, amis lecteurs, plus particulièrement vous entretenir, serait, vous vous en doutez certainement, celui qui chapeaute cet article.

 

     Je vous accorde que "chapeauter" n'est peut-être pas le verbe le plus approprié quand il s'agit d'une statue ... acéphale ! Mais bon ... Je puis en tout cas vous assurer qu'en guise de référence historique, elle représente un véritable spicilège de renseignements de premier choix.

 

     Enlevée d'Egypte par l'empereur Hadrien au 2ème siècle de notre ère, cette statue naophore - (qui porte, "phoros" en grec, un naos, comprenez une sorte de petit tabernacle contenant la figuration d'un dieu : ici Osiris Hemag qui, après la déesse Neith, était la deuxième divinité révérée à Saïs) -, en basalte vert très foncé de 96 cm de hauteur d' Oudjahorresnet, haut dignitaire saïte du VIème siècle A. J.-C., décora un temps les jardins de sa villa de Tivoli, l'ancienne Tibur, à quelque trente kilomètres de Rome, avant de se retrouver à présent exposée dans la première salle du Musée grégorien du Vatican, sous le numéro d'inventaire 22 690.

 

 

Oudjahorresnet---Tivoli-Villa-Hadriana--Photo-Marco-Prins-.jpg

 

     Sa particularité, vous l'aurez constaté d'emblée, réside dans le fait qu'elle est presque totalement recouverte de hiéroglyphes.

 

     Il faut savoir, pour la petite histoire, que c'est à l'égyptologue et philologue français Emmanuel de Rougé (1811-1872) que nous devons, en 1851, la  toute première traduction intégrale des textes ici gravés et, surtout, qu'elle serait pour l'époque la deuxième en date d'un monument pharaonique, après la Pierre de Rosette que nous avait permis de lire Jean-François Champollion.

 

     Un autre égyptologue français, Georges Posener (1906-1988) publiera, en 1936, LA traduction que semblable document méritait, qu'il accompagna de commentaires philologiques et historiques qui font de cet ouvrage, toujours à l'heure actuelle, une référence incontournable sur le sujet.


 

     Ceci posé, il m'importe d'insister sur le fait que bien que se présentant sous un aspect éminemment flatteur - "J'ai été un (homme) honoré de tous ses maîtres" ou "J'ai défendu le faible contre le puissant", peut-on lire à différents endroits de la statue, car c'était  certes l'usage et la destination obvies de ce type de monument voué à donner à son propriétaire une certaine importance sociale -, Oudjahorresnet nous fournit des renseignements de première main  pour la connaissance de l'histoire de la domination perse en Egypte.

 

     De première main ? Sans conteste, oui. Et c'est bien là ce qui, dans le chef de certains historiens, pose problème. Des termes équivoques, et à mon sens inappropriés, furent employés par d'aucuns : je pense notamment à "traitre" ou à ce plus insidieux encore "collaborateur", pour ne pas écrire "collabo", cette apocope si grosse de la connotation négative qu'on lui connaît depuis la Deuxième Guerre mondiale, sous lesquels Oudjahorresnet fut quelquefois étiqueté.

 

     Certes, déjà plus que très bien introduit en cour à l'époque du pharaon Psammétique III, ce haut dignitaire de l'Administration de l'Etat, n'eut apparemment aucun mal à accueillir le conquérant étranger, l'Achéménide Cambyse en tant que nouveau pharaon qu'il servit de son mieux.

 

     Qu'Oujahorresnet servit de son mieux dans la mesure où humainement et économiquement parlant, il ne tenait pas à se départir des prérogatives privilégiées qui furent siennes sous l'ancien régime.

 

     Qu'Oudjahorresnet servit de son mieux dans la mesure où ses relations avec le nouveau pouvoir en place lui permettaient, si pas de traiter de pair à compagnon avec le roi, d'à tout le moins user d'influence pour le bien de sa ville : je pense notamment au fait que Cambyse, comme tout pharaon qui se respecte, n'hésita pas à honorer la déesse locale et à lui faire régulièrement offrandes.

 

      Je fis en sorte que Sa Majesté connût la grandeur de Saïs : c'est la résidence de la grande Neith, la mère qui a donné naissance à Rê, peut-on lire sur un des côtés de sa statue.

 

     Je pense aussi au fait qu'il obtint que fussent dégagés des domaines de Neith, le téménos, l'aire sacrée sur  laquelle, d'autorité, dans un premier temps, les soldats perses avaient établi leurs baraquements.

 

     Je me suis plaint auprès de la Majesté du roi de Haute et Basse-Egypte Cambyse au sujet de tous les étrangers qui s'étaient installés dans le temple de Neith, pour qu'ils soient chassés de là, afin que le temple de Neith soit dans toute sa splendeur comme il en était auparavant, poursuit le texte, sous le bras gauche.

 


     (Il faut en effet savoir, qu'à l'opposé des églises chrétiennes, le temple égyptien qui constituait également la demeure de la divinité, n'admettait que très peu de personnes en son sein : hormis la population  à l'occasion de quelques manifestations religieuses, et encore n'excédant pas les limites d'une certaine aire géographique autorisée, mais aussi un personnel civil engagé pour l'entretien quotidien, aucune personne étrangère à la classe sacerdotale ne pouvait "profaner" l'espace sacré. Seuls donc, Pharaon et les desservants du culte, pour autant qu'ils se fussent préalablement purifiés, étaient autorisés à y pénétrer.)   

 

     Qu'Oudjahorresnet servit de son mieux au point d'être invité par le roi à lui libeller un protocole officiel : souvenez-vous, il s'agit de la titulature complète avec ses cinq noms attribuée à celui qui s'assoit sur le trône d'Horus pour gouverner l'Egypte : ce qui témoigne de la confiance que le roi perse lui  prodiguait. Et qui nous indique, a contrario, et quoi qu'en écrivît Hérodote, que Cambyse - mais il en fut de même de Darius Ier, son successeur et d'autres à la tête de cette satrapie-, malgré certaines exactions à mettre à son actif, s'ingénia avec une habileté consommée à se  fondre dans les traditions ancestrales égyptiennes ; à épouser l'idéologie religieuse du pays qu'il venait de soumettre ; à, d'une certaine manière, faire en sorte que l'ensemble des dignitaires et des hauts fonctionnaires auliques dont incontestablement Oudjahorresnet était un parangon, ne se sentent pas outre mesure considérés comme de serviles administratifs soumis.

 

     Oudjahorresnet un "collabo" ??  Faut-il vraiment ne pas avoir attentivement lu ce que cet Egyptien a fait graver sur sa statue pour encore entériner semblable contresens !

 

 

 

     Nous sommes en pleine campagne de fouilles1988-1989.

 

     Aux confins sud-ouest du site d'Abousir, l'égyptologue tchèque Miroslav Verner vient de découvrir une nouvelle tombe : celle d'un homme hors du commun ... 

 

 

 

(Bresciani : 1995, 97-108 ; Briant : 1998, 2-6 ; Grimal : 1988, 443 ; Hérodote : 1964, 218-86 ; Legrain : 1906, 54; Posener : 1936, passim ; Serrano Delgado : 2004, 31-52 ; Thiers : 1995, 493-516) 

 

 


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23 avril 2010 5 23 /04 /avril /2010 23:00


     Il est parfois malaisé quand, sur un chantier de fouilles, s'enchaînent, des années durant, tant d'importantes découvertes, de déterminer celle qui restera la plus cardinale au regard de l'Histoire. Et  en définitive, est-il vraiment bien nécessaire d'établir semblable jugement hiérarchique ?

     J'avais, souvenez-vous amis lecteurs, le dernier samedi de mars avant de prendre congé de vous, évoqué le début des recherches que mena l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie à Abousir, à  une petite trentaine de kilomètres au sud-ouest du Caire actuel,

Abousir-3.jpg
site archéologique d'importance qu'avait reçu
cette République d'Europe centrale en guise de remerciement pour avoir activement apporté son concours, dans les années soixante,  à la grande épopée du sauvetage des monuments de Nubie menacés de disparaître sous les eaux du deuxième barrage d'Assouan.

     J'avais épinglé, parmi d'autres trouvailles, celle de l'imposant mastaba de Ptahshepses, beau-fils de Niouserrê, un des souverains de la Vème dynastie, ainsi que celle des archives exhumées au niveau du complexe funéraire du roi Rêneferef ; documentation administrative aussi importante que celle de Neferirkarê-Kakaï, un autre monarque de la même époque, qui avait été mise au jour à l'aube du XXème siècle par la
Deutsche Orient-Gesellschaft, sous la direction de Ludwig Borchardt, et étudiée bien plus tard par l'égyptologue française Madame Paule Posener-Kriéger.

     En 1974, donc, je l'ai déjà souligné, et jusqu'en 1991, Miroslav Verner prend
la direction de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie et, par la même occasion, celle des missions archéologiques annuelles à Abousir.

Abousir - Miroslav Verner (2)

     Si d'inestimables découvertes se succèdent à un rythme soutenu, - je pense notamment aux
complexes pyramidaux  de Néferirkarê-Kakaï et de son épouse la reine Khentkaous II grâce à l'utilisation nouvelle pour l'époque d'une technologie de pointe basée sur des méthodes géophysiques ;

Pyramides_Neferirkare_Khentkaous_II.jpg
mais aussi à des mastabas de nobles, dont celui de Khékéretnebty, fille du roi Djedkarê-Isési ainsi que de hauts fonctionnaires palatiaux tels le scribe Idu et son épouse Khenitet -, c'est plus précisément au complexe funéraire de Rêneferef, ce souverain au départ fort peu connu, que j'aimerais aujourd'hui revenir de manière à  mettre en exergue l'apport capital des travaux qu'entreprit Miroslav Verner dans ce domaine qu'il est maintenant convenu d'appeler dans le milieu égyptologique, la "Pyramide Inachevée" : en effet, le règne de Rêneferef ne durant vraisemblablement pas plus de deux ans, la construction entamée fut très vite muée en mastaba pur et simple, comme l'attestent et la photographie ci-dessous et la reconstitution virtuelle qui a été réalisée de cet ensemble.

Vestiges complexe funéraire de Neferefrê
Restitution-complexe-funeraire-Reneferef-copie-1.jpg
          Alors que, lors des fouilles de Borchardt auxquelles je faisais ci-avant allusion, pratiquement aucun vestige de la ronde-bosse royale n'avait été exhumé dans les différents domaines funéraires des souverains de la Vème dynastie à Abousir, la mission tchèque mit au jour pour sa part, en  octobre et novembre 1984, précisément sur ce site de la "Pyramide Inachevée" de Rêneferef, exactement dans la partie sud-ouest de son "temple de millions d'années", une douzaine de fragments, en pierre et en bois, de statues dont six, fait exceptionnel, représentaient le monarque en personne.

Reneferef---Statue.jpg
        
     L'intéressant des fouilles dans cette section du temple réside aussi dans l'exhumation d'une grande salle à colonnes en bois, jadis vingt, se terminant par une botte de lotus à 6 tiges : dans la mesure où ce furent dans des pièces qui lui étaient contiguës qu'il retrouva les débris des statues, Verner pense qu'il est plus que vraisemblable que cette salle constitua l'espace privilégié dans lequel s'effectuèrent les rites et les cérémonies religieuses afférents au temple.

     En outre, c'est également de cette aire que proviennent quelques statuettes à destination bien particulière ...

     Le 26 janvier dernier, dans une intervention jugée abstraite par d'aucuns consacrée à la philosophie de la nature et de la pratique du pouvoir pharaonique, j'avais eu l'occasion d'attirer votre attention, amis lecteurs, sur les puissances malfaisantes, hostiles qu'aux yeux des Egyptiens représentaient, entre autres, les pays étrangers, ce qui autorisa certains monarques à investir ces Etats de manière à préventivement protéger l'Egypte du "chaos" toujours menaçant et susceptible de grandement en perturber l'ordre que Maât représentait et que chaque roi se devait de soutenir.

     Toutefois, d'autres pratiques que le conflit armé, magico-religieuses cette fois, furent également employées : elles s'ingéniaient à détruire rituellement ces ennemis soit en immolant des animaux précisément censés les symboliser, puisque préalablement marqués d'un sceau les figurant en tant que captifs, ce qui permettait d'allégrement contourner le "tabou du sang versé" ;
soit en gravant, peignant ou fabriquant en ronde-bosse des prisonniers, les mains liées derrière le dos, véritables métaphores de ces forces du mal momentanément  capturées et donc vaincues que, sous forme de statuettes, l'on pouvait pour la circonstance  partiellement briser, brûler ou simplement enterrer.

     Nombreux furent,
sur les monuments égyptiens dès les premières dynasties déjà, les bas-reliefs  proposant ce type de scènes avec captifs aux fins d'exorciser semblable menace extérieure mais aussi, très probablement, de mettre en évidence la sujétion au roi tout puissant, réelle ou souhaitée, des pays frontaliers.

    
Ce thème de l'anéantissement des ennemis ou, à tout le moins, de leur empêchement de nuire, les égyptologues le rencontrèrent donc par le biais de statues et statuettes déclinées sous tous formats et tous matériaux. Ainsi, à la IIIème dynastie, dès l'entrée de l'enceinte du  domaine funéraire de Djoser, à Saqqarah, des groupes d'hommes ainsi ligotés, en shiste et en granite, matérialisaient dans la pierre la suprématie royale sur les peuples avoisinants : il semblerait d'ailleurs que ce soient là, chez Djoser, les plus anciennes statues évoquant ce sujet actuellement mises au jour.

     Certaines représentations destinées à ces rites d'envoûtement, rappelant qu'ennemis, fauteurs de troubles, voire même criminels, furent dès le début de l'histoire égyptienne, associés au dangereux serpent cosmique Apopis (ou Apophis, selon certains égyptologues), précisent en plus du nom des individus concernés, celui du dangereux ophidien en personne : ainsi tout être susceptible d'engendrer le désordre lui était-il assimilé ; on n'est jamais suffisamment protégé !  
   
     Pour la Vème dynastie, on connaissait déjà, datant de l'époque de Niouserrê, de grandes représentations d'ennemis ainsi entravés. Il en est de même, à la dynastie suivante, pour les règnes de Pepi Ier et de Pépi II : furent en effet retrouvés de nombreux débris de calcaire, 8 têtes et des éléments permettant de reconstituer une quinzaine de corps.

Prisonnier-agenouille--face----MMA.jpg  Prisonnier-agenouille--dos----MMA.jpg     (Exposées au Metropolitan Museum of Art de New York, ces statues de près de 90 cm de hauteur ont été arbitrairement reconstituées à partir des fragments enfouis : rien ne prouve en effet que ces têtes-là appartiennent bien à ces corps-là.
     J'ai réalisé ces deux clichés à partir de l'iconographie proposée à la page 364 du catalogue de l'exposition consacrée à L'Art égyptien au temps des pyramides que j'ai visitée en 1999, au Grand Palais, à Paris.)

     Tous ces hommes présentaient la même position : agenouillés et assis sur leurs talons, les orteils s'appuyant sur le socle de la statue (sur le sol, donc, suivant une des conventions de l'art égyptien), arborant une musculature que la pierre rendait remarquablement, ils se tenaient ainsi le buste droit, légèrement projeté vers l'avant, poings rageusement serrés le long du corps, apparemment fiers malgré leur état de vaincus que prouvaient les bras ligotés dans le dos.
   
     Toujours à propos de Pépi II, l'égyptologue belge Jean Capart, préfaçant en 1940 un ouvrage de son collègue français Georges Posener écrivait, avec une légère pointe d'emphase que M. Gustave Jéquier, déblayant le temple de la pyramide de Pépi II de la VI ème dynastie à Saqqarah, découvrit, à chambres pleines, des débris de statues en pierre montrant des prisonniers agenouillés, les bras ramenés violemment derrière le dos, prêts à recevoir le coup mortel de la massue royale.

     Nonobstant ces grands exemples lithiques, les figurines, neuf en tout, bien plus petites - d'environ 15 à 30 centimètres de haut - et en bois - matériau par définition putrescible, donc rarement choisi par les sculpteurs pour ce type de représentation - qu'en 1984 Miroslav Verner retrouva brisées pour la plupart d'entre elles, sur le sol de la salle aux vingt colonnes lotiformes en bois du temple funéraire de Rêneferef,

Abousir---Statuettes-de-prisonniers.jpg
actuellement au Musée du Caire qui les a restaurées, constituent indubitablement un nouvel apport d'importance à une connaissance plus précise des rites égyptiens de l'Ancien Empire en la matière.

     Dans ce corpus, le savant tchèque reconnut sans peine des Asiatiques, des Noirs et un Libyen : il faut en effet savoir que si, traditionnellement, les égyptologues, par facilité, utilisent la dénomination de Peuples du Sud et Peuples du Nord, pour les caractériser, les Egyptiens avaient quant à eux, dès l'origine, réparti ces ennemis étrangers en trois groupes distincts : les Nubiens au sud, les Asiatiques au nord-est et les Libyens à l'ouest.

     Le fait que, dans pratiquement tous les cas, et quelle que fût l'époque, statues ou statuettes furent exhumées brisées a fortement intrigué les archéologues et, conséquemment, donné naissance à des controverses : pour certains, la mutilation était intentionnelle et procédait d'un rite magico-religieux perpétré par les prêtres qui, dans les temples, voulaient ainsi commémorer la victoire du Bien sur celle du Mal ; pour d'autres, ces outrages résultaient, à des époques plus tardives, de la volonté d'exorciser la crainte que ces pièces inspiraient encore ; d'aucuns, enfin, avancent l'argument du simple accident, voire de dégradations dues au temps, excipant de l'indubitable constatation que beaucoup de "trésors" de l'art égyptien soient arrivés jusqu'à nous en parfois bien piètre état.

     Ceci posé, toutes ces représentations de prisonniers agenouillés et ligotés font partie d'un ensemble dans lequel se côtoient tout aussi bien des exemplaires anépigraphes que d'autres portant des textes de proscription rédigés en écriture hiératique, à connotation magique avérée ; sans oublier l'inscription faisant nominalement référence au serpent Apopis que j'évoquais il y a quelques instants.

     M'y consacrer aujourd'hui, dans ce billet relatant les travaux de Miroslav Verner dans la nécropole d'Abousir, me paraît hors de propos. Vous me permettrez dès lors,
amis lecteurs, de n'en aborder une étude plus détaillée que quand nous visiterons de conserve la salle 18 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre entièrement dévolue aux dieux et à la magie dans la mesure où, dans la deuxième des grandes vitrines centrales, nous rencontrerons des figurines dites d'exécration (E 16492 à E 16501) et des statuettes d'envoûtement (E 27204 - E 27209 et E 27691).

  
     En 1991, après avoir dix-sept années consécutivement assumé la direction de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie, le Professeur Verner quitte son poste pour devenir Directeur de la concession destinée à explorer Abousir.

     Toutefois, une "ultime" surprise, lors de la dernière campagne de fouilles de la décennie, mérite d'être ici épinglée : c'est la raison pour laquelle je n'hésite pas à vous proposer - si l'aventure archéologique en ma compagnie continue à rencontrer votre agrément -, un nouveau rendez-vous les samedis 1er et 8 mai prochains, toujours sur le site d'Abousir, mais légèrement plus au sud de la nécropole que vous et moi commençons à présent à mieux connaître, sans toutefois déjà nous rendre à l'extrémité de la concession accordée voici un demi siècle par le gouvernement égyptien aux archéologues tchécoslovaques.


     Pour plus de documentation iconographique concernant les fouilles de l'I.T.E., ce lien extrêmement intéressant.

 



(Arnold : 1999, 65 ; Koenig : 1994, 29 et 2001, 300-1 ; Lauer/Leclant : 1969, 55-62 ; Malek/Baines : 1981, 140-1 et 152-3 ; Onderka & alii : 2008, passim ; Posener : 1940, 5 ; et id. : 1987, 1-6 ; Verner : 1978, 155-9 ; 1985 (1), 267-80 ; 1985 (2), 281-4 et 1985 (3), 145-52)

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 00:00



     Plus personne n'ignore, je présume, qu'à la IVème dynastie, les premiers souverains égyptiens à se faire construire une pyramide en guise de "maison d'éternité" choisirent le plateau de Guizeh, objectif maintenant obligé de millions de touristes qui visitent le pays.

     On sait peut-être un peu moins que, les trois plus célèbres mises à part, celles de Chéops, Chéphren et Mykérinos, des dizaines et des dizaines d'autres virent le jour, plus au sud pour la majorité d'entre elles et ce, jusqu'à la XIIème dynastie, au Moyen Empire : pendant un bon millénaire, donc, rois et souvent épouses, recoururent à ce mode d'ensevelissement avant de préférer, au Nouvel Empire, les profondeurs de la montagne thébaine - dont la forme, par parenthèses, avait bizarrement un aspect plus ou moins pyramidal -, pour y faire aménager des hypogées, plus discrets, partant, moins susceptibles d'être pillés, donc leur permettant de définitivement reposer en paix, - à tout le moins l'espéraient-ils.

     Enfin, et pour être complet, je me dois d'ajouter qu'un millénaire plus tard à nouveau, entre 750 et 650 avant notre ère, encore bien plus au sud, les pharaons koushites de la XXVème dynastie (appelée jadis "éthiopienne" par les égyptologues) et leurs successeurs qui régnèrent au Soudan jusqu'au IVème siècle de notre ère reprirent à leur usage le tombeau pyramidal, mais nettement plus petit - une trentaine de mètres de hauteur - et architecturalement reconsidéré : j'ai eu l'opportunité ici de déjà les évoquer à propos de Frédéric Cailliaud, tout en attirant l'attention sur le fait que, depuis hier, le Louvre, 13 ans après l'Institut du Monde arabe, propose jusqu'au 6 septembre 2010  (d'après le site du Musée - ce qui me paraît anormalement long puisqu'il est de tradition que semblable événement dure quelque trois mois) une grande exposition précisément consacrée à Méroé.

     Je profite par parenthèses de l'occasion qu'il m'est donnée d'évoquer cette importante manifestation pour simplement préciser que toute la presse, pourtant unanime mais apparemment amnésique, qui la présente comme un événement sans précédent se trompe magistralement : en 1997, à l'Institut du Monde arabe à Paris, j'ai eu l'occasion de visiter celle consacrée aux royaumes soudanais sur le Nil qui, brassant certes en plus des notions telles que Groupe A et pré-Kerma, Groupe C, Napata et la dynastie koushite fit la part plus que belle à Méroé précisément, à son histoire, son écriture et sa langue, ses dieux, sa céramique, son architecture et même ses rapports avec l'hellénisme.

     Bien sûr, je vous accorde qu'il y a déjà de cela 13 ans ; et qu'il est donc intéressant de reprendre ce sujet peu connu des amateurs d'égyptologie égyptologique ; mais de là à péremptoirement affirmer que ce que nous allons "découvrir" maintenant à Paris constitue une grande première m'apparaît comme bizarrement très réducteur.
 
      (Ici, les amateurs parmi vous pourront consulter le dossier thématique mis au point par le Musée du Louvre.)

     Mais revenons à présent, si vous le voulez bien, à l'Ancien Empire égyptien, et aux  plus importants "champs" de pyramides : Guizeh en tête, je l'ai signalé, Saqqarah aussi, bien sûr qui, à lui seul, et indépendamment de la  première tombe à degrés de Djoser, à la IIIème dynastie, l'ancêtre avéré de toutes les autres, ne compte pas moins d'une quinzaine de constructions funéraires, notamment pour les derniers souverains de la Vème dynastie, Isési et Ounas, ainsi que ceux de la VIème, Téti, Pépi Ier, Mérenrê et Pépi II.

     (Dois-je une fois encore insister sur le fait que c'est précisément  à Ounas que l'on doit la présence, pour la toute première fois, de textes destinés à permettre d'obtenir l'éternité - communément appelés Textes des Pyramides -, sur les parois des appartements funéraires royaux ? De sorte que toutes les pyramides connues qui ont précédé la sienne étaient absolument anépigraphes.)

     Certains d'entre vous, amis lecteurs, me citeront probablement aussi, avec raison, les pyramides de Dachour, de Licht, ou de Meidoum ... ; même si, pour la plupart, ne subsistent plus comme probants vestiges qu'un amoncellement de débris.

     Pour ma part, et vous vous y attendez si vous m'avez accompagné la semaine dernière, j'apporterai une autre pierre à cet édifice - qui n'a rien, quant à lui, de pyramidal ! -, en citant le site d'Abousir, entre Guizeh, au nord et Saqqarah, au sud où l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie reçut, en remerciement de la participation de cette République d'Europe centrale au sauvetage des temples de Nubie, au début des années soixante, une vaste et importante concession de fouilles. 

Abousir-5-copie-2.jpg

     Mis à part Ouserkaf, le fondateur de la Vème dynastie, cinq de ses huit successeurs sur le trône d'Horus : Sahourê, Néferirkarê-Kakaï, Rêneferef, Shepseskarê, Niouserrê choisirent plutôt le site d'Abousir où ils permirent d'ailleurs aussi à certains de leurs hauts fonctionnaires d'y construire leur propre mastaba.

     L'on suppose que la préférence, par ces souverains, de cet endroit situé à une petite trentaine de kilomètres au sud-ouest du Caire actuel, serait consécutive au fait qu'Ouserkaf, leur ancêtre direct qui, bien que faisant ériger son propre tombeau à Saqqarah, monument proche en vérité de celui de Djoser auquel je faisais tout à l'heure brièvement allusion mais, lui, malheureusement en ruines, choisit Abousir pour y édifier son temple solaire. Ce qui eut pour conséquence de déplacer le "centre de gravité" du royaume vers cette partie septentrionale de la capitale d'alors, Memphis, en la transformant en nécropole de certains dynastes de la fin de l'Ancien Empire.

     Certes, l'endroit n'attendit pas les égyptologues tchèques pour être pillé, fouillé et étudié : ainsi, des clandestins à l'extrême fin du XIXème siècle déjà, puis Ludwig Borchardt à la tête de la Deutsche Orient-Gesellschaft, en 1907, mirent au jour, dans le temple funéraire du pharaon Neferirkarê-Kakaï, un important corpus de papyri dont certains fragments ont entre autres abouti au Musée du Louvre, et qu'étudia et publia en 1976 Madame Paule Posener-Kriéger ; publication que, jeune égyptologue, elle dédia notamment à la mémoire de Jaroslav Cerny


Ouvrage-Posener.jpg

     Comme j'avais déjà eu l'opportunité de l'expliquer en septembre dernier, cette collection de rouleaux d'archives concernait la vie quotidienne du temple, d'où son immense importance : des tableaux de service définissant les tâches à accomplir par les différents membres de son personnel côtoyaient des inventaires de biens ; des comptes afférents aux offrandes alimentaires destinées à nourrir la statue du dieu s'accompagnaient de l'énoncé de ceux qui les avaient acheminées ; des listes de pièces livrées étaient assorties de notices décrivant leur état, etc.

     Toute cette comptabilité qui fut ainsi tenue deux cents ans durant par une pléiade de scribes méticuleux représentait incontestablement à l'époque de son étude par Paule Posener le lot de documents archivés le plus imposant, le plus détaillé jamais retrouvé pour l'Ancien Empire.

     Mais un égyptologue tchécoslovaque vint qui, dès 1980, eut l'heur de mettre au jour les vestiges d'un autre temple funéraire, en briques crues, donc considérablement ruiné : celui de  Rêneferef, le fils aîné de Néferirkarê-Kakaï,

Vestiges-complexe-funeraire-de-Rêneferef.jpg
des magasins duquel il exhuma, en 1982, des empreintes de sceaux en terre crue, des fragments de plaquettes de faïence, ainsi qu'un ensemble bien plus riche encore de papyri dans la mesure où ils nous permettent à présent, non seulement d'affiner nos connaissances à propos de la gestion des domaines royaux à la Vème dynastie, mais surtout, grâce aux autres découvertes faites jusqu'en 1986, de mieux appréhender le règne de ce pharaon en définitive peu connu.

     Miroslav Verner - car c'est bien de lui qu'il s'agit : j'avais en effet mentionné, samedi dernier, son arrivée, après les décès rapprochés de Zbynek Zaba et de son successeur, à la direction de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie -,

Abousir---Miroslav-Verner--2-.jpg
fouillait régulièrement à Abousir, tant au nord qu'au sud du site.

     Avant lui, dès le début des années soixante, les missions tchécoslovaques qui s'y étaient succédé avaient déjà contribué à l'exploration du plus imposant complexe funéraire privé de l'Ancien Empire (56 x 42 mètres), le mastaba de Ptahshepses, l'époux d'une fille du roi Niouserrê,

Abousir Mastaba Ptahshepses
ainsi qu'à son anastylose.

Ptahshepses---Entree-du-mastaba.jpg

     Cumulant tout à la fois les fonctions de vizir, de grand prêtre de Memphis et d'Inspecteur général des travaux du roi, il appert que les agrandissements successifs que Ptashepses imprima dans son tombeau sont le reflet de son prestigieux parcours social : en effet, les différentes saisons de fouilles des archéologues tchécoslovaques révélèrent qu'au point de départ, le mastaba qu'il s'était prévu ne devait se composer que des traditionnelles salles inhérentes à son inhumation et à son culte funéraire.

     Or, après la construction initiale, le haut fonctionnaire palatial - et gendre du souverain -, commanda deux agrandissements qui, étude faite, n'avaient d'autre fonction que celle d'asseoir sa notoriété en empruntant des caractéristiques architecturales aux monuments royaux, pas moins !, qu'apparemment il connaissait à la perfection.

     Des magasins ; un autel destiné à recevoir les offrandes au centre d'une immense cour  entourée de 20 piliers ; une chapelle à trois niches hautes pour abriter ses statues, grandeur nature, auxquelles un petit nombre de marches permettaient d'accéder et servant manifestement d'important lieu de culte ; deux salles d'offrandes, dont une réservée à son épouse furent entre autres ainsi ajoutés au mastaba préalable. 

     L'ensemble était précédé d'un portique (voir cliché ci-dessus) que soutenaient deux colonnes en calcaire symbolisant un bouquet de plusieurs tiges de lotus : les souverains antérieurs, quant à eux, s'ils choisirent également ce type de colonnes, plébiscitèrent plutôt le bois pour les faire réaliser.  Et après lui, plus personne n'utilisa des colonnes lotiformes en pierre pour ce type de soutènement.

     En outre, dans une des salles nouvelles, il fit également aménager un escalier permettant d'accéder au toit, comme dans certains temples précédant les pyramides royales .

     Miroslav Verner jaugeant les fragments mis au jour estime que les différentes salles de ce tombeau, décorées de bas-reliefs peints dont certains furent retrouvés in situ, servirent à abriter une quarantaine de statues du défunt de tailles et de matériaux différents.

     Mais quelle ne fut pas la surprise des membres de la mission tchécoslovaque quand ils prirent conscience que la couverture du caveau funéraire de Ptahchepsès se révélait parfaitement semblable à celle des pyramides des souverains de la Vème dynastie ! Quatre paires d'énormes monolithes de calcaire étaient en effet empilés en chevron.

     Il est en définitive difficile quand, sur un chantier de fouilles, s'enchaînent comme ici, pendant des années, tant d'importantes découvertes, de déterminer celle qui restera la plus prépondérante aux yeux de l'Histoire. Et les archéologues de l'Institut tchécoslovaque, à la  tête duquel  officia Miroslav Verner dix-sept années durant, sont là pour avérer mon propos, eux qui permirent à l'égyptologie d'effectuer de grands pas dans ses différents axes d'études : qu'ils ressortissent au domaine de l'architecture funéraire, à celui, plus théorique, de la chronologie des souverains de la Vème dynastie, entre autres, qui avaient choisi Abousir pour nécropole,  ou à celui de certains rites de proscription ...


     C'est donc pour mieux connaître la suite des travaux de l'équipe tchèque, ainsi que leurs résultats, que je vous invite à m'accompagner, amis lecteurs, en Abousir le samedi 24 avril prochain, après le congé de Printemps.



(Grimal : 1988, 92-5 ; Janosi : 1999, 60-3Malek/Baines : 1981, 140-1 et 152-3 ; Onderka & alii : 2008, passim ; Posener-Kriéger : 1976, passim ; Verner : 1978, 155-9 ; 1985 (1), 267-80 ; 1985 (2), 281-4 et 1985 (3), 145-52)
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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 00:00



     Deux figures emblématiques, nous l'avons vu, Frantisek LEXA et Jaroslav CERNY ont donc, dans la première moitié du XXème siècle, offert leurs lettres de patente à l'égyptologie tchécoslovaque.

     Une création - celle d'une institution officielle dépendant entièrement de la Faculté des Lettres et des Arts de l'Université Charles IV -, partiellement impulsée par Lexa en 1958,  assoira dans les meilleures conditions le développement des études sur le terrain.

     Avec le recul, un demi-siècle s'étant à présent écoulé depuis sa mise en chantier au sein même de l'Alma Mater pragoise, nous comprenons que cet Institut Tchécoslovaque d'Égyptologie (I.T.E.) fut le véritable élément déclencheur, mais aussi fédérateur de tout ce que cette République centrale brassait et brassera comme grands savants en la matière.

     Un homme, que l'on peut en réalité considérer comme le troisième et dernier maillon du "triumvirat" des fondateurs de l'égyptologie en ce pays succède à Frantisek Lexa, décédé deux ans à peine après la naissance de "son" Institut : Zbynek Zaba.    

Zbynek-ZABA.jpg
(Photo que j'ai faite à partir du portrait publié à la page 18 du catalogue de l'exposition  Discovering the land on the Nile [Objevovani zeme na Nilu], qui s'est tenue au Narodni Museum, à Prague, en 2008.)
    
      C'est en 1938 que Z. Zaba
(1917-1971) entreprend des études d'égyptologie : il assiste bien évidemment aux séminaires de Lexa et de Cerny à l'Université Charles. Immédiatement à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il devient l'assistant de Lexa et obtient, en 1954, le poste de Professeur associé dans le prestigieux établissement.

     Si, dans un premier temps, nous lui devons des articles essentiellement consacrés à l'orientation astronomique des pyramides de l'Ancien Empire, mais aussi une importante étude en français sur les Maximes de Ptahhotep, avec traduction et commentaires, certes considérée de nos jours comme quelque peu obsolète, mais qui constitua néanmoins l'ouvrage de référence de cet important recueil de sagesses égyptiennes, c'est surtout grâce à sa direction de l'Institut qu'il sera internationalement connu. En effet, en 1958, il participe avec Frantisek Lexa à la création de cet important organisme à la tête duquel il se retrouve deux ans plus tard, suite donc au décès du "Maître" : à lui, Cerny oeuvrant le plus souvent à l'étranger comme nous l'avons vu voici quinze jours, revient la tâche de mener de front de multiples activités : l'enseignement universitaire - il est désormais le seul Professeur d'égyptologie nommé à Prague -, la direction de l'Institut et ses propres recherches sur le terrain.  

     Il faut savoir que dès 1956 déjà, les professeurs Lexa et Zaba firent partie d'une délégation officielle se rendant en Egypte aux fins de préparer les fondements d'un accord culturel de grande envergure entre les deux pays : de ces contacts naîtra entre autres le prestigieux Institut tchécoslovaque d'égyptologie créé conjointement à Prague, en octobre 1958 et au Caire, en mai de l'année suivante.  

     Et tout naturellement, fort de ces excellentes relations scientifiques mais aussi  diplomatiques entre les deux Etats, l'Institut prendra activement part, au début des années soixante, au plus colossal  projet de sauvetage de monuments que notre monde ait jamais connu : celui, patronné par l'Unesco, des temples de Nubie menacés de totale disparition, de total ensevelissement suite à la la construction du Haut-Barrage d'Assouan.
      
     Si, parmi les pays "généreux donateurs", certains reçurent du gouvernement égyptien l'un ou l'autre bâtiment d'exception - je pense entre autres au temple de Debod, originaire de Basse-Nubie, qu'à défaut d'avoir peut-être déjà admiré à Madrid,
dans les Jardins de l'Ouest, vous pourrez ici, amis lecteurs virtuellement visiter ; ou à celui de Dendour, érigé par l'empereur romain Auguste en tant que pharaon, maintenant au Metropolitan Museum de New York -, la République tchèque, quant à elle, se vit octroyer du gouvernement égyptien, en guise de remerciement donc, une des plus grandes concessions de fouilles jamais accordée à des archéologues étrangers : le site d'Abousir, à une petite trentaine de kilomètres au sud-ouest du Caire, avec notamment sa nécropole des souverains de la VIème dynastie.

Abousir---Pyramides--2-.jpg
(Photo de Milan Zemina que j'ai extraite du catalogue
, acquis à Prague, de l'exposition Discovering the land of the Nile ("Objevovani zeme na Nilu"), célébrant le demi-siècle d'existence de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie (I.T.E.) dont j'ai aujourd'hui quelque peu retracé la naissance.)

     Respectivement, en 1970 et 1971, décèdent Jaroslav Cerny et Zbynek Zaba ; puis, en 1974,  le successeur immédiat de ce dernier à la tête de l'Institut.

     Un jeune égyptologue, né en 1941 à Brno, en prend alors en mains les rênes, dix-sept années durant, conjointement à celles de l'égyptologie tchèque :  il s'appelle Miroslav Verner et, sous sa direction, les fouilles réalisées à Abousir, déjà pourtant très prometteuses, vont offrir au monde savant de nouveaux et inestimables "trésors".


Verner-Miroslav.jpg

     C'est, amis lecteurs, sur ce terrain archéologique, en sa compagnie mais aussi celle de ses prédécesseurs, que je vous invite à me suivre samedi prochain : nous ferons ainsi mieux connaissance avec le site d'Abousir ...  
 
(
Onderka & alii : 2008, passim ; Vernus : 2001, 63)  
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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 00:00


     Dans un article du 27 mai 2008 consacré au grand égyptologue belge Jean Capart, j'avais, souvenez-vous, amis lecteurs, fait allusion à une première "Semaine égyptologique et papyrologique" qu'il avait initiée du 14 au 20 septembre 1930 afin de participer à sa manière, au nom de la Fondation Égyptologique Reine Elisabeth qu'il venait de créer, aux commémorations officielles du centenaire de l'Indépendance de la Belgique.

     Parmi les égyptologues de grand renom que le monde scientifique connaissait à l'époque et qui acceptèrent son invitation, un jeune savant tchécoslovaque de 32 ans : Jaroslav Cerny, que nous avons vous et moi rencontré sur le célèbre site de fouilles menées par l'Institut français d'Archéologie orientale, l'I.F.A.O., dans le village des ouvriers de Deir el-Médineh.

Cerny à Deir el Medineh-copie-2

     Après avoir évoqué, mardi dernier, son prestigieux parcours professionnel, je ne résiste pas aujourd'hui au plaisir de vous donner à lire quelques extraits de sa communication, en français, j'aime à le souligner, le jour de l'ouverture des séances ; et qu'il avait intitulée Les ostraca hiératiques, leur intérêt et la nécessité de leur étude.


     Le nombre de documents écrits que l'on a aujourd'hui à sa disposition pour reconstruire l'histoire et la civilisation de l'Egypte ancienne s'accroît tellement, et les personnes qui s'en occupent sont si peu nombreuses, que l'on est de plus en plus forcé de se borner à étudier seulement les plus importants parmi ces documents ou ceux qui sont dans un état trop délicat pour qu'on puisse laisser leur étude pour l'avenir. Je me propose d'attirer l'attention sur un groupe de documents particulièrements nombreux, les ostraca. A mon avis, ils remplissent les deux conditions que j'ai mentionnées, ce qui m'autorise à en parler dans une réunion comme la présente.

     Le terme "ostracon" est assez courant pour que je n'aie pas à l'expliquer longuement. Beaucoup de peuples du monde antique employaient des ostraca, c'est-à-dire des morceaux de pierre ou des tessons de vases, pour y écrire tout ce qui était d'une importance temporaire et ne nécessitait pas le matériel habituel, en Egypte le papyrus, qui était trop coûteux.

     Du fait que les ostraca en Egypte ne font que remplacer les papyrus, il s'ensuit qu'ils sont le plus souvent rédigés dans la même écriture que ces derniers, c'est-à-dire en hiératique. En ce qui concerne le contenu, nous distinguons les ostraca littéraires et les ostraca non littéraires. Les premiers contiennent des fragments plus ou moins longs des oeuvres de la littérature égyptienne, écrits ou par ceux qui voulaient apprendre à écrire, ou par ceux qui essayaient de reproduire un passage appris par coeur d'une oeuvre littéraire, probablement pour chasser l'ennui ou pour éprouver la fidélité de leur mémoire. Il y a aussi parmi ces documents des compositions originales, pour lesquelles les auteurs, modestes, jugeaient le papyrus trop bon. Cette classe renferme beaucoup de pièces rédigées par des personnes peu expertes dans l'art d'écrire, et cela explique l'abondance des fautes dans ces ostraca et leur écriture assez souvent très maladroite et grossière.

     L'autre classe d'ostraca, les ostraca non littéraires, contient les documents de la vie quotidienne : les inventaires, les factures d'objets achetés ou fournis par les artisans et les ouvriers, les notes concernant le travail et les petits événements de la vie de chaque jour, les brouillons de contrats et de plaintes judiciaires, et enfin les lettres. Ils sont presque toujours écrits par des "scribes", ce qui est l'expression égyptienne pour désigner le fonctionnaire administratif de rang inférieur, ou par les personnes - semblables aux "kâtibs" de l'Egypte moderne - dont l'occupation exclusive était d'écrire, donc toujours par des personnes qui avaient une certaine routine. Ces ostraca montrent une main très expérimentée, une écriture tendant à la cursive ; le nombre de fautes est restreint et la plupart d'entre elles sont dues non pas à l'ignorance de l'orthographe ou de la grammaire, mais au fait que le scribe devait souvent se hâter pour faire son travail.

Ostracon Vienne

     Textes littéraires ou textes non littéraires, "commerciaux", comme les appellent les égyptologues allemands, ces deux classes d'ostraca ont pour la connaissance de l'Egypte ancienne plus d'importance que ne le ferait croire leur aspect modeste. Car les ostraca littéraires contiennent quelques fois des morceaux d'oeuvres qui dans les papyrus ne se sont conservées qu'en partie ou qui ont été tellement corrompues par des copistes inattentifs qu'elles sont devenues, pour nous tout au moins, incompréhensibles. C'est le cas où les ostraca peuvent contribuer à élucider le texte. 


(...)  Les difficultés qui se présentent à celui qui se propose d'étudier le matériel conservé sur les ostraca hiératiques sont très grandes. Tout d'abord, comme je l'ai déjà dit, les textes contiennent des fautes, ou bien - c'est le cas des ostraca non littéraires - ils ont été écrits en hâte et par conséquent très souvent dans un hiératique qui est au-delà de la limite de lisibilité. Mais, ce qui est pire, beaucoup d'ostraca nous sont parvenus très mutilés. Quand l'ostracon avait cessé de servir à son but initial, on le jetait tout simplement par terre, et déjà cette première chute devait causer des cassures et des dommages ; ensuite l'ostracon restait à terre, on marchait dessus, le soleil et la pluie l'effaçaient, les coups de pieds le jetaient d'un endroit à l'autre, il frottait contre les pierres, et quand il se trouvait finalement enfoui dans une couche inférieure du sol, les matières organiques décomposaient et rongeaient sa surface et finissaient souvent par faire disparaître l'écriture. Ainsi un ostracon à la fois propre, bien lisible et complet est relativement rare.

     Ces difficultés et ces défauts sont cause que très peu des ostraca conservés dans les musées  ont attiré l'attention des savants et sont publiés d'une manière satisfaisante.
(...)

     J'ai ressenti moi-même ce manque déplorable de publications, quand j'ai commencé, il y a huit ans, à m'occuper d'un peu près des ostraca hiératiques, avec le dessein de puiser dans ces documents les informations pour une étude de la vie et des conditions sociales et économiques des ouvriers de la nécropole royale de Thèbes au Nouvel Empire.
(...)

     Les ostraca  trouvés dans la Vallée des Rois et des Reines parlent des ouvriers royaux et de leur travail dans les tombes des rois et des reines, et les ostraca de Deir el-Médineh révèlent des détails de la vie  privée de ces ouvriers, - car c'est à Deir el-Médineh qu'étaient situés le village et le cimetière de ces ouvriers.
(...)

    
Deir-el-Medineh---Village.jpg

    On peut déterminer assez souvent si un ostracon provient de Deir el-Médineh ou de la Nécropole royale, d'après la couleur de l'ostracon et d'après l'état de conservation. Les ostraca de Deir el-Médineh sont restés longtemps dans le sebakh, c'est-à-dire dans les amas de détritus provenant du village antique ; ils sont donc plus foncés, plus salis et généralement moins bien conservés que ceux de la Vallée des Rois ou de la Vallée des Reines qui reposaient au sec dans les éclats de calcaire et sont propres, blancs et non atteints par les produits chimiques du sol. 
(...)

     Il me semble qu'il est temps de procéder au sauvetage et à l'utilisation systématique du matériel qui nous est parvenu avec les ostraca hiératiques. Autrement, ces documents étant dans un état de conservation particulièrement délicat, on risque d'avoir à déplorer des pertes irréparables. On pourra, peut-être, dans un avenir assez proche envisager la publication d'un corpus d'ostraca hiératiques, semblable aux publications d'ostraca grecs de Wilcken ou d'ostraca coptes de Crum. Pour le moment, il s'agirait surtout de concentrer le matériel, pour qu'on puisse reconstituer les ostraca brisés, et sauvegarder les documents pour un usage ultérieur.

     Quand j'en ai parlé, l'année dernière, à M. Capart, il m'a suggéré très aimablement que la Fondation Égyptologique Reine Elisabeth pourrait constituer le centre qui garderait dans ses archives les copies, photographies et fac-similés de tous les ostraca dont l'étude serait ainsi rendue accessible aux savants qui s'y intéressent. Bruxelles étant déjà le centre bibliographique pour l'égyptologie, je crois très heureuse l'idée de M. Capart de faire aussi de son musée un centre pour l'étude des ostraca et je lui exprime toute ma reconnaissance pour son précieux concours.

     Je fais en même temps appel à tous ceux qui connaissent des ostraca hiératiques conservés dans les collections publiques et particulières, en les priant d'en communiquer à la Fondation les photographies, dessins, descriptions, et, autant qu'il leur sera possible, des transcriptions, ou de signaler tout au moins l'existence des pièces pour qu'on puisse faire les démarches nécessaires pour en assurer la documentation pour la Fondation. Rien n'est négligeable, même les fragments les plus petits ont leur importance et peuvent contribuer à compléter de grands textes. 
(...)

     Pour ma part, je veux faire tout mon possible pour que l' "ostracologie" donne les résultats qu'elle semble promettre, mais, sans la collaboration bienveillante des égyptologues et des profanes, un seul homme ne pourrait jamais réaliser cette entreprise.
 


(Cerny : 1931, 212-24)
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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 00:00

 

    Dans mon intervention de samedi dernier, la première d'une nouvelle série consacrée à l'égyptologie à l'Est, je vous avais conviés, souvenez-vous, amis lecteurs, à effectuer un bout de chemin en compagnie de Frantisek  LEXA et d'ainsi assister à la naissance tout en douceur, au matin du XXème siècle, de cette nouvelle discipline qui cherchait sa place dans le parcours universitaire tchécoslovaque ou, pour être plus précis, pragois.


     Ne nous laissons toutefois pas abuser par la métaphore basique que d'aucuns pourraient filer en évoquant en la circonstance de premiers balbutiements : il ne s'agit nullement de tâtonnements dans le chef de file de la science qui s'ébroue alors aux abords de la Vltava. Tout de suite, souvenez-vous, Lexa positionna ses travaux à hauteur de la lexicographie et de la sémantique en étudiant la langue des anciens habitants des rives du Nil par le biais du démotique, avant de confier à ses Etudiants, mais aussi bientôt à bon nombre de ses compatriotes, un imposant ensemble de clefs leur permettant d'entrebâiller tous les huis au-delà desquels ils allaient pouvoir côtoyer les aspects essentiels de la civilisation égyptienne.

     Grandes et importantes prémices de l'égyptologie, donc, avec ce précurseur, mais point encore de recherches matérielles, point de fouilles ; point d'archéologie stricto sensu.

     Enfin un disciple vint, et le premier en République tchécoslovaque
qui allait très vite offrir à son pays ses véritables lettres de noblesse en la matière : Jaroslav Cerny.


Cerny--Jaroslav--et-Zaba--Zbynek--copie-1.jpg
(ici à gauche, s'entretenant avec Zbinek Zaba, son compatriote, sous le portrait du "Maître", Frantisek Lexa.)


     Pilsen.

     061.-Nove-Mesto---Bar-Place-Venceslas--07-08-2009-.jpg




     Si certains connaisseurs associent ce toponyme aux usines de fabrication automobile "Skoda", il est d'évidence que la majorité de mes lecteurs belges y humeront plutôt les enivrants effluves de la brasserie "Pilsner Urquell" et de sa "Pils", auto-proclamée boisson nationale tchèque et savourée, ici en bords de Meuse, à l'instar de la "Stella", de  la "Jupiler" ... ou de la "Leffe" brune, pour certains.




    
     Pilsen (Plzen), au sud-ouest de Prague. Dans cette petite ville de ce qui était encore, pour une vingtaine d'années seulement, l'empire austro-hongrois, naquit, le 22 août 1898, Jaroslav Cerny. Comme tous ceux qui bénéficiaient des dispositions leur permettant de faire partie de l'élite intellectuelle de l'époque, le jeune homme entreprit, entre 1917 et 1922, des études à la Faculté des Lettres de l'Université Charles, à Prague ; et eut l'heur d'assister aux conférences égyptologiques dispensées par Frantisek Lexa.

     A partir de 1925, celui qui aurait pu se contenter d'être l'épigone du Maître, décide de se confronter au terrain : ce sera Deir el-Médineh ! Là, il rejoint Bernard Bruyère, de vingt ans son aîné, rencontré au Musée égyptien de Turin où tous deux procédaient à quelques recherches.
Bruyère  cherche un épigraphiste ; Cerny n'hésite pas, il sera cet homme !

     - Deir el-Médineh ? Bernard Bruyère ? Ces noms semblent réveiller quelques souvenirs ... 

     - Et vous auriez parfaitement raison, amis lecteurs ! En guise d'introduction à l'étude des outils agricoles exposés dans la
vitrine 10 de la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, je vous avais en effet quelque peu entretenus, voici 10 mois, de ce célèbre site à l'ouest de Thèbes, ainsi que, à partir du 25 avril 2009, donné à lire, trois samedis successifs, des extraits de rapports que son principal fouilleur avait rédigés suite à l'exploration que, dans les années 1950, il menait au niveau du "Grand Puits".

     Mais pour l'heure, nous sommes un quart de siècle plus tôt.

     Pa-démi, "La Ville", comme l'appelaient les Egyptiens, n'est plus que ruines ensablées d'un village créé ex-nihilo sous le règne de Thoutmosis Ier, un des premiers souverains du Nouvel Empire, en vue d'héberger artistes, artisans et ouvriers qui concouraient à rendre agréables les "maisons d'éternité" des monarques inhumés dans les vallées des Rois et des Reines.

     Près d'un demi-millénaire durant, des hommes engagés pour creuser et décorer les hypogées royaux et princiers, résideront avec leur famille dans ces quelque septante maisons aujourd'hui mises au jour par les égyptologues qui se sont succédé sur le site depuis qu'en 1917, l'I.F.A.O., Institut français d'Archéologie orientale, en obtint la concession.

     Cinq ans plus tard, en 1922, c'est Bernard Bruyère qui prend pour trente ans la direction des excavations. Sans quasiment discontinuer, il dégagea systématiquement les habitations, les tombes et tous les  alentours. Et la provende fut sans égale pour ce qui concerne la connaissance de la vie quotidienne des ouvriers en un temps et en un lieu donnés.

     Aux confins du village, sur les flancs de Gournet Mouraï, d
ans les tombes du cimetière de l'Est datant des règnes de Hatchepsout et de Thoutmosis III, il exhuma un matériel funéraire de tout premier choix : chaises, tabourets, lits, nattes, paniers divers, vaisselle, ustensiles de cuisine, outils agricoles, objets de toilettes et même des vêtements ...
Qui n'étaient pas factices. Qui présentaient des traces d'usure. Qui avaient donc servi. Qui  avaient été maniés, utilisés, portés par ces hommes.
Et qui leur avaient permis de travailler, de vivre ...

     Dans la nécropole de l'Ouest, sur l'autre versant, au pied de la montagne thébaine, ce furent approximativement soixante tombes décorées, superbes pour certaines d'entre elles, qu'il mit au jour ; beaucoup datant du règne de Ramsès II ...

     - Mais, vous étonnerez-vous à l'énumération de tous ces trésors, pourquoi diantre l'I.F.A.O. et Bruyère désiraient-ils tant s'adjoindre les services d'un épigraphiste ?

     - Simplement parce que dès le départ, ils avaient croisé et engrangé de nombreux ostraca,

Ostracon-Vienne.jpg

de nombreux papyri,

Papyrus hiératique

des fragments brisés de vases inscrits, des oushebtis, également : et tous portaient des inscriptions en écriture hiératique, cursive dérivée des signes hiéroglyphiques.

     Ce fut donc le travail de Cerny qui avait rallié l'équipe de Bruyère depuis 1925 de procéder à la traduction de milliers et de milliers de documents semblables, parfois réduits à de minuscules fragments.

     De sorte qu'il n'est pas incongru de ma part d'avancer ici que sa vie professionnelle, ce savant la consacra entièrement, d'une manière ou d'une autre, à Deir el-Médineh, à la "Communauté des Artisans de la Tombe", comme il est souvent indiqué dans la littérature égyptologique :

Cerny-a-Deir-el-Medineh-copie-2.jpg
que ce soit aux excavations du village proprement dit ou au dépouillement épigraphique de ce qui avait été retrouvé qu'en excellent disciple de Lexa il mena de front en publiant des études visant à faire connaître l'histoire sociale et économique du lieu, plus spécifiquement à l'époque ramesside dont, mieux que quiconque, il excellait dans la pratique de la langue vernaculaire, le Néo-égyptien, essentiellement utilisé dans les textes purement littéraires.

Cerny---Ouvrage-IFAO.jpg
       
     Ainsi narrée, sa vie pourrait ressembler à ce long fleuve tranquille ... que le Nil est loin de représenter ! 

     Pour Cerny, en réalité, il n'en fut rien : en 1929, il accepte, tout comme  Lexa avant lui, d'entrer en tant que "Privatdozent" à l'Université Charles IV alors que depuis l'année précédente, il avait été mandé par le Musée égyptien du Caire pour mettre sur pied la publication d'un catalogue des ostraca hiératiques présents dans ses collections : il n'apposera le point final à cette publication qu'en 1933.

     A Prague, il enseigna jusqu'à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, puis se retrouva promu par le gouvernement de la République tchécoslovaque en exil
attaché d'Ambassade au Caire, avant de débarquer, en 1943, à celle de Londres.

     Parallèlement à ses fonctions diplomatiques, il se pencha avec fougue nouvelle sur la lexicographie de la langue copte.

     Le conflit international terminé, il revint un temps donner des conférences d'égyptologie à l'Université Charles : Frantisek Lexa, toujours en activité, à cette époque, suggère complaisamment que son confrère devrait lui aussi être admis Professeur dans cette discipline.

     S'ensuit un refus catégorique dans le chef du ministre de l'Education arguant avec beaucoup de mauvaise foi que des cours aussi peu importants que ceux ressortissant à l'égyptologie (?!) ne nécessitaient pas une nomination officielle, c'est-à-dire rémunérée, d'un deuxième impétrant.

     Exit Jaroslav Cerny que, dès 1946, s'empresse et se félicite d'appeler l'University College de Londres au titre de Professeur d'égyptologie, avant qu'il ne prenne en charge, à partir de 1951 et jusqu'en 1965, la chaire d'égyptologie de la prestigieuse Université d'Oxford : parcours royal, parcours de rêve, s'il en est, pour tout Enseignant passionné ...

     Ceci étant, et la boucle semble ainsi bouclée, la juste reconnaissance de son incontestable intelligence lui arrive enfin de sa propre patrie : en 1965, il retrouve le chemin de la Faculté des Lettres et des Arts de Prague en acceptant de devenir membre honoraire de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie créé, rappelez-vous, par son mentor, le Professeur Frantisek Lexa en personne.

     Mais subitement, le 29 mai 1970 - il n'a pas encore 72 ans - , Cerny  meurt à Oxford.

   Cerny---Bibliotheque-copie-1.jpg

     
Certes, il n'eut pas la satisfaction de voir publié son Dictionnaire étymologique copte par les presses de la Cambridge University ; mais comme souvent dans la discipline, ceux des travaux épigraphiques en cours que sa disparition inopinée laissait inachevés ont pu être, grâce notamment à ses notes et archives personnelles conservées au Griffith Institut, à Oxford, complétés et édités à l'I.F.A.O., notamment par un autre très grand philologue, de nationalité française, qu'il avait aussi connu à Deir el-Médineh : son ami Georges Posener.
    
     Il est indéniable que l'oeuvre de Jaroslav Cerny confine à l'immense : des volumes du Catalogue des ostraca hiératiques non littéraires de Deir el-Médineh à ceux des papyri rédigés dans la même cursive, en passant par les Late ramesside letters que publia déjà, en 1939 à Bruxelles, la Fondation égyptologique Reine Elisabeth (F.E.R.E.), par les Hieratic inscriptions from the tomb of Tut'ankhamun et par les Graffiti de la montagne thébaine et de la nécropole, ce grand savant tchécoslovaque aura marqué au coin de l'excellence les études égyptologiques qui, jamais, ne pourront en oublier l'irréfragable empreinte.



     (Comme à l'issue de ma première intervention du 13 février, je tiens derechef à préciser que j'ai, pour le présent article,
photographié une série de portraits des grands savants de ce pays à partir du catalogue de l'exposition "Discovering the land of the Nile" (Objevovani zeme na Nilu) célébrant le demi-siècle d'existence de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie.)


(Cerny : 1931, 221 et 1978 : Pl. 15 a
Onderka & alii : 2008, passim)
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27 février 2010 6 27 /02 /février /2010 00:00

 

     Délaissant, à tout le moins jusqu'à un éventuel prochain coup de coeur, la bien agréable évocation de mes amours estivales,  - souvenez-vous, ami lecteur, de Marie, de Bruges, de Ginger, et de Prague, à partir du 10 octobre 2009 -, j'aimerais à présent, tout en restant symboliquement au bord de la Vltava comme déjà, avant le congé de Carnaval belge, en évoquant Chateaubriand, revenir  aux rives du Nil, sujet qui constitue indubitablement une des raisons pour lesquelles, un jour de mars 2008, je décidai, "parrainé" par Louvre-passion, d'entrer dans la grande famille des blogueurs.


     Nonobstant une agréable pointe de chauvinisme que nous serions en droit d'exciper à l'Ouest, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie et même en notre petite Belgique, il faut se féliciter de la présence sur le sol égyptien de savants et d'équipes d'archéologues provenant des pays scandinaves et de l'Europe centrale.

     Je me contenterai, pour corroborer cette première assertion, de ne rappeler ici que l'extraordinaire travail accompli depuis le début des années 1960 à Deir el-Bahari par une mission polonaise de l'Université Jagellonne de Cracovie, vingt ans sous la direction de Kazimierz Michalowski, au temple d'Hatchepsout, alors en bien piteux état,

Deir-el-Bahari--1960-.jpg

et par Jadwiga Lipinska, alors Conservatrice en chef des Antiquités égyptiennes du Musée national de Varsovie, au niveau de celui de Thoutmosis III, juste à côté ; fouilles et restaurations qu'un jour peut-être j'aurai ici l'opportunité de commenter bien plus en détail ...

                                 
     Et en ex-Tchécoslovaquie ?
    Son passé archéologique, comme d'ailleurs celui de bien d'autres pays européens, a magnifiquement contribué à rédiger d'importants chapitres de la récente mais déjà grande histoire de l'égyptologie : ses scientifiques ont sans conteste
permis une avancée non négligeable dans les recherches égyptologiques, qu'elles soient de terrain ou ressortissant  plus spécifiquement au domaine de l'épigraphie ; et cela, comme nous l'allons voir, dès l'aube du XXème siècle.

     
Pour plus facilement consulter ce tour d'horizon des activités tchèques en rapport direct avec la civilisation égyptienne que j'entame avec cet article, j'ai cru bon, comme précédemment pour d'autres pays, d'ouvrir une nouvelle rubrique tout naturellement intitulée "L'Egypte à l'Est".


     Si en 2008, l'Institut tchèque d'égyptologie a célébré son cinquantième anniversaire, cela ne signifie nullement qu'il n'y a qu'un demi-siècle que ce pays s'intéresse aux rives du Nil. Dès après la Campagne de Bonaparte, le vent d'égyptomanie qui souffla sur bien des Etats européens atteignit également la Bohême : de nombreux nobles qui s'offrirent le "Voyage en Orient" ramenèrent en effet maints objets qui constituèrent le point de départ de collections particulières, de "cabinets de curiosités", comme on avait parfois coutume de les appeler à l'époque.
      
     Mais c'est un mathématicien de formation, féru toutefois de philologie, qui, bien avant de visiter le pays des pharaons, joua véritablement le rôle cardinal, à un point tel qu'il est de nos jours unanimement considéré comme le fondateur de l'égyptologie tchécoslovaque : Frantisek Lexa.

Frantisek-Lexa-copie-1.jpg


      Né en 1876 à Pardubice, en Bohême occidentale, il décide d'aborder l'étude de la langue égyptienne par le biais du démotique qui, comme j'ai déjà ici eu l'occasion de l'expliquer, constituait une écriture de communications courantes employée par les scribes égyptiens à partir du milieu du VIIème siècle avant notre ère, hormis dans les textes religieux : c'était en fait l'abrégé d'une autre écriture cursive, le hiératique qui, pour sa part, dérivait directement des hiéroglyphes.

     En 1895, F. Lexa sort diplômé de l'Université Charles de Prague, prestigieux établissement fondé en 1348 sous les auspices de Charles IV, alors à la tête du Saint Empire romain germanique.

     En 1905, il se hasarde à publier en tchèque les premières traductions de textes égyptiens anciens. Mais ce ne fut qu'au lendemain de la Première Guerre mondiale que commença véritalement son prestigieux parcours : en 1919, il rejoint la
Faculté des Lettres de l'Université Charles d'abord en tant que "Privatdozent", c'est-à-dire enseignant à titre privé - non rémunéré par le gouvernement, donc -, dans son cas : Maître de conférences en égyptologie ; puis, trois ans plus tard, paré du titre de Professeur extraordinaire dans la même discipline.

     Et en 1925, l'Université crée spécifiquement pour lui une chaire d'égyptologie dont il sera, près de trente années durant, le titulaire.

     Les sources tchèques que j'ai compulsées aiment à épingler le fait que Frantisek Lexa reçut en 1952 - il est alors âgé de 76 ans - le Prix national de Première classe, ce qui semble correspondre à la plus grande distinction que le gouvernement de la République d'alors décernait aux scientifiques nationaux de très haut niveau.
                    
     J'ajouterai pour ma part, si vous me permettez ce petit coquerico, qu'il fut également correspondant de notre Fondation Égyptologique Reine Elisabeth créée, souvenez-vous amis lecteurs, par  le grand égyptologue belge Jean Capart immédiatement après avoir visité la tombe de Toutânkhamon en compagnie, entre autres, d'Elisabeth de Bavière, épouse de notre roi Albert Ier.

     Dans son pays, Lexa entreprit de mettre sur pied, avec d'autres savants, l'importante revue orientaliste "Archiv Orientalni".

     Philologue dans l'âme plutôt qu'archéologue de terrain, il se distingua essentiellement par la rédaction d'ouvrages consacrés à la langue égyptienne :  je retiendrai de très pertinentes études sur les textes sapientiaux,  mais surtout, oeuvre de toute une vie, une imposante "Grammaire démotique", en 7 volumes, parue de 1938 à 1950.
                                         
     Certes, les thèses avancées dans ses travaux philologiques précurseurs furent parfois considérées comme très originales, pour ne pas écrire "révolutionnaires". Souvent, des confrontations de points de vue animèrent le petit cercle des philologues de son temps. Il n'en demeure pas moins qu'à l'heure actuelle, force m'est de constater qu'aussi hasardeuses qu'apparurent à l'époque ses hypothèses, à bon nombre d'entre elles, la majorité des grammaires font maintenant la part plus que belle.  

      Les différentes publications que nous lui devons, de très haute teneur et en anglais, unanimement célébrées par la communauté égyptologique internationale, voisinent avec des ouvrages de vulgarisation, en sa langue maternelle cette fois, sur la religion, la morale et la littérature égyptiennes aux fins d'initier ses compatriotes aux moeurs des Anciens.

     Projet éminemment louable s'il en est, nationalement parlant, mais grandement dommageable pour le savoir universel dans la mesure où, de nos jours encore, cette documentation de première main, brillante, brassant un éventail considérable de connaissances, n'a toujours pas trouvé son traducteur, fût-il anglophone ou francophone. Il s'agit là, dans le chef de bien des égyptologues patentés, et au-delà des expressions convenues et exagérément laudatives qu'on lit le plus souvent après un décès,
d'un carence certaine, d'une véritable perte pour la science.

     Enfin, et ce n'est évidemment pas un de ses moindres apports, ce savant ne compta  jamais ses efforts pour former quelques disciples ayant embrassé non seulement la carrière d'égyptologue, mais celle aussi, non moins ardue, de philologue de la langue et des écritures égyptiennes : qu''il me soit permis d'au moins citer Michel Malinine, égyptologue et démotisant français d'origine moscovite à qui l'on doit, entre autres, quelques-unes des traductions de papyri du Louvre que j'ai eu, voici un an déjà, l'opportunité d'évoquer ici avec vous ; et bien évidemment Jaroslav Cerny, son compatriote, dont j'aurai plaisir à vous entretenir  samedi prochain ...
    
     Point d'orgue à tous ses travaux, à toute une carrière de chercheur, d'enseignant, de formateur, Frantisek Lexa créa
, à la Faculté des Lettres et des Arts de l'Université Charles de Prague, en 1958, - il avait alors 82 ans -, l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie : c'est cet anniversaire, mais surtout la volonté d'établir un bilan de cinquante années de fouilles en terres pharaoniques que, sous l'égide du Narodni Muzeum (Muséum National), commémora en 2008 une grande exposition pragoise.



(Dawson/Uphill : 1970, 177 ; Onderka & alii : 2008, 15Van de Walle : 1960, 193-5)



     Je tiens à souligner que j'ai pris la liberté d'emprunter le portrait de Frantisek Lexa ci-dessus précisément au catalogue, acquis
à Prague, de l'exposition Discovering the land of the Nile ("Objevovani zeme na Nilu"), célébrant le demi-siècle d'existence de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie que je mentionnais à l'instant.
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