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13 mars 2018 2 13 /03 /mars /2018 01:00

 

 

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge ! 

 

 

 

Joachim DU BELLAY

 

Les Regrets

 

dans Kanters/Nadeau, Anthologie de la poésie française,

Le XVIème Siècle, Tome I,

Lausanne, Éditions Rencontre, 1966,

p. 335

 

 

 

 

 

 

     Sans aucun critère de choix autre que celui, très confortable, de la stricte chronologie, je souhaiterais commencer par évoquer avec vous aujourd'hui, amis visiteurs, un conte datant du Moyen Empire, très vraisemblablement du début de la XIIème dynastie, qui ne nous est connu que par un seul exemplaire, ce qui le différencie d'autres textes de cette époque parvenus jusqu'à nous, intégralement ou parcellairement recopiés sous la dictée de leur maître, au Nouvel Empire, donc trois siècles après, par des élèves apprentis scribes, soit sur papyrus, (mais rarement car, onéreux, ceux-ci étaient plutôt réservés aux scribes déjà pourvus d'un don certain de calligraphie) ; soit sur tablettes de bois préalablement recouvertes de stuc, présentant l'incontestable avantage de pouvoir être lavées, puis réutilisées pour un autre exercice de copie ; soit, le plus souvent, sur ostraca, c'est-à-dire des éclats de calcaire dont il suffisait de se baisser pour les ramasser par poignées.

  

     Loin de moi la volonté de lourdement insister sur un sujet qui pourtant m'a toujours tenu particulièrement à cœur en tant qu'Enseignant, mais il me faut vous concéder qu'au sein des travaux d'apprentissage de ces futurs lettrés égyptiens antiques se nichaient, - eh oui, déjà ! -, bien des fautes d'orthographe, bien des altérations diverses rendant parfois inintelligibles certains mots, partant, le sens de certaines de ces phrases qu'ils apprenaient à retranscrire.

 

 

     Présentant la particularité relativement rare d'être complet et dans un remarquable état de conservation, hormis l'un ou l'autre terme effacé, le papyrus de 3,80 mètres dont j'aurai plaisir à vous proposer des extraits ce matin se compose de 189 lignes rédigées en écriture hiératique. 

 

     Par hiératique, comprenez une graphie rapide simplifiant le dessin des hiéroglyphes eux-mêmes. L'ensemble du texte se déploie verticalement : 123 colonnes (dont vous pouvez découvrir le fac similé des onze premières grâce à ce lien), auxquelles succèdent horizontalement 53 lignes, avant de se terminer à nouveau verticalement par 13 dernières colonnes ; le tout se lisant de haut en bas et de droite à gauche.

 

     Ce document exceptionnel appartient aux collections du Musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg où il y est référencé sous le numéro 1115. Les différents égyptologues qui l'étudièrent et le traduisirent le désignèrent soit sous l'appellation "P. Ermitage 1115", soit "P. Léningrad 1115", voire parfois "P. hiératique Golénischeff 1115", simplement parce qu'il fut incidemment retrouvé aux environs de 1880 au fond d'un tiroir où il avait été relégué par on ne sait qui, on ne sait quand, et provenant d'on ne sait où, avant que le grand égyptologue russe que fut Vladimir Golénischeff s'y intéressât.

     Et rien depuis n'est venu apporter la moindre once de renseignement permettant d'éliminer toutes ces interrogations quant à ses origines ...

 

     Parce que monochrome, vous ne distinguerez évidemment pas au niveau du cliché ci-dessus, que les premiers signes hiératiques ont été inscrits en rouge : c'est, emprunté à rubrica latin, signifiant "terre rouge", ce qu'il est convenu d'appeler une rubrique, soit, dans ce cas, le début de la première section du texte, qui en tout en comporte dix-neuf.

 

     Hormis la littérature gnomique, - parfois aussi appelée sapientiale -, c'est-à-dire les ouvrages de maximes, de sentences, de sagesses au sein de laquelle sont généralement nommés ceux qui les ont composées, les "belles lettres" égyptiennes, tout comme les œuvres d'art d'ailleurs, dans la plus grande majorité des cas, ignorent superbement l'identité de ceux qui les ont créées.

 

     Différemment que sous l'angle de nos lois drastiques de propriété intellectuelle ou artistique, de plagiats et de peines qui en découlent inévitablement, il vous faut concevoir qu'en Égypte ancienne, s'approprier une oeuvre n'avait rien de délictueux : ainsi, au-delà de souverains qui, sans scrupule notoire, usurpèrent qui un monument, qui une statue, - souvenez-vous du Sphinx A 23 de la crypte du Louvre avec lequel vous avez pris connaissance en septembre dernier -, en y faisant simplement graver leur propre nom en lieu et place du cartouche de celui à qui l'œuvre avait originellement appartenu, certains scribes signèrent de leur patronyme des textes anciens qu'ils n'avaient pas hésité à plagier : probablement parce que peu de personnes étaient capables de lire, les Égyptiens n'accordaient-ils pas les mêmes valeurs que nous actuellement à l'incontournable "PLA", la propriété littéraire et artistique.

 

     Ceci posé, même si n'y apparaît pas nécessairement le nom de l'auteur d'origine, de maigres indications terminent les papyri littéraires : c'est ce qu'il est convenu d'appeler le colophon.

     Par exemple, celui qui clôture le P. Ermitage 1115 qui nous occupera aujourd'hui, indique :

 

     C'est (ainsi) qu'il doit aller (= le texte proprement dit) du début à la fin, comme cela a été trouvé écrit de l'écriture du scribe excellent de ses doigts, le fils d'Amény, Aménâa, - vie, intégrité, santé. 

 

     D'après cette note finale, il appert donc que le document soit la copie du manuscrit original du "Conte du Naufragé", - de l'édition princeps, est-il coutume de dire en bibliophilie -, rédigé par un certain Aménâa, vraisemblablement un personnage important de la XIIème dynastie dans la mesure où son nom est suivi d'une expression systématique destinée à honorer la mémoire d'une personnalité qui en est digne et que les égyptologues nomment "formule d'eulogie", à savoir : une phrase exclamative se déployant en trois souhaits valant pour son avenir post mortem.

 

     Souvent abrégés en trois hiéroglyphes,

DE LA NAVIGATION ÉGYPTIENNE  - CONSIDÉRATIONS LIMINALES :  3. LE CONTE DU NAUFRAGÉ

 

[ankh, oudja, seneb], ces vœux peuvent aussi être traduits, - je pense notamment à une des leçons des cours de Pierre Grandet et Bernard Mathieu référencés en note infrapaginale -, par cette proposition optative :  puisse-t-il être vivant, intact et en bonne santé !

 

     Après ces quelques propos introductifs, je crois qu'il est temps pour moi maintenant, amis visiteurs, d'enfin vous offrir les quelques passages promis de ce conte pour lequel, quant à sa forme, il me plaît encore de préciser qu'il est construit en abyme, comprenez qu'à l'instar des poupées russes s'emboîtant les unes dans les autres, trois récits autobiographiques, plus improbables, plus problématiques, plus antagoniques au fur et à mesure de leur énoncé, s'entremêlent ici. Mais, et voici là une autre particularité de l'œuvre : à la différence par exemple d'un autre immense classique littéraire de la même époque que nous aborderons la semaine prochaine, le roman de Sinouhé, aucun des trois intervenants n'est ici nominativement précisé, défini. Règne l'anonymat le plus complet que seule la fonction sociale de chacun d'eux vient quelque peu tempérer : un homme d'équipage égyptien, le maître d'une île lointaine et un roi d'Égypte narrent une situation dont le catastrophisme le dispute à la raison.   

     

     Les morceaux que j'ai choisis à votre intention illustrant la thématique de la navigation si chère à tout Égyptien relatent les aventures d'un marin engagé sur un bateau mandé pour rallier une région minière mais qui, malheureusement, fait naufrage lors d'une tempête, puis échoue en terre inconnue administrée par un imposant serpent divin, au corps d'or, chair des dieux, et doté de langage humain. 

     Ce dernier reçoit cordialement le naufragé, l'héberge quelques mois avant de lui permettre de rentrer chez lui, chargé de riches présents originaires de son île. De retour au pays, le marin égyptien est accueilli par son souverain auquel il offre les produits acceptés et entreposés sur le bateau venu le chercher.

     En une sorte de contre-don, pratique cultuelle coutumière en Égypte ancienne, - et que pour les sociétés archaïques l'anthropologue français Marcel Mauss, j'eus déjà l'opportunité de le souligner précédemment, mit remarquablement en lumière dans son oeuvre maîtresse publiée en 1924, Essai sur le don -, le roi promeut le naufragé favorisé des dieux à grade supérieur et lui alloue un nombre signifiant de serviteurs pour le reste de ses jours.

 

      De ces pénétrants extraits, je vous souhaite une excellente lecture.

 

 

 

     Que ton cœur se rassérène, prince. Vois, nous avons atteint la Résidence. Le maillet a été saisi, le piquet d'amarrage a été frappé, l'amarre de proue a été posée sur le sol, une action de grâce a été rendue. Le dieu a été adoré. Chacun embrasse son semblable.

(...)

     Je vais donc te raconter une chose qui m'est arrivée à moi-même étant sorti vers la mine du souverain [1] et étant descendu sur la mer [2] dans un bateau de cent vingt coudées de long, quarante coudées de large et où se trouvaient cent vingt marins, de l'élite de l'Égypte. Quand ils regardaient le ciel (ou) quand ils regardaient la terre, leur cœur était plus brave que (celui) des lions. C'est avant qu'elle ne fût venue qu'ils prédisaient la tempête et avant qu'il ne fût advenu,(qu'ils prédisaient) l'orage.

     Une tempête se leva alors que nous étions en mer, et avant que nous eussions atteint la terre qu'on eût levé la voile, faisant un mugissement, une vague de huit coudées s'y trouvant. C'est un espar qui le brisa pour moi. Alors le bateau sombra, et ceux qui étaient dedans, aucun ne survécut. Je fus déposé sur une île par une vague de la mer, et je passai trois jours, étant seul, mon cœur étant mon (unique) compagnon.  

(...)

     Alors j'entendis un bruit de tonnerre et je pensai que c'était une vague de la mer. Les arbres se mirent à craquer, la terre à trembler. Je découvris mon visage et je m'aperçus que c'était un serpent qui venait. Il faisait trente coudées, sa barbe dépassait deux coudées, son corps était recouvert d'or, ses sourcils étaient en lapis-lazuli véritable, il était recourbé vers l'avant..

(...)

     Alors il me mit dans sa bouche et m'emmena vers la place où il résidait. Il me déposa sans me faire du mal, me retrouvant intact sans m'avoir mutilé. Il ouvrit sa bouche vers moi alors que j'étais sur mon ventre devant lui. Alors, il me dit : "Qui t'a amené, qui t'a amené, homme (du commun) ? Qui t'a amené vers cette île de la mer dont les rivages sont les flots ?"

(...)

     Alors il me dit : " N'aie pas peur, n'aie pas peur, homme (du commun). Que ton visage ne pâlisse pas  (alors que) tu es arrivé à moi. (...) Vois, tu passeras mois après mois jusqu'à ce que tu aies fini de passer quatre mois dans cette île.  Un bateau viendra de la Résidence, à son bord, des marins que tu connais. Tu retourneras avec eux à la Résidence et tu mourras dans ta ville. Combien est réjoui celui qui raconte ce qu'il a éprouvé après que les choses douloureuses sont passées.

(...)

     Alors ce bateau-là vint comme ce qu'il avait prédit auparavant (...)  Alors il me dit : "En bonne santé, en bonne santé, homme (du commun), vers ta maison. Tu reverras tes enfants, fais que mon renom soit bon dans ta ville. Vois, c'est ce dont je te charge."

     Alors je me plaçai sur mon ventre, les bras courbés devant lui. Il me donna un chargement de myrrhe, d'huile-hekenou, de gomme aromatique, de baume, de galène, de queues de girafe, de grands morceaux d'encens, de défenses d'éléphant de chiens, de cercopithèques, de babouins, de toutes sortes de belles choses.

     Alors je chargeai cela sur ce bateau. Il arriva que je me mette sur mon ventre pour adorer le dieu en sa faveur. Alors il me dit : "Vois, tu atteindras la Résidence dans deux mois. Tu serreras tes enfants dans tes bras et tu redeviendras vigoureux à la Résidence, tu seras inhumé".

     Alors je descendis jusqu'au rivage près de ce bateau. Je me mis à appeler l'équipage qui était dans ce bateau, et je rendis des louanges, sur le rivage, au seigneur de cette île, et ceux qui étaient dedans firent de même.

     Et nous voyageâmes en direction du nord jusqu'à la Résidence du souverain. C'est après deux mois que nous atteignîmes la Résidence, conformément à tout ce qu'il avait dit. Alors j'entrai vers le souverain. Je lui offris ces cadeaux que j'avais rapportés de l'intérieur de cette île.

     Alors il adora le dieu en ma faveur devant le Conseil et le pays tout entier. Je fus promu Compagnon, je fus pourvu de deux cents serviteurs.   

 

Notes

 

1.  Probablement les mines de cuivre du Sinaï, selon Gustave Lefebvre. Et, suite à un échange sur le sujet la semaine dernière avec Thierry Benderitter, d'Osirisnet, j'ajouterai une précision : vraisemblablement celles de Serabit el-Khadim. (Merci Thierry.)

 

2. La mer Rouge.

 

*  *  *

 

     Il m'est agréable d'adresser ici et maintenant mes remerciements les plus appuyés à Michel Dessoudeix, bien connu du Forum égyptologique qu'il m'arrive de fréquenter et des Toulousains auxquels il enseigne les arcanes de l'écriture hiéroglyphique qui, avec l'amabilité dont il a toujours fait preuve lors de nos échanges sur mon blog, a immédiatement accepté que je lui emprunte la traduction qu'il a proposée de ce texte dans son dernier opus en date consacré aux belles "Lettres égyptiennes" (référence ci-après) ; troisième volume d'une intéressante et passionnante anthologie constituant LA série que tout amateur de littérature égyptienne se doit impérativement de posséder en sa bibliothèque.

 

     Merci Monsieur Dessoudeix pour les extraits ci-dessus que vous m'avez si généreusement permis d'insérer dans mon présent article ; mais également pour la remarquable somme que constituent vos trois ouvrages parus chez Actes Sud en 2010, 2012 et 2016, sans oublier l'indispensable et incontournable "Chronique de l'Égypte ancienne", chez le même éditeur, en 2008.  

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

DESSOUDEIX   Michel, Le conte du Naufragé, dans Lettres égyptiennes, Volume III, La littérature du Moyen Empire, Arles, Actes Sud, 2016, pp. 10-47.

 

 

GOLÉNISCHEFF  Vladimir, Le papyrus n° 1115 de l'Ermitage impérial de Saint-Pétersbourg, dans Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes pour servir de bulletin à la mission française du Caire, publié sous la direction de G. MASPERO, Volume XXIII, Paris, Librairie Honoré Champion éditeur, 1906, pp. 73-112.

 

 

GRANDET Pierre/MATHIEU  Bernard, Cours d'égyptien hiéroglyphique, Volume I, Paris, Éditions Khéops, 1990, p. 146.

 

 

LEFEBVRE  Gustave, Le conte de Naufragé, dans Romans et contes égyptiens de l'époque pharaonique, Paris, Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien Maisonneuve, 1988, pp. 29-40.

 

 

MASPERO  GastonConte de Sinouhé, dans Les Contes populaires de l'Égypte ancienne, Paris, Libella, 2016, pp. 223-35.

 

ID. , Notes sur le Conte du Naufragé, dans Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes pour servir de bulletin à la mission française du Caire, publié sous la direction de G. MASPERO, Volume XXIX, Paris, Librairie Honoré Champion éditeur, 1907, pp. 106-9.

 

 

MATHIEU  Bernard, L'Enseignement de Ptahhotep, dans Visions d'Égypte - Émile Prisse d'Avennes (1807-1879), Catalogue d'exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2011, p. 84.

 

 

VAN DE WALLE  Baudouin, La transmission des textes littéraires égyptiens, Bruxelles, Édition de la Fondation Égyptologique Reine Élisabeth, 1948, pp. 5-39.

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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 01:00

 

 

     " Je les imagine glissant majestueusement toutes voiles gonflées vers le sud, les régions lointaines de Nubie. Le Nil est empli de voiliers ou de bateaux à rames. Des bateaux plus petits remontent vers le nord en direction du delta. En se croisant, les hommes se hèlent, s'apostrophent d'un bord à l'autre. Certains se connaissent et échangent quelques nouvelles de leur famille : "Mon garçon est né cette nuit. Je suis heureux. Ma femme a beaucoup souffert. Je lui ai offert un collier."  "Embrasse le petit, et bon vent à lui."

     Une felouque funéraire passe près d'eux. Les mariniers se recueillent un instant puis reprennent leur discussion. Le vent chaud tourne, ils vont continuer leur route et manoeuvrent les voiles. Juste avant, ils en ont profité pour faire un peu de troc : quelques dattes ou poissons contre des pains et gâteaux.

     D'autres navires s'approchent de la côte pour débarquer leur marchandises sous un soleil généreux. Les bateliers chantent un air mélodieux."

 

 

Alain  YVARS

 

 

     Quel plaisir, et quelle émotion aussi quand, jeudi dernier, dans l'après-midi, je découvris ce texte sur mon blog déposé en guise de commentaire à la suite de mon dernier article en date par Alain, un de mes plus anciens et fidèles lecteurs, propriétaire du blog "Si l'art était conté".

     Mais également, quel hasard d'ainsi m'offrir, au sens propre comme figuré, précisément  à ce moment-ci, l'opportunité d'introduire une importante digression dans le cours de mes projets initiaux.

 

     Souvenez-vous, la semaine dernière, au sein même de la thématique choisie par les Conservateurs qui, voici un peu plus de vingt ans, eurent en charge la conception de l'actuelle vitrine 2 de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris, j'avais évoqué de manière chronologique quelques documents iconographiques susceptibles à mes yeux de vous persuader que déjà très tôt dans l'histoire du Double Pays, puis tout au long de l'Ancien Empire, la navigation sur un Nil constituant quasiment l'unique réseau de communications humaines et de relations commerciales avait bénéficié d'une attention et d'un soutien logistique particulièrement appuyés au plus haut niveau de l'État : les souverains, en effet, s'étaient arrogé le monopole de la gestion de chantiers navals pour leurs propres besoins personnels dans un premier temps, pour les membres d'une population privilégiée, dans un second. 

 

     Ainsi, parmi d'autres tout aussi éminents, Ty, un des très hauts fonctionnaires auliques de la Vème dynastie qui officia pendant les règnes d'au moins trois rois successifs put bénéficier du privilège insigne de se voir ériger de son vivant un mastaba constituant une de ces petites merveilles que le remarquable site d'OsirisNet a entrepris de minutieusement détailler ; site pour lequel je n'aurai jamais à disposition suffisamment de termes laudatifs aux fins de vous inciter à le visiter car aucun blog n'atteint le tiers du quart de la moitié de l'excellence du travail réalisé par Thierry Benderitter qui en est le concepteur principal. 

 

     Dans la tombe de Ty, donc, et plus précisément sur le mur de la partie droite (sud) de la paroi est de sa chapelle funéraire, vous pourrez admirer, - Merci Thierry ! -, une scène d'artisans œuvrant à l'élaboration de bateaux sur un chantier naval du 25ème siècle avant notre ère.

Mastaba de Ty -  © Osiris.net

Mastaba de Ty - © Osiris.net

 

     Tout logiquement, après cette considération liminale en forme d'introduction historique développée lors de notre dernière rencontre, j'eusse dû ce matin vous inviter à entamer la découverte des pièces exposées dans l'immense vitrine centrale.

     Mais, changement de cap dans mon esprit, je décidai tout de go qu'à partir d'aujourd'hui, - cela, Alain Yvars ne pouvait nullement le prévoir -, et pendant un certain nombre de semaines, il me siérait d'aborder et de vous emmener sur un chemin parallèle à celui sur lequel nous avons pris l'habitude de trimarder ; et ce,dans mon chef, avec l'arrière-pensée de conjuguer image et littérature.

 

     Voilà donc la raison pour laquelle le texte-cadeau, cette tranche de vie quotidienne sur le Nil narrée avec le talent qui caractérise Alain dans ses nouvelles et ses études picturales sur son blog, le tout remarquablement étayé par des reproductions d’œuvres glanées dans les musées de monde entier, m'a tant fait plaisir, au point de souhaiter vous l'offrir à vous aussi, amis visiteurs, à l'entame de notre présente rencontre.  

 

     Avec bon sens, d'aucuns parmi vous s'enquerront de la motivation qui, ici et maintenant, anime ma subite autant qu'inattendue décision d'insérer une longue digression littéraire.

     À ceux-là, très simplement, je répondrai qu'à l'intention de tous mes nouveaux lecteurs, notamment sur Facebook, j'aimerais derechef porter la réflexion vers un sujet qui, sur mon blog, me tient à cœur depuis près de deux lustres ; et au moins une dizaine d'autres tout au long de mon ancienne vie d'Étudiant puis d'Enseignant.

 

*   *   *

 

      Certes, il fallut attendre le premier tiers du XIXème siècle et la géniale découverte par Jean-François Champollion du système hiéroglyphique pour commencer à s'initier à la littérature égyptienne.

     Certes, les concepts grammaticaux, les recherches sémantiques, les paradigmes de conjugaison continuent depuis lors d’évoluer, qui nous permettent, grâce à une précision toujours plus grande dans la traduction des textes, d’entrer plus avant dans le mode de pensée de cette civilisation plurimillénaire.

    Certes, de brillants étudiants devenus d’illustres savants se sont abondamment penchés sur ce corpus littéraire, en ont exploré les moindres paragraphes, ont confronté avec d’autres, leurs pairs tout aussi pointilleux, le sens à donner à tel classificateur sémantique dans telle succession de hiéroglyphes à telle période de l’histoire sémiologique de l'idiome égyptien.

 

      Et nonobstant cet inestimable bond en avant réalisé en près de cents ans permettant à la langue, d’ésotérique qu’elle fut depuis l’imposition du christianisme au IVème siècle de notre ère, d’enfin devenir, grâce à tous ces philologues traducteurs patentés, exotérique, force m’est de reconnaître que la majorité du public, même cultivé, et en cela soutenu et conforté par des manuels scolaires et des livres d'histoire malheureusement non encore réactualisés à la lumière des connaissances récemment acquises, croit toujours fermement que tout naquit en Grèce ; que la civilisation grecque est notre mère à tous ; que les ouvrages des philosophes grecs constituent les premiers textes de la littérature sapientiale que le monde ait connus ; et que c’est le Grec Homère, au VIIIème siècle avant notre ère, qui fournit à l’humanité les premières narrations d'aventures et Hérodote, un autre Grec, deux siècles plus tard, les premiers récits historiques.

 

 

     Aux temps joyeux de mes études, ce furent, vivement conseillés par mes maîtres, les quatre tomes de l'idéologue allemand Karl Jaspers intitulés Les Grands Philosophes qui soutinrent les prémices de mon approche de l'Histoire de la pensée universelle.

 

     Première erreur : d'universalité, il n'y eut point ! Et comme pour tous les étudiants occidentaux à cette époque, - j'avais 20 ans en 1968 ! -, sous les pavés de la philosophie, la seule plage des penseurs grecs s'étendait à perte de vue.

 

     Parmi ceux qui ont donné la mesure de l'humain, indiquait Jaspers dans le premier volume de sa tétralogie, Socrate prenait la tête. Poursuivant son propos, il considérait Platon comme étant de ceux qui fondent la philosophie et ne cessent de l'engendrer. Dans la catégorie de ceux dont la pensée sourd de l'origine, il voyait Anaximandre, Héraclite et Parménide.

 

     C'était donc cela l'histoire de la pensée universelle que nous prodiguaient nos Professeurs ?

 

     Par seul souci d'honnêteté intellectuelle vis-à-vis de la somme monumentale de Jaspers, je me dois néanmoins de mentionner que dans la longue introduction du premier volume, il citait, dans une minuscule parenthèse et sans autre développement, Imhotep et Ptahhotep en tant que Sages de l'Égypte ; sages auxquels, remarquez-le, il accordait une majuscule.

 

     Pour Jaspers, tout était dit ! Nul besoin de ratiociner davantage ! Et d'aborder les seuls  "vrais" philosophes grecs qui, aux yeux de tous, furent les premiers à réfléchir sur l'humaine condition ; les premiers à donner naissance à l'art de penser le cosmos ; les premiers à inventer la toute puissante Raison !

     Et avant eux, ce ne furent, à en croire ceux qui ressassent toujours cette même obsolète antienne, qu'énoncés de petits principes de sagesses locales aux fins de tenter d'harmoniser au mieux les rapports sociaux entre Égyptiens. Ou entre Mésopotamiens. Ou entre Achéménides ...   

 

    Le "Que sais-je ? " de Jean-Paul Dumont intitulé La philosophie antique, - admettez avec moi, amis visiteurs, qu’il s’agit bien là d’une incontournable collection de poche qui accompagna les études de générations et de générations d'Étudiants -, ce mince volume donc donne à lire, en première phrase de l’introduction : "Pour nous, méditerranéens de culture, la philosophie antique se confond avec la philosophie grecque."

 

     Tout est dit : la Méditerranée n’a qu’une seule rive !

 

    François Châtelet, l’immense François Châtelet, quand, en 1972-73, publie son incontournable Histoire de la philosophie en huit volumes, s’il s’entoure d’une petite quarantaine de collaborateurs, tous savants de renom, ignore complètement le monde de la littérature, partant de la pensée égyptienne.

  

     Et il était déjà imprégné de ce même principe, - que tout débute en Grèce -, quand il s’ingéniait dix ans plus tôt à nous expliquer la naissance de l’Histoire : pas un mot sur l'Égypte, donc rien sur les pourtant remarquables Annales de Thoutmosis III, indubitablement la plus vieille et la plus longue inscription historique du monde dont le Louvre, depuis 1826, expose dans une haute vitrine de la deuxième partie de la salle 12 de son Département des Antiquités égyptiennes, des blocs de grès, fragments des lignes 29 à 35, provenant du mur du temple d'Amon-Rê, à Karnak.

         

DE LA NAVIGATION ÉGYPTIENNE  - CONSIDÉRATIONS LIMINALES :  2. PERSONNELLES QUÉRIMONIES ...

 

    

     Deleuze, le philosophe Gilles Deleuze, dans l'introduction de son Qu’est-ce que la philosophie ? , ouvrage conjointement publié avec Félix Guattari, admet que les autres civilisations avaient des sages, pour tout aussitôt ajouter que les Grecs les ont remplacés par des philosophes. Et quand, dans le chapitre intitulé Géophilosophie, il me paraissait évident qu’il prendrait soin d'effectuer le tour complet de la Méditerranée, il ne discourt en fait que sur les seules contrées grecques.

    

     Assurément, après Heidegger qui a péremptoirement décrété que la philosophie parle grec, plus aucun théoricien n’ose s’aventurer sur les rives du Nil.

  
     Toutefois, à ces miennes récriminations, à ces quérimonies personnelles, vous aurez beau jeu de rétorquer, amis visiteurs, que dans le premier des trois volumes de l’histoire de la philosophie que publia Brice Parain voici un demi-siècle chez Gallimard dans la prestigieuse collection "La Pléiade", 23 pages, sur quelque 4000 !, proposent un texte de feu l'égyptologue français de renommée internationale Jean Yoyotte, qui remet un tant soit peu les pendules de l'histoire universelle à l'heure égyptienne ...

 

     N'y aurait-il donc que des égyptologues pour oser se risquer sur ce terrain ? Pourquoi les savants philologues sont-ils si myopes quand il s'agit de lorgner au-delà des limites de leur pré carré ? 

 

    

     En 2006 parut sous la plume du philosophe français Michel Onfray le premier opus, Les sagesses antiques, de ce qui devint, en 9 tomes, au fil des ans, sa Contre-histoire de la philosophie

 

     Et là, enfin, j'exultai ! Serait manifestement rendu à l'Égypte ce qui appartient à l'Égypte car le préambule général qu'il consacrait à l'historiographie de la philosophie augurait, me sembla-t-il, une judicieuse et salutaire remise en question (pp. 15-6) :

 

     Pourquoi ces instruments idéologiques que sont toujours les manuels, les anthologies, les histoires, les encyclopédies qui, certes, rapportent les mêmes propos, font-ils silence sur les mêmes informations ? Ce qui manque une fois dans une publication manque toujours dans les suivantes d'un genre analogue où règne par ailleurs le psittacisme.

 

 

     Malheureusement : totale déconvenue quelque 10 pages plus loin quand, avec notamment Leucippe de Milet, philosophe hédoniste grec, il entame son travail de déstabilisation des "vainqueurs", - entendez Socrate, Platon, Aristote -, pour ouvrir large le rideau sur les "vaincus" des études universitaires traditionnelles.

     Mais il n'exhume que des Grecs, encore et toujours !

 

     Ce nonobstant, en un paragraphe, il concède (p. 42) :

 

     Une histoire des idées sumériennes, babyloniennes, égyptiennes, africaines donc, montrerait à l'envi que les Grecs n'inventent pas (...) la croyance à une vie après la mort, la transmigration des âmes (...). Tout cela ne germe pas dans le cerveau d'un Pythagore planant dans l'éther des idées pures où il suffirait de se servir. Derrière ces figures de la sagesse grecque primitive s'entend l'écho de voix anciennes, plus anciennes encore, voix de peuples peut-être sans écriture, sans archives ou sans traces

 

     Et Michel Onfray par cette mise au point exécutée en quelques lignes, de s'exonérer de creuser plus avant dans le terreau sableux des "belles lettres" de l'Égypte antique !

 

 

     Ne souhaitant pas plus avant poursuivre mes souvenirs de lectures au motif d'asseoir ma récrimination, - car vous avez évidemment compris ce que j'entendais ce matin une fois encore stigmatiser, amis visiteurs -, il est grand temps à présent que je cesse de jaboter et que je précise mon projet : avec vous, dès mardi 13 mars prochain, il m'agréerait de quelque peu rendre ses lettres de noblesse à la littérature égyptienne, de porter un éclairage circonstancié sur quelques grands textes égyptiens, le plus souvent connus des seuls égyptologues, - et égyptophiles -, dans lesquels, peu ou prou, la navigation, - car là demeure, ne l'oublions pas, la thématique motivant nos déambulations communes en salle 3 -, qui, sans toutefois constituer la finalité morale ou philosophique de l'oeuvre, ni sans caractériser le nœud même de l'action qui s'y déploie, occupe néanmoins une place non négligeable au sein de la littérature égyptienne dite "romanesque".

 

     M'y accompagnerez-vous ?

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

CHÂTELET François, La naissance de l'histoire, Tome 1, Paris, Éditions de Minuit, 1962. 

 

ID., La philosophie païenne, dans Histoire de la philosophie, Tome 1, Paris, Librairie Hachette, 1972.

 

 

DELEUZE  Gilles/GUATTARI  Félix, Qu'est-ce que la philosophie ?, Paris, Éditions de Minuit, 1975.

 

 

DUMONT  Jean-Paul, La philosophie antiqueParis, Collection "Que sais-je ?", P.U.F.,  1995. 

 

 

JASPERS  Karl, Les grands philosophes, Tome 1, Paris, Plon, 10/18, 1966.

 

 

YOYOTTE Jean, La pensée préphilosophique en Égypte, dans PARAIN Brice (s/d) , Histoire de la philosophie, I, volume 1, Paris, Gallimard, 1969. 

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27 février 2018 2 27 /02 /février /2018 01:00

 

 

"Avec la brise en poupe et par un ciel serein,

Voyant le Phare fuir à travers la mâture,

Il est parti d'Égypte au lever de l'Arcture,

Fier de sa nef rapide aux flancs doublés d'airain."

 

 

 

 

 

 

José-Maria de HEREDIA

Le Naufragé

 

dans Les Trophées, & poésies complètes

Paris, Points P. 4240, 2016, p. 53

 

 

 

 

DE LA NAVIGATION ÉGYPTIENNE  - CONSIDÉRATIONS LIMINALES :  1. QUELQUES SOURCES ICONOGRAPHIQUES

 


     Depuis le Vème millénaire avant notre ère, quand d'une économie de prédation l'homme commença d'adopter un système de production, - époques que les historiens ont pris l'habitude de désigner des termes "paléolithique" et "néolithique", ( παλαιός  - "palaios" = ancien, en grec, et  λίθος - "lithos" = pierre : comprenez ancienne pierre, en réalité ancienne façon de la travailler, soit, pour faire simple : "pierre taillée" ; et  νέος  - "neos", nouveau, comprenez nouvelle façon de travailler ce matériau, soit "pierre polie"), différenciation qui intervint près de deux mille ans avant l’unification politique de la Basse et de la Haute-Égypte, approximativement vers 3300 donc, date également de l'émergence de la royauté, concomitamment à l'apparition des premiers signes d'écriture, puisque, comme l'expliquait dernièrement un exergue de Pascal Vernus, il s'agissait alors d' " actualiser la fonction monarchique par l'encodage graphique du nom du roi régnant à l'aide d'un véritable système d'écriture -, le Nil, véritable épine dorsale du pays, descendant depuis sa source, au niveau du lac Victoria, sur des milliers de kilomètres, incisant ainsi une vallée entre les collines des déserts libyque, à l'ouest, et arabique, à l'est, constitua l’artère quasiment unique, partant primordiale, de circulation, de communication entre les hommes. De sorte que tous leurs déplacements, tous les transports de matériaux aussi, s'effectuèrent en naviguant et que les embarcations comptèrent assurément parmi les premières inventions mises en chantier par tous ceux qui, les uns après les autres, vinrent s’établir le long de ce fleuve nourricier dont tous attendaient tant.

 

     Il est par ailleurs tout à fait symptomatique de constater qu'en écriture hiéroglyphique, la représentation de l'action de "voyager" se terminait par le classificateur sémantique d'un bateau. Mais ce n’était pas là sa seule particularité : dans la vallée du Nil, les vents soufflant apparemment toujours du nord vers le sud, ce bateau était dessiné portant une voile gonflée par le vent 


quand le verbe signifiait "remonter le fleuve", c’est-à-dire aller vers le sud du pays, tandis que s’il indiquait que le voyage s’effectuait vers le nord, vers le Delta, donc que l'on descendait le fleuve, alors le déterminatif du bateau était représenté sans la voile. 

 

 

 

     Détail graphique, me direz-vous. Oui, certes, sauf qu’en y étant attentif, on peut tout de suite dans un texte écrit, peint ou gravé connaître le sens de la navigation, donc comprendre la direction prise par le voyage auquel il est fait allusion. Et cela, sans avoir besoin de longues périphrases désormais inutiles, la présence ou non de la simple voile valant tous les discours !

 

     Les bateaux occupèrent donc très vite une place extrêmement importante dans le quotidien de tout Égyptien. À un point tel que les égyptologues ont relevé pour le seul IVème millénaire avant notre ère, au moins une quinzaine de types différents sur les centaines de gravures rupestres à l’air libre découvertes tout aussi bien en Nubie que dans le désert oriental, en direction de la mer Rouge.

     (C’est la présence d’animaux tels qu’éléphants et girafes figurés dans les parages d'embarcations, - animaux totalement disparus du pays à l’époque pharaonique proprement dite -, qui leur permit d'avancer une datation remontant aussi haut dans le passé.)

 

     L'étude de ces figurations pariétales offrirent aux savants l'opportunité de distinguer deux grands groupes d'embarcations : dans un premier  temps, à l'époque pré-dynastique, des barques confectionnées en tiges de papyrus qui, essentiellement au niveau du Delta, étaient destinées à la chasse et à la pêche dans les marais ; puis, dans un second temps, des bateaux tout à fait ordinaires réalisés en bois locaux, comme l'acacia, des bateaux de charge et des barques à voile avançant soit à la rame, soit à la voile rectangulaire, puisque la triangulaire n'apparaîtra bien plus tard qu'avec les Romains. 

 

     L'Égypte se révélant extrêmement pauvre en bois longs si attendus dans la construction navale, dès le tout début de l’Ancien Empire, il fallut faire appel aux voisins syro-libanais pour importer du bois de cèdre. Vous comprendrez aisément  que ces premiers bateaux d’importance furent l’apanage de Pharaon, le seul à disposer des moyens matériels pour financer ce genre de réalisation.

 

     Si d’aventure vous vous êtes déjà rendus sur le plateau de Gizeh, vous avez probablement pu admirer  un des ces bateaux qui furent réalisés pour Chéops et que l'égyptologue égyptien Kamal el-Mallakh a exhumé au printemps 1954, complètement démonté, d'une fosse creusée au pied de la pyramide royale : il mesurait 83 coudées, soit 43,45 mètres de long, - ce qui ne représente nullement le plus long de ceux actuellement exhumés -, et, prouesse technologique d'importance pour l'époque, comprenait 1224 pièces systématiquement disposées par ordre de grandeur, des chevilles de bois mesurant seulement quelques centimètres aux deux immenses poutres de 33 mètres, parties centrales du vibord, de chaque côté de l'embarcation ; puzzle, je le signale au passage, qu'il fallut à nouveau assembler quelques millénaires plus tard pour reconstituer et exposer l'ensemble dans le nouveau musée qui lui a été dévolu tout à côté.  
     Quant à vous, ceux de mes visiteurs qui, comme moi, n'avez jamais foulé la terre des Pharaons, peut-être aurez-vous un jour croisé la reproduction de cette barque funéraire

 

 

 

DE LA NAVIGATION ÉGYPTIENNE  - CONSIDÉRATIONS LIMINALES :  1. QUELQUES SOURCES ICONOGRAPHIQUES

 


dans un parc au sein même de la vieille ville haute de Boulogne-sur-Mer, en Côte d'Opale, tenant compagnie à l'enfant du pays, l'égyptologue Auguste Mariette. 

 

     À partir de la Vème dynastie, nous l’avons vu avec la statue de Nakh-Hor-Heb, nobles et hauts-fonctionnaires bien en cour commencèrent à s'arroger certains privilèges funéraires préalablement dévolus aux souverains et, dans cette optique, se firent construire des embarcations également en cèdre semblables aux bateaux royaux, la taille exceptée s'entend. 

 

     Beaucoup d’entre eux, d’ailleurs, et pour notre plus grand bonheur, firent figurer nombre de scènes de navigation dans les chapelles funéraires de leur mastaba, que ce soit pour représenter la construction des barques de papyrus ou des joutes de mariniers revenant d’une journée de travail d'arrachage de ces cypéracées dans les marais. 

 

     Que cette prépondérance du fleuve en tant qu'artère primordiale de déplacements entraînât très tôt la nécessité de chantiers navals à grande échelle n'étonnera, je présume, aucun d'entre vous. Que la construction navale tînt un rôle privilégié au sein même des prérogatives royales, ne vous étonnera guère plus, probablement.

 

     C'est, parmi d'autres sources iconographiques non négligeables, ce que déjà nous révèle un sceau retrouvé en Abydos, dans la tombe de Khasékhemouy, dernier souverain de la IIème dynastie, dont l'empreinte vous étonnera probablement dans la mesure où c'est une femme, l'épouse royale Nymaâthep Ière , par ailleurs mère de Djoser, qui porte le titre de "chancelière du chantier naval" !!  Preuve s'il en est que non seulement la royauté de ces temps très anciens s'arrogeait le privilège d'avoir droit de regard et de décision sur la gestion de ce type d'entreprise mais également que les chantiers navals étaient ainsi élevés au rang d'emblème du pouvoir. Et, de surcroît entre les mains d'un responsable féminin !

 

     Les annales de la "Pierre de Palerme" enregistrent que, quelque deux cents ans plus tard, Snéfrou, père de ce Chéops dont vous avez tout à l'heure admiré la reconstitution d'une de ses prestigieuses barques funéraires, disposait quant à lui de quatre embarcations personnelles dont deux de 100 coudées de long, soit 52,35 mètres, nommées " L'Adoré du Double-Pays", en bois de cèdre pour l'une et de pin pour l'autre.

 

     Avant d'apposer le point final à cette première partie de mon introduction à la thématique de la navigation que, bientôt, nous développerons plus en détails grâce à certaines pièces de la vitrine 2 de cette salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre parisien, il me siérait maintenant d'évoquer un ultime document iconographique participant de l'étude de l'idéologie royale qui servit de fil conducteur à mes propos d'aujourd'hui : il s'agit d'une scène intitulée "chantier naval avec flotte de navire", datant de la VIème et dernière dynastie de l'Ancien Empire, visible sur la paroi ouest de la chambre funéraire du mastaba de Kaïemânkh, à Gizeh.(G 4561).

 

     Ce n'est pas tant le détail de la succession des tâches inhérentes aux quatre charpentiers qui monopolisera notre attention que la liste hyperboliquement quantitative des embarcations et des objets présentés : en effet, cinq types de bâtiments sont répertoriés pour lesquels  est indiquée la quantité "souhaitée" par le défunt aux fins d'assurer son bon plaisir post mortem :

 

- mille navires "sektou" ;       

- deux mille navires "bès" ;

- deux mille barques à fond plat ;

- deux millions de navires à huit couples ;

- deux millions trente mille navires à dix couples.

 

En dessous, six instruments de navigation sont également quantifiés :

 

- un million trente et un mille rames "ouserou" ;

- six mille deux cents rames-gouvernails "hemou" ;

- un million trente mille quatre cents gaffes ;

- deux mille maillets ;

- deux millions d'écopes ;

- un million quatre cent mille cordes de halage.  

  

 

     Concevez, amis visiteurs, que déjà dès l'Ancien Empire, la construction navale connut un développement hors du commun, portant haut les capacités technologiques et l'efficacité de la gestion d'un pouvoir étatique alors au sommet de sa gloire.

 

     Il est néanmoins évident qu'avec ce dernier exemple à la symbolique franchement affichée, aux éléments volontairement surnuméraires,  nous atteignons dans l'esprit du haut fonctionnaire royal à qui appartint cette tombe l'incontestable volonté de prouver combien était emblématique d'un pouvoir monarchique puissant, tout ce qu'un semblable chantier naval était à même de produire ; mais aussi, lisons entre les lignes, combien grandement étaient appréciés ses services au point que son souverain lui accordât semblable munificence dans l'Au-delà ... 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

BASCH  Lucien, La construction navale égyptienne, dans Égypte, Afrique & Orient n° 1, Avignon, Centre Vauclusien d'Égyptologie. 1997, pp. 2-7.

 

 

DEGAS  Jacques, Naviguer sur le Nil, dans Égypte, Afrique & Orient n° 1, Avignon, Centre Vauclusien d'Égyptologie. 1997, pp. 8-12.

 

 

JENKINS  Nancy, La barque royale de Chéops, Paris, Editions France-Empire, 1983, p. 67.

 

 

MATHIEU  BernardTechnique, culture et idéologie. Deux exemples égyptiens : les navires de Kaïemânkh et la toise du foulon, dans "L'apport de l'Égypte à l'histoire des techniques, Le Caire, IFAO, BdE 142, 2006, pp. 155-9. 

 

 

VANDIER  Jacques, Manuel d'archéologie égyptienne, Tome V, Bas-reliefs et peintures - Scènes de la vie quotidienne ** , Paris, Picard, 1969, pp. 493 et 659.

 

 

VERNUS  Pascal,  La naissance de l'écriture en Égypte ancienne, dans Revue électronique Archéo-Nil n°3, 1993, p. 87.  

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20 février 2018 2 20 /02 /février /2018 01:00

 

 

     "J'ai visité, l'est, la Libye et toute sa côte qui voit le désert tomber dans la mer et l'Égypte qu'aucun mot ne saurait décrire. Je n'ai offert à la Grande Égypte que mes "compétences" en anthropologie physique ..., j'ai en effet organisé, à Grenoble, dans le cadre d'un très important congrès d'égyptologie, un colloque (dit table ronde) sur l'anatomie de ces gens de génie, les mettant tristement à nu pour ne parler que de leurs dépouilles, ce qui est, je dois dire, bien réducteur, au cœur d'un pareil festival d'art, de sciences, de lettres et de culture. J'ai publié, en collaboration avec un collègue tchèque, Eugen Strouhal, les travaux de ce colloque."

 

 

Yves  COPPENS

Origines de l'homme, origines d'un homme - Mémoires

 

Paris, Odile Jacob, 2018

p. 233

 

 

 

 

     Grâce à l'exergue de ce mardi de rentrée après la semaine de congé consentie par la Belgique à son enseignement non-universitaire, vous comprendrez aisément, amis visiteurs, que j'introduise mon propos du jour en épinglant, parmi d'autres, simplement intéressantes, une lecture jouissivement passionnante qui constitua, pour moi, le plus volumineux sachet débordant de confetti ... archéologiques et paléontologiques de ces jours de vacances dits "de Carnaval".

 

     Si d'aventure, ainsi que je vous le conseille vivement, vous vous plongiez dans les mémoires de ce grand savant né en 1934, vous constateriez qu'il s'attarde notamment sur l'Afrique et, de toute évidence, sur l'Éthiopie, si proche de la Nubie et de l'Égypte antiques, sans trop pointer vers ces deux dernières, sauf dans le petit extrait ci-dessus où il définit les Égyptiens de "gens de génie" ...

 

     Dans cette expression si simple et si vraie, vous décèlerez une des raisons pour lesquelles il m'a plu de vous confier ma récente lecture et d'en extraire ce menu paragraphe au sein des quelque 450 pages que compte l'ouvrage. Une autre considération a également motivé mon choix : permettre à ceux d'entre vous que cela intéresserait d'accéder à l'intégralité des interventions du colloque égyptologique de septembre 1979 mentionné par Yves Coppens, grâce cette proposition de lien sur lequel il vous suffira de cliquer pour découvrir, dans un premier temps, ne fût-ce que les titres des contributions des divers participants internationaux et, dans un second, le texte lui-même de chacune d'entre elles. 

     Enfin, une dernière raison justifie à mon sens ma présente, - et peut-être un peu longue ? -, introduction presque en guise d'hommage : ce qu'explique le paléoanthropologue français dans le deuxième des trois "livres", en réalité des trois grandes parties de ses "Mémoires", section qu'il aurait pu, précise-t-il, intituler "L'Afrique", ce qu'il y explique donc, me permet de subsumer l'homme égyptien en particulier sous l'espèce des homininés en général, originaires de cette corne de l'Afrique, - de la "hanche de l'Afrique", préfère-t-il écrire -, de ce berceau de l'humanité sur lequel, sa vie durant, il n'a cessé de se pencher pour mettre au jour les raisons de l'émergence de l'Homme, étroitement liées qu'elles sont à la nécessité, pour son ancêtre préhumain de s'adapter aux conditions créées par une crise climatique, (un assèchement). (op. cit., p. 201)

 

 

     En cette troisième salle du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre parisien où je vous ai ce matin donné rendez-vous, amis visiteurs, la subsomption sur laquelle j'ai à l'instant attiré votre attention, me semble être judicieusement corroborée par la présence de grands panneaux didactiques habillant l'embrasure de chacune des trois fenêtres donnant sur la Cour Carrée, sur notre gauche donc, à nous qui sommes arrivés de la salle précédente pour y admirer d'entrée le socle de Nectanebo II. 

 

 

Salle 3 - Vue d'ensemble - (©  Claude Field)

Salle 3 - Vue d'ensemble - (© Claude Field)

 

     Dans mon article inaugural du 9 janvier dernier, je soulignais, souvenez-vous, qu'à cette salle avait été attribuée l'appellation générique Le Nil " , mettant ainsi l'accent sur le fait que les artefacts y exposés plébiscitaient trois thématiques primordiales pour signifier l'Égypte ancienne dont ce fleuve constitue une indéniable colonne vertébrale ou, pour employer un terme emprunté au vocabulaire du Professeur Coppens, un incontestable rachis : le pouvoir politique, illustré dans la première vitrine à propos de laquelle vous devez maintenant être "incollables" ; le cadre physique et naturel, que nous découvrirons dans les semaines et mois à venir grâce au grand meuble vitré central et à l'admirable bas-relief sur le mur de droite, avant de terminer, probablement à la fin de l'année 2018, par l'évocation de la troisième et dernière d'entre elles, l'aspect religieux.

 

     Concevez dès lors qu'il n'est pas anodin, pour mieux éclairer votre parcours, que les Conservateurs en charge de cette salle aient jugé pédagogiquement indispensable d'introduire ces trois différents axes de réflexion en vous permettant de mieux visualiser ce pays antique à partir d'une cartographie que je vous propose d'à présent découvrir grâce à de nouvelles et récentes prises de vue qu'ont aimablement accepté de réaliser pour moi une lectrice des premiers temps de mon blog, rencontrée au Louvre où elle travaille et que, selon son souhait, je nommerai par les trois premières lettres de son nom : SAS, ainsi qu'un lecteur plus récent qui suit mes publications sur une de ses pages Facebook où il m'a désormais invité à les publier : Claude Field. 

     Tous deux, soyez chaleureusement remerciés.      

 

 

     La première grande carte dégrossit l'environnement géopolitique du pays 

 

CONSIDÉRATIONS CARTOGRAPHIÉES

en faisant état des différents peuples, éventuels ennemis, vivant en Égypte et dans les régions limitrophes, des Perses à l'est aux Libyens à l'ouest, des Kouchites au sud aux Hittites au nord.

 

     En bas à droite, dans la "Hanche de l'Afrique", l'Éthiopie, si chère à Yves Coppens.

 

     À l'extrême gauche se succèdent verticalement six "visions" de l'Égypte choisies à différents moments de son évolution politique  :

 

* à la VIème dynastie, soit aux environs de 2350 à 2200 avant notre ère ;

 

* au Moyen Empire, sous Sésostris III, soit aux environs de 1862-1843 avant notre ère ;

 

* à la fin de la deuxième période intermédiaire, vers 1650-1540 avant notre ère ;

 

* au Nouvel Empire, au moment de l'expansion de Thoutmosis III, vers 1479-1425 avant notre ère ; 

 

 

 

©  Claude Field

© Claude Field

 

* sous l'empire perse de Darius Ier, vers 524-405 avant notre ère 

 

* et enfin à l'époque ptolémaïque, sous Ptolémée III et IV, vers 246-205 avant notre ère.

 

 

 

     La deuxième carte met quant à elle à l'honneur la géographie physique du pays 

 

CONSIDÉRATIONS CARTOGRAPHIÉES

 

en indiquant par rapport aux sites les plus importants les matériaux susceptibles d'intervenir dans la production artistique, comme par exemple, ci-après, cet éclairage porté sur une région de Haute-Égypte, entre Elkab et Assouan ; ce qui vous permettra, quand vous lirez le cartel de l'un ou l'autre objet d'une des vitrines qui nous entourent, de localiser avec une précision certaine l'endroit d'où provint le matériau dans lequel l'artiste a façonné son oeuvre ... 

     

 

©  Claude Field

© Claude Field

 

 

     Le troisième et dernier panneau cartographique atteste plus spécifiquement des centres religieux du pays 

 

CONSIDÉRATIONS CARTOGRAPHIÉES

 

en adoptant le noir pour indiquer le nom des principaux sites cultuels, le rouge, pour la figuration des dieux et le jaune, celle des déesses.

     En outre, comme dans le nouveau gros plan ci-après de la région de Haute-Égypte entre Akhmim et Philae, vous visualiserez également la représentation symbolique typique de chacune de ces divinités du très riche panthéon égyptien.

©  Claude Field

© Claude Field

 

     Aux antipodes d'un livre-guide jugé souvent encombrant, voire pénible à manipuler quand ce n'est pas fastidieux à "décrypter", plus immédiatement visuels, ces grands panneaux cartographiés qu'amignonne le halo naturel s'immisçant par les hautes fenêtres de la Cour carrée devraient vous permettre, amis visiteurs, pour autant bien évidemment que vous souhaitiez y déambuler en ma compagnie, de géographiquement situer les "trésors" que nous avons commencé à découvrir en cette salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris. 

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 01:00

 

 

     " Assurément, il y a une indiscutable analogie entre actualiser un événement par l'encodage graphique du nom de l'entité géographique qu'il met en jeu, à l'aide d'un véritable système d'écriture dans le cadre d'une enceinte crénelée, et actualiser la fonction monarchique par l'encodage graphique du nom du roi régnant à l'aide d'un véritable système d'écriture dans le cadre purement pictographique du serekh

   D'une manière plus générale, elle s'accorde avec la sémiotique égyptienne : l'image a pour fonction première d'exprimer les modèles archétypes auxquels l'idéologie tente systématiquement, et parfois pathétiquement, de ramener le flux de l'histoire ; l'individualité intrinsèque que comporte le nom de tel ou tel roi, par lequel ces modèles sont actualisés, ou de telle entité ethnique ou géographique aux bénéfices  ou aux dépens de laquelle ils le sont, relève de l'écriture, parce que, par sa capacité d'encoder du langage, elle implique la référence à un énonciateur, donc au repérage par rapport à un "hic et nunc ".

 

 

 

Pascal  VERNUS

La naissance de l'écriture en Égypte ancienne

 

dans Revue électronique Archéo-Nil n°3, 1993,

pp. 87 et 89

 

 

    Lors de ce quatrième et dernier des rendez-vous que, depuis le 16 janvier nous consacrons vous et moi, amis visiteurs, au socle d'albâtre ayant appartenu à Nectanebo II exposé dans la première vitrine de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris, je vous propose de nous attarder sur ses deux longues faces dans la mesure où, vous l'allez constater, elles exploitent en la précisant presque au cas par cas la finalité iconographique des deux autres côtés précédemment étudiés, à savoir : la sujétion des peuples ennemis de l'Égypte ... qui, je le souligne d'emblée, ne furent pas toujours les mêmes durant les quatre millénaires que vécut cette civilisation.

 

     Pour une première approche, j'ai arbitrairement choisi le côté de gauche par rapport à la face entaillée qui est apparue devant vous quand nous avons pour la première fois pénétré dans cette salle : vous remarquerez la présence de quatre hommes entravés et tournés vers celui qui, sur la face crantée, se tenait agenouillé à la gauche des deux cartouches royaux ;   

 

 

BLOC  E 11220 - 4. LE CONCEPT D'ÉTRANGERS EN ÉGYPTE ANCIENNE

 

quatre ethnies en réalité figurées par des hommes encordés dont le bas du corps est matérialisé par la représentation d'une forteresse, d'une enceinte crénelée contenant les noms des peuples soumis peu ou prou au souverain ou, plus exactement, le toponyme des entités ethniques ou géographiques, pour reprendre à mon compte la formulation de Professeur Vernus au sein de l'exergue que je vous ai proposé ce matin, - dans lequel, d'ailleurs, évoquant le "serekh", encadrement rectangulaire que vous avez aperçu le 23 janvier dernier autour du premier des cinq noms de la titulature royale, le nom d'Horus, P. Vernus aurait tout aussi bien pu citer le cartouche, dessin ovale d'une corde, signifiant, souvenez-vous, que "tout ce que le soleil encercle" appartenait  au Roi ; cartouche qui entourait les deux derniers noms de ce protocole royal, tel que vous l'avez à nouveau aperçu ci-dessus. 

 

© Claude Field

© Claude Field

 

 

     De droite à gauche, emmenant les trois régions étrangères, le peuple de la terre du nord, comprenez : de la Basse-Égypte, précédant celui des îles de la mer Égée, celui des nomades vivant dans le Sinaï : les "Mentyou" et enfin celui des Asiatiques.

 

     De l'autre côté,  une scène identique dans sa conception, se lisant évidemment de gauche à droite mais dénombre cette fois cinq personnages :  

 

©  Claude Field

© Claude Field

 

 

le premier, figurant les habitants de la terre du sud, soit de la Haute-Égypte, emmène les quatre autres ligotés : celui personnifiant les nomades des déserts du sud-est africain : les "Iountyou", celui évoquant les habitants de la Nubie, celui représentant les Libyens sédentaires : les "Tjéhénou" et enfin celui incarnant les Libyens nomades : les "Tjéméhou".

 

     Je l'ai déjà souligné mais je tiens à le répéter : cette représentation de peuples soumis au roi d'Égypte, cette iconographie martelant l'idée politico-religieuse qu'il est le maître incontesté des tous les pays étrangers, le garant de l'équilibre du monde, ne constitue nullement une invention personnelle de Nectanebo II mais bien un poncif, un topos, parmi d'autres topoï d'ailleurs, né avec l'idéologie mise en place de manière presque rituelle par les premiers rois du pays quelques millénaires auparavant, et ce, à des fins prophylactiques : souhaiter se protéger, eux et le pays qu'ils dirigeaient, d'éventuelles menaces qui les feraient s'effondrer tous deux.

     De sorte que, dans le même esprit,  les scènes de souverains maîtrisant fermement un groupe d'hommes par les cheveux, les maintenant prisonniers, voire les massacrant, annihilant donc symboliquement leur offensivité, leurs velléités destructrices, leur éventuelle envie de préférer le désordre à l'ordre, de plébisciter Isefet plutôt que la Maât, se retrouve chez certains monarques qui, jamais, n'éprouvèrent la moindre once de bellicisme ... ou, à tout le moins, jamais ne le concrétisèrent par une expédition guerrière ou punitive.

 

     Le récurrence de cette thématique explique d'ailleurs que, suivant les époques et les rois, la liste des régions ennemies, la liste des "Neuf Arcs", connut de sensibles différences quant aux peuples stigmatisés.

     Toutefois, géographiquement parlant, - et c'est la logique même ! -, toujours ils seront issus des trois régions environnantes : l'Asie, au nord et à l'est, la Nubie, au sud et la Libye, à l'ouest. Ainsi étaient-ils globalement dénommés à l'Ancien Empire avant qu'à partir du Nouvel Empire seulement, des documents plus précis fassent état de populations bien distinctes, en fonction d'événements, militaires le plus souvent, ressortissant à l'actualité de l'époque.   

 

     Je tiens aussi à insister sur le fait que ce peu d'aménité vis-à-vis des étrangers, qui parfois transpire chez Hérodote ou l'un quelconque auteur antique, n'hésitant nullement à évoquer sans vergogne des relents de xénophobie, - probablement, est-ce de "bonne guerre", m'objecterez-vous -, ne reflète en réalité au cours des siècles que la seule perception idéologique des monarques car, et dès le temps de l'unification des Deux Terres, Basse et Haute-Égypte donc, le peuple des premières dynasties, dans sa grande majorité, ne manifesta pas vraiment d'animosité perceptible à l'égard de l'étranger, qu'il soit comme lui installé sur les rives du Nil ou qu'il soit rencontré lors de tractations commerciales.

     Et ne fût-ce que pour appuyer mon propos, j'avancerai même qu'à l'Ancien Empire, notamment, des Nubiens furent recrutés car grandement appréciés au sein de l'armée égyptienne alors que d'autres de la même ethnie, jugés plus placides, officièrent à Dachour parmi le personnel mandé pour l'entretien de la ville de pyramides de Snéfrou ... 

 

     Certes, il subsisterait bien des points à développer concernant les relations des Égyptiens de l'Antiquité avec les peuples limitrophes car, vous vous en doutez, en trois mille ans de civilisation, bien des événements historiques ont animé le fléau de la balance, faisant se pencher les plateaux dans un sens ou dans un autre. Et mon propos de ce matin ne visait pas à brosser un tableau des mentalités tout au long de la trentaine de dynasties que l'Égypte a connues : d'autres l'ont fait avec brio bien avant moi, notamment Madame Dominique Valbelle dans l'excellent ouvrage référencé dans ma bibliographie infrapaginale ... qu'à ceux intéressés par ce sujet, je conseille vivement de lire.

 

     En revanche, il m'agréerait de terminer les quatre conversations que nous avons engagées devant ce socle E 11220 manifestement prévu pour recevoir une statue de Nectanebo II en tentant aujourd'hui d'expliquer mon sentiment sur un point que j'avais en son temps volontairement laissé en suspens.

     Souvenez-vous : les égyptologues que j'avais convoqués à la barre s'opposaient sur le fait de considérer la petite face entaillée du monolithe en tant que face antérieure ou face postérieure.                       

 

 

© Louvre - Christian Décamps

© Louvre - Christian Décamps

 

 

     En d'autres termes, si la statue était encore présente sur sa base, la verriez-vous de face ou de dos ?

 

     Puisque ce petit côté du socle décline l'identité du souverain inscrite dans deux cartouches, la logique voudrait que la figure royale se fût présentée face à nous.

     MAIS comme ce monument est empreint d'une finalité particulière, à savoir : magiquement protéger Nectanebo II de toute intervention étrangère susceptible de nuire à sa personne, ainsi qu'à la bonne marche de son pays, ce qu'incontestablement démontre le programme iconographique gravé sur absolument tout son pourtour, ce qu'affirment aussi ceux des textes hiéroglyphiques incisés qui insistent, rappelez-vous, sur la notion que "tous les pays désertiques" et que "toutes les terres sont SOUS LES PIEDS de ce dieu parfait", ne croyez-vous pas que la face qui précisément donne à voir les "Neuf Arcs", c'est-à-dire le symbole des fameuses régions étrangères, devrait être celle au-dessus de laquelle poseraient, physiquement, les pieds de la statue du maître de l'Égypte ?

 

     De sorte qu'alors la face entaillée de cette assise parallélépipédique dont vous n'ignorez pratiquement plus rien maintenant constituerait l'arrière du monument, ainsi que le suggèrent les égyptologues français Christophe Barbotin et Didier Devauchelle et cela, contrairement à leur consœur,  française également, Madame Ruth Schumann-Antelme qui, pour sa part, la considère donc comme étant la face avant.

 

     Et vous, amis visiteurs, qu'en pensez-vous ?

 

     Pour éventuellement en débattre, je vous invite à nous retrouver ici même, le mardi 20 février prochain, après le Congé de Carnaval que vous offrent ÉgyptoMusée et l'Enseignement belge.   

 

     Bonnes vacances ... et excellente réflexion à toutes et à tous.

 

     Richard

 

 

 

 

     Immenses et sincères remerciements à Claude Field, un ami virtuel parisien, qui m'a offert quelques heures de son temps pour se rendre au Musée du Louvre et y réaliser un nombre imposant de photographies aux fins d'illustrer mes articles à venir consacrés à l'intégralité des vitrines de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes. 

                          

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

BARBOTIN Christophe/ DEVAUCHELLE Didier, La voix des hiéroglyphes, Paris, Editions Khéops, 2006, pp. 30-1.

 

 

 

SCHUMANN-ANTELME  Ruth, Coptos, XXXème dynastie, dans Catalogue de l'exposition " Un siècle de fouilles françaises en Égypte (1880-1980) ", Le Caire, I.F.A.O., 1981, pp. 275-7.

 

 

VALBELLE  DominiqueL'Égyptien et les étrangers, de la préhistoire à la conquête d'Alexandre, Paris, Librairie Armand Colin, 1990, pp. 43-8.

 

 

WINAND  JeanUne histoire personnelle des Pharaons, Paris, P.U.F., 2017, pp. 7-28.

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30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 01:00

 

 

 " Si l'Égypte a montré, avant même l'Ancien Empire, sa capacité à vivre en bonne intelligence avec des étrangers, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières, il n'en reste pas moins qu'elle a très tôt combattu pour son unité, pour défendre son territoire, mais aussi pour conquérir de nouveaux marchés et pour soumettre des hôtes peu accueillants. "

 

 

 

Dominique  VALBELLE

L'Égyptien et les étrangers,

de la préhistoire à la conquête d'Alexandre

 

Paris, Librairie Armand Colin, 1990, p. 65.

 

     Vous vous souvenez certainement, amis visiteurs que, le 16 janvier dernier, j'avais terminé mon premier article consacré au bloc E 11220 exposé ici devant vous dans la première vitrine de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre en attirant votre attention sur deux courtes colonnes de textes hiéroglyphiques disposées de part et d'autre de l'entaille centrale réalisée sur l'une des deux petites faces du monument, proclamant respectivement que "tous les pays désertiques sont sous les pieds de ce dieu parfait" et que "toutes les terres sont sous les pieds de ce dieu parfait".

     L'expression "dieu parfait ", avais-je précisé, constituait une des épithètes du roi régnant ... que, depuis la semaine dernière, vous savez désormais être l'ultime souverain indigène de la trentième dynastie égyptienne, Nectanebo II.

 

     Poursuivant notre analyse de ce socle, il m'agréerait que nous consacrions notre rendez-vous de ce matin à nous pencher sur les motifs scindés en deux registres superposés, toutefois non séparés par une ligne horizontale, que le lapicide a incisés, toujours selon la technique du relief dans le creux, sur le petit côté exactement à l'opposé de celui qui nous a occupé jusqu'ici. 

     

Bloc E 11220 - (Wikimedia - © Vania Teofilo)

Bloc E 11220 - (Wikimedia - © Vania Teofilo)

 


     Au registre supérieur, les dessins gravés, pas vraiment de la plus belle facture, convenez-en, proposent une lecture-rébus dont nous savons les Égyptiens antiques très friands, image spéculaire autour d'un axe central concrétisé par le hiéroglyphe du cœur surmonté de sa trachée, qui se lit "nefer" et signifie "beau, bon, parfait", flanqué, de part et d'autre, de l'idéogramme d'une espèce de drapeau représentant en fait l'emblème de la divinité, qui se lit " netjer " et qui donc signifie "dieu" ; le tout matérialisant le concept de "dieu parfait" qu'à l'instant j'évoquai.

     Cette épithète royale est ici encadrée par le signe semi-circulaire de la corbeille, ayant la valeur phonétique "neb" et se traduisant par "
tout
, tous", que surmontent deux vanneaux huppés levant des bras humains en guise d'adoration, ce que nous invite à parfaitement comprendre le pictogramme de l'étoile devant eux dans la mesure où il matérialise le verbe "adorer" : ces pluviers, ces "rekhyt", comme ils étaient alors nommés, symbolisent la masse populaire, tout le peuple ; la plèbe, diront plus tard les Romains.

 

     De sorte que cet ensemble graphique particulier vous incite à comprendre que tous les Égyptiens se devaient de faire allégeance à leur souverain, dieu parfait à leurs yeux ; obligation d'ailleurs parfaitement corroborée par maints objets archéologiques exhumés datant déjà des temps immémoriaux de la constitution de l'idéologie monarchique, soit depuis approximativement la fin du IVème millénaire avant notre ère.

 

     Faire allégeance au roi : uniquement le peuple égyptien ?, seriez-vous en droit de vous interroger. 

     C'est pour répondre à ce questionnement que j'attire maintenant votre regard, toujours sur le même côté de la base de statue de Nectanebo II, vers le second registre, immédiatement en dessous de celui que vous venez de découvrir : sur trois niveaux, un même arc a été incisé à trois reprises. Neuf arcs en tout.

 

      Rien n'étant jamais dû au hasard dans l'art égyptien antique, que peut donc signifier cette image répétée à neuf reprises ?  

 

 

     L'arc, nul n'en doutera, fait partie des symboles de cynégétique et de stratégie militaire les plus vieux de l'histoire de l'humanité : rien d'étonnant dès lors que les Égyptiens l'aient choisi en tant qu'emblème pour illustrer le concept d'ennemis. Probablement pensé à Héliopolis, ancienne ville "sainte" d'où naquit une cosmogonie en vue de rassembler les mythes les plus archaïques sous l'autorité d'une ennéade, entendez : neuf dieux considérés comme primordiaux permettant d'expliquer la constitution de l'univers, rien d'étonnant non plus que ce chiffre 9 ait été retenu pour mathématiser ceux, étrangers à l'Égypte, ennemis éventuels de la paix et de l'équilibre universels, qui étaient susceptibles de venir perturber l'ordre cosmique, de venir mettre à mal cet univers si bien conçu et dont le roi assurait la stabilité : ce seront les "Neuf Arcs" ... que vous dénombrez dans la partie inférieure du monolithe exposé devant vous.

 

     Par cette seule image d'un arc neuf fois repris, les Égyptiens suggéraient que le monarque, - quel qu'il fût au cours de l'histoire plurimillénaire du pays, mais ici, nommément identifié à Nectanebo II -, et que ses sujets, qui l'adulaient et le soutenaient, - ici, les vanneaux encerclant le "dieu parfait"-, entendait neutraliser ceux qui, étrangers, - ici, les neufs arcs -, auraient tenté de s'opposer à la bonne marche de la société. 

 

     Combattre, annihiler ceux pouvant être hostiles au pays : voilà le maître mot ! Pas moins mais pas plus que tous ses prédécesseurs depuis la création de la royauté égyptienne des centaines de siècles avant lui, Nectanebo II mit un point d'honneur à montrer sa volonté de protéger son pays et ses sujets contre menaces ou inimitiés d'aubains.

 

     De sorte que, à tout le moins les deux côtés que nous venons de décrypter, ce socle incontestablement destiné à recevoir une de ses statues, non seulement matérialisait ce souhait régalien mais en outre, en plaçant Nectanebo II sous l'égide du couple divin honoré à Coptos, Min et Isis, escomptait le prémunir de toute influence nuisible en couchant, je le souligne une dernière fois, toutes les terres et tous les pays désertiques sous les pieds de ce dieu parfait.

 

 

     Qui furent toutes ces terres, tous ces pays désertiques, bref tous ces étrangers dont le monarque égyptien tant semblait se méfier au point de vouloir les soumettre, notamment, en les faisant prisonniers, ou les écraser sous ses pieds ? 

 

     C'est ce nous apprendront les deux autres faces, plus longues, de ce beau bloc d'albâtre parallélépipédique et que je me propose, amis visiteurs, de décoder avec vous lors de notre quatrième et dernière rencontre à son sujet, mardi 6 février prochain, juste avant le début du Congé de Carnaval dans l'Enseignement belge. 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

BARBOTIN Christophe/ DEVAUCHELLE Didier, La voix des hiéroglyphes, Paris, Éditions Khéops, 2006, pp. 30-1.

 

 

 

SCHUMANN-ANTELME  Ruth, Coptos, XXXème dynastie, dans Catalogue de l'exposition " Un siècle de fouilles françaises en Égypte (1880-1980) ", Le Caire, I.F.A.O., 1981, pp. 275-7.

 

 

VALBELLE  DominiqueL'Égyptien et les étrangers, de la préhistoire à la conquête d'Alexandre, Paris, Librairie Armand Colin, 1990, pp. 43-8.

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23 janvier 2018 2 23 /01 /janvier /2018 01:00
BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

 

 

     " Souvent, on s'interroge, on ne sait plus, on n'y voit goutte, on se mélange les pinceaux, on n'y comprend plus rien : l'art, qu'est-ce que c'est ? Où est-ce que ça commence, Où est-ce que ça finit ? Où donc est-ce que ça va ? Et qu'est-ce que ça raconte ? 

Eh bien, voilà, c'est tout simple. Ça ne commence nulle part, ça ne finit nulle part ailleurs. Ça se perd en convergences et ça se trouve en reflets. Ça va chercher partout la lumière, ça ramasse les ombres. Ça remue les images et ça vous parle en face. Car l'art, c'est un miroir. Meuble jeté sur le chemin où galope Stendhal, glace rafraîchissant le font fiévreux de monsieur Proust, lentille grossissante, embellissante, enlaidissante, image hyperbolique, parabolique ou fugitive, surface bien polie, complexement convexe, obscurément concave, vitre piquée de mouches sur une armoire de ferme, psyché nimbée d'or frais aux galeries des rois, qu'importe, du moment que c'est un miroir et que le monde s'y reflète à son aise.

N'exigez qu'une chose : que le verre soit d'un seul tenant, sans soudures, sans coulures, d'une eau pure et profonde, puisée à la source de l'être. "

 

 

 

 

Carole CHOLLET-BUISSON

Miroir

 

Blog "Chemin des jours"

22 juillet 2014

 

 

 

 

     D'une relecture que je me suis offerte l'autre soir, avec toujours autant de plaisir, - et d'enchantement, surtout ! -, de quelques articles publiés par Madame Carole Chollet-Buisson sur son excellent blog "Chemin des jourset dont, dans un tiroir, j'avais précieusement conservé les références chronologiques, j'ai distrait celui que je vous propose en exergue ce matin, amis visiteurs, tant il me paraît significativement rencontrer la philosophie du beau monolithe d'albâtre, E 11220, exposé ici devant vous dans la première vitrine de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, à Paris ; la philosophie aussi des frises qui le ceignent en guise de "décor", ainsi que du sens des hiéroglyphes incisés dans les cartouches jumelés trônant, au mitan d'une de ses faces, sur le signe hiéroglyphique de l'or, symbole du concept d'indestructibilité, chacun coiffé du disque de Rê qu'encadrent deux plumes, symboles solaires par excellence ; cartouches qui vont me permettre aujourd'hui de non seulement vous révéler l'identité du souverain ici mentionné mais également de vous éclairer à propos de l'importante notion de titulature, appelée également protocole royal par certains égyptologues.

 

     Préalablement, il me siérait de quelque peu vous expliquer ce que cèle en réalité l'expression titulature royale.

 

     Il s'agit d'une liste de cinq appellations parfaitement contrôlées reçues par toute personne, homme ou femme, qui accède au pouvoir suprême en montant sur le trône d'Égypte : les trois premiers de ces noms constituent en quelque sorte une précision programmatique sur ce qu'il ou elle souhaite que soit son futur règne, tandis que les deux derniers, les seuls à être "protégés" par un cordeau ovale, indiquent son identité réelle, ce qui le ou la distinguera de celles ou ceux qui furent ses prédécesseurs.  

 

     Dans l’Égypte antique, pour tout un chacun, porter un nom signifiait non seulement détenir un signalement officiel mais aussi et peut-être surtout être reconnu comme existant, comme "étant", - au sens métaphysique que lui donnait Heidegger -, c'est-à-dire en tant que réalité vivante, par opposition à toute notion abstraite de l'être.

     Ainsi, par exemple, lors des guerres engagées hors territoire égyptien, la crainte suprême de tout soldat était de périr en terre étrangère, inconnu, ignoré, oublié. Point d’au-delà possible pour lui si son corps, même éventuellement rapatrié sur le sol natal, n’était pas assorti de son identité précise.

 

     Pour le souverain, héritier du démiurge, cette notion revêtait une importance évidemment capitale : l’anonymat étant vocation au néant, cela eût été dans son cas tout bonnement inconcevable. Cela lui aurait surtout dénié l’exercice de la royauté terrestre, partant, aurait perturbé le bon fonctionnement du pays tout entier.

 

     Dès lors, au moment de son intronisation, le monarque recevait trois noms qui définissaient, en plus de ceux des deux cartouches, sa personnalité en rapport avec les dieux et les déesses du pays.


     À dessein, j'ai à l'instant employé le terme monarque : j'eusse tout aussi bien pu dire souverain ou roi ... mais pas pharaon ! En effet, ce terme à présent parfaitement admis ne fut inventé et appliqué de manière métonymique à celui qui dirigeait le pays qu'à partir du Ier siècle avant notre ère : révélé par la Vulgate (Genèse XII, 15), il provient de la vocalisation par les Grecs des hiéroglyphes "per  ", signifiant grande maison, - attesté dès l'Ancien Empire -, que l’on traduit communément par palais royal

 

     Remarquez que ce type de synecdoque a perduré dans notre belle langue française, non plus comme procédé de style, mais dans un emploi tout à fait courant : ne dit-on pas encore de nos jours, en Belgique, par exemple : "Le Palais a annoncé le mariage de ..."; ou en France : "L’Élysée préconise ..." ?

 

     " Per aâ ", désignant au départ un bâtiment a, in fine, été attribué à celui qui y résidait, donnant ainsi naissance en français au terme "pharaon". Mais, jamais avant la XXIIème dynastie, il n'a servi de titre officiel aux rois, jamais il n'a accompagné leur nom : pour ce faire, les Égyptiens les désignaient simplement grâce au vocable " Horus un tel ".   

     Cette expression constituait d'ailleurs la première des cinq appellations sur lesquelles je vous propose maintenant de revenir.

 

 

1.  La première d'entre elles, le nom d'Horus donc, 

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

plaçait le souverain sous la protection de l'oiseau sacré, patron de la ville d'Hiérakonpolis d'où le premier roi, Narmer, était originaire ; et ainsi l'identifiait à Horus lui-même.
                                 

     Dans la transcription hiéroglyphique, l'oiseau Horus est placé au-dessus d'une représentation du mur d'enceinte protégeant le palais royal, nommé le "serekh" par les égyptologues, à l'intérieur duquel figure le nom du roi.

 

     Chez celui auquel le socle E 11220 appartint, la première dénomination le qualifiait de "L'Aimé des Deux Terres".  

 

 

2. Avec la deuxième appellation, le nom de "Nb.ty", les "Deux Maîtresses",

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

le souverain se trouvait sous la protection des déesses tutélaires des deux royaumes primitifs : Nekhbet, le vautour blanc de Haute-Égypte et Ouadjit, le cobra de Basse-Égypte. En tant que telles, elles personnifiaient les couronnes blanche et rouge matérialisant les deux parties du pays. Dès lors, ce souverain était considéré comme régnant sur l'Égypte unifiée.

 

     Chez "notre" roi, la deuxième dénomination le qualifiait de "Celui qui réjouit le cœur des dieux".



3. La troisième, le nom d'Horus d'or,  

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

composé du signe du faucon, personnification de Rê, et de celui du collier d'or réunis en un monogramme, liait la personne royale à celle de l'Horus solaire.

 

     La troisième dénomination désignait le propriétaire du monument de la vitrine 1 comme étant celui "Celui qui établit les lois".



4. La quatrième

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

souvent appelée prénom ou nom de règne ou de trône, celle de "Nesout-bity" signifiant, parlant du roi : "Celui du Roseau et de l'Abeille", ce que les égyptologues traduisent par "Roi de Haute et de Basse-Égypte", entouré d'un premier cartouche, l'assimile à la faune et à la flore symboliques de chacune des deux parties de son royaume : le roseau, pour la Haute-Égypte et l'abeille pour la Basse-Égypte.

     Et à l'instar de l'épiclèse constituant le deuxième nom, " Celui des Deux Maîtresses ", ce titre affirme donc la souveraineté du monarque sur l'Égypte unifiée.

 

     

5. Enfin, la cinquième et dernière appellation fournit son nom de naissance, son prénom pourriez-vous dire en référence à nos us, que les Égyptiens faisaient précéder de "Sa-Rê, comprenez " Fils de Rê ",

 

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

(le hiéroglyphe du canard  = "Fils de" et celui du soleil = ""); ce qui mettait sa personne, à tout le moins à partir de Chéphren, en relation intime avec le soleil, la grande puissance cosmique de l'univers.

 

     Des cinq appellations, seule cette dernière est passée à la postérité, devenant la dénomination la plus connue du grand public : pensez par exemple à Sésostris, Aménophis et autres Ramsès ... auxquels pour certains, à l'image des noms de monarques français ou belges, les historiens ont ajouté une numérotation en chiffres romains aux fins de les distinguer les uns des autres (Sésostris II, Sésostris III ; Ramsès II, Ramsès III, etc.)

 

     L'idéologie de la titulature royale peut donc se réduire à deux concepts :

 

     * Le souverain règne sur la Haute et la Basse-Égypte unifiées ;

     * Il s'intègre dans les deux cycles mythiques de la royauté divine : celui de Rê et celui d'Horus.

 

 

     Après avoir résumé cette immuable théorie et vous avoir en même temps énoncé les trois premières appellations du dynaste auquel E 11220 fait implicitement référence, découvrons, grâce aux deux cartouches, son identité réelle.

 

BLOC  E 11220 - 2. LE PROTOCOLE ROYAL

 

     Celui de droite, mettant en évidence sa quatrième appellation, son nom de couronnement, son nom de Roi de Haute et de Basse-Égypte, peut se traduire par : "Celui qui rend doux le cœur de Rê, l'élu d'Onouris " , tandis que celui de gauche donne à lire son nom de naissance, celui que retiendra la mémoire populaire  : "Puissant est Horus de Hebyt, l'aimé d'Onouris, le fils d'Hathor" ; 

 

     " Puissant est Horus de Hebyt ": ne retrouvez-vous pas là une expression vous semblant familière ?

 

     Mais bien sûr : trois pictogrammes précédemment rencontrés :

 

 

a) un avant-bras dont la main tient un bâton (= signe D 40 de la liste de Gardiner), 

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

qui se lit Nakht

 

 

b) le faucon Horus (= G 5 dans la même liste),

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

qui se lit Hor

 

 

c) la salle des fêtes du "jubilé royal" (= O 23),

STATUE A 94 - APPROCHE ONOMASTIQUE

qui se lit Heb

 

 

     Ces trois hiéroglyphes (D 40, G 5 et O 23) notent un prénom dont vous vous souvenez certainement, Nakht-Hor-Heb, parce qu'il est identique à celui de l'orant qui nous avait reçus il y a peu dans la salle 2 précédant celle-ci ; prénom que les Grecs retinrent sous la dénomination de Nectanebo, le second du nom, de manière à le différencier de son grand-père, le premier Nectanebo sur le trône de la XXXème et dernière dynastie égyptienne indigène.

 

     Que sait-on de ce Nectanebo II ?    

 

     À partir d'ici, concevez que ce sont moins les hiéroglyphes présents sur ce socle qui vous éclaireront que quelques ouvrages "incontournables" que j'ai compulsés parce que nécessairement nourris au sein d'irréprochables documents d'époque.

 

     Nectanebo II fut l'ultime  souverain autochtone, le dernier monarque égyptien de cette dynastie. Gouvernant de 360 à 343 avant notre ère, il connut une triste fin de règne puisqu'il choisit de s'enfuir vers le sud du pays après avoir été dépouillé du pouvoir par le roi perse Artaxersès III Ochos qui venait de s'emparer des villes de Péluse, de Bubastis et de Memphis.

     Épisode que les historiens ont pris l'habitude de qualifier de "Deuxième invasion perse".

 

     Sans pouvoir personnel, politiquement parlant, l'Égypte devint alors une satrapie, c'est-à-dire une division administrative de l'empire achéménide gérée par un satrape, un gouverneur commis par la Perse.

         

     Moins de dix ans plus tard, originaire de Macédoine, Alexandre qui deviendra le Grand, adoubé par l'oracle d'Amon, marquera définitivement de son empreinte et le pays et le reste du monde.

 

     Mais ceci ressortit à une autre histoire ...

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

LABOURY  Dimitri, L'inscription historique d'Amenhotep II à Amada, Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Licencié en Histoire et Philologie Orientales, U.Lg., Liège, 1992, 21-7.

 

 

DESSOUDEIX  Michel, Chronique de l'Égypte ancienne. Les pharaons, leur règne, leurs contemporains, Arles, Actes Sud, 2008, pp. 521-3.

 

 

GRIMAL  Nicolas, Histoire de l'Égypte ancienne, Paris, Fayard, 1988, pp. 451-5. 

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16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 01:00
BLOC  E 11220 - 1. PRÉSENTATION LIMINALE

 

     "Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre,  nous le voyons se multiplier, et, autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini et, bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial."

 

 

Marcel  PROUST

Le Temps retrouvé

 

Paris, Gallimard, Livre de Poche n° 2128, 1967

  pp. 256-7.

 

 

 

     Plutôt que ces deux immenses représentants du Siècle d'Or hollandais que furent Rembrandt et Vermeer, Marcel Proust aurait tout aussi bien pu évoquer, aux fins d'étayer son propos, à condition bien évidemment qu'il s'y fût intéressé et qu'à leur encontre il éprouvât une quelconque dilection, d'autres artistes, définitivement anonymes pour la plus grande majorité d'entre eux  puisque leurs noms ne sont pas parvenus jusqu'à nous -, qui peuplèrent différents "siècles d'or", - oui, malgré son anachronisme, je m'autorise cette expression ! -, de l'art égyptien antique qui, sur mon blog, amis visiteurs, participent de ma recherche de la Beauté.

 

 

     Pour cette quête, bien avant le blog, bien avant Internet, bien avant même qu'un ordinateur pénétrât dans mon bureau, c'est bloc de feuilles et bic qui accompagnèrent chaque année, au moment des vacances belges de Printemps, mes déambulations, salle après salle, au sein du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre dans lequel, depuis son redéploiement il y a vingt ans maintenant, ainsi que je vous l'ai expliqué la semaine dernière, deux gigantesques parcours sont offerts au public : au-dessus de nous, au premier étage de ce qu'il est convenu de nommer "l'Aile Sully", une visite chronologiquement agencée complète avec bonheur celle que nous allons ce matin officiellement entamer, ici, au rez-de-chaussée, à savoir : une approche thématique de la civilisation égyptienne avec, et c'est d'ailleurs le titre choisi par les Conservateurs en charge des pièces exposées pour caractériser cette salle 3 , le Nil, en guise de fil conducteur.

 

     Dans cette salle, comme dans ce fleuve, avec moi, je vous invite à maintenant plonger ! 

 

     Rien que pour le plaisir, naïf je vous le concède, de me souvenir des premiers moments, magiques, vécus au Louvre, acceptez que je vous montre ce plan qui convertissait, grâce à un PC de l'École Polytechnique de V., en province de Liège, dans laquelle j'avais alors le bonheur d'enseigner, un dessin précédemment réalisé de chic : ma vision de cet espace habillé de seulement cinq vitrines de différents aspects, de différentes dimensions et de différentes finalités. 

BLOC  E 11220 - 1. PRÉSENTATION LIMINALE

 

     Comme vous aujourd'hui, venant de la salle 2 où, souvenez-vous nous croisâmes dernièrement Nakht-Hor-Heb, la première d'entre elles que je découvris fut, - et reste -, celle proposant à notre admiration un monolithe d'albâtre rectangulaire de 26 cm de hauteur, sur 60 de long et 41 de large, portant le numéro d'inventaire E 11 220,

© Louvre - Christian Décamps

© Louvre - Christian Décamps

 
dont la partie centrale a bizarrement été chantournée et une face profondément entaillée, de manière à manifestement y faire glisser, puis encastrer quelque chose ...

 

     Si vous compulsiez les ouvrages cités dans ma bibliographie infrapaginale, vous apprendriez entre autres que ce bloc évidé fut mis au jour en 1910, puis offert au Louvre en mai de l'année suivante par ses inventeurs, les égyptologues français Raymond Weill et Adolphe Joseph Reinach, tous deux fouillant à l'époque le petit temple gréco-romain de Coptos pour la Société Française de Fouilles Archéologiques.

 

     Incidemment, permettez-moi de rappeler qu'outre la notion de création, l'une des acceptions du terme "inventeur" dans notre si belle langue française, désigne la personne qui, dans les domaines de la recherche en histoire ou en archéologie essentiellement, trouve, découvre quelque chose : ainsi par exemple lirez-vous fréquemment dans des ouvrages spécialisés que M. Untel est l'inventeur du site préhistorique de X ... ou, dans mon article de mardi dernier, que J.-F. Champollion fut l'inventeur des hiéroglyphes.

 

     Ceci posé, n'en doutez point, c'est à ce qui fut gravé en creux sur chacune des faces de cette pièce massive que nous allons aujourd'hui et dans les prochaines semaines accorder toute notre attention aux fins d'en apprendre davantage à son sujet.

 

     Commençons, voulez-vous par le petit côté, échancré, qui nous apparaît de prime abord en entrant salle 3.

     Je n'aurai point l'outrecuidance de stigmatiser ni de prendre position pour ou contre l'un ou l'autre des égyptologues cités dans ma bibliographie sur le fait que pour deux d'entre eux, ce côté constituerait la partie postérieure du monument, alors que pour madame Ruth Schumann-Antelme, il s'agirait de l'antérieure. Peu me chaut en définitive qu'il soit la face avant ou arrière, l'important résidant à mes yeux au niveau de ce que nous apprend ce qui y a été incisé.

          

     Au centre de cette face donc, vous distinguez deux formes ovales jumelées, toutes deux posées sur le signe hiéroglyphique de l'or, symbole d'indestructibilité, et toutes deux surmontées du disque solaire qu'encadrent deux plumes : il s'agit en fait originellement d'une boucle de corde, circulaire, nouée à la base et symbolisant "ce que le soleil encercle", comprenez l'univers, hiéroglyphe qui se disait "chénou" en égyptien ancien et que nous traduisons communément par cartouche.

 

     Sur maints monuments, ce signe s'allongeait et de rond prenait un aspect ovale quand il devait contenir une série de hiéroglyphes constituant les deux derniers des cinq noms attribués à tout souverain : configuration adoptée par les Égyptiens pour indiquer que le monde, soit tout ce que le soleil encercle, lui appartenait.

 

     Est-il encore vraiment nécessaire de vous rappeler que ce procédé de visuellement encadrer quelques signes amena Champollion à penser, idée de génie s'il en est, que cet isolement graphique ne pouvait qu'abriter des noms de personnes mis en évidence et, de surcroît, probablement les plus importantes de l'histoire du pays ? 

     Donc des noms de souverains, supputa-t-il judicieusement !

     Et ce fut le point de départ de son parcours de déchiffreur des éléments de l'écriture égyptienne ...  

 

     Ne dérogeant évidemment pas à cette pratique, comme à l'accoutumée, les deux cartouches ici devant vous révèlent l'identité du souverain qui les a fait graver. Mais personnellement, je ne le ferai pas car pour l'heure, je vous invite à poursuivre l'observation de cet intéressant côté du monument. 

    

     Deux petites colonnes, à côté des plumes que vous avez vues tout à l'heure, précisent qu' "Isis la Grande, mère du dieu" (à gauche) et "Min de Coptos" (à droite), aiment le roi : il s'agit évidemment du dieu tutélaire de la ville et, ici, son épouse, sa parèdre. 

 

     Deux personnages agenouillés, chacun tourné vers l'extérieur, les bras liés dans le dos, terminent la composition : ils symbolisent, à gauche, les ennemis du Nord, - il  s'agit manifestement d'un prisonnier libyen -, et à droite, ceux du Sud, - homme d'aspect négroïde -, que le roi a soumis.

 

     Chapeautant l'ensemble : une ligne horizontale gravée qui pourrait ne paraître que simple encadrement, que banale délimitation de scène constitue en réalité le signe hiéroglyphique de la voûte céleste. 

 

     De part et d'autre de l'entaille, aux extrémités gauche et droite du dessus de la ligne du ciel, au-dessus donc de la tête de chaque prisonnier, deux courtes colonnes de texte proclament, respectivement que "tous les pays désertiques sont sous les pieds de ce dieu parfait" et que "toutes les terres sont sous les pieds de ce dieu parfait" ; l'expression "dieu parfait " rendant une des épithètes du roi régnant.

 

     Mais de qui s'agit-il ?

 

     C'est, amis visiteurs, ce qu'entre autres choses, je me propose de vous révéler lors de notre prochain rendez-vous, mardi 23 janvier, en décryptant les hiéroglyphes inscrits dans les deux cartouches.  

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BARBOTIN Christophe/ DEVAUCHELLE Didier, La voix des hiéroglyphes, Paris, Editions Khéops, 2006, pp. 30-1.

 

SCHUMANN-ANTELME  Ruth, Coptos, XXXème dynastie, dans Catalogue de l'exposition " Un siècle de fouilles françaises en Égypte (1880-1980) ", Le Caire, I.F.A.O., 1981, pp. 275-7.

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9 janvier 2018 2 09 /01 /janvier /2018 01:00

 

 

     Nonobstant le fait que, pour comptabiliser les années, les Égyptiens de l'Antiquité n'eussent jamais pu atteindre semblable nombre calendaire dans la mesure où, depuis le Nouvel Empire, ils recommençaient leur comput en l'an 1 à chaque intronisation d'un nouveau souverain ; le fait aussi que le 1er janvier, pour autant qu'ainsi il eût été nommé, n'eût correspondu à aucun événement particulier puisque le calendrier en usage étant essentiellement basé sur le cycle des trois saisons, c'était le début de la crue du Nil, conjointement à l'apparition de l'étoile Sothis dans le ciel, aux environs de notre 19 juillet actuel qui, pour eux, marquait le commencement d'une nouvelle année ; nonobstant ces deux restrictions d'égyptophile, je souhaite aujourd'hui avant toute chose, amis visiteurs, - dussé-je encourir le risque de paraître à vos yeux, parce que nous sommes déjà en la deuxième semaine de janvier, pétri de propos itératifs, tautologiques -, à grandement tous vous remercier pour les vœux que, pendant ces congés octroyés loin de l'ordinateur, vous me fîtes si aimablement parvenir et, bien évidemment, à cordialement vous réitérer ceux présentés au terme de notre dernier rendez-vous de décembre 2017.

 

 

VŒUX  2018

 

     À l'instar des riverains du Nil qui, à partir de la XVIIIème dynastie, et plus habituellement encore à l'époque tardive, s'offraient notamment semblables bouteilles lenticulaires contenant, est-il commun de penser, quelques lichées de l'eau bienfaitrice du premier jour de la crue, et sur le pourtour desquelles, - certains assurément s'en souviendront, je l'ai longuement expliqué en septembre 2013, à propos de l'exposition "Histoires d'eaux. Du Nil à Alexandrie" qui s'était tenue cet été-là au Musée royal de Mariemont, en Belgique -, vous lirez parfois cette formule traditionnelle

 

Que s'ouvre pour vous une belle année

 

 

puissiez-vous, au goulot de l'une d'elles, longtemps encore, étancher votre soif de découvertes aux côtés d'ÉgyptoMusée.  

 

     Et pour ce qui me concerne, j'espère que, porté tout autant par cette fidélité qui caractérise nombre d'entre vous depuis bientôt dix ans maintenant que ce blog existe que par celle qui anime maints nouveaux abonnés, entouré de toute votre amitié, encore et toujours, j'éprouverai l'envie, partant le bonheur de poursuivre avec vous ma quête de Beauté, de salle en salle, de vitrine en vitrine, au sein du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. 


     Aussi, comme annoncé à l'heure où je pris congé de vous le 19 décembre, je vous propose d'ores et déjà ce matin de préparer notre future entrée en salle 3 par quelques considérations liminales.

 

 

 

VŒUX  2018

 

 

     " Les collections de monumens égyptiens que réunit le zèle si louable des amateurs, sont, en général, formées dans l'unique but d'éclairer l'histoire de l'art, et d'apprécier, comparativement, les procédés de la sculpture et de la peinture à différentes époques et chez des nations diverses.

(...)

     Mais l'importante et nombreuse suite de monumens égyptiens, dont la munificence royale vient d'enrichir le Musée Charles X, devant, en quelque sorte, servir de sources et de preuves à l'histoire toute entière de la nation égyptienne, avait besoin d'être coordonnée sur un plan différent ; il fallait, de toute nécessité, avoir égard à la fois, soit au sujet même de chaque monument, soit à sa destination spéciale, et que la connaissance rigoureuse de l'un et de l'autre déterminât la place et le rang qu'il devait occuper. "

 

 

 

Jean-François  CHAMPOLLION LE JEUNE

Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X

 

Paris, Imprimerie Crapelet, 1827

pp. i et ii

 

(Librement consultable sur le site de Gallica)

   

 

       

 

     Dans cet "Avertissement" rédigé par Jean-François Champollion grâce auquel, je vous le rappelle, moult collections d'antiquités égyptiennes furent acquises par la France, l'inventeur des hiéroglyphes nommé en mai 1826 par Charles X Conservateur des Antiques du Musée royal du Louvre, (seconde division), - comprenez : de la suite de salles dédiées à l'Égypte qui alors se créèrent -, précise, à l'entame de sa "Notice descriptive ...", - dont j'ai ici respecté et l'orthographe et la ponctuation originales -, sa propre vision d'un tel département, vision à deux voies qui, bien longtemps après, en décembre 1997, à vrai dire, voici donc à peine vingt ans, prendra véritablement effet quand Jacques Chirac, alors Président de la République française, inaugura officiellement le nécessaire réaménagement muséographique des collections égyptiennes souhaité et réalisé de main de maître par les huit conservateurs auxquels avaient été "rendus" de nouveaux espaces de l'ancien palais des rois de France : c'est dans ce superbe Département des Antiquités égyptiennes que, j'espère, vous apprenez à maintenant mieux connaître, que je vous propose de poursuivre nos déambulations.

 

     Permettez-moi de rappeler au passage, qu'à partir de cette salle 3, il s'éploie sur deux niveaux distincts : l'un, au rez-de-chaussée de ce qui est communément appelé "l'aile Sully", décline tout au long de ses 19 salles successives différentes thématiques caractérisant la civilisation des rives du Nil ; l'autre, au premier étage de cette même section du Musée, observe d'un point de vue éminemment chronologique l'évolution de l'art jadis réalisé par d'immenses artistes.  

 

    Cette troisième salle, ouvrira notre parcours par une évocation du Nil, le fleuve colonne vertébrale, le fleuve pérenne dont l'inondation annuelle, bienfaitrice, était attendue avec impatience dans la mesure où, apportant le limon, engrais naturel, elle permettait à la population de cultiver une terre constamment asséchée, faute de pluie.

     Et, dès lors, d'avoir de quoi se nourrir une nouvelle année encore.
 

 
VŒUX  2018

 

     Portant le titre générique "Le Nil", vaste, claire, aérée, - hébergeant seulement trois vitrines au sol et deux aux murs -, cette salle offre la particularité pédagogique de proposer trois grandes cartes, situées dans l'embrasure de chacune des fenêtres donnant sur la Cour Carrée, 

 

 

VŒUX  2018


panneaux didactiques qui, en relation directe avec les différents monuments exposés, présentent l'Égypte ancienne selon trois axes primordiaux : l'environnement politique, illustré par la première des cinq vitrines que je vous ferai découvrir dès la semaine prochaine ; le cadre physique et naturel, dévoilé par la grande armoire vitrée centrale et une troisième, murale celle-là. Puis, pour terminer, les deux dernières s'attacheront plus spécifiquement à expliciter la topographie religieuse du pays.

 

     Rendez-vous est pris, à tout le moins dans mon chef, pour la semaine prochaine aux fins de nous pencher sur la vitrine 1 de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. 

     Et dans le vôtre, amis visiteurs ?

 

 

 

 

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19 décembre 2017 2 19 /12 /décembre /2017 01:00

 

     À Maurice Maeterlinck qui m'a appris à regarder avec sérénité la Vie et la Mort, et à ne me troubler que devant la Beauté.

 

     Son admirateur et son ami de tout cœur

     E.G.C.

 

 

Enrique GOMEZ CARRILLO

Le Sourire du Sphinx - Sensations d'Égypte

(Traduction de Jacques CHAUMIÉ)

 

Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle Éditeur, 1918

 

 

 

 

 

 

 

LA FORMULE D'OFFRANDE FUNÉRAIRE - Seconde Partie : BESOINS ALIMENTAIRES

 

     À quelques kilomètres de Genève, c'est dans le hall de la Fondation Martin Bodmer, à Cologny, souvenez-vous amis visiteurs, que nous avons entamé de conserve la semaine dernière la lecture de l'introduction de ce que les égyptologues sont convenus d'appeler la formule d'offrande funéraire, ici gravée sur le linteau de toute beauté d'un certain Kaâper, dignitaire royal ayant vécu au début de la Vème dynastie.

 

 

     Après la formulation d'usage en guise de prémices : Offrande que donne le roi et (que donne) Anubis qui préside à la chapelle divine et à la nécropole ; après quelques souhaits personnels : qu'il soit enterré dans la nécropole en tant que détenteur de privilèges, qu'il atteigne une très belle vieillesse auprès du grand dieules besoins alimentaires du défunt peuvent enfin s'énoncer :  

 

que l'on invoque pour lui (des offrandes consistant en) pain, bière, viande, volaille 

 

 

Kaaper-05.-que-l-on-invoque-pour-lui-pain--biere--viande--.jpg

 

 

     La phrase commence par ce que les Égyptiens rendaient par "prt xrw", - que je vous invite à prononcer "péret kérou" : ce sont devant vous, de haut en bas, les trois premiers hiéroglyphes de droite, et qui littéralement signifient "sortie à la voix" et que les philologues traduisent habituellement par "offrande verbale" ou, comme ici, par " ... que l'on invoque pour lui ". Ce "pour lui" étant figuré par les deux signes en dessous ("n.f " ), celui de l'ondulation, symbolisant l'eau, surmontant le céraste pour lequel, au passage, je vous convie à admirer le rendu des écailles.

 

     Permettez-moi de réitérer un propos précédemment tenu : la concision extrême de la formule d'offrande de Nakht-Hor-Heb sur sa ronde-bosse en salle 2 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre était telle que les denrées officielles, classiques, énumérées ci-dessus, toujours de haut en bas et de droite à gauche : pain, jarre de bière, tête de bœuf et de volaille, n'étaient nullement précisées.

 

     Chez Kaâper, - à l'instar de bien d'autres -, la prolixité s'invite à la table puisque suivent maintenant les désignations des moments où le défunt escompte recevoir ces aliments essentiels :

 

(lors de) la fête-ouag, la fête de Thot, 

 

 

Kaaper-06.-fete-ouag--fete-de-Thot.jpg

 

 

le premier de l'an, le Nouvel An,

 

 

Kaaper-07.-le-premier-de-l-an--le-Nouvel-an.jpg

 

 

la fête de la sortie de Min, la fête-sadj,

 

 

Kaaper-07.jpg

 

 

la fête du feu

 

 

08.-fete-du-feu.jpg

 

 

le premier du mois, chaque fête, chaque jour.

 

 

Kaaper-09.-1er-du-mois--chaque-fete--chaque-jour.jpg

 

 

      Et la longue inscription si esthétiquement gravée de se terminer par l'énonciation de certains titres officiels du défunt : 

 

le chambellan royal,

 

 

Kaaper-10.-le-chambellan-royal.jpg

 

 

le prêtre de Heqet

 

 

Kaaper-11.-Pretre-Heqet.jpg

 

 

le magistrat et administrateur ;

 

 

Kaaper-12.-Magistrat-et-administrateur.jpg

 

 

puis, évidemment, par son prénom : Kaâper.  

 

   Kaaper-13.-Kaaper.jpg

 

 

 

 

 

     Sur le titre, curieux, et rare, de prêtre de Heqet, "hem netjer Heket" comme le prononcent les égyptologues, il me siérait à présent d'ouvrir une parenthèse pour introduire quelques considérations générales. 

 

      Heqet était dans la langue égyptienne un nom théophore, - comprenez qui porte le nom d'une divinité -, celui d'une déesse présentant l'aspect soit d'une femme à tête de grenouille, soit plus simplement comme ici, de la grenouille elle-même.

 

 

11-bis.-Heqet---Grenouille.jpg

 

 

    

     Dès le début de l'année prochaine, quand après être entrés dans la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, nous nous tournerons vers la deuxième des vitrines qui la meublent, nous nous attarderons sur ces petits batraciens et découvrirons qu'ils étaient empreints d'une valeur sémantique bien définie dans la mesure où, parce qu’issus des eaux, - donc éventuellement du mythique océan primordial, le Noun -, ils furent dès l’époque archaïque liés à l’apparition de la vie, partant, à la procréation.

 

     Symbole de forces vivifiantes, dispensatrice de vie, Heqet fut associée aux défunts dont elle permettait la régénération, la reviviscence dans l'Au-delà. Raison pour laquelle, dans la troisième vitrine de la future salle 3 que nous détaillerons dans quelques mois, vous en admirerez une, adorablement bleue, 

 

 

Grenouille---Louvre-E-26092.jpg

 

 

négligemment posée à l'extrémité d'une branche de potamot ; et cela, sur un fragment de calcaire peint (E 26092) représentant une scène de pêche dans les marais, environnement dont vous ne pouvez décemment plus ignorer maintenant toute la symbolique en rapport avec la renaissance des trépassés.

 

     N'oublions pas que, du têtard jusqu'à l'âge adulte, la grenouille subit d'importantes transformations, d'où sa présence tout à fait appropriée aux côtés des défunts aux fins de leur "annoncer" leur métamorphose à venir dans le royaume d'Osiris.

 

     Pour demeurer dans le même esprit, dans la même symbolique, j'ajouterai que la grenouille fut aussi assimilée à la déesse accoucheuse, parèdre de Khnoum, dieu potier qui modèle l’enfant divin sur son tour : c’est donc elle qui était censée donner le souffle de vie en tendant le signe "ankh" en direction du visage du petit être que Khnoum créait.

 

     Elle  était également comprise comme participant à l'avènement du monde, ainsi qu'à l'apparition de la tant attendue crue du Nil : elle avait donc partie liée avec certaines des fêtes agraires mentionnées sur le linteau de Kaâper, dont celle du Nouvel An, vers le 18 ou 19 juillet, quand tout à la fois fleuve, soleil et défunts reprenaient vie.  

 

 

     Rare, indiquai-je à l'instant, à propos du titre de prêtre de Heqet, parce qu'il ne fut porté qu'à l'Ancien Empire et, selon les documents actuellement connus, par à peine une petite quinzaine de personnages, tous en relation étroite avec les nécropoles du nord, Saqqarah et Abousir deux ayant vécu à la IVème dynastie, dix à la Vème, dont "notre" Kaâper, et les deux derniers à la VIème dynastie. Indéniablement très peu répandu, le titre fut apparemment circonscrit à une époque bien définie puisqu'il n'est plus attesté par la suite.    

 

     Nonobstant la disparition de cette prêtrise, il appert que les fonctions sacerdotales des différents personnages qui les effectuaient étaient en relation avec les cimetières de la région memphite.

 

     Au-delà de ces maigres certitudes, les égyptologues s'interrogent toujours sur la fonction réelle de cet officiant au sein des rites funéraires.

 

 

    Voici donc décodée pour vous, amis visiteurs, l'importante invocation de Kaâper gravée sur le long linteau provenant de son mastaba en Abousir, exposé à la Fondation Martin Bodmer de Cologny ...

 

 

     Tout en espérant vous retrouver disposés à investir ensemble la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre dès le mardi 9 janvier prochain, je vous souhaite à tous de coruscantes fêtes de fin d'année et, éventuellement, d'excellentes et roboratives vacances ... pendant lesquelles une petite méditation suggérée par un ami, belge lui aussi, ne peut que vous préparer à mieux appréhender l'année 2018 qui point à notre horizon.

 

 

     Richard

 

 

 

Vacances---Geluck.jpg

 

 

 

 

 

 

     Alors que je l'ai précisé la semaine dernière, j'ai ici complètement oublié de remercier mon amie genevoise qui m'a offert tous les clichés qu'elle a pris de ce relief qui ont émaillé le premier article consacré au linteau de Kaâper et sous-tendent notre présent rendez-vous.

(Grand merci à toi, qui te reconnaîtras.)

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

 

GABOLDE  Marc, Notes sur un "scarabée de coeur" conservé au Musée de Roanne, dans Bulletin du Cercle lyonnais d'égyptologie Victor Loret n° 2, Lyon, 1988, pp. 13 -20.

 

 

 

SERVAJEAN  Frédéric, Du singulier à l'universel : le Potamogeton dans les scènes cynégétiques des marais, dans ERUV 1, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1999, 259-63.

 

 

 

VUILLEUMIER Sandrine, CHAPPAZ Jean-Luc, Une offrande que donne le roi, dans "Sortir au jour" - Les aegyptiaca de la Fondation Martin Bodmer, Genève, Édition Fondation Martin Bodmer Cologny et Société d'égyptologie Genève, 2002, pp. 71-5.

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