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13 novembre 2012 2 13 /11 /novembre /2012 00:00

 

     Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie - il ne savait lui-même - qui passait et qui lui avait ouvert largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines.

 

     Peut-être est-ce parce qu’il ne savait pas la musique qu’il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d’impressions.

 

 

 

Marcel  PROUST,

Un amour de Swann

 

dans A la recherche du temps perdu

Tome I, Du côté de chez Swann,

Paris, Gallimard,

pp. 249-50 de mon édition de 1954.

 

 

 

 

     Qu'il faille considérer la harpe comme l'instrument de musique le plus prisé des Égyptiens de l'Antiquité ne fait absolument aucun doute pour personne, amis visiteurs, quand on prend en compte sa récurrence, peinte ou gravée, au sein des scènes dites "de banquet", dites aussi parfois "de concert", présentes dans les tombes de toutes les époques, depuis les mastabas memphites de l'Ancien Empire jusqu'aux hypogées thébains creusés à partir du Nouvel Empire.

 

     D'un point de vue purement organologique, vous admettrez que les musicologues préfèrent les représentations peintes plutôt que les gravées dans la mesure où, pour ce qui concerne les premières, se distingue très nettement le nombre exact de cordes - qui évoluera avec le temps et les besoins musicaux -, tandis qu'au niveau des secondes, le plus souvent - synecdoque iconographique particularisante (la partie pour le tout, pars pro toto) -, l'artiste, économisant son geste, se contente de n'indiquer qu'une seule corde pour signifier l'ensemble. 


     Toutefois, dans le seul but de me contredire, le relief que nous découvrirons aujourd'hui n'entérinera nullement cette première assertion.
 

     Si besoin s'imposait vraiment de vous fournir d'autres preuves de la grande importance de la harpe qui, je le souligne à nouveau, fut le seul parmi les différents cordophones d'Égypte à être parfaitement autochtone, lyres et luths n'étant importés de contrées mésopotamiennes qu'aux époques bien postérieures à l'Ancien Empire, j'ajouterai que, non seulement, elle faisait partie intégrante des offrandes octroyées par des souverains à de grands sanctuaires tels ceux de Ramsès III à Medinet Habou, de Séthi Ier à Abydos ou d'Amon à Karnak - et la description que Thoutmosis III en fit graver sur une des parois de ce dernier ne vous laissera aucun doute quant à sa valeur :

 

     ... une harpe vénérable travaillée en argent, or, lapis-lazuli, malachite et diverses autres pierres précieuses, aux fins de louer la beauté de sa Majesté lors de ses apparitions dans tous ses noms.

(Traduction personnelle, d'après Sethe K., Urkunden der 18. Dynastie) ; 

 

mais qu'aussi elle réside, cette importance, dans l'évolution dont l'instrument fut l'objet tout au long de l'histoire plurimillénaire de l'antique Kemet. 

 

 

     Dans le lexique égyptien, le terme générique désignant la harpe s'écrivait

 

HARPE---Hiero.png

 


ce que les égyptologues transcrivent par "bnt" et prononcent "benet" (ou "binet" quand le hiéroglyphe M17


correspondant à notre "i" suivait immédiatement le premier signe de la jambe.)

 

     Il me reste à préciser, dans le seul but d'être véritablement exhaustif, qu'un autre terme - djadjat -, fit plus tardivement son apparition pour nommer certains exemplaires, notamment en forme d'arceau ou de croissant.

 

     En vue de brosser un tableau typologique de cet instrument à travers toutes les époques de l'histoire musicale de la vieille Égypte, j'envisage de scinder mon propos en plusieurs interventions successives - trois probablement - qui tiendront compte non seulement de leur aspect général - cintré ou angulaire -, mais aussi de l'époque - Ancien Empire d'une part, Moyen, Nouvel Empires et Basse Époque, d'autre part.

 

     Et c'est donc tout naturellement que nous commencerons ce matin par envisager les harpes cintrées de l'Ancien Empire, les premières à avoir été réalisées sur les rives du Nil.

 


     Vous souvenez-vous, amis visiteurs, quand le 14 ocotobre 2008, je vous avais emmenés découvrir l'intérieur de la chapelle funéraire d'Akhethetep, dans la précédente salle 4 de ce Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre ? Sur le mur nord, au quatrième registre en commençant par le bas, juste en dessous du siège sur lequel, en taille héroïque, était assis le propriétaire du mastaba, nous y avions rencontré une de ces scènes d'ensemble musical si récurrentes dans les tombeaux depuis au moins la IVème dynastie.


 

Musiciens-chez-Akhethetep.jpg

 

 

     Gravés en léger relief mais également peints, quatre hommes accroupis, un genou posé sur le sol, animent le traditionnel banquet funéraire. Au-dessus d'eux, quelques hiéroglyphes se lisent soit de gauche à droite, soit de droite à gauche, selon la position du personnage dont ils définissent l'action.

 

     A gauche, le musicien qui pour l'heure retiendra plus spécifiquement notre attention : le harpiste.  


      Vous noterez au passage qu'il s'agit bien d'un homme, la harpe n'étant absolument pas, ainsi qu'on l'admet trop vite, un instrument réservé à la seule gent féminine !

 

     Vous remarquerez aussi la présence du terme inscrit en hiéroglyphes (bnt) que j'ai introduit voici quelques instants, noté cette fois de droite à gauche mais apparemment dépourvu du déterminatif auquel vous seriez en droit de vous attendre.


      Apparemment, car en réalité,- et nous avions déjà rencontré ici ce jeu scriptural dont étaient friands les scribes égyptiens - c'est tout l'instrument lui-même, dont la partie supérieure arrive au niveau de la fin du texte, qui fait office de grand déterminatif, exonérant ainsi le lapicide de graver un petit hiéroglyphe supplémentaire : ainsi cette harpe doit-elle être comprise tout à la fois comme l'image qui la représente et comme un signe d'écriture visant à compléter son identification lexicographique qui précède.

 

     Ce bas-relief d'Akhethetep permet d'emblée de constater que, dès ses premières représentations, l'instrument détenait déjà la forme cintrée, arquée qui traversa, certes consubstantiellement à d'autres modèles confectionnés pour répondre aux besoins inhérents à l'évolution musicale, toute l'histoire du pays, jusqu'à l'époque gréco-romaine, quel que soit d'ailleurs son format.

 

     La scène offre en outre l'opportunité, - et cela me paraît suffisamment rare pour que je l'épingle -, de grandement la détailler, en ce comprises ses huit cordes que par réel souci de minutie le graveur a patiemment incisées dans la pierre.     

 

     De taille relativement imposante, cette harpe "classique" de l'Ancien Empire était donc dotée d'un manche courbe que le musicien ici accroupi, un genou posé sur le sol - il aurait tout aussi bien pu être agenouillé ou assis -, appuie contre son épaule. De ses deux mains, il pince les cordes, jouant les notes que le chironome lui indique grâce à la position de ses doigts.

 

     A l'autre extrémité, ces cordes, de boyau ou de tendon, fixées à l'aide de boutons d'arrêt inamovibles - et non de chevilles pivotantes comme on le croit trop souvent -, dont la plus longue se trouve à l'extérieur, étaient retenues par les incisions pratiquées dans une "baguette de suspension" ; entailles bizarrement en nombre le plus souvent  supérieur à celui des cordes elles-mêmes. 

 

     Parce que fixes, ces boutons d'arrêt n'avaient aucune incidence sur la manière d'accorder l'instrument ; pour ce faire, des lanières de tissu ou de papyrus étaient entremêlées à la corde : susceptibles d'être resserrées ou rendues plus lâches par le harpiste, elles en augmentaient ou en diminuaient d'autant la tension.

 

     La caisse de résonance, ici relativement petite, avait une forme vaguement triangulaire, de sorte que vue de face, elle pouvait évoquer la silhouette d'une pelle ou d'une bêche. Parfois beaucoup plus large, elle était de toute manière transpercée par le manche. 

  

     Il est possible qu'un jour, sur certaines représentations pariétales, vous remarquiez, posé à même le sol, immédiatement devant la calebasse de résonance, un butoir en forme de lion couché : il servait vraisemblablement à  empêcher l'instrument de glisser.

 

     Ces harpes cintrées en usage à l'Ancien Empire furent rarement décorées.


      A nouveau, celle d'Akhethetep ci-avant s'ingénie à démentir mon propos. En effet, avec d'excellents yeux, vous distinguerez probablement, sur la partie inférieure du caisson touchant le sol, devant le genou droit du musicien, la présence d'un très discret oeil oudjat, symbole de protection.    

  

     Il faudra attendre les époques postérieures, aux Moyen et Nouvel Empires, et même aux époques grecque et romaine, pour en voir apparaître de tailles différentes et, surtout, décorativement plus sophistiquées.

 

     C'est ce que, si le sujet vous intéresse, je me propose de vous faire découvrir lors de notre nouvelle rencontre hebdomadaire, amis visiteurs, le 20 novembre prochain.

 

     A mardi ...

 

 

 

 

(Careddu : 1991, 39-59 ; Duchesne-Guillemin : 1969, 60-8Emerit : 2002, 197 ; Sethe : 1984, 83, 174, lignes 11-4 ; Vandier : 1964, IV, 365 sqq. ; Ziegler : 1979, 101-5 ; Ead. : 1991, 15-9 : Ead : 1993, 86)

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 00:00

 

       Pour un instant, pour un instant seulement, je m'invite chez vous, amis lecteurs ; courte visite inattendue que motive l'actualité musicologique récente : l'Orchestre philharmonique de Bruxelles a symboliquement jeté cette semaine aux vents de l'oubli les partitions traditionnelles disposées sur les lutrins

 

 

Plus-de-partitions.jpg

 

 

aux fins de les remplacer par des partitions digitales dernière génération.

 

 

 

Harpe-et-tablette.jpg

 

 

     Et pour la toute première fois en public, ce mercredi 7 novembre, les 92 musiciens ont interprété, sous la direction du chef français Michel Tabachnik, le Boléro de Ravel et des extraits de Wagner, les yeux régulièrement baissés vers la tablette numérique toute neuve que chacun avait reçue.


 

     A ce propos, le journal "L'Express" écrit :

 

   Il s'agit d'une première mondiale.

     Le Brussels Philharmonic est devenu le premier orchestre au monde à remplacer ses partitions de papier par des tablettes.

     L'orchestre symphonique va collaborer avec Samsung et utilisera dorénavant la Galaxy Note 10.1.

     L'ensemble des musiciens a reçu un tablette de Samsung équipée d'un programme spécialement conçu pour les orchestres. Par ailleurs, l'usage d'une partition digitale va permettre au Brussels Philharmonic d'économiser jusqu'à 25.000 euros de papier chaque année. Le logiciel installé sur la tablette de Samsung a été développé par une "start-up" belge NeoScores. Il permet la lecture, le partage et la publication de centaines de documents format HTML 5 ou en PDF.

     Par ailleurs, le S pen intelligent de la tablette GALAXY Note 10,1 de Samsung offre la possibilité de prendre des notes qui peuvent être partagées ensuite, par exemple, entre le chef d'orchestre et ses musiciens. Il s'agit d'une avancée technologique considérable qui fera gagner du temps aux collaborateurs de l'orchestre chargés de la copie, de la préparation des partitons et du rangement en biblothèque.

     La capacité de stockage de la tablette est de 16 Go. Elle peut contenir jusqu'à 1.000 partitions numériques et possède également un mode concert pour éviter les interférences lors des représentations. Enfin, les pages de la tablette se tournent grâce à la technologie swype qui permet aux musiciens de ne pas sauter des pages ou d'effectuer un zoom par inadvertance.

 

 

     Qu'en penseraient les trois harpistes de Metchetchi, elles qui n'avaient éventuellement qu'un chironome à leur disposition ? 


 

Joueuses de harpe. Fragment E 25515 (2009)

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6 novembre 2012 2 06 /11 /novembre /2012 00:00

 

      La musique souvent me prend comme une mer !

Vers ma pâle étoile,

Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,

Je mets à la voile. 

 

 


Charles  BAUDELAIRE

La Musique


Les Fleurs du Mal, LXIX,

dans Oeuvres complètes,

Paris, Seuil,

p. 82 de mon édition de 1968

 

 


     Vous devez certainement vous souvenir, amis visiteurs, que je vous ai indiqué, le dernier mardi précédant le congé de Toussaint, qu'à quelques encablures d'ici, la salle 10 du rez-de-chaussée du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre est entièrement dédiée aux loisirs, en ce compris, l'art musical. 

 

     Dans l'immense meuble vitré qui trône en son milieu, - nul ne peut décemment l'ignorer ! -, sont réunis quelques-uns des instruments les plus caractéristiques que l'Égypte ait connus, toutes époques confondues.  

 

  Salle 10 - Vitrine 1 (Juin 2009)

 

 

     C'est aujourd'hui, dans cette salle, - nous quittons donc exceptionnellement la grande vitrine 4 ² et les joueuses de harpe que nous y avons entraperçues voici deux semaines -, que je vous propose de deviser aujourd'hui à bâtons rompus.

 

     "A bâtons rompus" ?

     N'y décelez malice aucune : il ne s'agit point ici d'évoquer la baguette qu'un fougueux von Karajan des bords du Nil antique pourrait briser sur son lutrin. Tout au contraire, il me sied aujourd'hui de vous convier à nous départir de certaines notions, de certaines généralités, d'un certain vocabulaire pour ensemble évoquer la musique égyptienne antique.

 

     Et précisément à propos de pupitre et de chef d'orchestre, je profite de l'occasion pour indiquer que jamais nul document - que ce soit sur papyrus, ostracon ou relief gravé -, nul système s'apparentant peu ou prou à une volonté de notation musicale n'a été jusqu'à présent exhumé par les archéologues.

      Pis : nonobstant le nombre imposant de scènes de banquets funéraires ou véritablement festifs mises au jour dans les mastabas de l'Ancien Empire, dans les hypogées du Nouvel Empire ou dans les temples, nulle part vous n'apercevrez la silhouette d'un musicien ou d'un chanteur se référant à une quelconque partition.

 

     Ce qui, en d'autres termes, signifie que les Égyptiens ne consignaient pas les compositions qu'ils interprétaient.

 

     Toutefois, au siècle dernier, le grand musicologue allemand Hans Hickmann (1908-1968), spécialiste incontesté de l'organologie égyptienne, ne parvint pas à concevoir la non-existence d'une quelconque transcription musicale chez un peuple qui par ailleurs avait créé de toutes pièces l'écriture hiéroglyphique. Admettant néanmoins, faute de preuves matérielles contradictoires, qu'aucun document de la sorte n'avait encore été retrouvé ou représenté sur l'une ou l'autre paroi, il voulut voir dans la gestuelle chironomique une première approche, une première ébauche de solfège.

 

     Il est vrai qu'il avait un précurseur en la matière, et non des moindres : le célèbre musicographe belge François-Joseph Fétis (1784-1871) prétendait déjà au siècle précédent, dans le premier des cinq tomes de son Histoire générale de la Musique, que les gestes des chironomes égyptiens étaient à l'origine même de notre notation musicale moderne.

 

     En effet - et j'avais déjà eu, lors d'un rendez-vous consacré aux singes familiers en février 2011, l'opportunité d'y faire une brève allusion -, sont parfois peints ou gravés, près de différents musiciens, des hommes également assis posant un geste bien précis de la main. Pour Hickmann, ces chironomes comme il est convenu de les nommer, lointains ancêtres de nos chefs d'orchestre pourrais-je ajouter, guident ainsi le musicien ou le chanteur au niveau de la ligne mélodique : une même gestuelle équivaut au même son pour tous les instruments présents - qu'ils soient harpe, luth ou hautbois -, comme c'est le cas sur le dessin ci-dessous, à la fin du quatrième registre de la partie ouest de la paroi sud de la chapelle du mastaba de Ty.


 

Chironomie-chez-Ty.gif

 

 

 

     Il appert qu'un geste différent pour chacune des mains de cet accompagnateur musical, comme vous le constatez dans la partie supérieure du mur nord de la chapelle du mastaba de Ptahhotep reprise sur le dessin ci-après, initie bien évidemment deux sons distincts : la main gauche indiquant la pose des doigts pour la fondamentale et la droite pour l'exécution de sa quinte.

 

  Chironomie-polyphonique-chez-Ptahhotep-copie-1.gif

 


     Ce qui permit à Hickmann de déduire que les Égyptiens connurent, certes à un niveau extrêmement rudimentaire, les prémices d'une musique polyphonique.


     C'est également évident pour le savant allemand qu'il est question de ces gestes d'accompagnement mélodique quand, dans le célèbre Hymne au Nil qu'il y a quatre ans je vous avais donné à connaître, on lit qu'en l'honneur du fleuve, on peut chanter avec les mains

 

     En conclusion, il se pourrait bien que la chironomie constitue, sur les parois des mastabas d'Ancien Empire, une sorte de "graphie musicale" avant la lettre ; ou plutôt, avant la note !

 

     Il semblerait en outre - et là, c'est à nouveau Hans Hickmann qui l'exprime - qu'au moins deux signes hiéroglyphiques (ceux correspondant à notre i et à notre h), quand ils sont plusieurs fois répétés les uns à la suite des autres au-dessus d'instrumentistes sur la paroi d'une tombe auraient vraisemblablement une signification musicale : mais cela n'est encore que conjecture, faute de documents suffisants qui viendraient avérer l'hypothèse.  

 

     De sorte que, nonobstant les recherches et déductions des savants belge et germanique auxquels je viens de faire référence, il demeure que les musicologues et autres acousticiens estiment, en cela suivis par maints égyptologues, que pour avoir une certaine idée des sonorités musicales de cette époque antique, il ne nous reste plus, dans un premier temps, qu'à nous intéresser à ce que chantent ou jouent les ouvriers et les paysans égyptiens contemporains quand ils veulent se donner du coeur à l'ouvrage, pour autant que l'on établisse comme base de réflexion qu'ils perpétuent dans une certaine mesure (sans quelconque jeu de mots !), au travers des siècles, au travers des générations, quelques réminiscences des mélodies antiques. Et dans un second temps, à prendre en bonne considération les chants liturgiques de ces descendants des lointains Égyptiens que sont les chrétiens coptes qui, vraisemblablement, pérennisent eux aussi les mélopées sacrées anciennes.

 

     Car les preuves archéologiques - peintures et reliefs -, tout autant que les récits des voyageurs grecs, ne manquent pas qui nous donnent à concevoir la musique de l'antique Kemet sous deux aspects bien distincts : l'un, profane et l'autre, sacré. Entendez, (toujours sans mauvais jeu de mots !), une musique secondant la quotidienneté, dans ses travaux autant que dans ses fêtes ; l'autre ressortissant à la vie cultuelle, au sein des temples notamment, où des hymnodes s'accompagnant de la harpe offraient leurs psalmodies au dieu à honorer.

 

     Vous aurez donc compris, amis visiteurs, que la musique en général, qu'elle soutienne chants ou danses, revêtit une très grande importance dans toutes les couches de la société égyptienne d'alors, chez les plus humbles travailleurs comme chez les privilégiés : c'est ainsi que le Palais se chargeait d'enseigner et de rémunérer un personnel spécialisé, vraisemblablement doué au départ. Ce sont en outre dans des ateliers royaux que des facteurs de haut niveau confectionnaient les différents instruments en usage.


 

     Dans un article datant de 1906 consacré à la poésie de Basse Époque - Poesie aus der Spätzeit -, l'égyptologue allemand Hermann Junker (1877-1962) attirait l'attention sur un hymne gravé sur l'un des murs du temple d'Hathor à Denderah qui nous donne à comprendre combien la musique fit également partie de la vie religieuse personnelle des souverains :


Es kommt der Pharao zu tanzen,
Er kommt, (dir) zu singen.
     Ô seine Herrin ! sieh, wie er tanzt ;
     Ô Braut des Horus ! sieh, wie er hüpft.


(...)


Ô Goldene! wie schön ist dieses Lied !
Wie das Lied des Horus selbst.

 

Traduction personnelle :


Le Pharaon vient pour danser,

Il vient pour chanter.

     Ô toi sa souveraine, vois comme il danse ;

     Ô Épouse d'Horus, vois comme il sautille.


(...)


Ô Dorée ! combien beau est son chant !

Tel le chant d'Horus lui-même.

 

   

     Et l'Hymne au Nil que je citai tout à l'heure, n'est pas en reste quand il nous permet de comprendre l'importance  de la harpe associée à Hapy, une des divinités les plus honorées de tout un peuple dans la mesure où elle permettait les débordements salvateurs tant attendus d'un fleuve, crues qui assuraient la pérennité de la société :

 

On commence à chanter à la harpe en ton honneur,
à chanter avec les mains.     

 

 

      C'est de harpe, précisément, qu'il sera donc question le 13 novembre prochain puisque je vous propose de nous retrouver dans cette même salle 10 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre pour autant qu'en ma compagnie vous souhaitiez mieux connaître cet instrument tellement apprécié des anciens habitants des rives du Nil.

 

     A mardi ?

 

 

 

(Careddu : 1991,39-59 ; Hickmann : 1987, 49-50 et 90 ; Junker : 1906, 102-3 ; Loret : 1913, 1-34 ; Van der Plas : 1986, I, 138)

 

 


     (Merci à Thierry Benderitter pour l'excellence de son site OsirisNet, source inépuisable dans laquelle il me permet toujours de venir m'abreuver. Ce matin, pour les deux dessins de chironomie présentés ci-dessus.)

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22 octobre 2012 1 22 /10 /octobre /2012 23:00

 

     En ce qui concerne le bon et le mauvais, ils ne manifestent non plus rien de positif dans les choses, du moins considérées en elles-mêmes, et ne sont que des modes de penser, c'est-à-dire des notions que nous formons parce que nous comparons les choses entre elles.

En effet, une seule et même chose peut être, dans le même temps, bonne et mauvaise, et aussi indifférente. Par exemple, la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour qui éprouve de la peine ; mais pour le sourd, elle n'est ni bonne ni mauvaise.

 


 

SPINOZA

Éthique, IV, Préface

 

dans Oeuvres complètes,

Paris, Gallimard, La Pléiade,

p. 489 de mon édition de 1954

 

 


 

      "Ayant fin juin épuisé le premier des deux grands axes thématiques du programme iconographique de la tombe de Metchetchi, celui consacré aux rites indispensables pour que son culte funéraire soit assuré, je pus envisager les "vacances" en vous laissant en compagnie de Sinouhé ...", vous précisais-je mardi dernier, amis visiteurs, à la fin de ma table des matières reprenant le passé de nos rendez-vous devant la collection de fragments peints exposée en cette vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre

 

     Est-il besoin d'ajouter que si, thématiquement parlant, la première partie de notre étude de ces morceaux de mouna provenant de son mastaba est arrivée à son terme en juin dernier, nous pouvons à présent partir à la découverte de la seconde ? Que j'avais par ailleurs rapidement définie, le 19 novembre 2011, en soulignant qu'il s'agissait des loisirs qui furent siens de son vivant et dont il souhaitait encore bénéficier dans son éternité.

 

     "Loisirs", uniquement ? ...

 

  

     Vous vous souvenez assurément que nous avons au printemps dernier concentré notre attention plusieurs semaines consécutives au fragment E 25515 de 45 centimètres de hauteur et 81 de longueur, accroché ici devant nous.

 

 

30. Fragment E 25515 (2009)

 

 

     Si aujourd'hui je m'y attarde à nouveau, vous vous doutez évidemment que ce n'est plus pour évoquer les scènes de la naissance du veau et de la traite de la vache qui se déploient au registre inférieur, ni celle de l'ablation de la patte antérieure et son apport pour le repas funéraire de Metchetchi à droite du registre supérieur.  

 

     Pour l'heure, je vous ai fixé ce rendez-vous afin d'aborder un thème qui, derechef, nous invitera vers d'intéressants nouveaux horizons : il s'agit de la scène peinte au-dessus, à gauche.

 

     Malgré l'état du fragment pour le moins discutable, auquel vient malheureusement s'ajouter la piètre qualité de mon cliché ci-après, ce qui, convenez-en, n'autorise pas vraiment une belle lecture, il ne doit se présenter aucune difficulté pour que vous distinguiez trois jeunes femmes assises, jouant de la harpe.

 


Joueuses-de-harpe.-Fragment-E-25515-(2009)-.JPG    


     Il est interdit de frapper du tambour et de jouer de la harpe ou du hautbois ..., peut-on lire dans le "Décret divin" de l'Abaton gravé à Philae, au niveau du mur intérieur nord du portique du temple qu'y fit ériger l'empereur romain Hadrien ; texte dont, pour une tout autre finalité, je vous avais déjà engagé à découvrir quelques extraits le 5 juin dernier, souvenez-vous, quand nous avions évoqué le lait consacré aux libations destinées aux dieux ; à Philae en l'occurrence : à Osiris.

 

     Nonobstant que, comme je viens de le préciser, elle fasse à certains moments l'objet d'une proscription dans le culte divin sur l'île de Biggeh, ainsi que dans d'autres sanctuaires où avait été conservée l'une quelconque relique censée avoir appartenu à Osiris, - ce dieu qui abomine tout bruit, peut-on lire dans un des Textes des Sarcophages ou encore, tout aussi révélatrice, cette épithète qui lui est parfois associée : Seigneur du silence, - la harpe fut, tout comme le sistre d'ailleurs, l'instrument de musique qui connut, et cela dès l'Ancien Empire, une faveur insigne auprès des Égyptiens. 

 

     Il faut évidemment souligner que, de tous les instruments à cordes figurés sur les reliefs ou les peintures actuellement mis au jour - je pense essentiellement au luth et à la lyre - ; de tous ceux que l'on peut admirer dans les musées et, notamment ici même un peu plus loin au rez-de-chaussée, en la salle 10, elle fut la seule à connaître une origine autochtone, tous les autres ayant été importés d'Asie à des époques plus récentes. De sorte que, pour l'Ancien Empire, elle constitue l'unique exemple de cordophone - comme aiment à l'appeler les spécialistes - présent dans un ensemble musical.

 

     Il me faut enfin préciser - et ceci corrobore aussi cela - que la musique en général revêtit une très grande importance dans les strates aisées de la société égyptienne d'alors.

  

 

     Mais qu'entend-on véritablement par musique à l'époque pharaonique ?

Dans quelles circonstances était-elle pratiquée ?

Pour qui ? Par qui ?

Avec quels types d'instruments ?

 

     Quant à ces trois musiciennes assez effacées - au propre comme au figuré -  qui fort discrètement nous ont accompagnés ce matin, qui étaient-elles réellement ?

 

     A toutes ces questions, et à d'autres probablement qui surgiraient tout au long de nos rencontres, je me propose d'apporter une réponse à mon retour au pays, dès le premier mardi après les vacances de Toussaint, le 6 novembre donc, ici, devant la vitrine 4 ² de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.

 

     Avant de vous quitter, pour que vos jours à venir soient ensoleillés de poésie à chaque coin de rues, permettez-moi de vous offrir "Cinq notes" : cette portée-là ne pourra que vous séduire. Et si l'envie vous en prend, ne vous en contentez pas : partez à la découverte d'autres aussi beaux coups de coeur avec Carole


 

     A bientôt.

     Excellent congé à tous.


     Richard

 


 

 

(Emerit : 2002, 189-210 ; EAD. 2005 : 3-16 ; Loret : 1913, 23-30)

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15 octobre 2012 1 15 /10 /octobre /2012 23:00

 

 Une pierre

deux maisons

trois ruines

quatre fossoyeurs

un jardin

des fleurs

...

 

Jacques  PRÉVERT

Inventaire

 

dans Paroles

Paris, Gallimard, Le Livre de Poche n° 239

p. 201 de mon édition de 1965

 


 

 

 

     Derrière nous, loin déjà, l'été 2012 qui nous a emmenés vous et moi, amis visiteurs, dès le premier mardi de juillet, sur les routes de l'exil vers les terres asiatiques d'un fonctionnaire aulique du Moyen Empire égyptien.

 

     Quoi de plus exaltant, pendant ces trois mois de "vacances", que de parcourir avec vous le Roman de Sinouhé que j'avais jadis traduit et que j'ai pris grand plaisir d'exhumer de mes archives d'alors pour vous le donner à lire ?

      Quoi de plus étonnant que d'y associer - rencontre d'un autre type ! - le trop peu lu poète français Saint-John Perse ?

     Quoi de plus stimulant que de découvrir au fil des semaines que vous ne fûtes point que des lecteurs aimables mais, inespéré pour moi, de vrais passionnés par ce texte, son vocabulaire, son style d'une haute teneur littéraire : le nombre de commentaires, ici ou par mails privés, le nombre de "J'aime ça" sur les réseaux sociaux, autre fort agréable encouragement inattendu, en constituent une preuve irréfutable.

Merci à tous.

 

     Chaque chose arrivant un jour à terme, la rentrée académique s'étant déjà depuis plusieurs semaines manifestée à l'horizon universitaire belge, je vous propose maintenant de quelque peu délaisser la voie du romanesque - mais pas nécessairement de la poésie - aux fins de reprendre celle du Musée du Louvre sur laquelle, je n'en doute pas un seul instant, vous vous engagerez à nouveau pour m'accompagner d'un pas décisif et décidé.

 

 

Pied--03-07-2012--401.jpg

 

     Nonobstant, ce n'est pas véritablement à vous, fidèles coreligionnaires en esthétique égyptienne, que je m'adresse ce matin mais, plus spécifiquement, à celles et ceux qui, désirant nous rejoindre pour la suite du voyage, se sont inscrits ces derniers mois pour réserver leur place dans notre dahabieh virtuelle. 

 

      Notre destination ? Le mastaba de Metchetchi.

     Notre point d'embarquement ? Les vitrines 4 1 et 4 ² ici devant nous sur le mur nord de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes.

 


Vitrines 4

 


     "Nouveaux" amis visiteurs, soyez assurés que tous les "Anciens" qui vous entourent aujourd'hui ont grandement appris à la connaître, à la détailler, à l'admirer cette collection de vestiges naguère arrachés par de bien peu scrupuleux "amateurs d'art" aux parois murales de la tombe qu'à l'instar de tout Égyptien, Metchetchi avait espérée inviolable, partant, inviolée.

 

     Mais de quoi s'agit-il ?, vous interrogez-vous probablement ...

 

     Afin de ne point vous contraindre à une recherche fastidieuse des pages de mon blog, nombreuses à cet homme lige du roi Ounas dédiées, pour y débusquer le renseignement souhaité, j'ai pensé ici vous proposer, non pas un inventaire à la Prévert mais, plutôt, dans toute la froideur de son énumération, une table des matières qu'il vous sera loisible de conserver dans vos favoris. Il ne vous restera plus par la suite qu'à la consulter d'un simple clic sur une des dates pour que, grâce à une sorte de tapis volant vers la Connaissance tel celui, mordoré, recouvrant maintenant les salles du nouvel espace que le Musée du Louvre a décidé d'offrir aux arts de l'Islam, Cour Visconti,


 

Toit-Departement-des-Arts-de-l-Islam.jpg

 

vous soyez emmenés jusqu'aux titres proposés en regard.

 

     Excellent voyage à tous parmi cette collection de petites merveilles provenant du mastaba de Metchetchi, à découvrir, voire même, à redécouvrir ...

 

 

 

15 mars 2011 : 1. Une introduction

 

22 mars 2011 : 2. Considérations philologiques à propos de deux titres auliques


29 mars 2011 : 3. A propos de la catégorie sociale des Khentyou-she

 

5 avril 2011 : 4. A propos de l'épithète Imakhou

 

26 avril 2011 : XIII. Considérations sémiotiques à propos du fragment de linteau E 25681

 

3 mai 2011 : XIV. De l'aspectivité dans l'art égyptien (Linteau E 25681)

 

24 mai 2011 : XVI. Père et fils (Linteau E 25681)


31 mai 2011 : XVII. Derechef la perspective ? (Linteau E 25681)

 

15 novembre 2011 : Peintures - 1. Une introduction (Première partie)

 

19 novembre 2011 : 2. Une introduction (Seconde partie)

 

22 novembre 2011 : 3. Quelques précisions techniques (Première partie)

 

26 novembre 2011 : 4. Quelques précisions techniques (Deuxième partie)

 

29 novembre 2011 : 5. Quelques précisions techniques (Troisième partie)

 

3 décembre 2011 : 6. Quelques précisions techniques (Quatrième partie)


6 décembre 2011 : 7. Le propriétaire de la tombe (Première partie)

 

10 décembre 2011 : 8. Le propriétaire de la tombe (Seconde partie)

 

13 décembre 2011 : 9. De l'amour filial : le père vivant

 

17 décembre 2011 : 10. De l'amour filial : le père défunt

 

20 décembre 2011 : 11. Du parangon originel de l'amour filial

 

10 janvier 2012 : 12. De la perception de la mort en tant qu'Hymne à la Vie (Première partie)

 

14 janvier 2012 : 13. De la perception de la mort en tant qu'Hymne à la Vie (Seconde partie)

 

17 janvier 2012 : 14. Les champs thématiques du programme iconographique

 

21 janvier 2012 : 15. Les porteuses d'offrandes (Première partie)

 

24 janvier 2012 : 16. Les porteuses d'offrandes (Deuxième partie)

 

28 janvier 2012 : 17. Les porteuses d'offrandes (3) : De l'origine des domaines funéraires

 

31 janvier 2012 : 18. Les porteurs d'offrandes (Fragments E 25508 et E 25509)

 

4 février 2012 : 19. Les porteurs d'offrandes (De la monotonie de l'art égyptien ?)


7 février 2012 : 20. Les porteurs d'offrandes (Fragments E 25530 et E 25536)

 

11 février 2012 : 21. De l'élaboration des récipients en pierre

 

14 février 2012 : 22. Les porteurs d'offrandes (Fragments E 25514 et E 25529)

 

28 février 2012 : 23. De la présence de l'oryx dans l'iconologie de l'offrande alimentaire

 

3 mars 2012 : 24. Des différentes techniques pour sacrifier un oryx

 

6 mars 2012 : 25. Des raisons du sacrifice de l'oryx dans les rites égyptiens

 

10 mars 2012 : 26. De la présence de bovidés dans l'iconologie de l'offrande alimentaire

 

13 mars 2012 : 27. Du sacrifice rituel des bovidés

 

17 mars 2012 : 28. Des prêtres de l'Égypte antique, en général

 

20 mars 2012 : 29. Des prêtres-lecteurs, en particulier

 

24 mars 2012 : 30. De la pancarte

 

27 mars 2012 : 31. De l'apport des vases d'huiles rituelles

 

31 mars 2012 : 32. Des huiles canoniques

 

17 avril 2012 : 33. Demandez le programme !

 

21 avril 2012  : 34. Des domaines avicoles

 

26 avril 2012 : 35. De la suralimentation forcée

 

28 avril 2012 : 36. Où il est à nouveau question de bovins

 

1er mai 2012 : 37. Et la vache vêla

 

5 mai 2012 : 38. Et la vache, son lait donna 

 

8 mai 2012 : 39. Du lait en général : nourrir

 

15 mai 2012 : 40. Du lait en général : soigner

 

22 mai 2012 : 41. Du lait humain en particulier

 

29 mai 2012 : 42. Du lait dans différents rituels purificateurs

 

5 juin 2012 : 43. Du lait pour une libation aux dieux

 

12 juin 2012 : 44. Du lait divin pour les nouveau-nés royaux

 

19 juin 2012 : 45. Du lait divin pour les couronnements royaux

 

26 juin 2012 : 46. Du lait divin pour l'Au-delà des rois

 

 

     Ayant fin juin épuisé le premier des deux grands axes thématiques du programme iconographique de la tombe de Metchechi, celui consacré aux rites indispensables pour que son culte funéraire soit assuré, je pus envisager les "vacances" en vous laissant en compagnie de Sinouhé ... 

 

     Et pour l'heure, seriez-vous en droit de me demander, que peut-il bien encore nous apprendre ce brave homme ?

 

     Avant de vous fixer un nouveau rendez-vous pour le 23 octobre prochain, sans hésitation aucune, je répondrai que les thèmes qu'il s'était choisis pour accompagner son éternité furent tellement riches et éclectiques qu'il nous réserve encore quelques belles et intéressantes surprises ...

 

     A mardi  ...

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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 23:00

 

     Mes parents possédaient au fin fond de la forêt une cambuse sans prestige où nous allions parfois nous mettre au vert. Je leur en demandai les clés.

- Que vas-tu faire là-bas tout seul ?, interrogea mon père.

- Traduire l'Iliade et l'Odyssée.

- Il en existe déjà d'excellentes traductions.

- Je sais. Mais quand on traduit soi-même un texte, il se crée entre lui et soi un lien bien plus fort que par la lecture.

 

 

Amélie NOTHOMB

Le Voyage d'hiver

 

Paris, Albin Michel

p. 17 de mon édition de 2009

 

 

 

 

     D'emblée, permettez-moi, amis lecteurs, de chaleureusement remercier celles et ceux qui ont tenu à répondre à la lettre que j'avais envoyée en guise de "référendum" concernant le mode de publication du Roman de Sinouhé, trois mois durant, de semaine en semaine.

 

     Conseillé dernièrement par Carole, une parmi mes nouvelles abonnées, je me propose aujourd'hui de vous le livrer, dans son intégralité et dépourvu des notes jugées par d'aucuns parfois un peu trop didactiques. Ce choix pourra peut-être rencontrer le souhait d'autres correspondants qui estiment cet étalement sur autant de temps préjudiciable à la bonne compréhension de l'oeuvre, obligeant à maintes reprises un retour au texte d'un précédent mardi, faute d'encore l'avoir en mémoire ...

 

     Dans le même commentaire, Carole me suggérait de le publier sur le Net, via le site Calaméo, de manière à en réaliser un livre virtuel. A vrai dire, je n'ai encore rien décidé à ce sujet, méfiant que je suis toujours par rapport aux "offres gratuites" d'Internet.

 

     Nonobstant, si ce projet devait se concrétiser, vous en seriez évidemment les premiers avertis.

 

     Et pour l'heure, d'un seul tenant, retrouvons, voulez-vous,  les aventures de "notre" héros antique ... sachant que, bien évidemment, il vous est toujours loisible d'en reprendre une lecture, épisode par épisode, chaque mardi à partir du 3 juillet dernier.

 

 

 

     Le noble, le prince, le porteur du sceau royal en qualité d'ami du Harponneur, l'administrateur en chef des domaines des souverains dans les terres asiatiques - qu'il vive, soit prospère et en bonne santé -, le connu véritable du roi de Haute-Egypte, son aimé, le compagnon royal, Sinouhé, dit :

   

     J'étais un compagnon adjoint à son maître, un serviteur du harem royal de la noble dame, la grande favorite, l'épouse royale de Sésostris dans Kenemsout, la fille royale d'Amenemhat dans Kaneferou, Neferou, la dame élevée à l'état d'imakh.

 

     En l'an 30 du règne, le troisième mois de la saison de l'inondation, le septième jour, le dieu s'éleva vers son horizon, le roi de Haute et Basse-Egypte, Sehetepibrê qui s'envola vers le ciel pour s'unir au disque solaire, de sorte que la chair du dieu s'incorpora à celle de son père.  

 

     La Résidence royale était dans le silence, les coeurs dans l'affliction et la double grande porte close. L'entourage avait la tête sur les genoux et le peuple était dans la douleur.

 

      Or donc, sa Majesté avait envoyé une armée vers le pays des Téméhou .

  

      Son fils aîné, le dieu parfait Sésostris, en avait pris la tête : il y avait été mandé pour combattre les pays étrangers et infliger une correction à ceux qui étaient parmi les Tchéhénou.

 

     C'est après avoir emporté du pays des Tchéhénou des prisonniers entravés et du bétail de toute sorte en grande quantité qu'il s'en revenait. Les compagnons du Palais dépêchèrent (des messagers) du côté de l'Occident afin que le fils du roi connaisse les événements advenus à la Résidence : ces émissaires le trouvèrent sur le chemin, l'atteignant le soir finissant. Qu'il tardât ne s'est pas produit : le Faucon s'envola avec sa suite sans faire en sorte que son armée le sût.

 

    Or, on avait également dépêché (des émissaires) vers les enfants royaux qui l'accompagnaient dans cette armée : on fit appel à l'un d'eux tandis que je me trouvai là. J'entendis sa voix alors qu'il se confiait : j'étais à proximité de celui qui parlait loin.

 

     Mon coeur se troubla, les bras m'en tombèrent, tous les membres de mon corps tremblant davantage. Je m'éloignai d'un bond jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu de cachette.

 

     Et de me placer entre deux buissons afin d'être séparé de celui qui marcherait sur le chemin.

Je me mis en route vers le Sud sans avoir l'intention d'approcher cette Résidence car je m'attendais à ce qu'advienne un conflit.

Et je ne pensais pas vivre après lui.

 

     Je traversai le Maâti aux environs du Sycomore et approchai de l'enceinte de Snéfrou.

Je passai une journée à la lisière d'un champ. C'est lorsqu'il fit jour que je me mis en route.

Je rencontrai un homme qui se tenait debout sur le bord du chemin : il me salua avec respect, moi qui le craignais.

C'est quand vint le moment du repas du soir que j'arrivai à la rive des boeufs.

Je traversai l'eau sur une barge dépourvue de gouvernail grâce à la force du vent d'ouest.

Je passai à l'est de la carrière de pierres, sur la hauteur de la Dame de la Montagne rouge.

Je me mis en route vers le nord et atteignis les Murs du Prince fait pour repousser les Asiatiques et pour écraser les Coureurs des sables.

    

     Je m'accroupis dans un buisson dans la crainte que me voient les gardiens du fortin qui était surveillé ce jour-là. Je me mis en marche au moment du soir et lorsque j'atteignis Peten, le jour se leva.

 

         Je fis halte sur l'île des lacs Amers et c'est alors que la soif m'assaillit, de sorte que j'étouffais : ma gorge (était comme de la) poussière.

 

     Je dis : "Ceci est le goût de la mort". Je relevai mon coeur et rassemblai mes membres après que j'eus entendu le mugissement d'un troupeau. J'aperçus des Bédouins. Un cheikh local me reconnut : il s'était par le passé rendu en Égypte. Alors il me donna de l'eau. Du lait fut cuit pour moi. Je marchai avec lui vers sa tribu. Bon est ce qu'ils firent.

  

     Un pays étranger me donna à un autre pays étranger.

 

      Je quittai Byblos et me rendis à Qedem. J'y vécus un an et demi. Amounenchi m'emmena : c'était un prince du Rétchénou supérieur. Il me dit : "Tu seras bien avec moi, tu entendras la langue d'Égypte". Il me dit cela parce qu'il connaissait ma réputation. Il avait entendu ma sagesse parce que des gens d'Égypte qui étaient là avec lui, pour moi, avaient témoigné.

 

     Alors il me demanda : "Pourquoi es-tu venu ici ?" Qu'y a-t-il ? S'est-il passé quelque chose à la Cour ?" 

   

     Je lui expliquai que le roi de Haute et Basse-Égypte, Sehetepibrê, s'en était allé vers l'horizon  et que l'on ne savait pas ce qu'il adviendrait après cela.

 

      Puis ajoutai, en guise de mensonge : "C'est d'une expédition du pays des Téméhou que je revenais lorsqu'on me fit rapport. Mon coeur faiblit ; je défaillis. Mon coeur n'était plus dans mon corps, il m'emporta sur les chemins de la fuite.

 

     Je n'avais pas fait l'objet d'une conversation ; on n'avait pas craché sur moi ; je n'avais pas entendu de reproches, ni mon nom dans la bouche du héraut.

Je ne sais ce qui m'a amené dans ce pays : c'était comme la volonté du dieu, comme quand l'homme du Delta se voit à Éléphantine ou l'homme des marais en Nubie ..."

 

     Alors, il me dit : "Comment donc sera ce pays-là en son absence, sans lui, sans ce dieu puissant dont la crainte était à travers les pays étrangers comme (celle de) Sekhmet lors d'une année de peste ?"

 

     Pour ma part, je lui dis en guise de réponse : "Assurément, son fils est entré dans le Palais après qu'il a pris possession de l'héritage de son père. C'est un dieu, certes, qui est sans égal ; personne n'a existé supérieur à lui. C'est un maître de sagesse, excellent quant aux desseins, efficace quant aux commandements, sur l'ordre duquel l'on va et vient.

  

     C'est lui qui soumettait les pays étrangers tandis que son père était dans son palais. Il (lui) rendait rapport sur ce qu'il avait ordonné d'être fait. Certes, c'est un homme fort, agissant par la vigueur de son bras, un être actif qui n'a pas son pareil quand on le voit charger les troupes ennemies ou aborder la mêlée. C'est lui qui plie la corne et affaiblit les mains, (faisant en sorte que) ses ennemis ne peuvent se ranger en ordre de bataille.

 

     C'est un laveur de visage qui brise les fronts. On ne tient pas debout en sa présence. C'est un qui allonge le pas quand il détruit les fuyards : il n'y a pas d'échappatoire pour celui qui lui montre son dos. C'est un tenace au moment de repousser (l'ennemi). C'est un homme qui revient à la charge : il ne peut tourner le dos. C'est un homme vaillant, brave quand il voit la multitude. Il ne donne pas prise à la lassitude autour de son coeur .

 

     C'est un hardi quand il voit les ennemis de l'Égypte ; c'est sa joie que refouler les troupes adverses. Quand il saisit son bouclier, il piétine (les ennemis). Il ne s'y prend pas à deux fois pour tuer. Personne ne peut échapper à sa flèche ; personne ne peut bander son arc. Les étrangers fuient ses deux bras comme la puissance de la grande déesse. Il combat comme s'il prévoyait le but, et ne se soucie pas du reste.

 

     C'est un possesseur de charme, grand de douceur : l'amour a conquis pour lui. Sa ville l'aime plus qu'elle-même. Elle s'honore de lui plus qu'en son propre dieu. Hommes et femmes passent en exaltation grâce à lui, maintenant qu'il est roi

 

     Il a conquis étant encore dans l'oeuf : son visage est tourné vers cela depuis qu'il a été mis au monde. C'est quelqu'un qui multiplie ce qui est né avec lui. C'est un unique que donne le dieu. Combien se réjouit ce pays qu'il gouverne. C'est quelqu'un qui élargit les frontières : il conquerra les pays du Sud et ne tiendra nul compte des pays du Nord car il a été créé pour frapper les Asiatiques et pour écraser les Coureurs des sables.

 

     Dépêche (un messager) vers lui. Fais qu'il connaisse ton nom ; ne blasphème pas loin de Sa Majesté. Il ne manquera pas de faire du bien à un pays qui sera loyal envers lui.

 

     Alors il me dit : Et assurément l'Égypte est heureuse, elle sait qu'il est puissant !

 

      "Vois, tu es ici. C'est avec moi que tu es : ce que je ferai pour toi sera bon."

 

      Il me présenta à ses enfants ; me maria à sa fille aînée ; fit que dans son pays je me choisisse le meilleur de ce qu'il possédait à la frontière d'un autre pays étranger : c'était une belle terre qui s'appelait Iaa. Les figues y poussaient ; et aussi la vigne : le vin y était plus abondant que l'eau. En grande quantité également son miel et son huile de moringa. Tous les fruits étaient sur ses arbres. L'orge y croissait ainsi que l'épeautre. Tout le bétail s'y trouvait en abondance.

 

     Certes, beaucoup de choses m'échurent en raison de l'amour qu'il me portait : il me fit chef d'une tribu parmi la meilleure de son pays ; fit préparer à mon intention nourriture et boissons, comprenant du vin chaque jour, de la viande bouillie, de la volaille rôtie, sans compter le petit gibier sauvage du désert que l'on prenait au piège pour moi et que l'on déposait devant moi, indépendamment des apports de mes chiens. On faisait pour moi de nombreuses douceurs et il y avait du lait dans tout ce qui était cuit.

 

     Je vécus là un grand nombre d'années. Mes enfants étaient devenus des hommes robustes, chacun maîtrisant sa tribu.

 

     Le messager qui remontait ou descendait vers la Résidence royale s'arrêtait auprès de moi car je faisais s'attarder tous les Égyptiens : je donnais de l'eau à l'assoiffé, remettais l'égaré sur le chemin et secourais celui qui avait été volé.

 

    Aux Bédouins, disposés à se quereller avec les gouverneurs étrangers, je m'opposai. Et voici que le prince du Rétchénou fit que je passai trois années durant en tant que commandant de son armée. Tout pays étranger contre lequel je marchai, je lui donnai l'assaut, de sorte qu'il était chassé de ses pâturages et de ses puits. Je massacrai ses troupeaux, emmenai ses sujets, saisis leur nourriture, tuai les gens qui s'y trouvaient par la force de mon bras, par mon arc, par mes actions et mes mouvements, ainsi que par mes plans habiles.

 

     Je trouvai faveur en son coeur. Il m'aima car il savait que j'étais brave. Il me plaça avant ses enfants car il avait vu la force de mes deux bras.

 

     Et un homme fort de venir du Rétchénou et de me provoquer dans ma tente. C'était un champion sans pareil : il l'avait soumis tout entier.

Il dit qu'il se battrait avec moi. Il avait pensé qu'il me dépouillerait. Il se proposait de piller mes troupeaux sur le conseil de sa tribu.

 

     Le Prince s'entretint avec moi. Je dis : "Je ne le connais pas ; en vérité, je ne suis pas de ses compagnons et n'ai aucune liberté d'accès à son campement.

Ai-je jamais forcé son intérieur de maison ? Franchi ses clôtures ?

 

     C'est une opposition de coeur parce qu'il me voit en train d'exécuter tes ordres.

Assurément, je suis comme le taureau vagabond au milieu d'un autre troupeau : le mâle du troupeau l'attaque tandis que le boeuf à longues cornes fond sur lui. 

 

     Existe-t-il un homme de condition modeste aimé en tant que chef ?

Il n'y a aucun étranger qui s'associe à un homme du Delta.

Qui peut fixer la plante de papyrus  sur le rocher ?

A supposer qu'un taureau aime le combat, un taureau d'élite aimera-t-il tourner le dos de crainte que l'autre ne l'égale ?  

Si son coeur est enclin à se battre, qu'il exprime sa volonté !

Un dieu ignore-t-il ce qui lui est destiné ? Sait-il comment ?"

 

     Je passai la nuit à vérifier (les ligatures de) mon arc. Je disposai mes flèches ; aiguisai ma dague ; fourbis mes armes. Lorsque la terre se fut éclairée, le Rétchénou était arrivé .

 

     Il avait rassemblé ses tribus, réuni les deux moitiés du pays, car il pensait à ce combat.

C'est ainsi qu'il marcha sur moi alors que j'étais debout ; je me plaçai dans son voisinage. Chaque coeur brûlait pour moi ; les femmes et même les hommes jacassaient ; chaque coeur était angoissé.

Ils disaient : "Existe-t-il quelqu'un de plus combattant que lui ?"

 

     Il leva son bouclier et sa hache ; une brassée de javelots tombèrent sur moi. Après que j'eus évité ses armes, je fis en sorte que ses flèches passassent à côté de moi jusqu'à la dernière, l'une se rapprochant de l'autre. Alors, il s'ingénia à me désarmer et fonça sur moi. C'est alors que je tirai ma flèche qui se ficha dans son cou. Il poussa un cri et tomba sur le nez : je l'abattis (avec) sa hache et lançai mon cri de guerre sur son dos. Tous les Asiatiques crièrent de joie.

 

     Je rendis grâces à Montou tandis que ses thuriféraires célébraient son triomphe.

Et ce chef Amounenchi me serra dans ses bras.

 

     Alors j'emportai ses biens , pillai son bétail, et ce qu'il projetait de faire contre moi, je le fis contre lui. Je pris ce qu'il avait dans sa tente et dépouillai son campement. Et je devins important à cause de cela ; j'étais large en biens et riche en troupeaux.

Ainsi le dieu a agi pour satisfaire celui contre qui il était irrité et qu'il avait égaré dans un autre pays.

 

     Aujourd'hui, son coeur était apaisé : un fugitif s'enfuit  à cause de sa situation ; mon renom est dans la Résidence. Un paresseux qui traînait à cause de la faim, à présent je donne du pain à mon voisin. Un homme qui quittait sa terre par dénuement, je possède des vêtements de lin fin. Un homme qui courait par manque d'émissaires, je suis riche de serviteurs. Ma maison est belle ; vaste est ma demeure .

 

     Mon souvenir est au Palais. Ô dieu, quel que tu sois qui as ordonné cette fuite, puisses-tu être clément et me rendre à la Cour.

 

      Assurément, tu m'accorderas que je revoie l'endroit où séjourne mon coeur : que peut-il être de plus important que mon enterrement dans le pays où tu m'as mis au monde ?

Ceci est un appel au secours afin que survienne un heureux événement et que le dieu puisse me témoigner sa bienveillance. Puisse-t-il agir de manière telle qu'il améliore la fin de celui qu'il avait rendu misérable, son coeur ayant pitié de celui qu'il avait déraciné pour vivre sur une terre étrangère.

 

     Si donc, aujourd'hui, il est apaisé, puisse-t-il entendre la prière de celui qui est loin afin qu'il se détourne de l'endroit dans lequel il a erré vers celui d'où il s'est amené.

 

     Puisse le roi d'Égypte m'être clément ; puissé-je vivre dans ses bontés ; puissé-je saluer la maîtresse du pays qui est en son palais ; puissé-je entendre les messages de ses enfants.

 

     Puissent mes membres rajeunir  parce que, certes, la vieillesse est survenue et la faiblesse m'a assailli : mes yeux s'alourdissent, mes bras s'affaiblissent, mes jambes ne peuvent plus suivre, (mon) coeur étant fatigué. Je suis proche du trépas, proche d'être conduit aux villes d'éternité.

 

     Puissé-je servir la Dame de l'Univers ; puisse-t-elle me dire que ses enfants sont devenus accomplis.

 

     Puisse-t-elle passer une éternité au-dessus de moi.

 

     Or donc, il fut dit à la Majesté du Roi de Haute- et de Basse-Égypte Kheperkarê, juste de voix, l'état dans lequel je me trouvais. Alors Sa Majesté envoya vers moi (des messagers) porteurs de largesses de la part du roi : elle réjouissait le coeur de l'humble serviteur que je suis comme (celui) d'un chef de n'importe quel pays étranger. Les enfants royaux qui étaient dans son palais firent que j'entende leurs messages.

 

     Copie de l'ordre royal  apporté au serviteur que je suis à propos de son retour vers l'Égypte : "Horus Vivant de Naissance ; Les Deux Maîtresses : Vivant de Naissance ; Le Roi de Haute - et Basse-Égypte Kheperkarê ; Le fils de Rê, Amenemhat, Qu'il vive pour l'éternité et à jamais.

 

     Ordre royal au militaire Sinouhé : Vois, c'est pour que tu saches ce qui suit que cet ordre royal t'a été apporté. Tu as parcouru les pays étrangers depuis Qedem jusqu'au Rétchénou. C'est selon le seul conseil de ton coeur qu'un pays t'a donné à un autre pays. Qu'avais-tu fait pour que l'on ait eu à agir contre toi ? Tu ne parleras pas devant le Conseil des Notables de sorte que l'on puisse s'opposer à tes propos. Cette perspective de poursuite a entraîné ton coeur, elle n'était pas dans mon coeur contre toi !

 

     Ce tien ciel qui est dans le Palais, elle est établie et florissante aujourd'hui . Le bandeau de sa tête, c'est la royauté ; ses enfants sont dans la Résidence : tu entasseras les richesses qu'ils te prodigueront, tu vivras de leurs largesses.

 

     Reviens en Égypte afin que tu voies la Cour à laquelle tu as grandi ; afin que tu baises le sol devant la double grande porte ; afin que tu te joignes aux compagnons.

 

     Vraiment, maintenant tu as commencé à vieillir, tu as perdu la virilité. Songe pour toi au jour de l'enterrement, au passage à l'état d'imakh. La nuit te sera assignée dans l'huile ainsi qu'avec des bandelettes des deux mains de Tayt .

 

     On fera pour toi un cortège funéraire le jour de rejoindre la terre, un cercueil en or et la tête en lapis-lazuli, un ciel sera sur toi. Une fois placé dans le catafalque, des boeufs te traîneront ; des musiciens seront devant toi ; on exécutera la danse funèbre à l'entrée de ta tombe ; on lira pour toi la liste des offrandes ; on sacrifiera à l'entrée de tes tables d'offrandes ; tes piliers seront construits en pierre blanche parmi les enfants royaux.

 

     Certes, tu ne mourras pas en pays étranger ; les Asiatiques ne te conduiront pas au tombeau ;  ce n'est pas dans la peau d'un bélier que tu seras placé ; il ne sera pas fait pour toi un simple tertre. Cela est trop important pour que tu continues à errer.

 

     Songe à la mort : reviens ! "

 

     C'est alors que je me tenais debout au milieu de ma tribu que me parvint cet ordre. Après qu'il me fut lu, je me mis à plat ventre et touchai le sol. La poussière du sol, je la répandis sur mes cheveux. C'est en criant que je parcourus mon campement : comment ceci peut-il être fait à un serviteur que son coeur a égaré vers des pays étrangers ? Assurément, bonne est la clémence qui me sauve de la mort.

 

     Ton Ka fera en sorte que je passe la fin (de ma vie), mon corps étant à la Cour. 

 

 

     Copie de l'accusé de réception de ce décret.

Le serviteur du Palais, Sinouhé, dit : En très bonne paix !

Concernant cette fuite qu'a faite cet humble serviteur dans son ignorance, il est grandement bon que ton Ka l'ait bien comprise, dieu parfait, Seigneur du Double Pays, qu'aime Rê et que favorise Montou, Maître de Thèbes.

 

     Amon, Souverain du trône des Deux Terres ; Sobek ; Rê ; Horus ; Hathor ; Atoum avec son Ennéade ; Sopdou ; Neferbaou ; Semserou, l'Horus oriental ; la Dame de Bouto - qu'elle enserre ta tête ! - ; le Collège qui siège sur les flots ; Min-Horus qui réside dans les montagnes ; Oureret, Dame de Pount ; Nout ; Haroëris-Rê et tous les dieux de l'Égypte et des îles de Ouadj-Our : qu'ils donnent vie et puissance à ta narine, qu'ils te dotent de leurs présents ; qu'ils t'accordent l'éternité sans limite, l'éternité sans fin. Que ta crainte soit répétée par plaines et monts car tu as soumis ce qu'encercle le Disque. Ceci est une prière du serviteur que je suis, pour son Maître qui le sauve de l'Ouest .

 

     Le Maître de la Connaissance, (lui) qui connaît les hommes, puisse-t-il comprendre, dans la majesté du Palais, que le serviteur que je suis craignait de dire cela ; et c'est une affaire extrêmement grave à répéter. Le dieu grand, l'égal de Rê, connaît celui qui a oeuvré pour lui, spontanément. Le serviteur que je suis est dans la main de celui qui s'enquiert à son propos ; et la situation dépend de sa décision. Ta Majesté est un Horus conquérant et tes bras sont puissants à l'encontre de tous les pays. Que Ta Majesté ordonne que soit ramené Meki de Qedem, Khentyouiaouch de Khentkéchou, Ménous du double pays des Fenékous : ce sont des princes renommés qui ont grandi dans ton amour. Point n'est besoin de rappeler le Rétchénou : il t'appartient pareillement, comme tes chiens.

 

     Quant à cette fuite que le serviteur que je suis a faite, elle n'était pas prévue, elle n'était pas dans mon coeur, je ne l'avais pas préparée. Je ne sais pas qui m'a éloigné de l'emplacement où je me trouvais : c'était comme une sorte de rêve, comme quand un homme du Delta se voit à Éléphantine ou un homme des marais en Nubie. Je ne craindrai plus : on ne m'avait pas persécuté, je n'avais pas encouru de reproches, on n'avait pas entendu mon nom dans la bouche du héraut

    

     En dépit de cela, mes membres frémirent, mes jambes détalèrent, mon coeur prit possession de moi et le dieu qui m'avait ordonné cette fuite, il m'entraîna. Je n'étais pourtant pas un orgueilleux. Un homme qui connaît son pays est craintif : Rê a placé la crainte de toi à travers le pays et la terreur de toi en toute terre étrangère. Que je sois à la Cour ou que je sois en ce lieu, c'est à toi qu'il appartient de recouvrir cet horizon car le soleil se lève selon ton désir. L'eau du fleuve, c'est quand tu le désires qu'elle est bue ; l'air dans le ciel, c'est quand tu le dis qu'il est respiré.

 

     Le serviteur que je suis transmettra ses biens à la progéniture qu'il a engendrée en ce lieu.

 

     Que Ta Majesté agisse selon son désir : on vit de l'air que tu donnes. Puissent Rê, Horus et Hathor aimer ta noble narine dont Montou, Maître de Thèbes, souhaite qu'elle vive éternellement.

 

   On vint vers l'humble serviteur que je suis. Il fut donné que je passe un jour à Iaa pour transmettre mes biens à mes enfants, mon fils aîné ayant la responsabilité de ma tribu ; ma tribu et tous mes biens étant dans sa main : mes serfs, tous mes troupeaux, mes fruits et tous mes arbres fruitiers.

 

     Alors cet humble serviteur partit vers le sud. Je fis halte sur les Chemins d'Horus : le commandant ayant la charge de la patrouille envoya un messager à la Cour pour faire en sorte qu'on le sache. Alors sa Majesté fit venir un excellent directeur des paysans du domaine du palais royal : des bateaux chargés l'accompagnaient sur (lesquels)  étaient des cadeaux de la part du roi pour ces Bédouins venus à ma suite en vue de m'escorter jusqu'aux Chemins d'Horus. Je nommai chacun d'eux par son nom, tous les serviteurs étant à leur tâche.

 

     C'est tandis que l'on pétrissait et que l'on filtrait devant moi que je pris la route et fis voile jusqu'à ce que j'atteigne la ville de Licht.

 

     Ce fut très tôt que l'aurore pointa. Quelqu'un qui m'appela se présenta : dix hommes s'en vinrent et dix s'en allèrent me conduire au palais. Je touchai le sol du front entre les sphinx : les enfants royaux qui se tenaient dans l'épaisseur (du portail)  m'accueillirent. Les courtisans qui avaient été introduits dans la salle hypostyle me placèrent sur le chemin de la salle d'audience.

 

     Je trouvai sa Majesté sur un grand trône d'électrum (installé) dans une niche. Prosterné, je m'évanouis en sa présence. Ce dieu s'adressa à moi amicalement. J'étais comme un homme pris dans le crépuscule : mon âme défaillait, mes membres tremblaient ; mon coeur, il n'était plus dans mon corps ; je ne distinguais plus la vie de la mort.

 

     Alors sa Majesté dit à un de ces courtisans : "Relève-le. Fais qu'il me parle".

Puis, sa Majesté dit : "Vois, tu es revenu. C'est après que la fuite eut remporté  sa victoire sur toi que tu as foulé aux pieds les pays étrangers. Devenu vieux, tu as atteint un âge avancé. Ce ne sera pas une petite chose que ton enterrement. Tu ne seras pas inhumé par les Asiatiques.

N'agis pas sans cesse contre toi : tu ne parles pas, alors que ton nom est prononcé ? "

 

     Je craignais une punition et je répondis à cela par des propos d'homme effrayé : "Que me dit mon maître ? Si je réponds ainsi, ce n'est pas à cause de moi, c'est l'action d'un dieu ; c'est une crainte qui est dans mon corps comme ce qui avait déterminé la fuite fatale.

 

     Vois, je suis devant toi. La vie t'appartient. Que Ta Majesté agisse comme elle le désire."

 

     Alors, on fit en sorte que soient introduits les enfants royaux.

Sa Majesté dit à la reine : "Vois, Sinouhé est revenu en tant qu'Asiatique créé par les Bédouins !"

Elle poussa un très grand cri ; les enfants royaux s'exclamèrent à l'unisson, disant alors devant sa Majesté : "Ce n'est pas lui, en vérité, souverain mon maître ! "

Mais sa Majesté répondit : "C'est bien lui. Vraiment ! "

 

     Or, ils avaient apporté leurs colliers-ménat, leurs sistres-sekhem et leurs sistres-séséchet avec eux. 

 

     Ils les présentèrent alors à sa Majesté : "Que tes mains soient vers la Beauté, ô roi durable ; que ton corps soit la parure de la Dame du ciel ; que la Déesse d'Or donne la vie à ta narine et que la Dame des Étoiles s'unisse à toi. Puisse la Couronne de Haute-Égypte descendre vers le nord et la Couronne de Basse-Égypte remonter vers le sud, unies et combinées selon la parole de Ta Majesté ! Que l'uraeus soit placée à ton front. Puisses-tu éloigner les sujets du malheur et Rê, Maître du double Pays, sera satisfait de toi. Salut à toi, ainsi qu'à la souveraine universelle.

 

     Détends ton arc, dépose ta flèche et donne le souffle à celui qui étouffait ; donne-nous notre beau présent en la personne de ce Bédouin, fils de Méhyt, étranger, né en Égypte : il a fui par peur de toi, il a quitté le pays par terreur de toi. Ne blémira pas le visage de celui qui a vu ton visage ; l'oeil qui t'a regardé ne craindra pas."

 

     Sa Majesté dit alors : "Il ne craindra pas, il n'aura plus de raison d'avoir peur : il sera un noble d'entre les nobles ; il sera placé parmi les courtisans.

   Quant à vous, allez vers la chambre du matin  pour prendre soin de lui."

 

     Je sortis de l'intérieur de la salle d'audience alors que les enfants royaux me donnaient la main, nous allâmes ensuite vers la double grande porte. Je fus installé dans une maison de fils de roi dans laquelle se trouvaient des objets précieux. Il existait là une salle fraîche ainsi que des images de l'horizon.

Il y avait aussi des choses précieuses appartenant au Trésor. Des vêtements de lin royal, de la myrrhe et de l'huile d'oliban pour le souverain et les nobles qu'il aime se trouvaient dans chaque chambre.

 

     Tous les serviteurs s'affairaient à leur tâche : on fit que passent les années sur mon corps ; je fus épilé et mes cheveux furent peignés. Voici que la vermine  fut rendue au désert et mes vêtements aux Coureurs de sable (= les Bédouins) .

Je fus vêtu de lin fin, oint d'huile fine, couchant sur un lit. Je laissai le sable à ceux qui y vivent et l'huile d'arbre à celui qui s'en oint.

 

     On me donna la maison d'un propriétaire de jardin telle qu'il convient à un courtisan : de nombreux ouvriers l'aménagèrent, tous ses arbres étant à nouveau plantés. 

 

     On m'apportait de la nourriture du Palais trois à quatre fois par jour, en plus de ce que donnaient les enfants royaux, sans un moment d'interruption. Une pyramide en pierre fut construite pour moi au sein des pyramides. Le chef des tailleurs de pierre prit possession du terrain ; le chef des dessinateurs y dessina ; le chef des graveurs y grava : les chefs des constructions de la nécropole s'en occupèrent.

Il fut pris soin de tout le mobilier (funéraire)  placé dans le caveau.

 

     On me donna des serviteurs du Ka. Un domaine funéraire fut constitué pour moi, avec des champs cultivés et un jardin à sa place normale, comme l'on fait pour un Ami de premier rang.

 

     Ma statue fut recouverte d'or et son pagne était en électrum : c'est sa Majesté qui avait permis qu'elle fût réalisée. Il n'y a point d'homme de condition inférieure pour lequel on ait fait semblable chose.

 

     Je fus l'objet des faveurs royales jusqu'à ce que vint le jour de la mort.

 

 

     C'est ainsi qu'il est venu, de son commencement jusqu'à sa fin, comme ce qui a été trouvé sur le document écrit.

 

 

* * *

 


      Une ultime fois, il m'agrée d'insister sur ce que cette mienne traduction dut à l'enseignement, aux conseils avisés et aux corrections pointues du Professeur M. Malaise qui, voici près d'un quart de siècle, à l'Université de Liège, guida mes premiers pas dans l'apprentissage de la langue et de l'écriture égyptiennes.

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4 octobre 2012 4 04 /10 /octobre /2012 11:40

 

     C'est avec une réelle tristesse que j'ai appris ce matin par Martine, une de mes lectrices, membre du Forum d'égyptologie qu'également je fréquente, le décès, à Cologne, hier mercredi 3 octobre, de l'égyptologue belge - verviétois, pour être précis - Philippe Derchain : il avait eu 86 ans en juillet dernier.

 

 

 

Philippe-DERCHAIN.jpg

 

 

     Son premier article, à propos du sens curieux d'un terme grec employé par Clément d'Alexandrie, parut à Bruxelles dans la Chronique d'Égypte en 1951 : il avait 25 ans !
L'année suivante, ce fut dans la neuvième livraison de la Revue d'Égyptologie, éditée à Paris par la Société française d'égyptologie qu'il publia le suivant, consacré au dieu Bébon et à ses mythes.
Sa prestigieuse carrière était entamée qui allait aussi le conduire vers l'Enseignement, notamment à Bruxelles, à Strasbourg, puis à Cologne.

     Il serait évidemment long et fastidieux de reprendre ici l'énumération de  l'ensemble de ses travaux : cela fut amorcé en 1991, dans un ouvrage offert pour son 65ème anniversaire (Religion und Philosophie im alten Ägypten - Festgabe für Philippe Derchain zu seinem 65. Geburtstag am 24. Juli 1991), présenté dans la collection Orientalia Lovaniensia Analecta que produit à Louvain la maison d'édition Peeters.
D'autres, plus compétents que moi, dans des revues spécialisées, ne manqueront pas les mois à venir d'en poursuivre la liste.

     De manière très subjective, j'en épinglerai personnellement deux, à mon sens, incontournables : Le Papyrus Salt 825 (B.M. 10051) - Rituel pour la conservation de la vie en Égypte (1965) et Hathor quadrifrons - Recherche sur la syntaxe d'un mythe égyptien (1972).

 

     Ceci posé, à de très nombreuses reprises - pas plus tard d'ailleurs que dans mon article de ce mardi -, j'eus sur ce blog l'opportunité de faire référence à ses travaux ; et la bibliographie de ceux dans lesquels j'ai trouvé matière à alimenter certaines de mes interventions - notamment à propos de la symbolique érotique qui sous-tend parfois l'iconographie funéraire de l'Égypte antique - est grosse d'un certain nombre de titres.

 

     Décidément, l'égyptologie belge - mais également française -, paie ces dernières années un bien lourd tribut à la Camarde ... 

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1 octobre 2012 1 01 /10 /octobre /2012 23:00

 

      Grand âge, vois nos prises : vaines sont-elles, et nos mains libres. La course est faite et n'est point faite ; la chose est dite et n'est point dite. Et nous rentrons chargés de nuit, sachant de naissance et de mort plus que n'enseigne le songe d'homme. 


      Après l'orgueil, voici l'honneur, et cette clarté de l'âme florissante ...

 

 

 

 

SAINT-JOHN PERSE

Chronique, V

 

dans Oeuvres complètes,

Paris, Gallimard, La Pléiade,

p. 397 de mon édition de 1972

 

 

 

     Nous avons, mardi dernier, laissé Sinouhé, souvenez-vous amis lecteurs, envahi par une considérable émotion lors de son arrivée au palais, dès le début de son entrevue avec Sésostris Ier.

 

 

 

     Alors, on fit en sorte que soient introduits les enfants royaux.

Sa Majesté dit à la reine : "Vois, Sinouhé est revenu en tant qu'Asiatique créé par les Bédouins !"

Elle poussa un très grand cri ; les enfants royaux s'exclamèrent à l'unisson, disant alors devant sa Majesté : "Ce n'est pas lui, en vérité, souverain mon maître ! "

Mais sa Majesté répondit : "C'est bien lui. Vraiment ! "

 

     Or, ils avaient apporté leurs colliers-ménat, leurs sistres-sekhem et leurs sistres-séséchet avec eux (1).

 

Sistre-E-681--Salle-10--Vitrine-1---03-07-2012-.jpg

 

 

     Ils les présentèrent alors à sa Majesté : "Que tes mains soient vers la Beauté, ô roi durable ; que ton corps soit la parure de la Dame du ciel ; que la Déesse d'Or donne la vie à ta narine et que la Dame des Étoiles s'unisse à toi. Puisse la Couronne de Haute-Égypte descendre vers le nord et la Couronne de Basse-Égypte remonter vers le sud, unies et combinées selon la parole de Ta Majesté ! Que l'uraeus soit placée à ton front. Puisses-tu éloigner les sujets du malheur et Rê, Maître du double Pays, sera satisfait de toi. Salut à toi, ainsi qu'à la souveraine universelle.

 

     Détends ton arc, dépose ta flèche et donne le souffle à celui qui étouffait ; donne-nous notre beau présent en la personne de ce Bédouin, fils de Méhyt (2), étranger, né en Égypte : il a fui par peur de toi, il a quitté le pays par terreur de toi. Ne blémira pas le visage de celui qui a vu ton visage ; l'oeil qui t'a regardé ne craindra pas."

 

     Sa Majesté dit alors : "Il ne craindra pas, il n'aura plus de raison d'avoir peur : il sera un noble d'entre les nobles ; il sera placé parmi les courtisans.

   Quant à vous, allez vers la chambre du matin (3)  pour prendre soin de lui."

 

     Je sortis de l'intérieur de la salle d'audience alors que les enfants royaux me donnaient la main, nous allâmes ensuite vers la double grande porte. Je fus installé dans une maison de fils de roi dans laquelle se trouvaient des objets précieux. Il existait là une salle fraîche ainsi que des images de l'horizon (4).

Il y avait aussi des choses précieuses appartenant au Trésor. Des vêtements de lin royal, de la myrrhe et de l'huile d'oliban pour le souverain et les nobles qu'il aime se trouvaient dans chaque chambre.

 

     Tous les serviteurs s'affairaient à leur tâche : on fit que passent les années sur mon corps ; je fus épilé et mes cheveux furent peignés. Voici que la vermine fut rendue au désert et mes vêtements aux Coureurs de sable (= les Bédouins) .

Je fus vêtu de lin fin, oint d'huile fine, couchant sur un lit. Je laissai le sable à ceux qui y vivent et l'huile d'arbre à celui qui s'en oint.

 

     On me donna la maison d'un propriétaire de jardin telle qu'il convient à un courtisan : de nombreux ouvriers l'aménagèrent, tous ses arbres étant à nouveau plantés. 

 

     On m'apportait de la nourriture du Palais trois à quatre fois par jour, en plus de ce que donnaient les enfants royaux, sans un moment d'interruption. Une pyramide en pierre fut construite pour moi au sein des pyramides (5). Le chef des tailleurs de pierre prit possession du terrain ; le chef des dessinateurs y dessina ; le chef des graveurs y grava : les chefs des constructions de la nécropole s'en occupèrent.

Il fut pris soin de tout le mobilier (funéraire)  placé dans le caveau.

 

     On me donna des serviteurs du Ka (6) . Un domaine funéraire fut constitué pour moi, avec des champs cultivés et un jardin à sa place normale, comme l'on fait pour un Ami de premier rang.

 

     Ma statue fut recouverte d'or et son pagne était en électrum : c'est sa Majesté qui avait permis qu'elle fût réalisée. Il n'y a point d'homme de condition inférieure pour lequel on ait fait semblable chose.

 

     Je fus l'objet des faveurs royales jusqu'à ce que vint le jour de la mort.

 

 

     C'est ainsi qu'il est venu, de son commencement jusqu'à sa fin, comme ce qui a été trouvé sur le document écrit (7).

 

 

Colophon-Sinouhe.jpg

 


  

 

Notes

 


(1)    ... colliers-ménat et sistres : série d' "objets-bruiteurs", symboles de la déesse Hathor, dont l'agitation faisait partie intégrante d'un rituel censé l'apaiser.



(2)   ... fils de Méhyt : fils du vent du nord (car Sinouhé rentrant du Rétchénou, revient du nord.)

 

     Nous voici arrivés, amis lecteurs, à un moment crucial, un moment ontologique déterminant de l'oeuvre : Sinouhé le Bédouin est mort ; vive Sinouhé l'Égyptien !

    

     Vous devez comprendre par là que tout, absolument tout, se doit d'être mis en oeuvre pour qu'il "renaisse" Égyptien afin qu'il puisse, le temps venu, mourir Égyptien.

 

     Permettez-moi dès lors de quelque peu vous guider dans la compréhension de ce cérémonial, en m'appuyant pour l'occasion sur un article publié par l'égyptologue belge Philippe DERCHAIN (RdE 1970, 79-83) : La réception de Sinouhé à la Cour de Sésostris Ier.

 

     C'est évidemment au roi, dieu sur le trône de Kemet, que revient la responsabilité de réintégrer notre héros au sein même de la société égyptienne : et le paragraphe de s'ouvrir par l'arrivée des enfants royaux portant le collier-menat muni d'un contrepoids dans le dos, symbole hathorique par excellence, et agitant des sistres, instruments de musique lénifiants, destinés à apaiser ceux qui les entendent.

 

     Il s'agit ici en l'occurrence de calmer le ressentiment, - Détends ton arc, dépose ta flèche - évidemment feint, du souverain à l'encontre de Sinouhé. 

 

     La scène - au sens propre comme au sens figuré : nous sommes en pleine "représentation théâtrale" -,  reproduit en fait un mythe à connotation sexuelle avérée dans lequel la reine joue le rôle d'Hathor qui, aux côtés d'un roi détendu, bien disposé (grâce au son des sistres), suscite l'acte créateur, Sésostris Ier jouant celui d'Atoum, le démiurge.


     Symboliquement, ils vont donc ainsi pouvoir "recréer" Sinouhé, lui "donner naissance" en tant qu'Égyptien.

 

     Et ce n'est certes pas un hasard si tout le texte qui suit, psalmodié ou simplement récité par les enfants royaux, fait à plusieurs reprises allusion à une union.

 

     Plus encore : il est très clairement exprimé qu'il faut que le roi donne le souffle à celui qui étouffait, entendez : qu'il permette à un Sinouhé mal dans son être en terres asiatiques de reprendre vie, d'à nouveau respirer la joie d'être "redevenu" Égyptien.

 

     Le souverain au pouvoir vivifiant, le souverain qui insuffle la vie : ne voilà-t-il pas une de ces images récurrentes de la symbolique royale égyptienne ?

 

     De sorte que n'est pas non plus anodine l'image de serviteurs préposés à habiller Sinouhé de neuf, après avoir pris soin d'effectuer sa toilette corporelle : une nouvelle peau, de nouveaux vêtements, deux précisions pour exprimer métaphoriquement la volonté de le rendre à nouveau Égyptien.

 

 

(3)    ... la chambre du matin :  il s'agit vraisemblablement, à l'instar de la pièce des appartements royaux dans laquelle le souverain effectuait ses ablutions matinales, d'un endroit où Sinouhé sera pris en charge pour sa "transformation".

 

 

(4)   ... des images de l'horizon : des représentations de dieux peintes à même les murs.

 
(5)   ... au sein des pyramides : au milieu de l'enceinte où devaient être inhumés Sésostris Ier et tous ses hauts fonctionnaires.

 

 
(6)   ... serviteurs du Ka  : des porteurs d'offrandes alimentaires, comme nous l'avions vu, souvenez-vous, chez Metchetchi.

 


(7)   C'est ainsi qu'il est venu ... : cette dernière phrase, que les égyptologues nomment traditionnellement colophon, constitue en fait une formule convenue marquant distinctement l'achèvement d'un manuscrit (= il ), officialisant en quelque sorte son contenu.

 

     Et c'est avec elle que se referme pour vous, amis lecteurs, le Roman de Sinouhé.

 

     Merci de l'avoir feuilleté en ma compagnie : ce fut pour moi une magnifique expérience estivale !

 

 

*  *  *

 


 

     Une fois encore, je tiens à insister sur ce que cette mienne traduction doit à l'enseignement, aux conseils avisés et aux corrections pointues du Professeur M. Malaise qui, voici près d'un quart de siècle, à l'Université de Liège, guida mes premiers pas dans l'apprentissage de la langue et de l'écriture égyptiennes.

 

     Publiquement, il m'est réel plaisir aussi d'ajouter que, pour tout ce que vous m'avez apporté à cette époque-là, tout ce que j'ai pu en conserver par la suite pour le profit de mes Étudiants de l'École Polytechnique de Verviers et tout le bonheur qu'à présent retraité j'en retire encore grâce à ce modeste blog :  


Merci grandement, Monsieur le Professeur.


 

     Très respectueusement,

     Richard LEJEUNE

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24 septembre 2012 1 24 /09 /septembre /2012 23:00

 

      Comme celui qui se dévêt à la vue de la mer, comme celui qui s'est levé pour honorer la première brise de terre (et voici que son front a grandi sous le casque),

Les mains plus nues qu'à ma naissance et la lèvre plus libre, l'oreille à ses coraux où gît la plainte d'un autre âge,

Me voici restitué à ma rive natale ...


Il n'est d'histoire que de l'âme, il n'est d'aisance que de l'âme.

 

SAINT-JOHN PERSE

Exil, V

 

dans Oeuvres complètes,

Paris, Gallimard, La Pléiade,

p. 130 de mon édition de 1972

 

 

     Nous atteignons doucement aujourd'hui, amis lecteurs, l'aube d'un moment unique dans la vie de Sinouhé ; moment que nous découvrirons de conserve lors du prochain et ultime épisode.


      Rappelez-vous : la semaine dernière, conscient que la magnanimité de Sésostris Ier à son égard était telle que jamais ne lui serait reprochée sa fuite après la mort d'Amenemhat Ier, notre héros envoyait une missive au souverain égyptien en réponse à la lettre que ce dernier lui avait adressée, l'invitant, le grand âge arrivé, à rentrer s'installer et finir ses jours au pays.

 

     Non seulement Sinouhé y expliquait les raisons qui l'avaient fait précipitamment quitter l'Égypte mais il remerciait son maître et, d'une certaine manière, confirmait, maintenant que le roi l'y avait convié, son retour imminent sur sa terre natale.


 

 

04.-Pyramide-de-Sesostris-Ier.jpg

 


     (Que le Professeur Claude Obsomer, de l'U.C.L (Université catholique de Louvain - Belgique), me permette ici de lui réitérer mes remerciements les plus vifs et les plus respectueux pour l'immense générosité avec laquelle il m'a proposé divers clichés des vestiges de Licht, capitale royale de Moyenne-Égypte, qu'il avait réalisés voici près de dix ans ; dont celui ci-avant de la perspective vers la pyramide de Sésostris Ier.)


 

 

     On vint vers l'humble serviteur que je suis. Il fut donné que je passe un jour à Iaa (1) pour transmettre mes biens à mes enfants, mon fils aîné ayant la responsabilité de ma tribu ; ma tribu et tous mes biens étant dans sa main : mes serfs, tous mes troupeaux, mes fruits et tous mes arbres fruitiers.

 

     Alors cet humble serviteur partit vers le sud. Je fis halte sur les Chemins d'Horus  (2) : le commandant ayant la charge de la patrouille envoya un messager à la Cour pour faire en sorte qu'on le sache. Alors sa Majesté fit venir un excellent directeur des paysans du domaine du palais royal : des bateaux chargés l'accompagnaient sur (lesquels)  étaient des cadeaux de la part du roi pour ces Bédouins venus à ma suite en vue de m'escorter jusqu'aux Chemins d'Horus. Je nommai chacun d'eux par son nom, tous les serviteurs étant à leur tâche.

 

     C'est tandis que l'on pétrissait et que l'on filtrait (3) devant moi que je pris la route et fis voile jusqu'à ce que j'atteigne la ville de Licht.

 

     Ce fut très tôt que l'aurore pointa. Quelqu'un qui m'appela se présenta : dix hommes s'en vinrent et dix s'en allèrent me conduire au palais. Je touchai le sol du front entre les sphinx : les enfants royaux qui se tenaient dans l'épaisseur (du portail)  m'accueillirent. Les courtisans qui avaient été introduits dans la salle hypostyle me placèrent sur le chemin de la salle d'audience.

 

     Je trouvai sa Majesté sur un grand trône d'électrum (installé) dans une niche. Prosterné, je m'évanouis en sa présence. Ce dieu s'adressa à moi amicalement. J'étais comme un homme pris dans le crépuscule (4)  : mon âme défaillait, mes membres tremblaient ; mon coeur, il n'était plus dans mon corps ; je ne distinguais plus la vie de la mort.

 

     Alors sa Majesté dit à un de ces courtisans : "Relève-le. Fais qu'il me parle".

Puis, sa Majesté dit : "Vois, tu es revenu. C'est après que la fuite eut remporté  sa victoire sur toi que tu as foulé aux pieds les pays étrangers. Devenu vieux, tu as atteint un âge avancé. Ce ne sera pas une petite chose que ton enterrement. Tu ne seras pas inhumé par les Asiatiques.

N'agis pas sans cesse contre toi : tu ne parles pas, alors que ton nom est prononcé ? "

 

     Je craignais une punition et je répondis à cela par des propos d'homme effrayé : "Que me dit mon maître ? Si je réponds ainsi, ce n'est pas à cause de moi, c'est l'action d'un dieu ; c'est une crainte qui est dans mon corps comme ce qui avait déterminé la fuite fatale.

 

     Vois, je suis devant toi. La vie t'appartient. Que Ta Majesté agisse comme elle le désire."

 

          

 

Notes

 


(1)    ... Iaa : il s'agit, souvenez-vous amis lecteurs, de cette terre d'abondance que Sinouhé avait jadis reçue d'Amounenchi.

 


(2)   ... les Chemins d'Horus : nom donné à une succession de forteresses érigées dès l'Ancien Empire, au niveau du Delta, au nord-est de l'Égypte, aux fins de protéger ses frontières d'éventuelles invasions provenant des pays asiatiques limitrophes.

 


(3)   ... tandis que l'on pétrissait et que l'on filtrait : il s'agit de pétrir une pâte de farine d'orge et d'eau, puis de la filtrer pour obtenir de la bière.

 

 

(4)   ... pris dans le crépuscule : désorienté.  

 

 

 

 

     A suivre ...

 

 

 

     (Je ne rappellerai jamais assez tout ce que cette mienne traduction doit à l'enseignement, aux conseils avisés et aux corrections pointues du Professeur Michel Malaise qui, voici près d'un quart de siècle, guida mes premiers pas dans l'apprentissage de la langue et de l'écriture égyptiennes.)

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17 septembre 2012 1 17 /09 /septembre /2012 23:00

 

      Errants, ô Terre, nous rêvions ...

 

Nous n'avons point tenure de fief ni terre de bien-fonds. Nous n'avons point connu le legs, ni ne saurions léguer. Qui sut jamais notre âge et sut notre nom d'homme ? Et qui disputerait un jour de nos lieux de naissance ? Éponyme, l'ancêtre, et sa gloire, sans trace. Nos oeuvres vivent loin de nous dans leurs vergers d'éclairs.

Et nous n'avons de rang parmi les hommes de l'instant.

 

 

 

 

SAINT-JOHN PERSE

Chronique, IV

 

dans Oeuvres complètes,

Paris, Gallimard, La Pléiade,

p. 395 de mon édition de 1972

 

 

 

 

 

      Mardi dernier, souvenez-vous amis lecteurs, nous avons quitté Sinouhé en proie à un état d'excitation certain après qu'il reçut missive de Sésostris Ier l'autorisant à revenir en Égypte et lui assurant même tout le "confort" pour ses dernières années de vie : une tombe lui serait accordée,  imakh il serait reconnu, de nombreux présents il recevrait, à l'égal de tout fonctionnaire que tout souverain désire récompenser pour services rendus.

 

     Vous pourriez peut-être vous étonner de ces libéralités royales octroyées à un homme qui, jadis, fuit sa terre natale, sans avertir quiconque.

 

     Je pense que pour comprendre cette magnanimité, il nous faut conserver à l'esprit le comportement de Sinouhé en terres asiatiques : nous l'avons vu toujours essayer de mettre Sésostris à l'honneur, nous l'avons même connu "agent diplomatique" veillant constamment aux intérêts de sa patrie d'origine.

Même loin de Kemet, il oeuvra pour sa renommée au-delà de ses frontières. 

 

     Quelle plus belle récompense alors pour ce fonctionnaire aulique que pouvoir être inhumé "chez lui", dans le périmètre de la pyramide du monarque qu'il a fidèlement servi ?

 

 

06.-Pyramide-de-Sesostris-Ier.jpg

 

     (Que le Professeur Claude Obsomer, de l'U.C.L (Université catholique de Louvain - Belgique), trouve ici l'expression de ma gratitude la plus respectueuse et la plus vive pour la célérité et la générosité avec lesquelles il m'a offert l'opportunité de disposer de quelques clichés qu'il avait réalisés voici près de dix ans, à Licht, en Moyenne-Égypte ; dont celui ci-avant, des vestiges de la pyramide de Sésostris Ier.)

 

 

 

      Rasséréné sur le sort qui lui sera réservé, Sinouhé ne tarde évidemment pas à répondre au roi :

 

 

     Copie de l'accusé de réception de ce décret.

Le serviteur du Palais, Sinouhé, dit : En très bonne paix !  (1)

Concernant cette fuite qu'a faite cet humble serviteur dans son ignorance, il est grandement bon que ton Ka l'ait bien comprise, dieu parfait, Seigneur du Double Pays, qu'aime Rê et que favorise Montou, Maître de Thèbes.

 

     Amon, Souverain du trône des Deux Terres ; Sobek ; Rê ; Horus ; Hathor ; Atoum avec son Ennéade ; Sopdou ; Neferbaou ; Semserou, l'Horus oriental ; la Dame de Bouto - qu'elle enserre ta tête !  (2) - ; le Collège qui siège sur les flots  (3) ; Min-Horus qui réside dans les montagnes ; Oureret, Dame de Pount ; Nout ; Haroëris-Rê et tous les dieux de l'Égypte et des îles de Ouadj-Our (4) - (5) : qu'ils donnent vie et puissance à ta narine, qu'ils te dotent de leurs présents ; qu'ils t'accordent l'éternité sans limite, l'éternité sans fin. Que ta crainte soit répétée par plaines et monts car tu as soumis ce qu'encercle le Disque (6). Ceci est une prière du serviteur que je suis, pour son Maître qui le sauve de l'Ouest (7) .

 

     Le Maître de la Connaissance, (lui) qui connaît les hommes, puisse-t-il comprendre, dans la majesté du Palais, que le serviteur que je suis craignait de dire cela ; et c'est une affaire extrêmement grave à répéter (8) . Le dieu grand, l'égal de Rê, connaît celui qui a oeuvré pour lui, spontanément (9). Le serviteur que je suis est dans la main de celui qui s'enquiert à son propos ; et la situation dépend de sa décision. Ta Majesté est un Horus conquérant et tes bras sont puissants à l'encontre de tous les pays. Que Ta Majesté ordonne que soit ramené Meki de Qedem, Khentyouiaouch de Khentkéchou, Ménous du double pays des Fenékous : ce sont des princes renommés qui ont grandi dans ton amour. Point n'est besoin de rappeler le Rétchénou : il t'appartient pareillement, comme tes chiens.


     Quant à cette fuite que le serviteur que je suis a faite, elle n'était pas prévue, elle n'était pas dans mon coeur, je ne l'avais pas préparée. Je ne sais pas qui m'a éloigné de l'emplacement où je me trouvais : c'était comme une sorte de rêve, comme quand un homme du Delta se voit à Éléphantine ou un homme des marais en Nubie (10). Je ne craindrai plus : on ne m'avait pas persécuté, je n'avais pas encouru de reproches, on n'avait pas entendu mon nom dans la bouche du héraut

     En dépit de cela, mes membres frémirent, mes jambes détalèrent, mon coeur prit possession de moi et le dieu qui m'avait ordonné cette fuite, il m'entraîna. Je n'étais pourtant pas un orgueilleux. Un homme qui connaît son pays est craintif : Rê a placé la crainte de toi à travers le pays et la terreur de toi en toute terre étrangère. Que je sois à la Cour ou que je sois en ce lieu, c'est à toi qu'il appartient de recouvrir cet horizon car le soleil se lève selon ton désir. L'eau du fleuve, c'est quand tu le désires qu'elle est bue ; l'air dans le ciel, c'est quand tu le dis qu'il est respiré.

 

     Le serviteur que je suis transmettra ses biens à la progéniture qu'il a engendrée en ce lieu.

 

     Que Ta Majesté agisse selon son désir : on vit de l'air que tu donnes. Puissent Rê, Horus et Hathor aimer ta noble narine dont Montou, Maître de Thèbes, souhaite qu'elle vive éternellement.      

 

 

 

 

Notes

 

   

(1)    En très bonne paix : il s'agit d'une formule de salutation.

 

(2)   ... qu'elle enserre ta tête !  : Sinouhé évoque l'uraeus qui ceint les fronts royaux, déesse se présentant sous l’aspect d’un cobra femelle en fureur, prête à cracher son venin brûlant, dressant sa gorge dilatée et personnifiant l’oeil de Rê, protecteur du souverain.

 

 

(3)   ... Collège qui siège sur les flots : divinités qui secondaient Hâpy, Génie de la crue du Nil.

 


(4)    ... Ouadj-Our : Que voilà, parmi d'autres toponymes égyptiens, celui qui, depuis bien des décennies, divise, pas toujours sereinement d'ailleurs, les égyptologues entre eux, non seulement quant à la traduction à lui  apporter - "Le Grand Vert", "La Très Verte" - mais aussi à propos de sa localisation géographique.


     Ceux qui, faisant confiance aux grands dictionnaires égyptologiques, veulent y voir la mer ne sont même pas unanimement d'accord puisque, pour certains, il s'agit de la Mer Rouge quand pour d'autres, ce ne peut être que la Méditerranée. 


     Que dire alors de ceux qui, se ralliant à l'étude magistrale que publia de ce terme l'égyptologue belge Claude Vandersleyen à l'extrême fin du siècle dernier, considèrent qu'il s'agit du Nil, avec son Delta et sa riche et verdoyante vallée ?

 

 

(5)  Grammaticalement parlant, tous les dieux invoqués ici par Sinouhé constituent le sujet, évidemment anticipé, de la proposition verbale qui suit : "qu'ils donnent ..." 

 

     Feu l'égyptologue français Jean Yoyotte a publié en 1959 un article au sein du numéro 17 de Kêmi, revue de philologie et d'archéologie égyptiennes et coptes, dans lequel il a démontré que les dieux de cette théorie n'étaient manifestement pas cités au hasard.

 

     Hormis le tout premier invoqué, Rê, qui est universel, il s'agit d'un panthéon que l'on peut décomposer en deux ensembles géographiquement déterminés : le groupe des divinités qui ont en commun de se référer à la province thébaine et le groupe de celles qui protègent les frontières de l'Égypte et les pays extérieurs dans lesquels se rendaient ces dieux.

     En outre, tous aussi sont en rapport avec les rois de la XIIème dynastie originaires du nome thébain.

 

 

(6)   ... ce qu'encercle le Disque : évocation de Rê, l'astre solaire. Sinouhé exprime par là le fait que Sésostris Ier a soumis toutes les terres qu'entoure le disque solaire dans sa course. C'est, je le souligne, l'image même que symbolise le cartouche, avec le nom des rois inscrit à l'intérieur.

 

 

(7)    ... qui le sauve de l'Ouest  : textuellement, qui le sauve de l'Amenti, c'est-à-dire du royaume des morts. Notion, rappelez-vous, qu'avait déjà exprimée Sinouhé à la fin du texte que je vous ai proposé la semaine dernière quand il fait allusion à la clémence royale qui le sauve de la mort.

 

 

(8)   ... c'est une affaire extrêmement grave à répéter  : Sinouhé fait évidemment ici allusion aux propos de complot contre Amenemhat Ier qu'il avait interceptés alors qu'il était aux côtés de Sésostris, de retour de sa campagne libyenne.

 

 

(9)    ... spontanément : avec subtilité, notre héros rappelle les services bénévoles qu'il a rendus en terres asiatiques pour la renommée de l'Égypte et de Sésostris Ier.      

 


(10)   ... ou un homme des marais en Nubie : propos déjà tenus par Sinouhé, souvenez-vous amis lecteurs, quand il tentait d'expliquer les raisons de sa fuite à Amounenchi ...

 

 

 

 

     A suivre ... 

      

 

     (Je n'insisterai jamais assez sur ce que cette mienne traduction doit à l'enseignement, aux conseils avisés et aux corrections pointues du Professeur Michel Malaise qui, voici près d'un quart de siècle, guida mes premiers pas dans l'apprentissage de la langue et de l'écriture égyptiennes.)

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