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29 août 2008 5 29 /08 /août /2008 23:00

  

     Le long texte que je vous propose aujourd’hui, ami lecteur, va définitivement clore cette très diversifiée et foisonnante partie consacrée à la découverte de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre; salle dédiée au Nil et qui, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, constitue véritablement une entrée en matière pour bien comprendre l’histoire de cette civilisation antique.

 

     Ce morceau d’anthologie - dont on a abondamment retrouvé trace - pas moins de quatre papyri dont le plus connu est celui du Musée de Turin (CGT 51 016), deux tablettes et soixante-neuf ostraca -, selon les propres termes de Bernard Mathieu qui a réalisé la traduction que je reprends ici, "s’affirme de toute évidence comme une composition littéraire soignée, avec ses quatorze stances bien équilibrées, sa construction logique (introduction, développement, conclusion) et ses nombreuses recherches stylistiques."

 

     En outre, il se révèle extrêmement instructif, techniquement parlant, dans la mesure où les scribes qui l’ont recopié, et c’est suffisamment rare pour être épinglé, l’ont assorti de rubriques et de points rouges.

 

     Je m’explique : le terme "rubrique" provenant du latin rubrica qui signifie terre rouge, ocre, désigna dès le Moyen Âge, les titres, inscrits en rouge, donnés aux livres de Droit.

 

     Les égyptologues, quant à eux, utilisent ce terme pour différencier le début d’une stance, écrite en rouge, de la suite des vers, écrits en noir. (Une stance étant un ensemble cohérent de plusieurs distiques, c’est-à-dire de plusieurs couples de deux vers.)

 

     Quant aux points rouges, on les retrouve à la fin de chaque vers, symbolisant à ce titre une volonté de marquer un arrêt dans le rythme, et probablement une chute de la voix au niveau de la mélodie.

 

     Pour la première fois, donc, apparaît cette sorte de ponctuation qui, la traduction des hiéroglyphes terminée, permet d’instaurer des séparations entre les vers et d’ainsi mieux comprendre le développement des idées véhiculées par le texte lui-même.

 

 

HYMNE A LA CRUE DU NIL

HYMNE A HÂPY

 

1.

Salut à toi, Hâpy, issu de la terre
venu pour faire vivre l’Egypte,
Dont la nature est cachée, ténèbre en plein jour,
pour qui chantent ses suivants;
Qui inonde les champs que Rê a créés
pour faire vivre tous les animaux,
Qui rassasie la montagne éloignée de l’eau
- ce qui tombe du ciel est sa rosée;
Aimé de Geb, dispensateur de Népri,
qui rend florissants les arts de Ptah !

2.

Maître des poissons, qui conduit au sud le gibier des marécages
- il n’est pas d’oiseau qui descende aux temps chauds;
Qui a fait l’orge et produit le blé,
approvisionnant les temples.
Tarde-t-il que le nez se bouche,
et que chacun est démuni;
Si l’on réduit les pains d’offrande des dieux, des millions d’hommes sont
perdus !


3.

Parcimonieux, le pays entier souffre,
grands et petits vagabondent;
Mais les hommes se rassemblent dès qu’il s’approche,
lorsque Khnoum l’a formé.
Se soulève-t-il que le pays est dans l’exultation,
et que chacun est en joie;
Chaque denture entreprend de rire,
et chaque dent est découverte !

 

4.
Qui apporte la nourriture, fertile en aliments,
et a créé tous ses bienfaits;
Maître de l’autorité, au doux parfum,
c’est la satisfaction lorsqu’il vient.
Qui produit l’herbe pour les troupeaux,
et donne des victimes à chaque dieu.
Il est dans la Douat, ciel et terre sur ses étais,
lui qui a pris possession des Deux Pays,
Qui a empli les magasins, élargi les enclos,
et donné des biens aux démunis.

 

5.

Qui fait pousser le bois et tout ce qu’on désire
- on ne peut en manquer;
Qui produit les bateaux de sa vigueur
- on ne peut en construire en pierre !
Qui prend possession des collines par son flot,
sans qu’on puisse l’apercevoir;
Qui oeuvre sans qu’on puisse le diriger,
qui nourrit en secret;
On ne connaît pas son lieu d’origine,
ni sa caverne, dans les écrits.

 

6.

Qui parcourt les hauteurs sans digue,
qui vagabonde sans guide,
C’est lui qu’accompagnent les groupes d’enfants,
on le salue comme un roi !
Dont la période est fixée, qui vient en son temps,
emplissant Haute et Basse-Egypte.
Chacun boit de son eau,
lui qui donne au-delà de sa beauté.

7.

Celui qui était dans le besoin accède à la réjouissance,
et chaque coeur se réjouit !
Qui a porté Sobek et enfanté le flot,
l’Ennéade qui est en lui est sacrée.
Qui arrose les champs, irrigue la campagne,
onguent pour le pays complet,
Qui enrichit l’un et appauvrit l’autre,
sans que personne lui en fasse procès;
Qui fait la satisfaction sans pouvoir être détourné,
à qui l’on n’impose pas de frontière.

 

8.

Qui éclaire ceux qui sortent dans leurs ténèbres
avec la graisse de ses troupeaux;
Tout ce qui est produit est sa vigueur,
il n’est pas de région qui vive sans lui.
Qui habille les gens du lin qu’il a créé,
qui agit pour Hedjhotep avec son oeuvre,
Qui agit pour Chesmou avec son huile,
tandis que Ptah façonne avec ses rejets.
[...]
et tous les ouvriers produisent grâce à lui.
Et tous les écrits en hiéroglyphes :
son affaire est le papyrus.

 

9.

Qui sourd du monde souterrain et sort du ciel lointain,
qui se révèle et sort du secret.
L’accablement est en lui de sorte que la population diminue,
lui qui la tue de sorte que l’année est funeste;
Les forts ressemblent à des femmes,
chacun a repoussé ses outils.
Il n’y a plus de fil pour les habits :
il n’y a plus de vêtement pour se vêtir ;
Les enfants des nobles ne peuvent se parer :
il n’y a plus de fard pour leur visage;
Les cheveux tombent par manque de lui :
personne ne peut s’oindre.

 

10.

Qui établit la justice dans le coeur des hommes
- ils disent des mensonges dans la pauvreté.
Qui se mêle avec le Grand Vert,
dont on ne dirige pas le cours.
On l’adore plus que tous les dieux,
lui qui fait descendre les oiseaux de leur pays.
Il n’est personne dont la main tisse de l’or,
personne qui s’enivre d’argent,
On ne peut manger de lapis-lazuli véritable :
l’orge est à la base de la prospérité. 
 

11.

C’est pour lui qu’on commence à chanter à la harpe,
pour lui qu’on chante en frappant des mains;
C’est lui qu’acclament les groupes d’enfants,
c’est pour lui qu’on épuise des délégations.
Qui vient chargé de richesses, orne le pays
et rafraîchit le teint des hommes.
Qui fait vivre le coeur des femelles enceintes,
et désire la multitude de tous les troupeaux.

12.

Se soulève-t-il devant les citadins affamés,
qu’ils se rassasient de ses produits :
Des plantes-hen à la bouche, des lotus à la narine,
chaque chose abonde sur terre !
Tous les légumes sont à la disposition des enfants,
eux qui avaient oublié ce qu’était que manger;
Le bien est répandu dans les rues,
et le pays entier gambade.

 

13.

Gonfle-toi, Hâpy, que l’on te fasse des offrandes,
que l’on sacrifie pour toi des boeufs,
Que l’on accomplisse pour toi une hécatombe,
que l’on gave pour toi des volailles,
Que l’on capture pour toi les lions du désert,
que l’on te rende tes bienfaits,
Que l’on fasse des offrandes à tous les dieux,
comme on l’aura fait pour Hâpy :
Encens, huile fine, boeufs à cornes longues, courtes,
volailles en holocauste,qu’a faits Hâpy issu de sa puissante caverne.
On ne connaît pas son nom dans la Douat,
et les dieux ne peuvent le révéler.

 

14.

Vous tous, les hommes, exaltez l’Ennéade,
craignez son autorité !
Agissez pour son fils, le Maître Universel,
celui qui fait verdir les Deux Rives !
Sois vert et tu viendras, sois vert et tu viendras,
Hâpy, sois vert et tu viendras !
Viens en Egypte, toi qui produis la paix,
qui fais verdir les Deux Rives !
Sois vert et tu viendras, sois vert et tu viendras,
Hâpy, sois vert et tu viendras !
Toi qui fais vivre hommes et troupeaux
de tes produits champêtres.
Sois vert et tu viendras, sois vert et tu viendras,
Hâpy, sois vert et tu viendras !

 

 

 

(Traduction  Bernard Mathieu : 1990, 137-41)


     Parmi les nombreuses occurrences de cet hymne auxquelles je faisais allusion en début d'article, il faut maintenant compter, depuis avril 2007, suite à la mise en vente publique d'un lot de 171 ostraca  ayant appartenu à la collection de l'égyptologue lyonnais Alexandre Varille (1909-1951), sur la présence d'un exemplaire au sein du Louvre (E 32 929). Toutefois j'ignore totalement si tout ou partie de cette manne acquise par le Musée et inventoriée E 32 887 à E 33 057 a été ou non ajoutée dans l'une quelconque vitrine.

     Je compte bien m'en enquérir lors d'une visite que j'espère prochaine, à
moins que l'un d'entre-vous, ami lecteur, détienne déjà le renseignement ...

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25 août 2008 1 25 /08 /août /2008 23:00

   

     Nous voici presque arrivés, ami lecteur, au terme de notre visite détaillée de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre; salle dédiée au Nil envisagé, comme je l'avais expliqué d'emblée dans mon article du 29 avril dernier, selon trois axes primordiaux :  

* l'environnement politique que j'avais évoqué à partir du socle de Nectanébo II (E 11 220) exposé dans la première vitrine;

* le cadre physique et naturel illustré par les deuxième et troisième vitrines. De la deuxième, j'avais détaillé les différentes embarcations dans un article publié le 13 mai; les cuillers en forme de nageuse le 20 mai; la faune nilotique, avec les poissons le 3 juin, les grenouilles et les canards le 10 juin et enfin les crocodiles et les hippopotames le 17 juin

     Et concernant la troisième vitrine, je me suis longuement attardé sur le bas-relief aux poissons, pour lequel je vous ai proposé plusieurs billets dont le premier datait du mardi 1er juillet et à partir duquel j'ai tenté de décoder, dans mon article de rentrée, le mardi 12 août, la traditionnelle scène de pêche dans les marais à l'une desquelles, manifestement, ces fragments du Louvre avaient appartenu. 

* Le troisième et dernier axe de réflexion proposé dans cette salle par les Conservateurs - sujet du présent article - s'attache, à partir des deux dernières vitrines, à envisager l'aspect religieux, avec l'évocation de Hâpy, Génie de la Crue du Nil.


VITRINE  4
 



  
     Statuette de Hâpy, incarnation divine de la crue du Nil, de 12, 3 cm de hauteur, en bronze, datant de la Basse Epoque. Ventre bedonnant, poitrine manifestement féminine, coiffé d'une perruque tripartite surmontée du signe hiéroglyphique de l'eau d'où émergent trois plantes aquatiques, Hâpy est agenouillé et présente une table d'offrandes.







(E 4 874)


    



     Acquis en 2003, cet élément de parure cultuelle en faïence siliceuse ajourée, datant de la XIXème dynastie, représente un génie de la prospérité porteur de deux vases à libations, de papyrus et de nénuphars, plantes héraldiques respectivement de la Haute et de la Basse-Egypte, ainsi que de signes de vie "ankh". Au revers, le pharaon Ramsès II trônant. 






(E 32 663)



    

VITRINE  5






     Relief des Génies de la Crue du Nil, en grès, datant de la XXVème dynastie. Sur des plateaux chargés de vases à libations ornés de fleurs des marais, ils apportent "toute chose bonne et pure" à Chépénoupet II, divine adoratrice d'Amon.
Au bas, une frise de signes "toute vie et pouvoir".





(E 27 208)


       

     Il est assez paradoxal de constater que le panthéon égyptien n'a nullement proposé de personnification des cours et des étendues d'eau du pays. Car même si, par facilité, certains égyptologues emploient encore très souvent l'expression "dieu du Nil", il est absolument avéré qu'il n'y eut jamais semblable divinité dans l'Egypte antique, probablement parce qu'un dieu ne peut être que bon, et que manifestement, le Nil ne fut pas toujours bénéfique, loin s'en faut ...

     En revanche, et parce que précisément ce fleuve leur permettait de subsister en leur apportant la nourriture grâce à ses débordements annuels quand ils étaient suffisants, les Egyptiens accordèrent le statut de divinité à un concept : celui de prospérité, celui de l'abondance et de ses causes dont, nul ne l'ignore plus depuis Hérodote, la principale est l'inondation bienfaitrice. 

                             
     Et à cette personnification de la crue du Nil, fleuve nourricier, fut attribué le patronyme de Hâpy,
qui s'écrivait phonétiquement en y ajoutant bien évidemment l'idéogramme de l'eau en guise de déterminatif, constitué en fait de trois filets d'eau superposés. Parfois aussi, certaines graphies se terminent par le hiéroglyphe d'un personnage assis.

     Plus d'une dizaine de possibilités se retrouvent d'ailleurs dans la langue égyptienne pour nommer Hâpy comme, par parenthèses, en français dans la mesure où, jusqu'à présent, les égyptologues ne se sont pas encore mis d'accord quant à l'orthographe définitive à employer. On trouvera donc, dans la documentation le concernant, tout aussi bien Hâpy (version la plus courante néanmoins) que Hapy, Hâpi ou Hapi, toutes ces orthographes constituant de toute manière la translittération phonétique des trois hiéroglyphes : h pour la corde tressée, a pour le bras tendu et p pour le socle cubique. J'ajouterai, pour être complet, que certains ouvrages entretiennent la confusion avec un homonyme, souvent orthographié Hâpi, et qui est en réalité un des quatre fils d'Horus : rien n'est donc simple en la matière ...    

     
     Hâpy est toujours représenté sous les traits d'une personne androgyne. Même si certains égyptologues maintiennent qu'il doit être considéré comme un homme, à cause de sa barbe; un homme présentant en fait les caractéristiques de la suralimentation, puisqu'il est l'image même de la prospérité nourricière, sa poitrine abondante étant dès lors celle d'un homme quelque peu obèse, la majorité de la profession reconnaît en Hâpy un être ambivalent.

     Dans le Papyrus démotique de Berlin (B 13 603), on peut lire ce passage, très clair à ce sujet : 

     L'image de Hâpy, dont une moitié est un homme et dont l'autre moitié est une femme ...

     Enfin, et pour clore ces petites mises au point, j'ajouterai qu'il est maintenant la plupart du temps admis dans la communauté égyptologique de ne plus employer, pour le caractériser, des formulations telles que "Dieu du Nil", "Génie du Nil", mais plutôt "Génie de la Crue du Nil" ou, mieux encore, " Figure de Fécondité".      

     Quoi qu'il en soit de l'orthographe de son nom, du sexe et de la dénomination exacte à lui attribuer, durant toute l'histoire égyptienne, Hâpy bénéficia d'un culte et de manifestations festives en rapport avec l'espoir que l'on plaçait en lui : permettre une agriculture abondante.


     Il me semble opportun, ici et maintenant, de brosser à grands traits le cycle calendérique égyptien, à tout le moins pour ce qui concerne l'agriculture.

     Prenant sa source au coeur même de l'Afrique, le Nil, produit en fait de l'union, à Khartoum, au Soudan actuel, du Nil blanc naissant au niveau du lac Victoria et du Nil bleu provenant des montagnes abyssiniennes, a parcouru quelque 6 670 kilomètres quand il se jette dans la mer Méditerranée.
Il faut aussi savoir qu'en pénétrant sur le territoire égyptien proprement dit, il a déjà effectué pratiquement 80 % de son trajet.

      C'est évidemment le Nil qui fut l'élément cardinal motivant la tripartition de l'année par les Egyptiens :

1.                  Saison "Akhet", de la mi-juillet à la mi-novembre : saison de l'inondation. Le fleuve déborde, offrant à ses rives, sur quelques kilomètres de part et d'autre, non seulement l'eau tant attendue, mais aussi le limon fertilisant constitué des déchets  et des débris rocheux qu'il arrache et charrie tout au long de son cours. Quant à la quantité d'eau apportée par la crue, elle dépend essentiellement de celle des précipitations que le fleuve a connues dans les montagnes d'Ethiopie.

2.            
Saison "Peret" : de la mi-novembre à la mi-mars. Le fleuve étant rentré dans son lit, les paysans préparent la terre et effectuent les semailles.


3.                        
Saison "Chemou" : à partir de la mi-mars. C'est le temps des récoltes, et de la sécheresse avant le retour cyclique de la crue.



     Il est certes évident que les paysans égyptiens de l'Antiquité ignoraient totalement l'origine réelle de la crue annuelle du Nil : ils la croyaient en fait provenir d'une grotte souterraine située sur l'île d'Eléphantine. C'est la raison pour laquelle, dans toute la vallée, d'Assouan jusqu'au Delta, ils vénérèrent Hâpy en tant qu'incarnation de la crue afin de lui demander de fournir suffisamment d'eau et d'alluvions pour permettre une récolte florissante.

     Ce fut aussi à Eléphantine que de hauts fonctionnaires administratifs et militaires vinrent rendre hommage au fleuve; là enfin, qu'à l'époque ptolémaïque, les rois grecs puis, plus tard, à l'époque romaine, les préfets d'Egypte accompliront les actes du culte. 

     Sénèque lui-même, répercutant cette croyance, affirmera dans ses Questions naturelles que c'est à Eléphantine que les prêtres sont maîtres des premiers renseignements concernant la crue à venir.

     Dans tout le pays, des fêtes étaient organisées qui correspondaient à des événements agricoles réels :  quand on évaluait les promesses de la hauteur de l'inondation; quand le Nil commençait à lentement monter dans son lit, au solstice d'été; quand, vers le 19 juillet, le lever héliaque de Sothis matérialisait la crue, le débordement effectif; quand, enfin, dans le courant du mois d'août, la hauteur espérée, jugée suffisante pour qu'une bonne irrigation soit possible, était atteinte. Mais, chaque médaille ayant son revers, c'était aussi le signe que les impôts seraient exigibles ...

     Ces rassemblements festifs prenaient en fait la forme de réjouissances gastronomiques : on pouvait alors banqueter sans arrière pensée, assurés d'être à même, dans peu de temps, de renouveler les nourritures consommées.

     A l'époque gréco-romaine, ces fêtes connaîtront un regain d'intérêt dans la mesure où y seront associés des spectacles de théâtre et de mimes, des récitations de textes d'Homère, mais aussi des compétitions sportives, comme des combats de lutte, de pancrace ..., le tout étant pris en charge, pécuniairement parlant, soit par les dirigeants des nomes, soit par les prêtres, soit par des contributions en nature (des mesures d'orge, par exemple, pour la préparation de la bière) accordées par des particuliers aisés.

     Lors de certaines festivités, des objets étaient jetés dans le fleuve, en guise d'offrandes, sorte de do ut des avant la lettre : ce pouvait être de la nourriture, mais aussi des petites figurines de Hâpy, voire même des extraits d'invocations à lui adressées.

     En l'honneur de la crue du Nil, toujours, des sanctuaires furent un peu partout érigés, des processions organisées. Il n'est d'ailleurs pas rare de rencontrer, représentées sur les soubassements de certains temples, de longues théories de personnages replets, mamelles pendantes à l'image de Hâpy et portant  un plateau abondamment chargé de nourriture. Souvent au nombre de 42, ils personnifient chacune des divisions administratives de la Haute et de la Basse-Egypte, les nomes, et sont accompagnés d'animaux voués au sacrifice, comme des petits veaux, des gazelles, des oryx, de jeunes autruches ... 

        Ainsi, ceux de mes lecteurs qui ont déjà visité Thèbes se souviennent-ils peut-être de ces processions de génies de la fécondité (que les guides appellent aussi parfois "processions des Nils" ou "procession des nomes"), gravées en creux, ou peintes, notamment sur le mur Nord de la Chapelle rouge dédiée à la reine Hatchepsout, au musée en plein air
                                            

 

ou sur la base du colosse d'Aménophis III, au Xème pylône du temple d'Amon, à Karnak. 

     A propos de ce dernier souverain, d'ailleurs, considéré comme un dieu dès avant son décès, il faut savoir qu'il fit exécuter statues et statuettes le représentant bedonnant, tel un Hâpy, visant ainsi, par mimétisme, à démontrer la prospérité qu'il avait apportée au pays durant son règne et le plaçant - propagande politique oblige - sur le même plan qu'une divinité créatrice. Il s'assimilait de la sorte à l'abondante moisson due à la crue bienfaitrice.

     Il faut savoir aussi qu'à plusieurs endroits de la vallée avaient été construits des nilomètres, sorte de puits destinés à déterminer la hauteur du fleuve et donc la politique agricole à mener. Ainsi, pour l'irrigation du Delta notamment, le plus important d'entre-eux se trouvait à Memphis. Là était organisée chaque année une manifestation appelée "Fête du Déversement d'en haut", assimilant ainsi la crue à une chute d'eau céleste. Nous retrouvons évidemment là une évocation du mythe ancestral des larmes d'Isis. Cela signifierait-il, finalement, que la cause réelle de la crue du Nil, à savoir les pluies éthiopiennes que j'ai mentionnées ci-avant, étaient connues des prêtres ?

     Indépendamment des fêtes, des sanctuaires et des nilomètres sur lesquels je viens de m'attarder, je m'en voudrais de ne pas évoquer ces immenses stèles érigées à la frontière entre l'Egypte et la Nubie antique, à Silsileh, là où les falaises arabique et libyque sont tant rapprochées qu'elles s'engouffrent verticalement dans le fleuve. Au nombre de quatre, matérialisant la délimitation territoriale entre les deux pays, elles datent de la XIXème dynastie, sous les règnes de Séthi Ier, de Ramsès II, de Mineptah et de Ramsès III. Elles relatent en fait les plantureuses donations que ces souverains effectuèrent à des dates précises de l'année, au Nil, à son entrée sur le territoire égyptien.

     Assez profondément enfoncés dans le sol, entre deux colonnes, ces monuments respectivement de 257, 254, 248 centimètres de hauteur; la dernière, celle de Ramsès III, plus simple, n'en mesurant que 137, présentent un texte assez long énumérant la liste des offrandes, précédée, sous le cintre, de la spécification de la date d'érection et des noms du pharaon donateur.

     Ainsi, pour Ramsès II, par exemple, avons-nous :

     Première année, troisième mois de la saison chémou, dixième jour sous la Majesté de l'Horus "Taureau-vaillant, aimé-de-Mâat", les Deux déesses "Protecteur-de-l'Egypte, qui courbent-les-pays-étrangers", l'Horus d'or "riche-en années, grand-de-victoires", le Roi de Haute et Basse-Egypte, Maître-du-Double-Pays "Ouser-Maât-Rê, l'élu-de-Rê", fils de Rê, possesseur des couronnes, "Ramsès II", aimé de Hâpy, père des dieux; qu'il soit doué de vie, stabilité et force, comme Rê, à jamais.         
 
     
    
Sous ce protocole, et avant la liste des offrandes, on trouve une adresse à Hâpy empruntée au long Hymne à la crue du Nil, poème de 14 strophes composé au Nouvel Empire dont, pour définitivement clore mon étude de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, je vous proposerai l'intégralité samedi prochain.

     Toutes ces manifestations en faveur du fleuve et de la crue personnifiée par Hâpy, tous ces rites magico-religieux qui souvent leur sont consubstantiels, n'avaient d'autre but, vous l'aurez compris ami lecteur, que de "forcer" la perspective d'un débordement plus que suffisant, permettant ainsi à chaque Egyptien d'obtenir les céréales en abondance de manière à subsister au moins une année encore.

     Car si vie il y eut, si grandiose civilisation put exister et à ce point s'épanouir dans cette région naturellement creusée entre les déserts arabique et libyque,  c'est bien grâce au Nil et à ses débordements annuels qu'on le dut.

     Et Hérodote n'avait certes pas tort quand, d'une certaine manière, il affirma que l'Egypte "était un don du Nil" ...


(
Barguet : 1952, 49-64 ; Bonneau : 1971, 49-65 ; Delange et alii : 1993, 94-6 et 158-9 ; Hornung : 1986, 66-7 ; Meeks/Favard-Meeks : 1995 ; Traunecker : 1993, 53-4, 74 et 112)

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22 août 2008 5 22 /08 /août /2008 23:00

    

     A quelques exceptions près, afficher sa nudité, chez les Egyptiens, reste jusqu’au Nouvel Empire l’apanage de celles et ceux que des vêtements auraient pu gêner dans l’exercice de leur profession : je pense aux pêcheurs ou à certains types d’artisans que l’on voit peints sur les parois de mastabas de l’Ancien Empire, par exemple. Je pense aussi, bien sûr, aux acrobates, aux danseuses ou à des  porteuses d’offrandes ...

 

    Bien évidemment, et les cuillers à offrandes que je vous ai présentées dans mon article du 20 mai dernier le prouvent à l’envi : on plongeait nu dans le Nil et ses canaux.

 

     C’est à partir du Nouvel Empire, les codes moraux semblant évoluer dans une classe sociale privilégiée, qu’apparaissent de plus en plus des représentations d’une nudité à connotation délibérément érotique avec, en parallèle, une poésie amoureuse d’une beauté remarquable.

 

    C’est l’un de ces textes que je vous propose aujourd’hui, ami lecteur. Vous vous souvenez très probablement de cet amoureux transi qui, parce que sa belle se trouvait de l’autre côté du fleuve, n’hésita pas un instant à le traverser en allant jusqu’à considérer la présence d’un crocodile aussi inoffensive que celle d’une souris.

     Ce très beau poème avait été gravé sur la panse d’un vase retrouvé à Deir el-Medineh. Faisant apparemment partie d’un ensemble, il suivait celui que je vous donne à lire ci-après. Cette fois, après celles du jeune amoureux, ce sont les paroles de l’Aimée que nous allons découvrir dans cette "scène du bain".

     D’aucuns ne voulurent comprendre en elle qu’une simple, voire banale scène de genre. 

     En revanche, l’égyptologue belge Philippe Derchain, par une traduction renouvelée et pointue, ainsi que par une analyse comparative de certains détails sémantiques, récurrents dans la littérature égyptienne, a magistralement et définitivement prouvé qu’il n’en était rien et que, tout au contraire, derrière cette apparente banalité se cachait une exceptionnelle scène de séduction, mâtinée d’une pointe de rouerie bien féminine que, vous conviendrez avec moi messieurs mes lecteurs, nous serions bien sots de blâmer et vous mes lectrices, bien sottes de vous (et de nous) en priver.
  

 

Ô mon dieu ! Ô mon lotus !
J’aurai envie de descendre dans l’eau
Pour me laver devant toi
Et ferai en sorte que tu vois mes charmes
A travers ma robe de lin royal de première qualité
Imprégnée (d’onguent)
J’entre à l’eau avec toi
Et j’en ressors pour toi avec un poisson mordoré.
Il se sent en sécurité sur mes doigts
Et je le pose devant toi ...
Viens, occupe-toi (enfin) de moi.


(Traduction Philippe Derchain : 1975, 73-5)

 

     Sans bien évidemment m’avancer vers de l’inutile paraphrase, permettez-moi néanmoins, ami lecteur, de quelque peu préciser certains emplois lexicographiques qui vous permettront de mieux comprendre encore tout l’érotisme sous-jacent de cette oeuvre.


     Le premier vers, déjà : la jeune femme s’adresse à l’homme qu’elle aime comme à un être divin, mais en assortissant cette exergue d’une comparaison avec le lotus. Quand on sait que cette fleur constitue un symbole de renaissance, quand on sait qu’elle était mise en rapport avec le dieu soleil Rê, en sa jeunesse, on ne peut attribuer au hasard le fait que l’Aimée entame son invocation de la sorte : elle prête d’emblée à l’Aimé l’éclatante jeunesse du plus brillant de tous les dieux. En outre, il n’est pas inintéressant de savoir que, dans la mythologie égyptienne, le lotus était porteur d’une valeur érotique indéniable : ainsi était-il souvent comparé aux seins d’une femme.

 
     Les filles nageaient nues, je l’ai mentionné en tout début d’article. Or, ici, la belle garde son vêtement et insiste même sur la finesse du tissu. La croira-t-on à ce point prude ? Non, bien sûr : cette volonté est tout à fait significative. Nous savons tous, en effet, et certainement déjà en ces temps anciens, que la transparence d’un tissu qui colle à la peau quand une femme sort de l’eau est mille fois plus suggestive, mille fois plus sensuelle, mille fois plus érotique, que la nudité "toute nue".

  

     Enfin, j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer, dans mon article du 3 juin dernier sur les poissons, la raison pour laquelle la "tilapia nilotica" représentait, aux yeux des Egyptiens, un symbole de régénération, un symbole de fécondité.

 

    Pouvez-vous un seul instant imaginer que, aussi habile soit cette jeune femme, un petit poisson va ainsi se laisser piéger et attendre bien sagement au bout de ses doigts qu’elle l’offre à l’homme qu’elle aime ?

 

     Certes, non ! C’est dès lors autre chose qu’il faut voir dans ce qui n’est qu’une métaphore : c’est elle, c’est l’Aimée qui, en fait, s’offre tout entière. C’est à une superbe invitation à la relation amoureuse qu’il a droit cet heureux jeune homme. On ne peut être plus précise dans l’allusif ...

  
     Voilà, sans trop, j’espère, avoir perturbé l’atmosphère dans laquelle ce petit chant d’amour nous avait plongés, ce que je voulais, ami lecteur, ajouter à sa compréhension première afin de simplement faire remarquer qu’il pose - si besoin en était encore de le prouver - la culture littéraire égyptienne antique à l’acmé de toutes celles qui, comme la Grèce, l’Inde, la Chine, voire même la nôtre quand elle n’est pas uniquement placée sous l’éclairage judéo-chrétien qui tant brime les corps et le plaisir, considèrent les rapports amoureux autrement que destinés à perpétuer l’espèce humaine.

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18 août 2008 1 18 /08 /août /2008 23:00

    

     Dès le début de l’histoire égyptienne, les artistes peintres ont tout inventé, que ce soit le relief peint, la peinture sur enduit mural (que trop souvent et erronément l’on appelle fresque, alors que, techniquement parlant, ce sont des peintures à la détrempe) ou, on le sait peut-être moins, la peinture sur toile. Des fragments de pièces de lin, datant de l’époque pré-dynastique (Nagada II) et représentant un bateau et des rameurs sont en effet conservés au Musée égyptien de Turin : ils furent exhumés sur le site de Gebelein, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Louxor, par Ernesto Schiaparelli au début du XXème siècle.

     J’ai déjà eu l’occasion de mentionner que le relief sculpté avait constitué, à l’Ancien Empire, l’art essentiellement dominant, laissant par là même à la peinture la fonction de simple coloriage. En revanche, au Nouvel Empire, en fait à la XVIIIème dynastie, la peinture commence réellement à se démarquer des codifications antérieures, atteignant alors sa plus libre et sa plus forte expression. Nous sommes à cette époque précise véritablement à l’acmé de cette formidable fécondité créatrice que, de tous temps, l’Egypte a connue.

     Des conditions économiques et sociales favorables ne sont évidemment pas étrangères à cet extraordinaire développement. Et je ne résiste pas à reproduire ci-après, in extenso, la très éloquente description qu’en donne feu l’égyptologue belge Roland Tefnin, spécialiste incontesté de la peinture thébaine qui, bien mieux que moi, vous fera comprendre l’environnement dans lequel évoluèrent les artistes de ce temps :
 
     Dans l’ambiance mondaine, citadine, prospère, festive, voluptueuse, féminine qui fut celle de la XVIIIème dynastie, au moins à partir du moment où l’élan des conquêtes se mua en jouissance, soit au tournant des règnes d’Aménophis II et de Thoutmosis IV, l’art pictural, art délicat, subtil, fragile, si apte à rendre la transparence frémissante d’un vêtement de lin fin, la vibration d’une perruque (...), le fondant d’un parfum dans la chevelure et sur les épaules d’une belle, les nuances bleues et blanches d’un calice de lotus, cet art de la pure picturalité fut apprécié comme jamais.

     J’ai déjà eu aussi l’occasion d’attirer votre attention, ami lecteur, sur le fait que, littéralement, dans la langue égyptienne, le peintre se disait : "scribe des contours", "traceur des contours"; formulation loin d’être anodine dans la mesure où cet artiste était bien plus en fait un graphiste qu’un véritable coloriste; ce qui prouve, une fois encore, l’étroite relation existant entre écriture et peinture.


     Avec le temps, il abandonna de plus en plus l’utilisation quelque peu rigide des couleurs de base - comme sur notre bas-relief aux poissons évoqué le 1er juillet dernier- pour se tourner vers un art plus élaboré, plus personnel parfois, débouchant même sur des notations quelque peu "surréalistes" : c’est ainsi que l’on vit apparaître des hérons bleus ou des chevaux roses !


     Mais quelle que soit l’époque, l’artiste égyptien n’eut qu’à se pencher pour ramasser dans la nature les matériaux, très simples en définitive, qui constituèrent sa palette.


     Ainsi le blanc, qu’il obtient soit à partir de calcaire broyé provenant de la Vallée du Nil (carbonate de calcium), soit à partir de plâtre issu de la cuisson du gypse (mélange de sulfate de calcium et de carbonate de calcium portés à une température d’environ 130°) provenant de la mer Rouge, du Fayoum ou du désert (sous forme alors de roses des sables).


     Le noir, soit à partir de carbone sous forme de charbon de bois ou de suie, soit d’oxyde de manganèse appelé pyrolusite.


     Si l’on considère que le blanc et le noir ne sont pas de vraies couleurs, quatre autres pigments de base se retrouvent dans les cupules des peintres antiques, quel que soit leur style :


     Le bleu, issu du silicate de cuivre et de calcium artificiellement obtenu par cuisson (mélange de malachite, de poudre calcaire et de sable) : c’est ce que, traditionnellement, les égyptologues appellent le "bleu égyptien".

     Le vert, provenant de la malachite trouvée dans le désert arabique ou dans les mines de cuivre du Sinaï.


     Le jaune, obtenu à partir d’oxyde de fer plus ou moins hydraté présent aux environs du Caire et dans les oasis du désert libyque; donnant l’ocre jaune qui, par convention, rendait la chair des femmes.


      Et le rouge, l’ocre rouge, provenant d’oxyde de fer anhydre abondant en Moyenne Egypte, du côté de Tell el-Amarna et dans les oasis; et qui, suivant la même codification, rendait la peau des hommes.

     Remarquons que par rapport aux teintes qui forment de nos jours la palette chromatique, seul le violet n’était pas représenté dans l’Egypte antique. Il faudra attendre l’époque gréco-romaine pour le voir apparaître sur les murs des tombes.


     Afin d’accentuer la résistance de sa peinture (ou de son encre, d’ailleurs), l’artiste égyptien broyait ces substances afin d’avoir une poudre qu’il mélangeait avec l’eau, et à laquelle il ajoutait un fixatif, très souvent une gomme végétale qu’il est convenu d’appeler gomme arabique et qui provient directement des nombreux acacias de la région de Louxor. Cette pâte constituée, il la modelait de manière à se confectionner soit un petit pain conique, soit une pastille qu’il déposait dans les godets (les cupules, disent les égyptologues) de sa palette.

     Et c’est après avoir trempé dans l’eau une fine tige de jonc taillée en biseau, puis mâchonnée et "battue" de façon que ses fibres se séparant forment alors un vrai pinceau et après l’avoir ensuite frotté sur le colorant séché qu’il peut enfin appliquer sa couleur.

                   

     J’aurai évidemment l’opportunité d’y revenir quand, ensemble, nous visiterons la salle 6 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, mais voici déjà, pour illustrer mon propos, la représentation d’une palette de peintre, au nom du roi Séthi Ier, exposée dans la deuxième vitrine, et répertoriée sous le numéro d’inventaire N 2 274.




     Et pour bien insister une dernière fois sur l’étroite corrélation qui existait entre peinture et écriture, je vous propose ci-après le hiéroglyphe qui servait à exprimer le verbe écrire, ainsi que d’autres termes de la même famille : vous remarquerez aisément qu'il présente, évidemment schématisés, la palette de l’artiste, avec les godets destinés aux pastilles de colorant, le petit récipient pour l’eau et le pinceau de jonc.

     A ces artistes peintres dont, par parenthèses, pour la plupart d’entre eux, nous ignorons le nom, était dévolue la décoration des tombes de personnages illustres, pharaon et famille royale en tête, situées, à la XVIIIème dynastie, dans la montagne thébaine (Vallée des Rois et Vallée des Reines.)

     Le travail d’application de la peinture différait évidemment selon la constitution de la roche. Et de toute manière, préalablement à la décoration, il fallait préparer les murs. A Thèbes, par exemple, les tombes étant le plus souvent creusées dans de la roche calcaire, il était obligatoire d’épaissir les parois, trop friables ou trop irrégulières : dans le premier cas, des hommes les lissaient puis y appliquaient une couche de gypse; dans le second, ils les égalisaient en les enduisant d’une couche de limon du Nil (mélange de sable et d’argile composée d’un peu de carbonate de calcium naturel et de gypse) et de paille hachée, pour ensuite appliquer une couche de finition en gypse de plus ou moins deux millimètres.

     Ainsi préparé, ce fond apparaît en soi généralement blanc, opaque, mat. En fait, il s’agit d’une illusion d’optique dans la mesure où l’artiste le teintait légèrement soit de gris, soit de bleu, désireux qu'il était de mieux mettre en évidence les pagnes ou autres vêtements vraiment blancs, eux, qui allaient habiller les personnages représentés.

     Il faut savoir que la plupart des peintures des hypogées thébains sont restées visiblement incomplètes et que, même si toutes les parois sont décorées, l’artiste, volontairement, a laissé au moins un détail à l’état d’ébauche. Il est dès lors aisé pour les égyptologues, en tirant parti de cette décoration inachevée, de déterminer les étapes successives de son exécution.


     Laissons de côté les esquisses retrouvées sur ostraca, et envisageons tout de go la paroi murale proprement dite. Sur chaque portion, l’artiste traçait tout d’abord des lignes horizontales afin de séparer les registres. A l’intérieur de ces différentes zones, pour les scènes les plus importantes, il établissait un quadrillage. Tout ce réseau était obtenu en claquant sur la paroi une corde extrêmement tendue qu’il avait pris soin de tremper dans la peinture rouge.

     Il est à ce point de vue intéressant de constater une inversion des conventions par rapport à notre modernité : si nous écrivons en noir, c’est en rouge que nos fautes sont corrigées. En Egypte, c’était exactement le contraire : les esquisses se faisaient en rouge et, si besoin de correction il y avait, le maître les effectuaient en noir.
    
     La paroi ainsi délimitée, la décoration, peinture à la détrempe - je le rappelle - appliquée sur enduit sec, était alors réalisée en grands aplats de couleur, sachant que les détails viendraient s’ajouter par la suite.


     Parfois, certains d'entre eux, plus particuliers, furent protégés ou rendus volontairement brillants soit par une couche de cire d’abeille, soit par une de vernis transparent à base de résine naturelle ou de blanc d’oeuf. Malheureusement, après autant de siècles, les uns ont noirci quand d’autres sont devenus cassants, détachant la peinture de pans parfois entiers de paroi.

     Il serait donc plus que temps que les générations à venir, après avoir contemplé l’image égyptienne, après avoir constaté qu’elle se détruisait, puissent d’une manière ou d’une autre la sauver. Vous vous doutez bien, ami lecteur, que ce travail de sauvegarde a déjà commencé, mais que malheureusement faute de moyens le plus souvent, de main d’oeuvre véritablement spécialisée aussi parfois, il n’avance guère aussi vite que ne le requerraient l’importance des dégâts et le désir de tous les amateurs d’art que nous sommes ... 
 

(Dominicy : 1994, 51-7 ; Mekhitarian : 1978; Merchez-Van Essche : 1994, 57-65 ; Peck : 1980, 30- 42 ; Tefnin : 1997, 3-9)

 


     Je dédie ce modeste article quelque peu technique à tous mes amis et connaissances, belges ou étrangers, lecteurs de ce blog qui, peu ou prou, s’intéressent à la peinture, mais sont surtout artistes dans l’âme afin de répondre aux interrogations qui sont les leurs concernant les précurseurs que furent les Egyptiens dans cet art.

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15 août 2008 5 15 /08 /août /2008 23:00

     Comme annoncé à la fin de mon article de ce mardi, consacré au décodage de la célèbre scène de pêche et de chasse dans les marais, je vous propose aujourd’hui, ami lecteur, deux documents ressortissant à la littérature cette fois, et ce, afin de vous persuader du sens (évidemment) caché que revêt la coiffure des dames dans le domaine de la sexualité.


     Le premier texte constitue un extrait d’un conte à portée psychologique, oeuvre majeure dans le corpus littéraire égyptien, mettant en scène une femme mariée amoureuse du jeune frère de son époux - rien que de très banal, parfois - qui, dépitée par le fait qu’il dédaigne ses avances, décide de bassement le calomnier aux yeux de son mari.


     Certains d’entre vous reconnaîtront peut-être dans cette trame, à des degrés divers, autant l’épisode de Joseph et de l’épouse de Putiphar dans la Bible (Genèse), que l’histoire de Bellérophon et d’Anteia chez Homère (Iliade), ou celle de la relation entre Hippolyte et sa belle-mère Phèdre, racontée par Euripide.


     En égyptologie, il est convenu de donner à ce texte le titre de Conte des deux frères.
L'histoire, dans la première partie tout au moins, se révèle finalement très simple : Anoupou (que les Grecs, plus tard, traduiront par Anubis) est ici un paysan propriétaire de sa terre. Il est marié. Et le couple héberge Bata, le jeune frère d’Anoupou. Bata, nourri et logé, aide vigoureusement son frère aîné dans les travaux des champs, mais il s’occupe également de conduire les bêtes au pâturage et à l’occasion de tisser des étoffes.


     Par ses désirs d’adultère inassouvis débouchant sur d’éhontés mensonges, l’épouse insatisfaite provoque l’inévitable discorde entre les deux hommes. A la fin de la première partie du conte, la vérité étant rétablie, elle sera tuée par son époux et jetée aux chiens.


     C’est sur un papyrus de 19 pages, rédigé en écriture hiératique, que l’on trouve la version la plus complète de ce Conte des deux frères. Il porte le nom de Papyrus Orbiney, en référence à Mrs. Elisabeth Orbiney, une Londonienne qui l’acquit, avec d’autres pièces, lors d’un voyage en Egypte. Puis décida de le mettre en vente. Le Musée du Louvre se déclarant incapable de l'acheter - dans la mesure où le prix demandé dépassait ses ressources de l’époque -, le précieux document devint en 1857 la propriété du British Museum où il entra sous le numéro d’inventaire BM 10 183.

(Pour une version hiéroglyphique de ce papyrus, accompagnée de la traduction française de la première partie du conte, je convie les amateurs à consulter le lien suivant : http://egycontes.free.fr/2freres.pdf).
  

     Sur la dernière page du papyrus, on peut lire : Rédigé par le grammate Ennena, chef des écritures. Ce qui permet de le dater de la fin de la XIXème dynastie, sous le règne de Mineptah-Siptah, père du futur pharaon Séthi II, alors encore simple prince héritier.


     Lisons à présent l’extrait que je vous propose visant à étayer la thèse défendue par l’égyptologue belge Philippe Derchain à laquelle je faisais allusion dans mon dernier article, à savoir la connotation érotique donnée par les Egyptiens à la chevelure et au port de la perruque.

 
     Or quelques jours plus tard, alors qu’ils étaient au champ et qu’ils manquaient de semences, l’aîné envoya son jeune frère en lui disant : " Va vite, et rapporte-nous des semences de la ferme". Il trouva la femme de son frère aîné en train de se faire coiffer et lui dit : "Lève-toi et donne-moi des semences. Je dois vite retourner au champ car mon frère m’attend. Ne traîne pas".

     Elle lui répondit : "Vas-y toi-même; ouvre le grenier et prends ce que tu veux. Ne sois pas cause que ma coiffure reste en plan".

     Le jeune homme entra donc dans son étable pour y prendre une grande jarre car il voulait emporter beaucoup de semences. Il l’emplit d’orge et de blé et sortit avec sa charge. Elle lui demanda : " Quel est le poids de ce que tu as sur les épaules ?" Il répondit : " Trois sacs de froment, deux d’orge, en tout cinq sacs."  (1) Voilà ce que j’ai sur les épaules". (...)

     Ce qui fit dire à la dame : " Que de force il y a en toi ! Chaque jour j’admire ta vigueur." Elle eut envie de le connaître comme on connaît un homme, se leva, le saisit et lui dit : " Viens, allons passer une heure au lit. Ce te sera profitable, car je te ferai de beaux vêtements."

     Alors le jeune homme devint comme un léopard qui entre en rage, à cause des vilains propos qu’elle lui avait tenus


     Dans la version qu’elle donne de la scène à son époux, la dame affirme :  


     "Lorsque ton frère est venu chercher des semences, il m’a trouvée seule et m’a dit : "Allons passer une heure au lit. Mets ta perruque."


(1) Ce que les égyptologues traduisent par "sac" était à l'époque une mesure de capacité équivalant à plus ou moins 56 kilogrammes. Bata, si l'on en croit le texte, porterait donc ici une charge de quelque 280 kilogrammes sur ses épaules. Détail supplémentaire de force qui naturellement émoustille les sens de la dame disposée à être infidèle. 


     Pour mieux comprendre encore la connotation érotique qui se cache derrière le port de la perruque, je vous invite à découvrir, ami lecteur, un second texte. Il s’agit cette fois d’un chant d’amour extrait du Papyrus Harris 500 sur lequel, déjà, je vous avais donné quelques indications dans mon article du dimanche 29 juin dernier.

 

Mon coeur est une fois de plus envahi de ton amour
Alors que la moitié de la tempe seulement est tressée.
Je cours te retrouver.
Hélas, je suis dénouée.
Bah ! Je vais mettre une perruque et serai prête à tout moment.

 

     Il est indéniable aussi, à la lecture de ce très court poème que si la coiffure parfaite constitue un véritable moyen de séduction, la perruque, toujours prête en cas de besoin, est le signe de l’amplification des désirs et de la totale et immédiate disponibilité amoureuse.


     On comprend dans ce dernier texte que la belle, prise d’un violent désir amoureux, ne peut en aucun cas se présenter de la sorte, ses soins de coiffure non terminés, à son amant. Elle n’hésite donc pas, dans sa fougue, à se coiffer d’une perruque.


     Voilà bien la preuve, si besoin en était encore après mes deux articles, qu’une coiffure impeccable, voire une perruque soignée, font partie de la toilette d’une amante qui n’a qu’une idée en tête. Ce sont des signes évidents de connivence : ils constituent un code invitant à l’amour.
Ce sont donc, comme le port de certains vêtements et/ou de certains bijoux, des détails à connotation érotique de première importance.


(Derchain : 1975; Lefebvre : 1988, 144-6)


Petite mise au point technique :

     En vacances en France voici quelques semaines, il m'est apparu chez quelques amis que, si certains lisaient les poèmes égyptiens proposés dans la très cursive police de caractères que j'avais choisie, d'autres, en revanche, les découvraient dans une police constituée de majuscules d'imprimerie fort agrandies et, en définitive, fort peu agréables à l'oeil.
Aussi, ai-je décidé de ne plus utiliser de polices autres que celles mises à disposition par Overblog, que je choisis en italique et vert émeraude lorsqu'il s'agit de retranscrire des extraits de la littérature égyptienne.    



 

 

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11 août 2008 1 11 /08 /août /2008 23:00

"Au commencement était l’image"

 
     J’ai déjà eu maintes fois l’occasion, ami lecteur, d’attirer votre attention sur l’interdépendance existant entre écriture hiéroglyphique et image égyptienne dans la mesure où ces signes figurent, graphiquement parlant, des objets ou des êtres concrets.


     Les Egyptiens de l’antiquité, il faut le savoir, étaient quasiment tous analphabètes; quant à nous, leur écriture serait à jamais lettre morte si Jean-François Champollion (1790-1832), génial déchiffreur français, ne nous avait initiés à ses arcanes.

 

     En revanche, l’image - coeur même de cette civilisation -, en nette opposition avec l’élitiste exclusivité que représente la langue écrite, pouvait à l'époque, et peut encore de nos jours être lue (je ne dis pas : nécessairement comprise) par tout un chacun.

 

     Selon l'égyptologue allemand Dietrich Wildung, l'image est l’écriture de tous ceux qui ne savent pas écrire ou lire : elle détient donc un caractère éminemment démocratique qu’une langue écrite est loin de posséder.

 

     Le langage des couleurs, des rythmes et des formes, comme celui de la musique, présente cette remarquable particularité d’atteindre tout être humain sans le truchement d’aucune médiation, professait il n'y a guère feu l’égyptologue belge Roland Tefnin.

 

     Il suffit pour nous en convaincre de visiter une tombe thébaine ou, plus simplement encore, de feuilleter un livre d’art consacré à la terre des pharaons : si d’aventure l’on ne connaît pas le sens des hiéroglyphes peints ou gravés, comme c’est le cas pour la majorité des gens, la seule vue de la peinture ou du relief, déjà, nous permet d’en saisir une approche suffisante pour comprendre, de manière minimale dans un premier temps, la représentation que nous avons sous les yeux.

 

     Regarder, lire une image égyptienne, c’est déjà appréhender et commencer à comprendre la civilisation. Car tout, ou presque, a été traité par les artistes des rives du Nil : les tombes, depuis l’Ancien Empire jusqu’à la Basse Epoque, proposent à foison des moments de la vie quotidienne, des travaux des champs aux fêtes et aux jeux, que les textes seuls, le plus souvent, n’évoquent qu’à peine. Toute l’histoire de la société est présente dans ces tombeaux (qu'ils dénommaient "maisons d’éternité") dans la mesure où l’Au-delà se devait d’être une reproduction, la plus fidèle possible, de l’Ici-bas.

 

     L’image égyptienne constitue donc une sorte d’écriture immédiate, compréhensible par la plupart, à tout le moins en un premier niveau de sens, car d'autres significations se dissimulent parfois derrière l'immédiatement apparent : il peut en effet exister un deuxième, voire un troisième axe de lecture, plus allégorique, plus ésotérique qu'il nous reste à découvrir, pour autant, bien évidemment, que l’on dispose un tant soit peu des codes de cette "grammaire" particulière à l’image.

 

     Et c’est ce que je voudrais vous démontrer aujourd'hui, ami lecteur, avec ce premier article de rentrée, en rapport direct, comme je vous l’avais annoncé avant mes vacances, avec les fragments de la scène de pêche au harpon - exposés dans la troisième vitrine de la salle 3 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - que nous avions admirés le1er juillet dernier.

 

      Pour mieux étayer ma démonstration, vous me permettrez de quelque peu "tricher" : en effet, je vous propose d'analyser la même scène, mais complète cette fois,  tout en sachant que, morceau classique de l'art pictural égyptien, nous pouvons la retrouver dans maints tombeaux : je vous en avais déjà d'ailleurs soumis une reproduction, en noir et blanc, dans l'article sus-mentionné, provenant du mastaba de Neferirtenef entré au tout début du XXème siècle au Département des Antiquités égyptiennes des Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles.        

     Aujourd'hui, j'ai choisi celle de la tombe de Nakht, scribe et prêtre d'Amon à la XVIIIème dynastie.


 

     C'est l'évidence même qu'ainsi présentée, cette scène de chasse et de pêche dans les marais n'est en rien représentative d'une quelconque réalité. Ce qui est tout à fait logique quand on sait que l'artiste égyptien reproduisait non pas ce qu'il voyait véritablement, mais bien plutôt l'image qu'il avait à l'esprit afin de mieux faire passer le message qu'il voulait transmettre. En ce sens d'ailleurs, il n'est pas incongru de considérer l’art égyptien comme parfaitement cérébral.

 

     Pour rendre le plus significativement possible tous les aspects, toutes les particularités de ce qu’il entendait montrer, l’artiste avait continuellement recours à des "subterfuges", des codes comme par exemple peindre le contenu au-dessus du contenant; ou encore associer, dans un même dessin architectural, le plan, l’élévation et la coupe; ou encore dessiner deux mains droites, ou gauches, etc.

 

     Cette combinaison de différents points de vue a parfois entraîné certains historiens de l’art, totalement ignorants de ces codifications, à estimer l’art égyptien bien naïf ou à juger de manière exagérément critique, voire dépréciative, les artistes de cette époque.

 

     Afin d'éclairer cette notion de codification, je prendrai comme premier exemple ce que, empruntant à la langue allemande, les égyptologues appellent le "Wasserberg", cette sorte d’excroissance verticale arrondie, au coeur même de la scène, symbolisant une vague dans laquelle seuls deux poissons différents sont harponnés ensemble par le défunt.

 

     Que faut-il ici comprendre ?

     Simplement que, partant du principe que la chasse ou la pêche constituaient des activités ressortissant au domaine du sacré, elles avaient un rôle à l’évidence apotropaïque, les proies figurant les ennemis de l’Egypte (Roland Tefnin ne qualifiait-il pas les poissons de métaphores vivantes des forces maléfiques ?); ennemis qu’il fallait donc anéantir, car synonymes de chaos. Le défunt ainsi représenté en pleine action cynégétique apportait son concours pour éliminer ces forces du mal.

 

     Mais il faut aussi avoir présent à l’esprit que ce type même d’activité fut, dès les premiers temps de l’Histoire, l’apanage des seuls souverains. Pharaon, unique intermédiaire entre les dieux et les hommes, accomplissait donc de la sorte un rituel d’importance : le combat symbolique contre tout ce qui pourrait perturber la Maât, cette notion abstraite si chère aux Egyptiens dans la mesure où elle leur permettait de maintenir l’ordre dans le pays.

 

     De sorte qu’un défunt qui se faisait ainsi représenter dans sa tombe se trouvait par là même assimilé à la personne royale. En outre, et plus prosaïquement, par la magie de l’image, il repoussait aussi définitivement les forces négatives susceptibles de s'aventurer et de dangereusement perturber sa vie dans l’Au-delà.

 

     Enfin, et dépassant la simple représentation d’un rituel ancestral lui permettant de personnellement triompher des dangers éventuels, cette scène revêt une connotation supplémentaire qui ressortit au domaine de l’érotisme, certes pas envisagé dans une optique plus ou moins vulgaire et grossière, mais plutôt au sens de régénération, de renaissance.

 

     Je m’explique. Même si dans la tombe de Nakht le harpon ne nous est pas visible, dans toutes les scènes de ce genre (chez Neferirtenef, par exemple), il nous est montré pénétrant en même temps dans deux poissons différents : un lates et une tilapia nilotica. Or, depuis mon article du mardi 3 juin dernier, vous n'ignorez plus, ami lecteur, que si le lates symbolisait le sacré, la tilapia, elle, était synonyme de vitalité renaissante dans la mesure où les Egyptiens avaient remarqué qu’elle abritait ses petits dans la bouche, juste après la ponte, et ne les recrachait qu’une fois éclos.

 

     Dès lors, le défunt propriétaire du tombeau dans lequel figure cette scène s’appropriait, toujours par la magie de l’image, les vertus inhérentes à ces deux poissons, à savoir essentiellement, cette indispensable renaissance post-mortem.

 

     J'ajouterai, et ce détail est loin d’être anodin dans la démonstration que je vous propose ici, que la langue égyptienne se servait du même verbe (setchet) pour signifier "transpercer à l’aide d’un harpon", mais aussi "s’accoupler", "engendrer", "éjaculer". Le même verbe aussi (kema) pour signifier "lancer le boomerang" (qui permettait d’atteindre les oiseaux en vol), mais aussi "créer".

  

   Il est dès lors avéré que nous sommes en présence ici d’une renaissance métaphorique : pour renaître dans l’Au-delà, pour y poursuivre la vie qu'il avait connue (ou espérée) sur terre, le défunt avait besoin de surmonter les dangers, de les affronter pour mieux en triompher. Et pour ce faire, l'acte sexuel lui était nécessaire. Dès lors, comment mettre tout en oeuvre pour qu'il soit possible ?
  

     Par d’importantes, imposantes et incontestables contributions, l’égyptologue belge Philippe Derchain a abondamment et définitivement démontré, depuis plus d’un quart de siècle, le caractère manifestement érotique que recelait le port d’une perruque pour les dames, par exemple, mais aussi celui de certains types de vêtements; sans oublier le cône de parfum que l’on retrouve parfois au sommet de la perruque, le lotus serré dans la main ou certains bijoux portés à même la gorge ...

 

    Admirez une fois encore la délicate scène de la tombe de Nakht, ci-dessus : le défunt debout à gauche, superbement vêtu, s'apprête à lancer le boomerang; à droite, le même mais arborant une autre coiffure, harponne les deux poissons de la "montagne d'eau". Derrière lui, à chaque fois, son épouse, une fleur de lotus à la main; et entre ses jambes, l'agrippant au mollet, une de ses filles : cette représentation où tout ce petit monde, en grand atour, bijoux compris, se tient sur un frêle esquif n'a d'évidence absolument rien de réaliste.

     Pensez-vous vraiment, ami lecteur, que s’ils n’avaient pas indéniablement valeur érotique, tous ces détails vestimentaires seraient ainsi mis en lumière ? Pensez-vous vraiment que semblables tenues sont celles de chasseurs et de pêcheurs ? Pensez-vous vraiment que toute cette coquetterie déployée s’impose, convienne pour ce type d’activité dans les régions palustres ?

     Il semble indiscutable pour Philippe Derchain - dont je partage entièrement le point de vue - que tout ceci constitue une allusion relativement discrète à la vie amoureuse de Nakht.

     En conclusion, et c’est bien là toute la pertinence d’une herméneutique portant sur l’image égyptienne, c’est bien là l’intérêt de suivre les dernières recherches en date des égyptologues comme celles des philologues qui se sont succédé depuis un siècle pour les analyser, une scène comme celle que je vous ai proposée aujourd’hui, si récurrente dans l’art égyptien depuis l’Ancien Empire, recèle à l’évidence plusieurs niveaux sémantiques, du littéral au symbolique, qui, si on peut leur trouver une indéniable indépendance, convergent néanmoins tous, in fine, vers une seule et unique intention : après son trépas ici-bas, permettre la survie du défunt et sa renaissance dans l’Au-delà.


     Au terme de ce long article, qu’il me soit permis, en guise de synthèse, de simplement énumérer ces niveaux de sens que les égyptologues reconnaissent à la célébrissime scène de chasse et de pêche dans les marais, et ce, afin de boucler la boucle en corroborant mes propos initiaux concernant la lecture d’une image égyptienne :

 

* Sens mythique : réminiscence des combats victorieux des souverains des premières dynasties contre les ennemis du pays. Il serait alors ici question, mutatis mutandis, d’une victoire du défunt contre sa propre mort.

 

* Sens apotropaïque : protection du défunt face aux forces du mal dans son parcours personnel vers la renaissance souhaitée.

 

* Sens érotique, à destination eschatologique : nécessité de rapports sexuels préalables à cette renaissance.


(Angenot : 2005, 11-35 ; De Keyser : 1947, 42-9 ; Derchain : 1975 ; Laboury : 1997, 49-81 ; Wildung : 1997, 11-6)


     Pour une autre preuve, si besoin en était encore, de l'indubitable valeur érotique attribuée à la perruque en particulier, et à la coiffure en général dans le quotidien égyptien, je vous invite à venir lire, ici même, samedi prochain, un poème d'amour ainsi qu'un extrait d'un conte qui, tout naturellement, viendront confirmer dans le domaine littéraire ce qu'aujourd'hui nous avons constaté dans celui de la peinture.  

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5 juillet 2008 6 05 /07 /juillet /2008 23:00

     Les papyri Chester Beatty furent découverts dans une chapelle funéraire de Deir el-Medineh, en 1928. Achetés par un millionnaire américain, Alfred Chester Beatty, ils sont actuellement entreposés à la Chester Beatty Library à Dublin.

     Le premier d'entre eux, le Papyrus Chester Beatty I, est un rouleau de plus ou moins cinq mètres de long, constitué de 20 feuilles de 25 cm de largeur en moyenne pour 21 cm de hauteur. Je vous en avais déjà proposé un extrait, ami lecteur,
le 15 juin dernier : la toute première stance d’un premier ensemble de chants d’amour. Découvrons ce dimanche la septième et dernière :


Il y a sept jours hier que je n’ai pas vu l’Aimée.
La maladie s’est introduite en moi,
Au point que je me trouve dans un état où mon corps est lourd,
Et que je perds conscience de moi-même.
Si les médecins venaient à moi,
Leurs remèdes ne m’apaiseraient pas.
Les prêtres ritualistes, guère d’issue par leur entremise.
On ne peut identifier ma maladie.
Il n’y a que le fait de me dire " La voici !" qui me guérisse.
Il n’y a que son nom qui me soulage.
Il n’y a que les allées et venues de ses messages qui guérissent mon coeur.
Plus utile pour moi l’Aimée que quelque remède que ce soit.
Elle est plus efficace pour moi que le corpus médical.
Mon salut serait qu’elle entre du dehors.
Je la verrais, et alors je retrouverais la santé.
Ouvrirait-elle son oeil que mon corps se revigorerait.
Elle parlerait, et alors je reprendrais force.
Il me faudrait l’embrasser afin qu’elle écarte de moi le mal.
(Mais) cela fait sept jours qu’elle m’a laissé !

(Traduction Pascal Vernus : 1993, 68-9)


  
   Quant à moi, ami lecteur, c'est nettement plus que ces sept jours (qui tant perturbent l'Aimé de ce chant d'amour égyptien) que je vais vous laisser : voici venu le temps des vacances estivales que je vous souhaite les plus agréables qu'il soit possible; et, "si je le vaux bien", vous invite à me retrouver, comme promis déjà dans cet article, le mardi 12 août prochain.

Merci de votre fidélité.
Amitiés à tous ...

Richard 


   

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2 juillet 2008 3 02 /07 /juillet /2008 23:00

     Les sagesses égyptiennes constituent, dans l’art littéraire des rives du Nil antique, le seul domaine pour lequel nous ayons mentions du nom de ceux qui les ont composées et de celui auquel elles étaient destinées. 

     Ce qui me paraît tout à fait logique dans la mesure où ces maximes, ces aphorismes étaient en fait des préceptes éducatifs, des "Enseignements" qu’un père sentant sa mort prochaine désirait transmettre à son fils aîné.
 

     En revanche, pour la poésie amoureuse proprement dite, et dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne disposons d’aucune indication de paternité.
 

     La seule chose avérée la concernant, hormis le fait que tout un chacun la crédite d’excellence, c’est son origine et temporelle et géographique.
 

     On peut en effet avancer, en fonction des documents actuellement exhumés lors des fouilles des ruines du village des "Ouvriers de la Tombe", à Deir el-Medineh, qu’elle fut rédigée aux XIXème et XXème dynasties, à l’époque ramesside, soit aux 13ème et 12ème siècles avant notre ère.
 

     D’aucuns, égyptologues, philologues, estiment que ce laps de temps, finalement assez court de la poésie amoureuse eu égard à la longévité - qui se mesure en millénaires - de la civilisation égyptienne, s’explique par le fait qu’il s’agit d’une époque de grande opulence, de grande prospérité due aux conquêtes extra muros de quelques souverains conquérants et bellicistes et que, dans une telle atmosphère, l’inspiration lyrique semblerait plus propice.
 

     Ce qui, il faut néanmoins le préciser, n’exclut nullement qu'il pourrait y avoir eu semblable poésie aux époques antérieures. Et confirmation de tel réquisit n’existera que par la mise au jour de nouveaux documents ...
 

     Mais, pour l’heure, il nous faut nous contenter de ceux retrouvés aux siècles derniers à Deir el-Medineh : quelques papyri et une abondance d’ostraca, ces tessons de poteries ou éclats de calcaire que l’on pouvait ramasser quasiment n’importe où et dont la surface, préférablement lisse, permettait que l’on y trace textes et dessins à l’aide, dans un premier temps, d’un morceau de jonc dont le bout, préalablement mâché, était trempé dans de l’encre; et, dans un deuxième temps, d’un calame au sens propre, c’est-à-dire un morceau de roseau taillé en biseau.
 

     Me permettez-vous, ami lecteur, d’ouvrir ici une petite parenthèse ? Simplement pour rappeler que c’est de ce terme "ostracon" (des ostraca, au pluriel) que dérive celui d’ostracisme désignant, dans l’Athènes antique, la décision prise par les membres de l’Assemblée de bannir un citoyen : c’était en effet sur un éclat de pierre, sur un ostracon, qu’ils indiquaient son nom.
 

     Revenons à la poésie amoureuse du temps des Ramsès. D’emblée, et afin de dissiper tout malentendu à ce sujet, je tiens à préciser que ces textes, qu’ils soient copiés sur un papyrus ou qu’ils figurent sur un ostracon, ne sont pas rédigés en écriture hiéroglyphique, mais dans une cursive que l’on nomme hiératique.
 

     Alors que les hiéroglyphes étaient traditionnellement réservés aux monuments ou aux objets et textes à destination religieuse, sacrée (hieros, en grec, signifiant d’ailleurs "sacré"), les écritures cursives, parce qu’évidemment plus rapides, furent utilisées pour les documents administratifs, juridiques, ainsi que dans la vie quotidienne.
 

     Dernière petite précision en la matière : à la différence des hiéroglyphes gravés ou peints, les écritures cursives se lisent toujours de droite à gauche.
 

     Les chants d’amour, donc, comme je l’ai signifié plus haut, restent pour nous complètement anonymes : aucune signature, aucune précision onomastique. Mais, en définitive, peut-être est-ce cela qui en fait leur intemporalité ...
 

     Ceci étant, quelques philologues, se basant sur la phraséologie récurrente de certains poèmes, voire sur le vocabulaire spécifique employé, veulent penser que beaucoup d’entre eux seraient le fruit de l’inspiration d’un seul et même auteur. Pure conjecture ...
 

     Il me reste maintenant à évoquer le sempiternel problème de la traduction en français d’oeuvres en langue étrangère. Certes, et plus spécifiquement avec la langue égyptienne antique qui est une langue morte et dont la vocalisation nous est complètement perdue, tout traducteur, et même s’il se veut le plus proche possible du texte original, s’il se veut le plus littéral possible, apportera inévitablement sa "patte" pour nous restituer, sans dénaturer, mais néanmoins dans un langage accessible à nos oreilles modernes, l’âme même du poème.
 

     Ainsi, quand l’Egyptien écrit : Il est fuyant en toute hâte, mon coeur, l’égyptologue préfère-t-il traduire par : Il est prompt à se dérober ...
 

     Dès lors, il est bien évident que les chants d’amour que je vous propose au fil des semaines, si le thème se révèle intemporel, reflètent et la langue et la sensibilité propres de celui ou celle qui les traduit.
 

     Je vous propose un premier exemple, simple. Dans le texte original, les termes sen et senet désignent respectivement le frère et la soeur. Certains égyptologues s’en tenant à la traduction littérale pourraient semer le doute dans les esprits concernant d’éventuelles pratiques incestueuses avec un vers tel que : Mon frère émeut mon coeur par sa voix, s’ils n’assortissaient pas leur traduction d’une note infrapaginale expliquant qu’il faut ici donner à frère et soeur le sens de amant et amante, aimé et aimée ...
 

     En revanche, d’autres traducteurs préfèrent directement employer le sens réel de ces termes. Ainsi, lire : Mon Aimé émeut mon coeur par sa voix ne posera aucun problème à personne.
 

     Les puristes rétorqueront qu’il suffit de connaître les conventions égyptiennes, et tout est résolu. Absolument d’accord, mais quand on sait que les deux termes peuvent tout aussi bien signifier, en fonction du contexte dans lequel ils se trouvent, non seulement frère et soeur, mais aussi oncle et tante, neveu et nièce, cousin et cousine, voire même être employés dans la correspondance diplomatique entre un pharaon et un souverain étranger, les choses deviennent un peu plus compliquées.
 

     Si nous n’avons aucune précision ni sur le ou les auteurs de ces poèmes, si nous sommes de même tout aussi démunis sur la personnalité des amants, nous pouvons néanmoins comprendre, à la lecture sous-jacente de ces textes, qu’ils font partie d’une classe sociale aisée, voire aristocratique, dans cette Egypte du Nouvel Empire : ils ont en effet une maison apparemment assez spacieuse, du personnel pour s’en occuper et un ou des chevaux, alors que le commun des mortels se contente d’un âne.
 

     Pour terminer, et en guise de deuxième exemple destiné à mettre en exergue les difficultés de la traduction, je vous propose maintenant, ami lecteur de redécouvrir un extrait de la première stance du Papyrus Chester Beatty I, celle-là même que je vous avais donné à lire le 15 juin dernier, mais cette fois traduite par trois égyptologues différents.
 

     A vous d’éventuellement faire un choix ...



1. Version de l’égyptologue belge Pierre Gilbert (1949)


Unique amante, sans seconde,
Plus belle que toutes les femmes.
Vois, elle est comme l’étoile qui se lève
Au commencement d’une belle année;
Lumineuse et parfaite, éclatante de teint,
Elle séduit par le regard de ses yeux
Et charme par les paroles de ses lèvres.




2. Version de l’égyptologue français Pascal Vernus (1992)


L’unique, la "soeur" sans égale,
Belle plus que toutes les autres,
La voir est comme (voir) l’étoile qui apparaît
Au début d’une bonne année.
Celle à la perfection lumineuse, à la complexion resplendissante,
Celle aux jolis yeux quand ils jettent un regard,
Suave est sa lèvre quand elle parle.




3. Et enfin, celle que vous connaissez déjà, due à l’égyptologue belge Philippe Derchain (1997)

Unique est l’Aimée, sans pareille
La belle inégalée,
Regarde-la, elle est comme Sothis
Quand elle reparaît au début de l’année heureuse,
Brillant merveilleusement, la peau blanche, le teint clair,
Les yeux charmants, ensorceleurs,
Que ses lèvres sont douces dès qu’elles parlent !




(Derchain : 1997, 79-80; Gilbert : 1949, 67-8; Vernus : 1993, 7-19 et 63)

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30 juin 2008 1 30 /06 /juin /2008 23:00

 

     Le hasard, entre les articles publiés par Louvre-passion et moi-même, intervenant de manière inattendue, c'est sur un don des Amis du Louvre qu'aujourd'hui je braquerai un éclairage particulier. En effet, après vous avoir convié tout le mois de juin à vous pencher avec moi sur les objets exposés dans la grande vitrine centrale, c'est tout naturellement aujourd'hui - et M. de La Palisse aurait certes approuvé ce choix éminemment logique - que je vous invite, ami lecteur, à admirer, après la vitrine 2 donc, les fragments d'un bas-relief peint présentés dans la vitrine 3. (Mur de droite quand vous entrez dans cette salle 3 du parcours thématique du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre.)      

                                                                   
                                         E 26092


     Ce bas-relief anépigraphe en calcaire sculpté et peint, d’une longueur maximale de 157 cm, d’une hauteur de 55 cm et d’une épaisseur moyenne de 3, 5 cm, dont nous n’avons malheureusement ici que la partie inférieure d’une scène de pêche au harpon, elle-même découpée en quatre fragments, partiellement brisés et recollés sur du plâtre, constitue, ainsi que je l'annoncais en introduction, un de ces dons au Musée dont est coutumière la Société des Amis du Louvre. Celui-ci eut lieu en 1969.

     Selon son vendeur, il proviendrait de Saqqarah, mais sans aucune autre précision; de sorte que nous ignorons tout du tombeau d'où il est originaire. Toutefois, et parce qu’il présente une soubassement uni, réalisé avec de l'ocre rouge surmontée d'une bande noire, et une frise verticale de rectangles de teintes différentes conservée, en partie à tout le moins, du côté droit, on peut sans hésitation aucune déduire qu’il se trouvait dans la section inférieure droite d'un décor sur la paroi du monument d'où il fut arraché.

     Bien maigres renseignements, je vous l'accorde, mais c'est ainsi. Actuellement à tout le moins, car il se peut qu'un jour donné apparaissent, sur le marché de l'art, d'autres fragments qui pourraient virtuellement être assemblés à ceux-ci et qui eux seraient assortis d'une "fiche technique" plus détaillée quant à leur origine. 
En archéologie, semblable opportunité est toujours envisageable ...

    

     D’après certains critères, notamment cette convention stylistique propre à l'Ancien Empire qui veut que l'artiste représente devant le pêcheur debout une vague qui émergerait verticalement de la surface normalement plane du marais, vague gonflée de différents poissons lui évitant ainsi de se pencher dangereusement,  ce bas-relief daterait de la fin de la Vème, voire du tout début de la VIème dynastie.

    

     Parce que de nombreuses représentations de pêche dans les marais ont été retrouvées sur les parois des tombes de l’Ancien Empire, nous pouvons parfaitement imaginer le décor dans son intégralité. Mais le dessin ci-dessous, réalisé à partir de la scène semblable que l'on peut admirer sur le mastaba de Neferirtenef ramené au tout début du XXème siècle par Jean Capart pour nos Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles, vous permettra, et bien plus aisément qu'une longue explication, de visualiser mes propos (ainsi que "la vague" évoquée ci-dessus).


                                                                       


     Le défunt, tourné vers la droite, les bras écartés, manie des deux mains un harpon aux crochets duquel des poissons sont suspendus : ceux-ci lui permettront évidemment de se nourrir dans l'au-delà. 

     L'artiste l'a représenté debout sur sa barque en bois à la proue papyriforme, et a associé à la scène sa famille proche : son épouse et, debout devant lui, son fils, tous deux figurés à échelle réduite (toujours selon certaines conventions de l'art égyptien). Le fils qui, par parenthèses, dispose lui aussi d'un harpon.

     Sur le fragment supérieur droit du bas-relief du Louvre, vous distinguerez seulement le pied gauche avancé du pêcheur, en ocre rouge, le bas du harpon, avec ses deux barbelures, tenu verticalement par son fils et l'avant de la barque se terminant, au niveau de la frise de droite, par l'ombelle stylisée d'un papyrus.

     Sans compter, bien évidemment, la partie inférieure de l'ensemble des poissons capturés que, peut-être, tant leur restitution s'avère d'une précision extrême, les plus connaisseurs d'entre-vous reconnaîtront : au-dessus de l'embarcation, en haut à gauche, un synodonte nageant sur le dos; à sa droite, la tilapia nilotica avec, en dessous, une anguille; et enfin, à gauche de l'anguille, un tetrodon peint verticalement et un mormyre, horizontalement. 
A l'extrême droite de la composition, sous la proue, un lates (ou perche du Nil). 

                
     L'eau du marais est représentée en bleu, striée de zigzags noirs : il n'est pas inutile de préciser que, dans la langue égyptienne, c'est ce hiéroglyphe  qui signifie "eau". ( = N 35 dans la liste de Gardiner).

     Tout le bas de la scène, sous l'embarcation, est quant à lui, superbement conservé : il illustre parfaitement mes articles du 3, du 10 et du 17 juin en mettant en évidence tous ces animaux palustres, redoutables ou pacifiques, auxquels j'ai eu l'occasion de faire allusion :

* fragment d'extrême gauche



     Remarquez, sous l'étambot de la barque dont on aperçoit un morceau dans le coin supérieur droit, cette adorable petite grenouille, bizarrement bleue, négligemment posée sur une branche d'un potamogéton, plus prosaïquement appelé "épi d'eau", qui se balance au-dessus d'un mormyre, à gauche et d'un poisson-chat (silure), à droite.    



* fragment central
                                                                                                                                                                                                                                  Présence d'un mulet, au-dessus de la queue minutieusement et magnifiquement détaillée du crocodile.

     
* fragment de droite


Le crocodile en question et, gueule ouverte, un hippopotame ...
 
 
















     Au terme de cet article, je voudrais maintenant évoquer la technique de réalisation de cette scène de pêche car, même si ce n'est peut-être pas flagrant ici à vos yeux (d'où ma sempiternelle recommandation de vous rendre au Louvre), l'artiste, anonyme comme de coutume dans l'art égyptien, (à l'une ou l'autre exception près), a usé de deux méthodes absolument différentes, et ce, sur un même mur : au-dessus de la ligne d'eau sur laquelle repose la barque, il a légèrement creusé le fond de manière que tous les motifs se détachent en bas-relief ; en revanche, en dessous de cette ligne horizontale de démarcation, le crocodile mis à part, le seul en léger relief (il faut toujours une exception !), toute la surface de la pierre calcaire est plane et son décor entièrement peint. Dernier petit détail : les nageoires et les ouïes des poissons, les ligatures et les planches de la barque ont été incisés.

     Enfin, et en préambule à un prochain article qui paraîtra dans la rubrique "Décodage de l'image", le mardi 12 août prochain, j'aimerais attirer votre attention, ami lecteur, sur la fraîcheur époustouflante des couleurs, néanmoins typiques de la peinture égyptienne, conférant à ces fragments une délicatesse que personnellement j'estime, à tort ou à raison, absolument remarquable.  
                

(Ziegler : 1990 ², 298-301)

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28 juin 2008 6 28 /06 /juin /2008 23:00

     Dans les deux précédents exemples de poésie amoureuse que je vous ai offerts, ami lecteur, les 15 et 19 juin derniers, j’avais délibérément choisi des paroles d’hommes. Mais, et c’est fort heureux, nos "moitiés" s’enflamment elles aussi merveilleusement pour nous ...

     En voici un bel exemple inscrit sur le Papyrus Harris 500, datant du début de la XIXème dynastie soit, si je me réfère à la chronologie proposée en commençant ce blog, vers 1 300 A.J.-C.

     Pour la petite histoire, je préciserai simplement que ce papyrus fait partie de la collection que détenait l’amateur et marchand d’antiquités anglais Anthony Charles Harris (1790-1869) et que sa fille adoptive mit en vente en 1871. Ce fut le Bristish Museum qui en acquit l’ensemble, contenant ce que les égyptologues appellent le Papyrus Harris I (ou Grand Papyrus Harris); le Papyrus Harris II; le Papyrus Harris 500 qui contient deux contes et de la poésie; et le Papyrus Harris 501 sur lequel a été copié un texte magique.

     "Ecoutons" à présent la voix de l’Aimée ...

 

Je suis ta première amie.
Vois, je suis comme le jardin
que j’ai planté de fleurs
Et de toute herbe au doux parfum.
Délicieux est son bassin
Que tes mains ont creusé
A la fraîcheur du vent du nord.
Beau, l’endroit où je me promène
Lorsque ta main est sur ma main.
Mon corps est bien aise,
Mon coeur se réjouit
Que nous marchions ensemble.
C’est un philtre grisant que d’entendre ta voix.
Et je vis de l’entendre.
Si je te regarde,
Chaque regard est pour moi meilleur
que le manger et que le boire.


(Traduction Pierre Gilbert : 1949, 59)

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