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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 00:00

 

    Dans mon intervention de samedi dernier, la première d'une nouvelle série consacrée à l'égyptologie à l'Est, je vous avais conviés, souvenez-vous, amis lecteurs, à effectuer un bout de chemin en compagnie de Frantisek  LEXA et d'ainsi assister à la naissance tout en douceur, au matin du XXème siècle, de cette nouvelle discipline qui cherchait sa place dans le parcours universitaire tchécoslovaque ou, pour être plus précis, pragois.


     Ne nous laissons toutefois pas abuser par la métaphore basique que d'aucuns pourraient filer en évoquant en la circonstance de premiers balbutiements : il ne s'agit nullement de tâtonnements dans le chef de file de la science qui s'ébroue alors aux abords de la Vltava. Tout de suite, souvenez-vous, Lexa positionna ses travaux à hauteur de la lexicographie et de la sémantique en étudiant la langue des anciens habitants des rives du Nil par le biais du démotique, avant de confier à ses Etudiants, mais aussi bientôt à bon nombre de ses compatriotes, un imposant ensemble de clefs leur permettant d'entrebâiller tous les huis au-delà desquels ils allaient pouvoir côtoyer les aspects essentiels de la civilisation égyptienne.

     Grandes et importantes prémices de l'égyptologie, donc, avec ce précurseur, mais point encore de recherches matérielles, point de fouilles ; point d'archéologie stricto sensu.

     Enfin un disciple vint, et le premier en République tchécoslovaque
qui allait très vite offrir à son pays ses véritables lettres de noblesse en la matière : Jaroslav Cerny.


Cerny--Jaroslav--et-Zaba--Zbynek--copie-1.jpg
(ici à gauche, s'entretenant avec Zbinek Zaba, son compatriote, sous le portrait du "Maître", Frantisek Lexa.)


     Pilsen.

     061.-Nove-Mesto---Bar-Place-Venceslas--07-08-2009-.jpg




     Si certains connaisseurs associent ce toponyme aux usines de fabrication automobile "Skoda", il est d'évidence que la majorité de mes lecteurs belges y humeront plutôt les enivrants effluves de la brasserie "Pilsner Urquell" et de sa "Pils", auto-proclamée boisson nationale tchèque et savourée, ici en bords de Meuse, à l'instar de la "Stella", de  la "Jupiler" ... ou de la "Leffe" brune, pour certains.




    
     Pilsen (Plzen), au sud-ouest de Prague. Dans cette petite ville de ce qui était encore, pour une vingtaine d'années seulement, l'empire austro-hongrois, naquit, le 22 août 1898, Jaroslav Cerny. Comme tous ceux qui bénéficiaient des dispositions leur permettant de faire partie de l'élite intellectuelle de l'époque, le jeune homme entreprit, entre 1917 et 1922, des études à la Faculté des Lettres de l'Université Charles, à Prague ; et eut l'heur d'assister aux conférences égyptologiques dispensées par Frantisek Lexa.

     A partir de 1925, celui qui aurait pu se contenter d'être l'épigone du Maître, décide de se confronter au terrain : ce sera Deir el-Médineh ! Là, il rejoint Bernard Bruyère, de vingt ans son aîné, rencontré au Musée égyptien de Turin où tous deux procédaient à quelques recherches.
Bruyère  cherche un épigraphiste ; Cerny n'hésite pas, il sera cet homme !

     - Deir el-Médineh ? Bernard Bruyère ? Ces noms semblent réveiller quelques souvenirs ... 

     - Et vous auriez parfaitement raison, amis lecteurs ! En guise d'introduction à l'étude des outils agricoles exposés dans la
vitrine 10 de la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, je vous avais en effet quelque peu entretenus, voici 10 mois, de ce célèbre site à l'ouest de Thèbes, ainsi que, à partir du 25 avril 2009, donné à lire, trois samedis successifs, des extraits de rapports que son principal fouilleur avait rédigés suite à l'exploration que, dans les années 1950, il menait au niveau du "Grand Puits".

     Mais pour l'heure, nous sommes un quart de siècle plus tôt.

     Pa-démi, "La Ville", comme l'appelaient les Egyptiens, n'est plus que ruines ensablées d'un village créé ex-nihilo sous le règne de Thoutmosis Ier, un des premiers souverains du Nouvel Empire, en vue d'héberger artistes, artisans et ouvriers qui concouraient à rendre agréables les "maisons d'éternité" des monarques inhumés dans les vallées des Rois et des Reines.

     Près d'un demi-millénaire durant, des hommes engagés pour creuser et décorer les hypogées royaux et princiers, résideront avec leur famille dans ces quelque septante maisons aujourd'hui mises au jour par les égyptologues qui se sont succédé sur le site depuis qu'en 1917, l'I.F.A.O., Institut français d'Archéologie orientale, en obtint la concession.

     Cinq ans plus tard, en 1922, c'est Bernard Bruyère qui prend pour trente ans la direction des excavations. Sans quasiment discontinuer, il dégagea systématiquement les habitations, les tombes et tous les  alentours. Et la provende fut sans égale pour ce qui concerne la connaissance de la vie quotidienne des ouvriers en un temps et en un lieu donnés.

     Aux confins du village, sur les flancs de Gournet Mouraï, d
ans les tombes du cimetière de l'Est datant des règnes de Hatchepsout et de Thoutmosis III, il exhuma un matériel funéraire de tout premier choix : chaises, tabourets, lits, nattes, paniers divers, vaisselle, ustensiles de cuisine, outils agricoles, objets de toilettes et même des vêtements ...
Qui n'étaient pas factices. Qui présentaient des traces d'usure. Qui avaient donc servi. Qui  avaient été maniés, utilisés, portés par ces hommes.
Et qui leur avaient permis de travailler, de vivre ...

     Dans la nécropole de l'Ouest, sur l'autre versant, au pied de la montagne thébaine, ce furent approximativement soixante tombes décorées, superbes pour certaines d'entre elles, qu'il mit au jour ; beaucoup datant du règne de Ramsès II ...

     - Mais, vous étonnerez-vous à l'énumération de tous ces trésors, pourquoi diantre l'I.F.A.O. et Bruyère désiraient-ils tant s'adjoindre les services d'un épigraphiste ?

     - Simplement parce que dès le départ, ils avaient croisé et engrangé de nombreux ostraca,

Ostracon-Vienne.jpg

de nombreux papyri,

Papyrus hiératique

des fragments brisés de vases inscrits, des oushebtis, également : et tous portaient des inscriptions en écriture hiératique, cursive dérivée des signes hiéroglyphiques.

     Ce fut donc le travail de Cerny qui avait rallié l'équipe de Bruyère depuis 1925 de procéder à la traduction de milliers et de milliers de documents semblables, parfois réduits à de minuscules fragments.

     De sorte qu'il n'est pas incongru de ma part d'avancer ici que sa vie professionnelle, ce savant la consacra entièrement, d'une manière ou d'une autre, à Deir el-Médineh, à la "Communauté des Artisans de la Tombe", comme il est souvent indiqué dans la littérature égyptologique :

Cerny-a-Deir-el-Medineh-copie-2.jpg
que ce soit aux excavations du village proprement dit ou au dépouillement épigraphique de ce qui avait été retrouvé qu'en excellent disciple de Lexa il mena de front en publiant des études visant à faire connaître l'histoire sociale et économique du lieu, plus spécifiquement à l'époque ramesside dont, mieux que quiconque, il excellait dans la pratique de la langue vernaculaire, le Néo-égyptien, essentiellement utilisé dans les textes purement littéraires.

Cerny---Ouvrage-IFAO.jpg
       
     Ainsi narrée, sa vie pourrait ressembler à ce long fleuve tranquille ... que le Nil est loin de représenter ! 

     Pour Cerny, en réalité, il n'en fut rien : en 1929, il accepte, tout comme  Lexa avant lui, d'entrer en tant que "Privatdozent" à l'Université Charles IV alors que depuis l'année précédente, il avait été mandé par le Musée égyptien du Caire pour mettre sur pied la publication d'un catalogue des ostraca hiératiques présents dans ses collections : il n'apposera le point final à cette publication qu'en 1933.

     A Prague, il enseigna jusqu'à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, puis se retrouva promu par le gouvernement de la République tchécoslovaque en exil
attaché d'Ambassade au Caire, avant de débarquer, en 1943, à celle de Londres.

     Parallèlement à ses fonctions diplomatiques, il se pencha avec fougue nouvelle sur la lexicographie de la langue copte.

     Le conflit international terminé, il revint un temps donner des conférences d'égyptologie à l'Université Charles : Frantisek Lexa, toujours en activité, à cette époque, suggère complaisamment que son confrère devrait lui aussi être admis Professeur dans cette discipline.

     S'ensuit un refus catégorique dans le chef du ministre de l'Education arguant avec beaucoup de mauvaise foi que des cours aussi peu importants que ceux ressortissant à l'égyptologie (?!) ne nécessitaient pas une nomination officielle, c'est-à-dire rémunérée, d'un deuxième impétrant.

     Exit Jaroslav Cerny que, dès 1946, s'empresse et se félicite d'appeler l'University College de Londres au titre de Professeur d'égyptologie, avant qu'il ne prenne en charge, à partir de 1951 et jusqu'en 1965, la chaire d'égyptologie de la prestigieuse Université d'Oxford : parcours royal, parcours de rêve, s'il en est, pour tout Enseignant passionné ...

     Ceci étant, et la boucle semble ainsi bouclée, la juste reconnaissance de son incontestable intelligence lui arrive enfin de sa propre patrie : en 1965, il retrouve le chemin de la Faculté des Lettres et des Arts de Prague en acceptant de devenir membre honoraire de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie créé, rappelez-vous, par son mentor, le Professeur Frantisek Lexa en personne.

     Mais subitement, le 29 mai 1970 - il n'a pas encore 72 ans - , Cerny  meurt à Oxford.

   Cerny---Bibliotheque-copie-1.jpg

     
Certes, il n'eut pas la satisfaction de voir publié son Dictionnaire étymologique copte par les presses de la Cambridge University ; mais comme souvent dans la discipline, ceux des travaux épigraphiques en cours que sa disparition inopinée laissait inachevés ont pu être, grâce notamment à ses notes et archives personnelles conservées au Griffith Institut, à Oxford, complétés et édités à l'I.F.A.O., notamment par un autre très grand philologue, de nationalité française, qu'il avait aussi connu à Deir el-Médineh : son ami Georges Posener.
    
     Il est indéniable que l'oeuvre de Jaroslav Cerny confine à l'immense : des volumes du Catalogue des ostraca hiératiques non littéraires de Deir el-Médineh à ceux des papyri rédigés dans la même cursive, en passant par les Late ramesside letters que publia déjà, en 1939 à Bruxelles, la Fondation égyptologique Reine Elisabeth (F.E.R.E.), par les Hieratic inscriptions from the tomb of Tut'ankhamun et par les Graffiti de la montagne thébaine et de la nécropole, ce grand savant tchécoslovaque aura marqué au coin de l'excellence les études égyptologiques qui, jamais, ne pourront en oublier l'irréfragable empreinte.



     (Comme à l'issue de ma première intervention du 13 février, je tiens derechef à préciser que j'ai, pour le présent article,
photographié une série de portraits des grands savants de ce pays à partir du catalogue de l'exposition "Discovering the land of the Nile" (Objevovani zeme na Nilu) célébrant le demi-siècle d'existence de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie.)


(Cerny : 1931, 221 et 1978 : Pl. 15 a
Onderka & alii : 2008, passim)
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2 mars 2010 2 02 /03 /mars /2010 00:00


     Dans un premier entretien que nous avons eu mardi dernier, vous et moi, amis lecteurs, devant l'imposante deuxième vitrine de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, nous eûmes l'occasion de constater que lors de ses expéditions en Egypte, le Nantais Frédéric Cailliaud séjourna à plusiseurs reprises dans la région thébaine et ce, dans l'intention première de copier ce qu'il découvrait tant sur les murs  intérieurs des chapelles funéraires que sur les parois des temples qu'il visitait.

     Peints ou gravés, peu lui chaut : ce qui manifestement l'intéressait, c'était de collationner le plus de documents possible ressortissant à ce que l'on a coutume, erronément, d'appeler "scènes de la vie quotidienne". Vous me permettrez de réfuter un peu plus tard dans les semaines à venir cette acception que, sciemment, j'ai  placée entre guillemets ...

     Dessins qui furent donc réalisés puis colligés en vue de la publication des ouvrages que j'ai déjà cités mais aussi d'un dernier volume intitulé
Recherches sur les arts et métiers, les usages de la vie civile et domestique des anciens peuples de l'Egypte, de la Nubie et de l'Ethiopie, suivies de détails sur les moeurs et coutumes des peuples modernes des mêmes contrées, dans lequel ne figurent que quelque nonante planches qui relèvent un très grand nombre de ce que l'on pouvait à l'époque admirer dans les hypogées de la Vallée des Rois et celle des Reines, dans les tombes des nobles à Gournah, à Beni Hassan et à El-Kab. Sans oublier, j'y faisais allusion il y a un instant, les scènes en relief de certains temples : ainsi au Ramesseum, celle de la bataille de Qadesh qui opposa Ramsès II au souverain du royaume  hittite.

     Mais ce qu'il me plairait plus spécifiquement aujourd'hui, ce serait de porter l'éclairage sur un hypogée qui, au moment où Cailliaud se trouvait à Thèbes, venait d'être tout récemment découvert à Drah Abou el-Naga, cimetière situé entre Deir el-Bahari et la Vallée des Rois proprement dite, soit au  nord-est de l'ensemble de la nécropole thébaine, sur la rive gauche du Nil : outre les tombeaux des souverains de la XVIIème dynastie, y furent mis au jour ceux des fonctionnaires des trois dynasties qui suivirent ; d
ont celui d'un certain Neferhotep, Directeur du Grenier sous Thoutmosis III et son fils Amenhotep II.

      Je dois à la vérité historique d'insister sur le fait que cette tombe n'eut jamais l'heur d'être le sujet d'une étude circonstanciée digne d'une science, l'archéologie qui, malheureusement, n'en était qu'à ses premiers balbutiements ; et qu'elle ne figura jamais non plus sur un quelconque plan, de sorte que plus personne actuellement n'est à même de la localiser. Seuls les écrits et les dessins originaux de Cailliaud nous fournissent quelques détails de sa décoration.

     Cette décoration, topos récurrent de l'art pharaonique que l'on retrouve souvent associé à une scène cynégétique figurant le défunt, ses serviteurs et ses chiens poursuivant de leur vindicte gazelles, chats sauvages, hyènes, oryx et autres autruches gambadant allégrement dans le désert, représentait une autre scène de chasse, dans de grouillants marais nilotiques cette fois, donnant la réplique, sur le côté droit d'un splendide fourré de papyrus détaillé à l'extrême, à une scène symétrique, mais de pêche : et là, il ne s'agit plus d'un boomerang lancé en vue d'attraper des volatiles, essentiellement des canards mais bien d'un harpon pour embrocher des poissons.

     Mieux qu'une longue description, le cliché ci-dessous que j'ai réalisé à partir d'un dessin reproduit par Bigant, un des artistes qui accompagna Bonaparte lors de sa Campagne d'Egypte, à partir de l'original de Cailliaud lui-même, vous permettra de mieux appréhender la scène en question :

      Neferhotep, à gauche du fourré de papyrus, s'apprête à lancer le boomerang
et le même, à droite, saisit un poisson avec son harpon.


Cailliaud---Tombe-Neferhotep-1.jpg


     Seuls
les écrits et les dessins de Cailliaud nous fournissent quelques détails de sa décoration, ai-je noté ci-avant à propos de l'hypogée perdu de Neferhotep.
     Vraiment ?

     Non ...;  pas tout à fait.
     Car même si au troisième
volume de son Voyage à Méroé ..., le Nantais, mentionnant cette tombe, au haut de la page 292, note simplement : qu'un petit hypogée dont l'entrée venait d'être découverte, m'offrit divers sujets curieux peints à fresque et d'une belle conservation. J'y remarquai des scènes de chasse, de pêche, de vendange, des groupes de musiciens. J'en dessinai une partie, m'attachant toujours à prendre les sujets complets (...), force m'est de constater que l'accusation que porte contre lui, dans un ouvrage intitulé A brief account of the researches and discoveries in Upper Egypt made under the direction of Henry Salt (pp. 106-7), le ressortissant grec Giovanni d'Athanasi, chasseur d'antiquités égyptiennes stipendié par le consul britannique Salt et qui avait, en toute confiance, renseigné et fait visiter la tombe à Cailliaud, me paraît sans appel :

     ... Not satisfied with having copied to his heart's content whatever caught his fancy, he sent a messenger to Luxor, on the opposite bank of the river, to procure some iron tools, with wich he forthwith set to work, detaching the crust of the wall into pieces which he began sending to his house.

     - Pourquoi sans appel ?,
seriez-vous en droit de me demander. Pourquoi être aussi péremptoire ? Pourquoi accréditer les paroles de l'un et rejeter celles de l'autre ?  

     - Mais tout simplement, amis lecteurs, parce que ce magnifique fourré de papyrus que Frédéric Cailliaud avait peint entièrement à l'époque,

-E-13101--Fourre-de-papyrus.jpg 

il en a
, dans un geste peu noble et inadmissible, bel et bien découpé, arraché une partie aux peintures pariétales de l'hypogée de Neferhotep puisque ...

E-13-101.jpg

vous pouvez l'admirer ici et maintenant, devant vous, bien en évidence dans la vitrine 2.


      - Mais pourquoi au Louvre, et non pas au Musée Dobrée de Nantes, la ville d'origine de Frédéric Cailliaud ?, s'interrogeront  assurément certains d'entre vous.

     - La réponse est simple, vous vous en doutez ; et témoigne d'un parcours qui n'a absolument rien d'anormal ...

      Rentré en France dans les bagages de Cailliaud, cette peinture fragmentée qui dénote chez l'artiste "scribe des contours" qui l'a réalisée un sens particulièrement pointu de l'observation de la nature, mais aussi de la composition et du coloris, fit partie de la collection du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, à  Paris.

     A l'usage de ceux qui, parmi notamment mes lecteurs belges, ne seraient pas vraiment familiarisés avec l' Histoire de France, vous me permettrez d'ouvrir ici une petite parenthèse à propos de cet important lieu de mémoire parisien.

     Désigné en toutes lettres sous le vocable de Département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque Nationale de France, l'endroit abrite en fait la collection d'objets rares, donc précieux, tels manuscrits, pièces d'orfèvrerie, pierres gravées, monnaies antiques que, sous Philippe Auguste déjà (1165-1223), les rois de France se sont constituée au fil des siècles. De sorte que,  toute proportion gardée, ce "Cabinet du Roi" peut à bon droit se prévaloir du titre de plus ancien musée de France.

     Au XVIIIème siècle, le comte de Caylus, né, excusez du peu, Anne-Claude-Philippe de Pestels de Lévis de Tubières-Grimoard (cela ne s'invente pas !), au demeurant un des grands précurseurs de l'archéologie française, grand collectionneur aussi, rédigea un catalogue de l'ancien fonds : sept volumes furent ainsi édités entre 1752 et 1767. Publication qui, avec le temps, donna naissance à un inventaire complété, augmenté, mis à jour grâce auquel on peut maintenant se rendre notamment compte de la richesse de l'apport  au Cabinet du roi - Charles X à l'époque - que les deux séjours de Frédéric Cailliaud en Egypte et au Soudan permirent.


     La majorité des pièces égyptiennes qui s'y trouvaient réunies prirent un siècle plus tard, en 1922 très exactement, le chemin du 58 de la rue de Richelieu vers les quais de Seine, vers le Louvre tout proche ; et parmi elles, "notre" fragment E 13101.

     Enfin, pour être précis, il me reste à rapidement signaler à ce sujet que ce qu'il est maintenant convenu d'appeler à Paris le "Quadrilatère Richelieu", en fait le berceau historique de la Bibliothèque nationale de France (BnF) va subir une série de transformations, voire de rénovations suite aux nombreux espaces laissés libres depuis le départ, en 1998, des collections d'imprimés, de périodiques, de documents visuels et informatiques sur le site François-Mitterrand, dans le quartier Tolbiac, sur la rive gauche de la Seine, en face de Bercy, dans le treizième arrondissement de la capitale.

     Cela devrait permettre un redéploiement de ce qui est resté dans le deuxième arrondissement, sur le site Richelieu : les manuscrits, les estampes, la photographie, les cartes et les plans, les monnaies, les médailles, les objets antiques, ainsi que les départements de la Musique et des Arts du spectacle ; et d'accueillir  aussi les bibliothèques de l'Institut national d'Histoire de l'Art et de l'Ecole nationale des Chartes.  



     Toutefois, c'est avec le geste répréhensible de Cailliaud que je voudrais clore ma présente intervention : il ne le cède en rien, vous en conviendrez, à ceux perpétrés sur des monuments plus connus comme le temple de Karnak d'où furent ramenés quelques-uns des blocs des Annales de Thoutmosis III auxquels nous avons longuement, cet hiver, accordé notre attention ; ou  celui de Denderah, d'où provient le célèbre "Zodiaque" qu'un jour nous découvrirons ici, exposé un peu plus loin, salle 12.

     Aussi, et aux fins de peut-être alimenter un débat dont les restitutions d'objets antiques célèbres exigés par d'aucuns à l'adresse de certains grands musées européens ne constituent que l'aboutissement, je vous propose, amis lecteurs, dans un troisième article à paraître le 9 mars prochain, de lire ce qui, au XIXème siècle, constituait une sorte de plaidoirie destinée à excuser ce type d'appropriation, de déprédation.

     A mardi, donc, pour découvrir ensemble un document d'époque particulièrement édifiant ...    



(Chauvet : 1989, 309, sqq. ; Dessoudeix : 2009, 273 et 285 ; Keimer : 1940 : passim ; Porter/Moss : 1985, 448-9)

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27 février 2010 6 27 /02 /février /2010 00:00

 

     Délaissant, à tout le moins jusqu'à un éventuel prochain coup de coeur, la bien agréable évocation de mes amours estivales,  - souvenez-vous, ami lecteur, de Marie, de Bruges, de Ginger, et de Prague, à partir du 10 octobre 2009 -, j'aimerais à présent, tout en restant symboliquement au bord de la Vltava comme déjà, avant le congé de Carnaval belge, en évoquant Chateaubriand, revenir  aux rives du Nil, sujet qui constitue indubitablement une des raisons pour lesquelles, un jour de mars 2008, je décidai, "parrainé" par Louvre-passion, d'entrer dans la grande famille des blogueurs.


     Nonobstant une agréable pointe de chauvinisme que nous serions en droit d'exciper à l'Ouest, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie et même en notre petite Belgique, il faut se féliciter de la présence sur le sol égyptien de savants et d'équipes d'archéologues provenant des pays scandinaves et de l'Europe centrale.

     Je me contenterai, pour corroborer cette première assertion, de ne rappeler ici que l'extraordinaire travail accompli depuis le début des années 1960 à Deir el-Bahari par une mission polonaise de l'Université Jagellonne de Cracovie, vingt ans sous la direction de Kazimierz Michalowski, au temple d'Hatchepsout, alors en bien piteux état,

Deir-el-Bahari--1960-.jpg

et par Jadwiga Lipinska, alors Conservatrice en chef des Antiquités égyptiennes du Musée national de Varsovie, au niveau de celui de Thoutmosis III, juste à côté ; fouilles et restaurations qu'un jour peut-être j'aurai ici l'opportunité de commenter bien plus en détail ...

                                 
     Et en ex-Tchécoslovaquie ?
    Son passé archéologique, comme d'ailleurs celui de bien d'autres pays européens, a magnifiquement contribué à rédiger d'importants chapitres de la récente mais déjà grande histoire de l'égyptologie : ses scientifiques ont sans conteste
permis une avancée non négligeable dans les recherches égyptologiques, qu'elles soient de terrain ou ressortissant  plus spécifiquement au domaine de l'épigraphie ; et cela, comme nous l'allons voir, dès l'aube du XXème siècle.

     
Pour plus facilement consulter ce tour d'horizon des activités tchèques en rapport direct avec la civilisation égyptienne que j'entame avec cet article, j'ai cru bon, comme précédemment pour d'autres pays, d'ouvrir une nouvelle rubrique tout naturellement intitulée "L'Egypte à l'Est".


     Si en 2008, l'Institut tchèque d'égyptologie a célébré son cinquantième anniversaire, cela ne signifie nullement qu'il n'y a qu'un demi-siècle que ce pays s'intéresse aux rives du Nil. Dès après la Campagne de Bonaparte, le vent d'égyptomanie qui souffla sur bien des Etats européens atteignit également la Bohême : de nombreux nobles qui s'offrirent le "Voyage en Orient" ramenèrent en effet maints objets qui constituèrent le point de départ de collections particulières, de "cabinets de curiosités", comme on avait parfois coutume de les appeler à l'époque.
      
     Mais c'est un mathématicien de formation, féru toutefois de philologie, qui, bien avant de visiter le pays des pharaons, joua véritablement le rôle cardinal, à un point tel qu'il est de nos jours unanimement considéré comme le fondateur de l'égyptologie tchécoslovaque : Frantisek Lexa.

Frantisek-Lexa-copie-1.jpg


      Né en 1876 à Pardubice, en Bohême occidentale, il décide d'aborder l'étude de la langue égyptienne par le biais du démotique qui, comme j'ai déjà ici eu l'occasion de l'expliquer, constituait une écriture de communications courantes employée par les scribes égyptiens à partir du milieu du VIIème siècle avant notre ère, hormis dans les textes religieux : c'était en fait l'abrégé d'une autre écriture cursive, le hiératique qui, pour sa part, dérivait directement des hiéroglyphes.

     En 1895, F. Lexa sort diplômé de l'Université Charles de Prague, prestigieux établissement fondé en 1348 sous les auspices de Charles IV, alors à la tête du Saint Empire romain germanique.

     En 1905, il se hasarde à publier en tchèque les premières traductions de textes égyptiens anciens. Mais ce ne fut qu'au lendemain de la Première Guerre mondiale que commença véritalement son prestigieux parcours : en 1919, il rejoint la
Faculté des Lettres de l'Université Charles d'abord en tant que "Privatdozent", c'est-à-dire enseignant à titre privé - non rémunéré par le gouvernement, donc -, dans son cas : Maître de conférences en égyptologie ; puis, trois ans plus tard, paré du titre de Professeur extraordinaire dans la même discipline.

     Et en 1925, l'Université crée spécifiquement pour lui une chaire d'égyptologie dont il sera, près de trente années durant, le titulaire.

     Les sources tchèques que j'ai compulsées aiment à épingler le fait que Frantisek Lexa reçut en 1952 - il est alors âgé de 76 ans - le Prix national de Première classe, ce qui semble correspondre à la plus grande distinction que le gouvernement de la République d'alors décernait aux scientifiques nationaux de très haut niveau.
                    
     J'ajouterai pour ma part, si vous me permettez ce petit coquerico, qu'il fut également correspondant de notre Fondation Égyptologique Reine Elisabeth créée, souvenez-vous amis lecteurs, par  le grand égyptologue belge Jean Capart immédiatement après avoir visité la tombe de Toutânkhamon en compagnie, entre autres, d'Elisabeth de Bavière, épouse de notre roi Albert Ier.

     Dans son pays, Lexa entreprit de mettre sur pied, avec d'autres savants, l'importante revue orientaliste "Archiv Orientalni".

     Philologue dans l'âme plutôt qu'archéologue de terrain, il se distingua essentiellement par la rédaction d'ouvrages consacrés à la langue égyptienne :  je retiendrai de très pertinentes études sur les textes sapientiaux,  mais surtout, oeuvre de toute une vie, une imposante "Grammaire démotique", en 7 volumes, parue de 1938 à 1950.
                                         
     Certes, les thèses avancées dans ses travaux philologiques précurseurs furent parfois considérées comme très originales, pour ne pas écrire "révolutionnaires". Souvent, des confrontations de points de vue animèrent le petit cercle des philologues de son temps. Il n'en demeure pas moins qu'à l'heure actuelle, force m'est de constater qu'aussi hasardeuses qu'apparurent à l'époque ses hypothèses, à bon nombre d'entre elles, la majorité des grammaires font maintenant la part plus que belle.  

      Les différentes publications que nous lui devons, de très haute teneur et en anglais, unanimement célébrées par la communauté égyptologique internationale, voisinent avec des ouvrages de vulgarisation, en sa langue maternelle cette fois, sur la religion, la morale et la littérature égyptiennes aux fins d'initier ses compatriotes aux moeurs des Anciens.

     Projet éminemment louable s'il en est, nationalement parlant, mais grandement dommageable pour le savoir universel dans la mesure où, de nos jours encore, cette documentation de première main, brillante, brassant un éventail considérable de connaissances, n'a toujours pas trouvé son traducteur, fût-il anglophone ou francophone. Il s'agit là, dans le chef de bien des égyptologues patentés, et au-delà des expressions convenues et exagérément laudatives qu'on lit le plus souvent après un décès,
d'un carence certaine, d'une véritable perte pour la science.

     Enfin, et ce n'est évidemment pas un de ses moindres apports, ce savant ne compta  jamais ses efforts pour former quelques disciples ayant embrassé non seulement la carrière d'égyptologue, mais celle aussi, non moins ardue, de philologue de la langue et des écritures égyptiennes : qu''il me soit permis d'au moins citer Michel Malinine, égyptologue et démotisant français d'origine moscovite à qui l'on doit, entre autres, quelques-unes des traductions de papyri du Louvre que j'ai eu, voici un an déjà, l'opportunité d'évoquer ici avec vous ; et bien évidemment Jaroslav Cerny, son compatriote, dont j'aurai plaisir à vous entretenir  samedi prochain ...
    
     Point d'orgue à tous ses travaux, à toute une carrière de chercheur, d'enseignant, de formateur, Frantisek Lexa créa
, à la Faculté des Lettres et des Arts de l'Université Charles de Prague, en 1958, - il avait alors 82 ans -, l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie : c'est cet anniversaire, mais surtout la volonté d'établir un bilan de cinquante années de fouilles en terres pharaoniques que, sous l'égide du Narodni Muzeum (Muséum National), commémora en 2008 une grande exposition pragoise.



(Dawson/Uphill : 1970, 177 ; Onderka & alii : 2008, 15Van de Walle : 1960, 193-5)



     Je tiens à souligner que j'ai pris la liberté d'emprunter le portrait de Frantisek Lexa ci-dessus précisément au catalogue, acquis
à Prague, de l'exposition Discovering the land of the Nile ("Objevovani zeme na Nilu"), célébrant le demi-siècle d'existence de l'Institut tchécoslovaque d'égyptologie que je mentionnais à l'instant.
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23 février 2010 2 23 /02 /février /2010 00:00

 

     Nantes. En Loire-Atlantique.

     Nantes. Un édit signé par Henri IV en 1598 pour  préciser les droits qu'il entendait accorder aux protestants français et ainsi mettre un terme aux guerres de religion qui ensanglantaient le pays depuis un demi-siècle ; édit malencontreusement révoqué à Fontainebleau en 1685 par Louis XIV, son petit-fils.

     Nantes. La "Folle Journée". En réalité cinq jours de rencontres musicales organisées annuellement fin janvier ou début février avec de grands interprètes classiques pour illustrer un thème : en l'occurrence, cette année du bicentenaire, ce fut, voici quelques semaines, l'oeuvre de Chopin.

     Nantes. "Il pleut sur Nantes ..." Une chanson, une de mes préférées, mélodiquement lancinante, immensément douloureuse, pudiquement plaintive que Barbara interpréta pour la première fois en novembre 1963 - elle avait 33 ans - et qui à jamais marqua mon adolescence et la chanson française au fer rouge. C'est en découvrant les mémoires de la Longue Dame brune, en 1997, quelques mois avant son décès, que je compris combien ce texte avait été écrit pour tenter d'exorciser les rapports plus que conflictuels qu'elle avait entretenus avec ce père particulièrement trop "aimant" ... ; et qu'elle avait préféré ne jamais revoir après ses jeunes années meurtries.

     Si Nantes peut encore évoquer le Jules Verne dont les romans d'aventure illuminèrent mon enfance, c'est aussi un Jardin des Plantes et une petite voie le bordant, la rue Frédéric-Cailliaud (1787-1869) : c'est le savant naturaliste, passionné par l'étude des mollusques et qui dirigea trente années durant son Muséum d'Histoire Naturelle que la ville voulut ainsi honorer en rebaptisant cette artère à son nom.

Cailliaud--par-Dutertre.jpg

     Ce que l'on sait probablement moins, à Nantes comme ailleurs, c'est que l'homme, fils d'un maître serrurier, s'était d'abord entiché d'archéologie, au grand dam de son père. Conséquemment, il décida d'explorer l'Egypte et le Soudan : à ses frais pour ce qui concerne la première expédition, de 1815 à 1818 ; puis officiellement commandité par le ministre de l'Intérieur Elie Decazes pour la suivante, de 1820 à 1822.

     De retour à Paris, en 1823, avec une importante collection d'objets  - notamment aquis grâce aux fonds du Cabinet des Antiques de la Bibliothèque royale attribués par le ministre comte de Corbières -, admiré, adulé, courtisé en haut lieu, Cailliaud voit toutes les portes s'ouvrir devant lui.

     Il me faut ici rappeler, pour ceux d'entre vous, amis lecteurs, qui auraient  quelque peu perdu de vue les articles de septembre 2008 consacrés à Jean-François Champollion, au départ de la visite que nous avions effectuée ensemble du tout nouveau musée qui lui était dédié dans sa ville natale de Figeac, que nous assistons, en ce premier quart du XIXème siècle,  à l'éclosion de l'égyptologie française : en effet, le savant quercynois, en partie grâce à la Pierre de Rosette, vient de découvrir le sens de l'écriture hiéroglyphique ; et Charles X,
tout nouvellement monté sur le trône de France, ne va pas tarder à lui  accorder son soutien pour la création des premières salles officiellement dévolues à l'art égyptien au Musée du Louvre. 

     Et ce même monarque, sur les recommandations personnelles de Chateaubriand, alors Ministre des Affaires étrangères - que le hasard, convenez-en, nous amène à souvent croiser ces derniers temps -, recevra Frédéric Cailliaud en son palais des Tuileries : le 1er septembre 1824, il le promeut Chevalier de la Légion d'Honneur, allant même jusqu'à lui offrir, en reconnaissance des découvertes subséquentes à ses expéditions, une petite boîte en or marquée du chiffre royal en diamants ...

     Et l'incompréhensible alors se produit : malgré tous les honneurs, malgré la notoriété parisienne dont beaucoup se seraient flattés, Frédéric Cailliaud décide tout de go de quitter la capitale, de rentrer à Nantes  et, surtout, de délaisser l'égyptologie pour ne plus s'occuper que de ses chers échinodermes, préférant  ainsi consacrer la suite de sa vie  - il n'a pas encore atteint le mitan de son âge ! - à notamment étudier les différents procédés de perforation des roches par les invertébrés marins ...

     Et c'est donc à Nantes qu'il décède, le 1er mai 1869, à quelque cinq semaines de ses 82 ans ...

     Lors de ses deux séjours consécutifs en terre égyptienne, Cailliaud visita les grands sites touristiquement  incontournables que sont devenus Philae, Edfou, Esna, Assiout, Abou Simbel ...

      Il explora également l'oasis de Khargeh, retrouva le temple rupestre de Redesyeh, près d'Edfou, attribué à Séthy Ier, ainsi que les mines d'émeraudes de Zabarah.

     Cailliaud---Thebes.jpg




     Une première relation de ses explorations fut publiée sous le titre de Voyage à l'oasis de Thèbes, dans les déserts situés à l'Orient et à l'Occident de la Thébaïde, fait pendant les années 1815, 1816, 1817 et 1818.












   

     Au Soudan en 1821, et là ne fut pas la moindre de ses découvertes, il localisa et reconnut formellement le site de l'antique Méroé auquel, par parenthèses, le Musée du Louvre consacrera une grande exposition dès mars prochain. 

Meroe.jpg

     Il publia par la suite un deuxième compte rendu de ses périples en terre africaine dans un ouvrage en quatre volumes et deux atlas intitulé Voyage à Méroé, au fleuve blanc, au-delà de Fazogl, dans le midi du royaume de Sennar, à Syouah et dans les cinq autres oasis, fait dans les années 1819, 1820, 1821 et 1822.

Cailliaud---Meroe--II--1.jpg

     (Pour la petite histoire - et surtout pour les amateurs de ce type de littérature -, je précise que différents volumes des récits rédigés à l'époque par Frédéric Cailliaud sont gratuitement téléchargeables sur le site Gallica de la BNF.)

     De ses deux séjours africains, je l'ai noté ci-avant, Cailliaud rapporta en France un certain nombre de pièces soit qu'il offrit au Musée Dobrée de Nantes, soit qu'il céda à la Bibliothèque royale et qui, de la sorte, aboutiront en définitive au Louvre. Parmi elles, des stèles, des sarcophages, mais aussi ce fragment de peinture sur limon trônant au beau milieu de la vitrine 2 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes que je me propose de vous présenter de manière plus détaillée les prochains mardis.

 Vitrine-2-copie-1.jpg
    
 

(Chauvet : 1989, passim)


(A nouveau un grand merci à Pat pour m'avoir renouvelé sa permission de puiser dans ses albums : aujourd'hui, en l'occurrence, pour la photo des pyramides de Méroé.)
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21 février 2010 7 21 /02 /février /2010 10:02

 

      Des confetti ... ou des confettis ?

     Les dictionnaires ne s'accordent pas encore sur le pluriel de ce type de terme, préférant laisser ouverte la porte qui permet à chacun d'entre nous d'opérer un choix.

     Quoi qu'il en soit, rassurez-vous amis lecteurs : avant de m'avancer à vos côtés, tout bientôt, sur le recouvrement rouge moucheté du sol de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre où nous nous sommes précédemment donné rendez-vous, je prendrai soin de m'ébrouer de manière à ne point laisser de traces trop évidentes des journées du carnaval de Malmedy et des poignées de ces confetti(s) qui conservent l'insidieuse habitude de partout s'inviter, s'insinuer, se faufiler, se dissimuler, s'accrocher, s'installer ...

Vitrines-2---3-et-4-copie-1.jpg

     Des papyrus ... ou des papyri ?

     Au-delà de la réflexion orthographique que ce terme entraîne également, c'est d'un fourré végétal qu'il sera bien question dans les nouvelles interventions que je compte vous proposer dès ce mardi. Mais avant que dans ses ombelles nous nous enfouissions, je vous invite, tout d'abord,  le 23 février donc, à un petit détour par Nantes.

     Ensuite, le mardi 2 mars, j'évoquerai les raisons de la présence au Louvre du fragment peint E 13101 exposé au centre de l'imposant mur-vitrine, à droite ci-dessus. Et, subséquemment, nous réfléchirons de conserve, le 9 mars suivant, à propos d'un sujet sensible : les pillages modernes d'oeuvres antiques ; avant d'enfin, le 16 du même mois, admirer de près cette petite merveille de l'art funéraire de la XVIIIème dynastie égyptienne, dans un premier temps, à travers les yeux de son inventeur - c'est ainsi que dans la lexicographie notamment archéologique l'on désigne celui qui "trouve" quelque chose ;

E 13 101

et, dans un deuxième temps, la semaine suivante, en procédant,
comme parfois il m'a déjà été donné l'opportunité de l'envisager ici avec vous, à un décodage de l'image de cette récurrente scène palustre de pêche et de chasse dans laquelle, souvent, un fourré de papyrus semblable à celui-ci constitue l'élément  médian.  

     Nous serons à ce moment-là, si mon calendrier est respecté, le 23 mars. Déjà, les vacances de Printemps (ou de Pâques, comme on disait autrefois) se profileront à notre horizon.


     Mais qui donc est ce retraité de l'Enseignement, se  gausseront certains d'entre vous qui, pas encore vraiment  débarrassé des "stigmates" des festivités carnavalesques, nous entretient déjà du congé suivant ?

     Et j'en sais d'autres, que je préfère ne point entendre, qui ne se priveront pas de persifler que "tout cela est normal : les profs ne pensent jamais qu'aux vacances" ...

     Faux : mêmes retraités (pensionnés, comme dit le belgicisme), ils sont aussi grandement intéressés par la bonne chair !

     Et précisément, il me faut à présent vous quitter, amis lecteurs, pour honorer une tâche confiée par mon épouse : m'occuper du vin qui accompagnera les agapes de ce midi.

     Des spaghetti ... ou des spaghettis ? Nouveau dilemme ...
     Des pâtes. Ce sera plus simple.
     Mais aux scampi - là, je suis certain de la seule orthographe admise -, ce sera meilleur !

     Par la perspective alléché, j'allais presque oublier : on se voit mardi ?            
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9 février 2010 2 09 /02 /février /2010 00:00

 

     Après ce très long détour qui, de la salle 12 dans laquelle nous avions rapidement jeté un oeil sur quelques blocs gravés d'un mur du temple d'Amon-Rê à Karnak, nous avait emmenés de Thèbes jusqu'à l'Euphrate, en passant inévitablement par la place forte de Mégiddo, nous voici à présent revenus, vous et moi, amis lecteurs, dans "notre" Musée. 

     N
ous avions effectivement quitté le Louvre le mardi 17 novembre 2009 et  manifestement adopté l'amble des chevaux figurés sur certains ostraca de Deir el-Médineh présentés dans la première des vitrines de cette salle 5 à l'entrée de laquelle nous nous retrouvons ce matin, pour, grâce précisément à l'entremise de Thoutmosis III, nous pencher sur le texte des Annales dont ces fragments se faisaient en partie l'écho et qu'il manda ici et là en terres pharaoniques d'abondamment graver ; inscription donc qui fut tout ce temps au centre même des articles qui se sont ici succédé les 1er, 8 et 15 décembre, ainsi que, après le congé de fin d'année, les 5, 12 et 19 janvier 2010 ; puis que j'avais cru bon de compléter, le 26 du même mois,  par quelques réflexions à propos de la philosophie du pouvoir royal et, in fine, mardi dernier, par une évocation générale du passé archéologique pluri-millénaire de Mégiddo.

     Cet important excursus terminé, je vous propose donc, avant de bientôt plus spécifiquement nous pencher sur la première des pièces exposées dans la deuxième vitrine, derrière nous -  un fragment de peinture sur limon représentant un fourré de papyrus -, de  rappeler aujourd'hui à grands traits la conception de cet espace, ce que nous y avons déjà pu rencontrer et, très succinctement, ce qui nous attend encore, car long et intéressant reste le chemin à ici parcourir ensemble ...

     Cette cinquième partie du circuit thématique, derrière les hautes fenêtres grillagées du rez-de-chaussée, côté sud de la Cour Carrée, en bordure de Seine, ou plus exactement du petit Jardin de l'Infante que longe un bref instant le quai François Mitterrand, entre le réverbère et le premier arbre sur la photo ci-dessous prise du Pont des Arts,

Facade-exterieure-sud-complete-Cour-Carree.JPG
a été intitulée, depuis la restructuration du Département des Antiquités égyptiennes, en 1997 : " Élevage, Chasse et Pêche ".

     D'élevage, il en fut abondamment question, souvenez-vous, quand nous avons tout logiquement abordé la première vitrine, à droite en entrant :

Salle-5---Vitrine-1.JPG

du porc, d'abord, les mardis 15 et 22 septembre 2009 ;  du veau, ensuite, le 29 septembre et le 6 octobre quand, de conserve, nous nous sommes attendris sur la grâce de la statuette en bois du jeune et frêle moscophore et du minuscule animal qu'il portait sur ses épaules ; d'autres bovins, aussi, le 20 octobre, par l'intermédiaire de la petite collection d'ostraca que cette vitrine nous permettait de découvrir :  j'en avais d'ailleurs profité pour vous sensibiliser le
mardi qui précédait à la notion d'ostracon tant en Grèce qu'en Égypte ; du singe également, paradoxal animal de compagnie, le 27 octobre, pour terminer, les 10 et 17 novembre, par l'élevage du cheval, tardivement venu galoper dans le paysage égyptien. 

     Qu'il nous suffise, pour l'instant, de savoir que neuf autres vitrines n'attendent que notre bon vouloir de leur consacrer les mois à venir.

      Avec le bloc vitré n° 3, j'évoquerai les animaux familiers, domestiqués, seule exception, évidemment, à la notion de recherche d'alimentation qui caractérise cette première partie de la salle.

Vitrine-3.jpg

      (A nouveau grand merci à la conceptrice du blog Louvreboîte de s'être déplacée jusque dans ce Département pour y réaliser les clichés des vitrines 3 et 5 que, personnellement, j'avais fort peu réussis lors de ma visite préparatoire ...)

     Grâce aux différents fragments rassemblés sur le long mur de gauche, nous nous attarderons derechef sur la décoration d'un mastaba, celui cette fois de Métchétchi, haut fonctionnaire de l'époque du pharaon Ounas, à la
VIème dynastie (± 2450 avant notre ère).

Vitrines-4.jpg

     Dans la seconde partie de cette salle 5, nous aborderons plus précisément les produits de bouche, en commençant sur l'autre face du haut mur de séparation, par l'imposant bas-relief listant les mets plus conventionnels que réellement appréciés par un certain Tepemânkh, haut fonctionnaire palatial qui vécut également à la fin de l'Ancien Empire.

Vitrine-5.jpg

     Ensuite, nous accorderons toute notre attention à la vitrine 6 plus spécifiquement dévolue au pain et à la bière, deux composantes essentielles de l'alimentation classique de tout Egyptien ;

Vitrine-6.jpg

à la 7 et à la 8, toutes deux célébrant le vin, pourtant déjà goûté en mars 2009 : mais j'ai encore tant à distiller à son sujet ...


Vitrines-7---8.jpg

et à la 9 avec ses petits récipients en verre contenant graines et fruits fossilisés.

Salle-5---Vitrine-9---Recipients.JPG
   
     Mais avant d'en arriver là, vous m'autoriserez, amis lecteurs,
le mardi 23 février prochain, après la semaine du congé de Carnaval belge, à reprendre tout naturellement le fil de notre visite entamée l'automne dernier par l'imposant mur qui scinde ici l'espace en deux portions inégalement distribuées, et son alcôve vitrée à hauteur humaine.

Vitrines-2---3-et-4.jpg

     Honorant judicieusement une partie de l'intitulé attribué par son Conservateur à la salle 5, cette vitrine  n° 2 me permettra d'aborder avec vous les plus récurrentes recherches d'obtention de nourriture que l'Humanité a d'emblée adoptées : la chasse et la pêche ...

     Rendez-vous dans deux semaines, donc.
     Même salle, même heure ...

     Et excellent congé de carnaval à tous.
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6 février 2010 6 06 /02 /février /2010 00:00


     Certes, j'avais annoncé, samedi dernier, qu'après la relation de mes amours estivales essentiellement vécues à Prague, j'entamerais, dans la foulée, une petite série d'articles pour mieux vous permettre d'appréhender, amis lecteurs, les rapports que l'ex-Tchécoslovaquie a entretenus avec l'égyptologie.

     J'avoue toutefois qu'après avoir mis un point prétendument final à ce dernier billet de notre  escapade pragoise ; après avoir aussi consulté certains documents qui m'ont permis de très rapidement évoquer la rencontre de Charles X, en exil au château des rois de Bohême, avec François-René de Chateaubriand, je n'ai pu m'empêcher de me replonger dans les quelques pages que, dans ses célèbres Mémoires d'Outre-Tombe, il consacra à ce séjour.

     Comment diantre, après la lecture des différents volumes de cette oeuvre qui combla mes années d'étudiant, à l'instar d'ailleurs de ceux d' "A la recherche du temps perdu" de Proust,  ai-je pu oublier, l'âge aidant, ce que Chateaubriand écrivit de ses rencontres avec les Bourbons en exil ? Seul, peut-être, tonton Sigmund pourrait-il me répondre au-delà des ans ; à moins que je ne doive convoquer un autre scientifique, très connu mais mal aimé de ma génération, Aloïs Alzheimer ...

     Quoiqu'il en soit, il me plaît de vous faire partager l'envie que j'eus, dimanche après-midi, de relire ces chapitres du  livre trente-huitième des fameux "Mémoires ..." et, notamment, les passages ci-dessous dans lesquels les plus fidèles d'entre vous auront peut-être l'impression d'avoir déjà "entendu cela quelque part" ...


     Prague, 28 et 29 mai 1833,

     Je ne sais pourquoi je m'étais figuré que Prague était niché dans un trou de  montagnes qui portaient leur ombre noire sur un tapon de maisons chaudronnées : Prague est une cité riante où pyramident vingt-cinq à trente tours et clochers élégants ; son architecture rappelle une ville de la Renaissance. La longue domination des empereurs sur les pays cisalpins a rempli l'Allemagne d'artistes de ces pays ; les villages autrichiens sont des villages de la Lombardie, de la Toscane, ou de la terre ferme de Venise : on se croirait chez un paysan italien si, dans les fermes à grandes chambres nues, un poêle ne remplaçait le soleil.

     La vue dont on jouit des fenêtres du château est agréable : d'un côté on aperçoit les vergers d'un frais vallon, à pente verte, enclos des murs dentelés de la ville, qui descendent jusqu'à la Moldau, à peu près comme les murs de Rome descendent du Vatican au Tibre ; de l'autre côté, on découvre la ville traversée par la rivière, laquelle rivière s'embellit d'une île plantée en amont, et embrasse une  île en aval, en quittant le faubourg du Nord. La Moldau se jette dans l'Elbe. Un bateau qui m'aurait pris au pont de Prague m'aurait pu débarquer au pont Royal à Paris. Je ne suis pas l'ouvrage des siècles et des rois ; je n'ai ni le poids ni la durée de l'obélisque que le Nil envoie maintenant à la Seine ; pour remorquer ma galère, la ceinture de la Vestale du Tibre suffirait.

     Le pont de la Moldau, bâti en bois en 795 par Mnata, fut, a diverses époques, refait en pierre. Tandis que je mesurais ce pont, Charles X cheminait sur le trottoir ; il portait sous le bras un parapluie ; son fils l'accompagnait comme un
cicerone de louage. J'avais dit dans le Conservateur qu'on se mettrait à la fenêtre pour voir passer la monarchie : je la voyais passer sur le pont de Prague. 

     Dans les constructions qui composent Hradschin
(*),  on voit des salles historiques, des musées que tapissent les portraits restaurés et les armes fourbies des ducs et des rois de Bohême. Non  loin des masses informes, se détache sur le ciel un joli bâtiment vêtu d'un des élégants portiques du cinquecento : cette architecture a l'inconvénient d'être en désaccord avec le climat. Si l'on pouvait du moins, pendant les hivers de Bohême, mettre ces palais italiens en serre chaude avec les palmiers !  J'étais toujours préoccupé de l'idée du froid qu'ils devaient avoir la nuit.

     Prague, souvent assiégé, pris et repris, nous est militairement connu par la bataille de son nom et par la retraite où se trouvait Vauvenargues. Les boulevards de la ville sont démolis. Les fossés du château, du côté de la haute plaine, forment une étroite et profonde entaille mainteannt plantée de peupliers. A l'époque de la guerre de Trente Ans, ces fossés étaient remplis d'eau. Les protestants ayant pénétré dans le château le 23 mai 1618, jetèrent par la fenêtre deux seigneurs catholiques avec le secrétaire d'Etat : les trois plongeurs se sauvèrent. Le secrétaire, en homme bien appris, demanda mille pardons à l'un des deux seigneurs d'être tombé malhonnêtement sur lui. Dans ce mois de mai 1833, on n'a plus la même politesse : je ne sais trop ce que je dirais en pareil cas, moi qui ai cependant été secrétaire d'Etat.
(...)
     Confusion, sang, catastrophe, c'est l'histoire de la Bohême ; ses ducs et ses rois, au milieu des guerres civiles et des guerres étrangères, luttent avec leurs sujets, ou se collettent avec les ducs et les rois de Silésie, de Saxe, de Pologne, de Moravie, de Hongrie, d'Autriche et de Bavière.

     Pendant le règne de Venceslas VI, qui mettait à la broche son cuisinier quand il n'avait pas bien rôti un lièvre, s'éleva Jean Huss, lequel ayant étudié à Oxford, en apporta la doctrine de Wiclef. Les protestants qui cherchaient partout des ancêtres sans en pouvoir trouver, rapportent que, du haut de son bûcher, Jean chanta, prophétisant la venue de Luther.
(...)        
     En arpentant la ville et les faubourgs de Prague, les choses que je viens de dire venaient s'appliquer sur ma mémoire, comme les tableaux d'une optique sur une toile. Mais, dans quelque coin que je me trouvasse, j'apercevais Hradschin, et le roi de France appuyé sur les fenêtres de ce château, comme un fantôme dominant toutes ces ombres.


(Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, Tome IV, Lausanne, Editions Rencontre, 1968, pp. 358-62)


(*) Hradschin ici correspond au Hradcany que nous avons découvert ensemble ces derniers samedis ...


     Le rideau s'étant avec cet extrait refermé sur l'histoire événementielle de Prague, et avant très bientôt
de réemprunter les sentiers promis de l'égyptologie, - c'est-à-dire le samedi 27 février, après le congé de Carnaval belge -, je ne puis in fine que vous inviter à prendre connaissance d'une des nombreuses légendes du terroir à propos de ce Mnata cité ici par Chateaubriand ; et surtout sa conclusion.

     J'ai toutefois l'impression que certaines de mes lectrices ne me pardonneront que du bout des lèvres d'avoir aujourd'hui donné cette fable à lire ...  
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2 février 2010 2 02 /02 /février /2010 00:00

     Le temps est à présent bientôt venu pour nous, amis lecteurs, de définitivement quitter Thoutmosis III et l'inscription des Annales dans le temple d'Amon-Rê à Karnak et de rentrer au Louvre. Non sans avoir, toutefois, jeté un dernier regard sur le promontoire de Mégiddo pour plus spécifiquement l'envisager sous son aspect  historique multi-millénaire ; partant, dans une perspective archéologique.

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     En effet, depuis le début du XXème siècle, maints savants, maints fouilleurs se sont succédé sur ce site maintenant israélien et appelé Tell el-Mutteselim, pour tenter d'en percer quelques secrets. A l'extrême fin du XIXème siècle déjà, après que le pasteur américain Edward Robinson eut  formellement identifié l'endroit comme étant la Mégiddo biblique, l'on n'eut de cesse d'y rechercher des vestiges ayant peu ou prou quelconque rapport avec le célèbre roi Salomon, mais aussi avec ce lieu où, selon le seizième verset du seizième chapitre du Livre de l'Apocalypse
attribué à Jean, et qui clôt le Nouveau Testament, devrait se dérouler, à l'instant du dernier jour, l'affrontement définitif entre les forces du Bien et celles du Mal ; lieu appelé en hébreu Har Megiddo (Mont Megiddo), généralement interprété comme étant  l'Armageddon de la Bible ...

     A chacun, en fait, ses raisons de fouiller ... pour autant que la science s'en trouve grandie et que les apports archéologiques afférents soient sérieusement et méticuleusement analysés, et interprétés ! 

     C'est ainsi que dans les toutes premières années du siècle dernier, à partir de 1903, la German Society for Oriental Research investigua pendant trois ans sous la direction de l'archéologue Gottlieb Schumacher

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     Elle sera suivie, en 1925, par l'Oriental Institute of Chicago


Megiddo---Fouilles-de-Chicago.jpg

qui bénéficia pour ses recherches de l'aide pécuniairement non négligeable de John D. Rockefeller Jr., le même d'ailleurs qui finança la construction du Rockefeller Archaeological Museum de Jérusalem dans lequel, précisément, sont exposés nombre de vestiges de Mégiddo.

Rockefeller-museum.jpg


     - Et entre ces deux dates du premier quart du siècle, que se passa-t-il là ?, seriez-vous en droit de me demander.

     - Rien moins qu'une bataille de l'histoire de la Première Guerre mondiale : opposant les Anglais du Commonwealth sous les ordres du général Edmund Allenby et l'Empire ottoman pour la conquête de la Palestine, elle concrétisa l'incontestable victoire des premiers après que, parmi les différentes armées turques qui s'étaient engagées dans le combat, celle de Mustafa Kemal Atatürk, la VIIIème, harcelée par l'aviation britannique, décide de battre en retraite : 25 000 soldats turcs sont ainsi faits prisonniers.

     De 1925, donc, et jusqu'en 1939, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, les fouilleurs américains espèrent mettre au jour palais et écuries du roi Salomon. Et en effet, leurs espoirs semblent se concrétiser quand ils découvrent là des vestiges corroborant une évidente pratique d'élevage de chevaux ...

     Mais ce ne sera véritablement qu'à partir de 1994 que le site délivrera, campagne après campagne, son richissime passé : à cette date, c'est l'archéologue Israël Finkelstein qui prend la direction de The Megiddo Expedition de l'Université de Tel Aviv avec comme volonté avérée - qui lui vaudra d'ailleurs bien des déboires de la part des historiens chrétiens et des exégètes de la Bible contestant et sa méthode et ses conclusions -, d'abandonner la visée des différentes missions en activité sur le site jusqu'en 1970 (et qu'il est maintenant convenu d'appeler "archéologie biblique") : l'idée prévalait en effet à l'époque que l'on essayât de faire coïncider la date présumée des vestiges mis au jour avec celle des récits que l'on trouvait dans la Bible, cette dernière ayant aux yeux de beaucoup incontestable valeur de livre d'Histoire.

     Finkelstein, quant à lui, préféra plutôt, sans a priori aucun, se servir des avancées technologiques aux fins de cerner au plus près les datations des ruines qu'il exhumait ; avec, subséquemment, une plus grande circonspection quant à l'historicité de certains récits bibliques se rapportant par exemple à David, Salomon et autres souverains du royaume de Juda.   

    
La Bible dévoilée, ouvrage co-écrit avec un autre archéologue, Neil Asher Silberman, historien et directeur du Centre Ename de Bruxelles pour l'archéologie et l'héritage public de Belgique, publié en français en 2002 et proposé depuis en collection de poche Folio Histoire chez Gallimard, reprend entre autres contributions,  les différents articles disséminés dans des revues internationales scientifiques que I. Finkelstein a rédigés en guise de rapports de fouilles.

     Et comme depuis Champollion, nous savons tous qu'oser remettre en question certaines assertions dogmatiquement assénées depuis des siècles par le pouvoir religieux équivaut à une mise au ban de la société des bien-pensants de ceux qui ont osé ce sacrilège, vous vous doutez  aisément, amis lecteurs, que la thèse de ces deux "renégats" fit se déposer beaucoup plus d'amertume que de vin gouleyant au sein de certaines confréries.

     Il n'en demeure pas moins que les fouilles entreprises à Mégiddo par Finkelstein et ses collaborateurs, notamment l'archéologue israélien
David Ussishkin avec lequel il co-dirige le chantier de quelque onze hectares, ont particulièrement été riches en découvertes : toutes ces excavations ont en effet pu déterminer que quelque 25 strates se sont ainsi succédé sur le site aux cours de ses sept mille ans d'histoire ; niveaux superposés qui, pour la plupart, renferment des vestiges de sociétés humaines.

Megiddo---Fouilles.jpg

     Bien qu'il soit supputé qu'au VIIème millénaire avant notre ère, la présence de l'homme était déjà décelable, ce ne serait qu'au IVème, c'est-à-dire à l'époque du bronze ancien, que prendrait vraiment naissance l'histoire de cette importante cité-Etat : la position tout à fait stratégique qui était sienne sur ce promontoire au croisement des voies commerciales mais aussi militaires qui de l'Egypte permettaient de rallier  Phénicie, royaume des Hittites et Mésopotamie (Mitanni de l'époque, au-delà de l'Euphrate) lui vaudra également de souvent constituer le centre névralgique de nombreux conflits et, dès lors, d'être régulièrement détruite et tout aussi régulièrement reconstruite.

Megiddo---Proche-Orient---Carte.jpg


     Quand j'ai ci-avant évoqué les recherches menées à Mégiddo à partir de 1925 par l'Institut oriental de l'Université de Chicago, j'ai, souvenez-vous, laissé supposer que les espoirs des archéologues américains de retrouver des vestiges monumentaux datant de l'époque du roi Salomon, soit au Xème siècle avant notre ère, se concrétisaient en partie grâce à ce qu'ils découvraient.

     Mais ce sont maintenant les datations déterminées par la méthode du carbone-14 employée par la mission archéologique de Finkelstein qui nous permettent d'affiner la chronologie : et quoi qu'en aient pensé les checheurs américains avant la guerre, toutes ces ruines attribuées par eux à Salomon sont à  postdater d'environ deux cents ans ; elles concernent le VIIIème siècle avant notre ère et donc une tout autre histoire ...

     De sorte que l'on peut maintenant affirmer qu'à cette époque précise, à l'encontre de ce que proclame la Bible, existaient deux entités bien distinctes : Israël, au nord, et le royaume de Juda, au sud ; Mégiddo constituant en quelque sorte la "capitale" du premier, et Jérusalem - qui n'était d'évidence pas encore le centre du royaume unifié de David et de Salomon décrit par le livre sacré -, celle du second.

     Vous conviendrez avec moi, amis lecteurs, que ce "petit"  écart de deux siècles change considérablement les données de l'Histoire de ces terres du Proche-Orient ancien ! 


     Aujourd'hui, alors que bientôt nos regards vont définitivement s'éloigner de Mégiddo, les fouilles se poursuivent, inlassablement, qui vont certainement encore permettre si pas d'écrire de nouveaux chapitres, à tout le moins d'apporter des précisions chronologiques nouvelles sur son passé pluri-millénaire.   
   

      A l'heure où je rédige ces lignes, la campagne de fouilles entamée en juin 2009 et devant prendre fin en juillet prochain bat son plein : au risque de me répéter, j'invite d'ailleurs ceux parmi vous que cela intéresse, et qui désireraient en savoir un peu plus, à consulter le remarquable site qui y fait référence, avec vidéos ainsi que de nombreuses photos concernant les différents niveaux exhumés lors des précédentes campagnes.
(J'ai par ailleurs pris la liberté d'en emprunter certaines pour illustrer le présent article, en espérant ainsi mieux encore rendre hommage au volumineux travail de cette mission scientifique.)

    
     Et maintenant pour ce qui me concerne, amis lecteurs, foin de continuer à jouer les Alphonse Daudet ! :  désireux d'en terminer avec cette Arlésienne déjà beaucoup annoncée, et toujours différée, c'est avec nos amours d'antan que je vous propose de renouer : je vous fixe pour cela rendez-vous mardi prochain, le 9 février, à l'entrée de la Salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.


     Promis, j'y ferai le point : qu'avons-nous déjà pu admirer dans cette salle ?
     Qu'allons-nous  y découvrir par la suite ? ...
    
     J'y serai donc ; et vous ?


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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 00:00


     Sur le promontoire rocheux de Hradcany dominant Prague et la Vltava,

263.-Hradcany--05-08-2009-.jpg

après que le soldat de la Garde présidentielle s'en retourne accompagné des deux collègues qu'il vient de relever, un calme relatif  s'installe à nouveau :
nous pouvons à présent, vous et moi, amis lecteurs, songer à leur emboîter le pas et ainsi pénétrer à leur suite dans l'enceinte du château proprement dit.

269.-Releve-de-la-garde--05-08-2009-.jpg


     L'imposante grille au monogramme de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche franchie, parfaitement ignorés que nous sommes par les deux gardiens géants tout occupés à terrasser un ennemi, composition baroque due au sculpteur tchèque Ignac Platzer,   

271.-Grilles-et-statues-du-chateau--05-08-2009-.jpg

celui-là même qui a réalisé les statues ornant la façade du palais archiépiscopal tout proche que nous avons découvert samedi dernier en effectuant notre rapide tour de Hradcanské namesti,  la place ici derrière nous,
entrons enfin dans la première des trois cours successives.

     Une petite précision s'impose d'emblée avant de poursuivre plus avant : vous le remarquerez au centre de la prise de vue aérienne ci-dessous :

Chateau-Prague.jpg

aucune homogénéité architecturale pour caractériser l'ensemble. Et ce que, par commodité, il est convenu de nommer "château de Prague", matérialisation d'un pouvoir temporel et religieux qui régna en Bohême pendant quasiment un millénaire, constitue en fait une succession, au cours des siècles, de nombreuses demeures, voire d'appartements, d'églises, de palais aussi dont le dernier avatar réside dans les transformations qui ont été entreprises à la constitution de la Première République tchécoslovaque, en 1918, pour aménager des appartements attribués aux différents présidents en activité. 

     De gauche à droite, sur 570 mètres de longueur : la grande aile semblant serpenter au-dessus de
Mala Strana construite pour l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche pourrait un temps faire mentir mon assertion première concernant le défaut d'harmonie si elle n'était immédiatement  suivie par le palais Louis, la salle Vladislas, une chapelle, le palais Rozmberk, le palais Lobkowicz (en vert pâle) qui, tous, n'ont en commun que le rouge de leurs toitures respectives. Enfin, apportant son point d'orgue à l'imposante façade, la tristement célèbre tour Daliborka, donjon carcéral quadrangulaire ainsi nommé "en l'honneur" de son tout premier prisonnier, Dalibor de Kozojedy, dont l'histoire, quelque peu théâtralisée, fut notamment chantée dans un opéra éponyme qu'écrivit le compositeur tchécoslovaque Bedrich Smetana.

     De la première cour, appelée aussi "Cour d'honneur", dans laquelle nous nous trouvions il y a quelques instants, par la porte Mathias, nous débouchons dans la deuxième, dans l'aile sud de laquelle a été aménagée la résidence présidentielle.

Deuxieme-cour-interieure.jpg

     C'est également dans cette aile du château, au deuxième étage très précisément, qu'après les Trois Glorieuses et son abdication, le roi de France Charles X  (1757-1836) - celui-là même qui manda Jean-François Champollion au Louvre aux fins de mettre sur pied le premier Département des Antiquités égyptiennes, - le "Musée Charles-X", selon la terminologie de l'époque -, vint passer une partie de son exil, à partir de 1832, invité par l'empereur François Ier d'Autriche, par ailleurs neveu de la reine Marie-Antoinette : là, le roi déchu reçut notamment
, avant de poursuivre sa route de banni jusqu'à Görz, (en l'Empire autrichien de l'époque, actuellement Gorizia, en Slovénie), l'homme politique et grande plume du Romantisme français, le vicomte François-René de Châteaubriand (1768-1848).

     Vous me permettrez d'ajouter ici, dans un but simplement didactique, que c'est dans cette ville à la frontière italo-slovène, qu'atteint du choléra, Charles X mourut en 1836 et surtout, fait peu connu - sauf de la branche toujours active des royalistes français -, que c'est là, à des lieues et des lieues de Paris donc que, dans la crypte d'un couvent franciscain, ils reposent, lui, son fils (reconnu sous le patronyme de Louis XIX par les mêmes royalistes) et l'épouse de ce dernier, Marie-Thérèse de France, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette précisément ; sans  oublier quelques autres affins.  

     Mais revenons plus prosaïquement au château de Prague : sacrifiant volontairement à notre modernité, l'ancienne petite chapelle Sainte-Croix du XVIIIème siècle - à gauche sur le cliché ci-dessus - se trouve aujourd'hui reconvertie en Office du Tourisme dans lequel, commerce oblige, il est loisible d'acheter quelques bibelots souvenirs, ainsi que les billets d'entrée autorisant la visite du château ...  


     Privilégiés, escortés par une Garde motorisée, nous arrivons à présent tout naturellement dans la troisième et dernière cour où il semblerait que nous sommes, vous et moi, officiellement attendus ...

286.-Parade--05-08-2009-.jpg

     Et c'est devant la façade de ce bâtiment hébergeant divers bureaux administratifs de la présidence de la République et du château que nous resterons sans voix, contemplant LE joyau : la cathédrale Saint-Guy-Saint-Venceslas-et-Saint-Adalbert (nom complet la plupart du temps abrégé en Saint-Guy, ou parfois Saint-Vitus, en latin), caractérisée, sur sa tour sud, par un toit baroque en cuivre et en forme de bulbe imaginé à la fin du XVIIIème siècle par Nicolo Pacassi.


Cathedrale-Saint-Guy.jpg

     Elle fut elevée, à partir de 1344, sous l'impulsion première de Jean de Luxembourg dont le fils, l'empereur Charles IV tant vénéré des Pragois et dont, souvenez-vous, nous avons ensemble souvent tutoyé l'ombre un peu partout dans la ville ces derniers mois, joua là aussi un rôle déterminant : je vous avais ainsi expliqué que ce souverain avait grandi à la cour de son parrain, le roi de France Charles IV dont il avait d'ailleurs choisi d'emprunter le prénom.
     C'est donc de ce pays qu'il  fit venir Mathieu d'Arras, en réalité avignonnais d'origine, pour effectuer et diriger les travaux.

     L'édification de ce qui est devenu par la suite un chevet avec arcs-boutants à deux niveaux et double volée, ainsi que la couronne de cinq chapelles polygonales rayonnantes, étant à peine entamée,

273.-Saint-Guy---Chevet---05-08-2009-.jpg

l'architecte français décède prématurément. C'est alors que l'empereur invite un Allemand, Peter Parler, que j'ai déjà eu l'occasion de citer à propos du pont Charles notamment,  dans le but évident de poursuivre la grandiose construction.      

      D'interruptions dues à différents conflits internes que connut Prague, en passant par l'incendie de 1541 et une restauration obligée, ce vaisseau au départ gothique ne fut définitivement achevé qu'en ... 1929 ; soit près de six cents ans après le début du chantier !

275.-Saint-Guy---Portail-ouest--05-08-2009-.jpg

     Une remarquable dentelle de pierre orne la face occidentale datant de 1861, - d'où son appellation "néo-gothique" - qui, dès l'abord, subjugue quand nous arrivons à l'entrée de la cour : le tympan du portail  exalte dans la pierre la crucifixion ainsi que, au registre inférieur, la mise au tombeau du Christ. Quelles que soient là nos convictions, nous ne pouvons qu'être admiratifs devant la délicatesse du travail artistique accompli ...


274.-Saint-Guy---Face-ouest--05-08-2009-.jpg

      Quant aux tours d'une parfaite gémellité protégeant un gâble qui chapeaute une rosace lovée dans un arc brisé, elles s'élèvent avec inouïe élégance à près d'une centaine de mètres de hauteur.

     En contournant immédiatement cette première façade, nous sommes à nouveau grandement impressionnés par le côté sud de l'édifice, de tout autre conception, mais de facture également remarquable.

279.-Saint-Guy---Fin-face-sud--05-08-2009-.jpg

     Deux détails retiendront inévitablement notre attention, hormis les sempiternels échafaudages - clin d'oeil à Nat ...- : la Porte d'Or, bien sûr, à l'extrême droite, oeuvre du même Peter Parler, qui constitue l'entrée officielle et surtout cérémonielle de la cathédrale, caractérisée par ses nervures dédoublées formant trois triangles curvilignes ; entrée que couronne une mosaïque vénitienne évoquant le Jugement Dernier, récemment et bellement restaurée.


280.-Jugement-dernier--05-08-2009-.jpg

     Mais c'est en levant un peu plus haut les yeux que nous resterons cois d'admiration par rapport à la fenêtre médiane de la tour elle-même : elle se trouve en effet parée d'une splendide grille dorée d'époque Renaissance à la finesse de réalisation qui dépasse presque l'entendement.

Saint-Guy---Fenetre-renaissance-1.jpg

     Le gros plan que j'ai essayé d'en réaliser ci-dessus ne parvient pas, à mon sens, à suffisamment en rendre compte : c'est d'une grue, à hauteur de la merveille, que je soupçonne d'être finalement peu remarquée par les touristes, qu'il eût fallu que je puisse prendre ma photo ... 

    
     C'est avec cette petite touche de regret que je mets ici et maintenant un point final non seulement à la présente intervention, mais aussi, amis lecteurs, à la rubrique de mes amours estivales de 2009.    

     Il est indéniable que la raison d'être de cette quinzaine d'articles que j'ai eu le bonheur de consacrer à Prague chaque samedi depuis octobre dernier résida priopritairement dans l'envie de partager avec vous les émotions esthétiques qui furent nôtres, à mon épouse et à moi, tout au long de ce bien trop court séjour dans la capitale tchèque : je ne sais si j'y suis souvent parvenu mais ce qu'à présent au fond de moi j'espère très sincèrement, c'est de vous avoir, au détour d'une description, au détour d'une photo peut-être, donné envie d'aller personnellement constater de visu qu'en rien je n'ai exagéré ... Et que, surtout,  par ces modestes "reportages", je suis bien loin d'avoir eu l'opportunité de vous faire découvrir le tiers du quart de la moitié des trésors que cette ville d'art, véritable musée à ciel ouvert, cèle encore ...


     Ces prochains samedis, transition bien agréable, je vous proposerai, amis lecteurs, de ne pas tout à fait  quitter la Tchéquie : j'aimerais en effet, par quelques interventions seulement, vous sensibiliser à l'apport non négligeable dont l'égyptologie bénéficia grâce à certaines des sommités tchécoslovaques du XXème siècle ; ce sera ainsi pour moi, Thésée des temps modernes, l'occasion, après avoir avec vous déambulé dans le labyrinthe des rues des différents quartietrs pragois, de renouer avec le fil conducteur, avec le primat de ce blog éminemment égyptophile qui, c'est mon but, se doit de poursuivre en demeurant "EgyptoMusée" ...
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26 janvier 2010 2 26 /01 /janvier /2010 00:00


      Interpellante, franchement ouverte sur la polémique, mon intervention d'aujourd'hui, qu'il faudra aussi comprendre comme une conclusion (provisoire ?) à la très longue digression consacrée aux "Annales" et consécutivement à Thoutmosis III que je me suis autorisée de mardi en mardi depuis le 24 novembre 2009, si elle doit être considérée comme une mise au point, une réflexion sur la philosophie de la nature et de la pratique du pouvoir pharaonique, trouve essentiellement son origine dans une expression que j'ai employée dans mon article de ce 19 janvier 2010 : souvenez-vous, j'évoquais tout à la fin, exactement  dans l'antépénultième phrase, le décès du souverain en ces termes : ... la mission qui était sienne terminée, Thoutmosis III pouvait songer à rejoindre le bel horizon ...

   
  - Mais, me rétorqueront d'abord certains d'entre vous, fidèles "exégètes" de mes propos hebdomadaires, n'aviez-vous pas déjà trompeté, la semaine dernière, que vous apposiez, précisément après ce sixième chapitre, le point définitivement final qui vous permettrait d'à nouveau nous emmener au Louvre, dans la salle 5 de ce Département des Antiquités égyptiennes que nous avions quittée voici deux mois ?

     - Cela figurait effectivement dans mes intentions. Toutefois, vos interrogations dans quelques commentaires
privés qui me furent adressés m'ont donné à croire, amis lecteurs, que vous attendiez de moi un éclaircissement, une mise au point par rapport à ce "mission qui était sienne".    

     En effet, ayant tout logiquement rendu compte dans mes articles successifs du nombre de victimes après la confrontation des forces en présence au pied de la forteresse de Mégiddo, de celui des prisonniers emmenés, des biens ennemis dont l'armée s'était emparés et, surtout, de cette pratique qui voulait que l'on coupât la main droite , - voire le sexe -, des cadavres aux fins d'en établir une comptabilité qui n'avait de sens qu'au bénéfice d'une propagande bien orchestrée, était-il possible à vos yeux que froidement je sous-entende que le rôle d'un gouvernant consiste à s'adonner à de semblables exactions ?

     Avant de développer mes propos, non
pour excuser qui ou quoi que ce soit, non pas plus pour exonérer Pharaon de telle ou telle décision qui, à l'aune du devoir-être cher aux philosophes, à l'aune de notre système de référent, de notre regard contemporain, nous semblerait à juste titre indéfendable, je voudrais, d'emblée, mettre l'accent sur une évidence : je crois très sincèrement que c'est un flagrant anachronisme que d'espérer analyser une action du passé, fût-il récent ou comme ici très ancien, avec nos critères et notre sensibilité d'hommes modernes.

      Pour le philosophe marrane Baruch Spinoza (1632-1677), les passions négatives telles que, par exemple, la haine, l'envie, la colère font partie de la réalité de l'homme : elles sont. Rien ne sert  dès lors de les déplorer ; il faut plutôt essayer de les comprendre ...

     Comprendre, non pas juger,
voilà le maître mot de sa philosophie, qu'il développe notamment dans son Traité politique (Garnier Flammarion n° 108, I, § 4, pp. 12 sqq). 

      Ceci posé, sans bien évidemment vous demander d'adhérer - ne voyez aucun prosélytisme dans mes propos ci-après et encore moins l'envie d'entonner le péan en faveur des faits et gestes royaux -, je vous invite à entrer de plain-pied dans une mentalité, dans un état d'esprit, dans une conception politico-religieuse inhérente à la civilisation pharaonique que seuls les textes d'époque m'autorisent à tenter de vous faire prendre en considération ...

     Il nous faut, en première étape, souligner que, de nature divine, Pharaon avait, dès les temps primitifs, été investi par Rê de certaines missions, et notamment celle d'assurer la bonne qualité de la vie en terre égyptienne : en fait, de maintenir la pérennité de Maât, ce principe d'ordre, de vérité et de justice. Mais aussi, et ce devait être consubstantiel, d'étendre cet ordre au-delà même des frontières du pays de manière à conserver l'équilibre cosmique voulu par le démiurge - le dieu Atoum, en l'occurrence - dans le monde qu'il a extirpé du non-être, du chaos primordial susceptible de renaître encore et toujours.

     Le monde ? Comprenons, d'après une formulation concernant
Hatchepsout, tante et belle-mère de Thoutmosis III, ce que cela signifiait exactement : Amon lui a donné ce qu'encercle le disque solaire et ce qu'enlacent Geb et Nout (Geb et Nout étant respectivement personnification divine de  la Terre et du Ciel) ; ou, dans un esprit semblable, sur une stèle d'Aménophis II, fils et successeur de ce même Thoutmosis et retrouvée dans le temple d'Amada, en Basse-Nubie, à quelque deux cents kilomètres de Philae : le monde correspond à tout  ce que le soleil entoure, tous les pays, toutes les contrées dont il a connaissance, dont il peut se saisir sur le champ en victoire et puissance.

      Vous m'accorderez, amis lecteurs, qu'ainsi précisée, une telle conception géographique faisait la part belle au devoir impératif qui incombait à tout souverain d'élargir les frontières du pays, comme l'expriment à l'envi les textes officiels de l'époque ; donc, d'étendre son pouvoir sur ces pays étrangers limitrophes dans la mesure où il se sentait responsable de l'Humanité tout entière; et tout aussi belle au soutien que le peuple ne pouvait qu'accorder à ce "héros" qui, grâce, entre autres, à ses expéditions militaires engagées pour en quelque sorte assurer la défense du pays, contribuait grandement au bien-être général : gérer et accroître le patrimoine qu'il a reçu des dieux, voilà aussi son devoir !

     Âhmosis, le pharaon fondateur de la brillantissime XVIIIème dynastie, celui que l'Histoire retient  pour avoir réussi à chasser les Hyksos du nord-est du Delta, prémices à la réunification de l'Égypte, ne se proclamait-il pas, dans une évocation manifestement très proche des titres auliques perses, - et, par parenthèses, reprise sans scrupule aucun au précédent XXème siècle encore par l'empereur d'Ethiopie - :  Rois des rois (de tous les pays) ?   

     En résumé, Pharaon s'arrogea ainsi le droit, au nom d'une prétendue volonté divine, de militairement s'inviter en terres asiatiques pour les uns, en terres nubiennes pour d'autres, voire, pour certains, dans les deux au cours d'un même règne, dans la seule optique de détruire les puissances dangereuses qui voudraient attenter à l'harmonie jadis instaurée par le démiurge.

      Il est incontestable que la monarchie pharaonique eut, de manière atavique, prétention à domination universelle ; attitude apparemment virale puisqu'elle fit malheureusement florès tout au long de l'Histoire jusqu'à notre époque immédiatement contemporaine ... 

     Je me dois aussi d'ajouter, pour que cet aspect de l'idéologie antique soit bien appréhendé dans toutes ses composantes, que la maîtrise de l'univers connu des Égyptiens, par ailleurs concomitante à la souveraineté exercée sur le pays lui-même, ressortissait à la conception duelle qui caractérisa la réalité géographique et politique de cette civilisation : Pharaon n'était-il pas appelé Maître des Deux-Terres, c'est-à-dire de la Haute et de la Basse-Égypte ? ; ou Maître des Deux-Rives ? S'opposant à cette première entité géographique : les pays étrangers que la terminologie globalisait, autre facette de ce dualisme, sous l'appellation de Pays du Nord, quand il s'agissait de définir les terres du Proche-Orient, les terres asiatiques et Pays du Sud quand il était question, par exemple, de la Nubie. 


    
Maintenir la pérennité de Maât, ai-je ci-avant énoncé. Qu'est-ce à dire exactement ?
     Que, toujours selon le même principe de dualité, s'il y a la maât, l'ordre, d'un côté, il y a inévitablement isefet, le désordre, de l'autre et qu'à l'instar du démiurge, le roi se devait d'organiser l'univers de manière que ne réapparaisse pas l'hydre des origines, toujours susceptible de s'immiscer, soit à chaque changement de règne, soit en cas de vacance du pouvoir.

     Ceci étant, je voudrais ouvrir une petite parenthèse pour simplement préciser que Pharaon ne s'identifia jamais à ce dieu créateur : il n'était que le dépositaire, l'épigone, l'héritier de son pouvoir démiurgique ; mais aussi un  officiant, un ritualiste qui, par ses actions guerrières ou autres, mettrait définitivement en capilotade les forces extérieures néfastes : maât contre isefet !, l'un n'allant pas sans l'autre ...

     C'est donc de cette optique que se prévalaient les incursions royales en terres étrangères et les guerres qui y furent menées : elles étaient en quelque sorte présentées comme une véritable catharsis destinée à contrer les puissances maléfiques dont ces pays constituaient assurément le creuset : les souverains égyptiens ne pouvaient admettre que ce voisinage qui faisait incontestablement partie à leurs yeux des forces hostiles du sempiternel chaos puisse mettre en péril l'ordre du monde personnifié par Maât et dont ils avaient, eux, personnellement reçu mission d'être le garant.

     Dans cette perspective, il n'est pas incorrect de ma part d'avancer - à l'encontre de l'avis parfois admis -, que Pharaon fut bien plus certainement un roi-prêtre, au sens où il ne prétendait agir que selon la volonté divine, qu'un roi-dieu.

     Certes, d'aucuns argueront du fait que des textes laudatifs le qualifient, par exemple, de "dieu-bon".  En fait, ce n'est pas à  l'être de chair que s'adressent ces termes obséquieux, mais plutôt à la fonction qu'il personnifie, à tout le moins au caractère sacré de celle-ci.

     Et c'est précisément cette sacralité du pouvoir qui, par analogie, faisait que le souverain était considéré comme de naissance divine. C'est un peu d'ailleurs la raison d'être des deux cartouches qui,  clôturant les cinq titres du protocole royal, encadrent ce que, par facilité, les égyptologues appellent nom et prénom : en fait, l'un exprime la personne physique et l'autre, l'image divinisée ...

     Dans cette même optique de propagande idéologique, concevez qu'il était hors de question qu'un roi pût être vaincu en terre étrangère. Et moins encore, ressortissant au domaine de l'art cette fois, que ses représentations fussent des "portraits" fidèles qui eussent pu le montrer falot ; pis : atteint par les stigmates de la vieillesse qui détruit tout ...


    
Permettez-moi, amis lecteurs, d'à présent terminer en insistant sur le fait que tous ces préceptes de l'idéologie pharaonique que j'ai aujourd'hui évoqués dans le but de vous faire mieux comprendre, sans évidemment les approuver, les raisons pour lesquelles tout souverain égyptien, médiateur entre les dieux et les hommes, se sentit à plusieurs reprises investi de la mission de pénétrer, voire de guerroyer en terres étrangères, assuraient le bon fonctionnement de l'ordre cosmique.

     Maîtres à la fois du pays et de tout ce qu'il contenait - êtres vivants, mais aussi l'eau et les richesses du sol et du sous-sol -, ils ne furent, semblerait-il, aucunement considérés comme des dictateurs ou des tyrans, à la mesure de ce qui prévaudra plus tard dans le monde gréco-romain : ils personnifièrent au contraire la manifestation éminemment rassurante de la volonté d'oeuvrer pour le bien de tous en accord avec les dieux.

     Cette doctrine que les textes de la propagande officielle étalent  avec complaisance et qui, en quelque sorte, permet d'avaliser les pleins pouvoirs que s'arroge Pharaon, Pascal Vernus, dans son excellent Dictionnaire amoureux de l'Egypte pharaonique, filant admirablement la métaphore, la définit comme la "langue de bois", le "politiquement correct", ouvrant grand la porte à toute espèce de justification des actions royales.

     Je ne puis m'empêcher, en guise de conclusion, d'ici vous donner à lire ce passage (p. 536) :

     "Le réel est toujours dissident. Veut-on l'assujettir qu'il se rebelle. Il s'échappe comme le sable du tamis. Aussi est-ce le tamis que décrit la langue de bois en prétendant décrire son contenu".      
             
 

(Bonhême/Forgeau : 1988 ; Husson/Valbelle : 1992 ; Vernus : 2009, 535-47 et 746)
   
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